Cafouillage et désinvolture : un dossier d’extradition vers le Rwanda disparaît du palais de justice de Paris

Communiqué du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) et de Survie.

Lors de l’audience du 11 janvier 2012 de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, le peuple français, au nom de qui la justice est rendue, apprenait que le dossier d’extradition concernant monsieur Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva, ancien ministre des Transports dans le gouvernement génocidaire rwandais en 1994, avait disparu.

L’audience a alors été reportée au 22 février avec l’espoir que l’on puisse soit retrouver le dossier, soit le reconstituer à partir des copies de pièces. Peine perdue : le dossier n’a pas été retrouvé et la chancellerie n’a depuis lors transmis au parquet général que des copies  non certifiées conformes, donc sans valeur juridique, comme l’a regretté l’avocat général, qui a estimé que la Cour devait demander au Rwanda un nouveau dossier d’extradition. Dans ces conditions, la chambre de l’instruction prononcera vraisemblablement un refus d’extrader le 29 février. Le contrôle judiciaire auquel est soumis M. Nsengiyumva sera automatiquement levé. M. Nsengiyumva avait été arrêté le 9 août 2011 à Créteil, détenu à la prison de la Santé jusqu’en septembre et placé depuis sous contrôle judiciaire. Un mandat d’arrêt international a été émis contre lui en 2008 par la justice rwandaise.

Il est reproché à M. Nsengiyumva d’avoir participé activement à des crimes de masse dans sa région natale de Gisenyi, à la frontière avec le Congo. Alors ministre du Gouvernement intérimaire rwandais, il est interrogé par un journaliste du Journal du Dimanche, Franck Joannes, à propos de l’approvisionnement en armes des génocidaires au moment de l’Opération Turquoise. Il lui déclare : « Nous avons des voies souterraines » (JDD du 03/07/1994). Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva est aussi un des membres fondateurs des FDLR, cette force réfugiée au Congo, constituée en partie d’anciens génocidaires et qui continue à perpétuer des crimes de masse, assassinats, viols…

Le CPCR et Survie sont scandalisés qu’un dossier de présumé génocidaire puisse s’égarer dans les méandres de la justice française. Ils s’étonnent de la relative indifférence avec laquelle la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a accueilli cette disparition. Cette attitude est difficilement compréhensible, compte tenu de la gravité des accusations : il s’agit de la participation présumée de M. Nsengiyumva au génocide des Tutsi du Rwanda qui fit un million de victimes en cent jours.

Ce n’est pas la première fois que les tribunaux français traitent les dossiers d’extradition de présumés génocidaires rwandais avec une bienveillance inhabituelle dans ce genre d’audience. Pour mémoire, le tribunal de Bordeaux a refusé d’extrader Sosthène Munyemana, surnommé « le boucher de Tumba », avant de condamner des citoyens qui l’accusaient de génocide pour non respect de la présomption d’innocence. Pourtant, une juge d’instruction l’a depuis mis en examen pour génocide et crimes contre l’humanité. Autre cas, celui du docteur Eugène Rwamucyo, soupçonné d’avoir participé au génocide à Butare, dans le sud du Rwanda. Cet idéologue du génocide s’est empressé de rejoindre sa famille en Belgique et la justice française ferait bien de déposer à son tour une demande d’extradition à son encontre. Sans parler d’Agathe Kanziga, veuve du président Habyarimana et extrémiste notoire, la plus célèbre des sans papier de France, qui continue sa vie sur notre territoire en toute illégalité depuis le 16 octobre 2009, date à laquelle le Conseil d’Etat a refusé de lui octroyer le statut de réfugié. Et la liste est loin d’être exhaustive.

Les refus d’extrader prononcés par les tribunaux français s’appuient notamment sur le fait que les accusés ne pourraient pas bénéficier d’un procès équitable devant la justice rwandaise. Ce soupçon a été levé par trois décisions récentes. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a, dans un arrêt du 27 octobre 2011, autorisé l’extradition vers le Rwanda de Sylvère Ahorugeze, accusé de génocide et crimes contre l’humanité. La CEDH a estimé que le Rwanda présentait les garanties nécessaires en ce qui concerne les conditions de jugement et de détention. Pour sa part, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a confirmé en appel, le 16 décembre 2011, le transfert au Rwanda de Jean Uwinkindi pour y être jugé, renversant ainsi sa jurisprudence précédente. De son côté, le Canada vient d’extrader Léon Mugesera pour avoir prononcé, en 1992, un discours enflammé contre les Tutsi.

L’argument de l’absence de procès équitable devenu caduque, il devient plus difficile aux magistrats français de refuser l’extradition vers le Rwanda, surtout si les dossiers remis par les autorités rwandaises sont suffisamment étayés, ce qui n’a pas toujours été le cas jusqu’à présent. Dans le cas de Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva, il est non seulement étonnant que le dossier disparaisse, mais encore que la chancellerie ne fournisse pas de copies certifiées conformes pour le reconstituer.
Ces cafouillages en chaîne ne sont pas seulement une manifestation du manque de moyens de notre justice. Ils font suspecter un défaut de volonté réelle de juger en France tous ceux qui sont accusés d’avoir participé au génocide des Tutsi et contre lesquels des plaintes ont été déposées. Depuis dix-huit ans, la justice française, malgré les déclarations lénifiantes des plus hauts responsables politiques, non seulement n’a jamais accepté de remettre des présumés génocidaires aux autorités rwandaises, mais surtout n’a jamais déféré aucune de ces personnes devant une Cour d’assises dont relèvent les crimes dont ils sont soupçonnés.

C’est pourquoi le CPCR et Survie demandent :

  • Que le pôle « génocide et crimes contre l’humanité » créé au TGI de Paris soit doté de vrais moyens pour mener à bien toutes les investigations nécessaires en vue de l’organisation de procès en Cour d’assises. Et ce dans des délais qui ne sont malheureusement déjà plus raisonnables.
  • Que les plaintes déposées contre les présumés génocidaires rwandais soient davantage prises au sérieux par les magistrats.
  • Que la justice française désigne clairement les bourreaux et les victimes pour une véritable réconciliation au Rwanda. Le temps joue en faveur des bourreaux : cette pensée nous est intolérable.

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