Affaire Claude Muhayimana

Contrairement à ce que toutes les dépêches d’agence ont écrit, ce n’est pas la première fois qu’une Cour d’Appel donne un avis favorable à l’extradition d’un présumé génocidaire rwandais. En effet, début avril 2008, la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Chambéry avait donné un avis favorable à l’extradition de monsieur Claver Kamana, décision invalidée le 9 juillet 2008 par la Cour de Cassation de Paris. La Cour d’Appel de Lyon confirmera par la suite ce refus d’extrader.

Si donc la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Rouen a émis un avis favorable à l’extradition de monsieur Claude Muhayimana, nous ne devons pas nous réjouir trop tôt. Nous devons attendre la décision de la Cour de Cassation qui doit rendre son avis dans les quarante jours.

Cependant, cette décision venant après celle du TPIR qui a enfin accepté de transférer des affaires vers le Rwanda, après celle du Canada d’extrader Léon Mugesera, il semble bien que s’amorce un tournant : l’extradition d’un présumé génocidaire vers le Rwanda n’est plus un sujet tabou, les magistrats français commencent peut-être à comprendre que la justice rwandaise est capable d’assurer des procès équitables pour ceux qu’elle déciderait de renvoyer chez eux. Les magistrats français en charge des extraditions prennent-ils peut-être aussi conscience que les personnes poursuivies le sont pour génocide, un crime exceptionnellement grave et imprescriptible.

La réaction de l’avocate de monsieur Muhayimana peut surprendre, même si cette dernière doit défendre son client. Avancer l’idée que Claude Muhayimana participe à la chorale de Canteleu pour justifier de son innocence est une aberration. Charles Twagira, poursuivi par une plainte du CPCR et un des « héros » du documentaire La Grande Traque : des tueurs parmi nous ? diffusé en juin dernier sur France 2, n’exerçait-il pas une fonction de pasteur dans une église Evangéliste de Rouen ? Dominique Ntawukuriryayo, extradé vers le TPIR et condamné à 25 ans de prison, n’était-il pas membre de la Commission pastorale des migrants pour le diocèse de Carcassonne ? L’abbé Wenceslas Munyeshyaka n’exerce-t-il pas son ministère dans le diocèse d’Evreux ? Et on pourrait multiplier les exemples. Se refaire une virginité dans leur nouveau pays est une tactique connue de la part des présumés génocidaires, tactique qui ne peut tromper tous ceux qui veulent que justice soit rendue.

Pire encore. Monsieur Muhayimana prétend, pour sa défense, qu’il n’était « pas sur les lieux au moment des faits ». Or, des génocidaires que nous avons rencontrés à Kibuye lors de nos enquêtes dans l’affaire Twagira nous ont affirmé qu’il avait conduit des miliciens vers Bisesero et d’autres lieux pour exécuter des Tutsi. Sans compter tous les autres témoignages qui ont pu être recueillis lors des procès Gacaca qui l’ont condamné à trente ans de prison, en son absence. Il aurait été mêlé aux massacres de l’église de Kibuye. Si aucune plainte n’a à ce jour été déposée en France contre monsieur Muhayimana, c’est tout simplement que le CPCR n’a eu ni le temps, ni les moyens de s’occuper de cette affaire. Pour rappel, 24 plaintes sont déposées sur le bureau des juges parisiens et aucun procès n’a encore été organisé.

Il serait donc temps que la justice française se dote de vrais moyens pour permettre aux juges chargés de ces affaires de mener à bien leurs investigations. Nous ne pouvons nous contenter que le « pôle d’enquêteurs spécialisés pour crimes contre l’humanité » récemment créé au TGI de Paris soit une coquille vide. Cela fait dix-huit ans que les familles de victimes attendent que justice leur soit rendue.

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