Eugène Rwamucyo : audience Cour d’Appel de Versailles, le 2 juin 2010

L’audience s’est déroulée à la Cour d’Appel de Versailles, devant un parterre de Rwandais tous acquis à la cause de Rwamucyo (une quarantaine environ).

La séance a commencé par le rappel de l’identité de Rwamucyo. A la question : »Quelle est votre nationalité ? », Rwamucyo hésite, bafouille, puis finit par dire : « Toute ma famille est belge. Si le Rwanda m’accepte, je suis Rwandais. » Il ne manque pas au passage d’affirmer, hors sujet, que les autorités du Rwanda veulent sa mort depuis 16 ans.

Le président de séance rappelle alors le déroulement de la procédure et lorsqu’il parle de « procès équitable » à propos de la situation au Rwanda, les rires fusent dans la salle.

L’avocat général prend alors la parole. Il évoque les conditions de l’interpellation qu’il juge tout à fait légales. C’est bien la police nationale qui a arrêté Rwamucyo, même si la police municipale de Sannois participait à cette arrestation.

Il évoque ensuite l’originalité de la procédure, rappelant que la demande d’extradition a été transmise par l’Ambassade de Belgique au Rwanda qui a ensuite transmis aux autorités françaises (Mon commentaire : rien d’anormal, il n’y avait pas de relations diplomatiques entre les deux pays, c’est donc la procédure normale)

Il a ensuite évoqué, à propos de l’arrestation, la vérification d’identité. Rwamucyo n’avait pas de pièce d’identité sur lui. Il a donc été menotté, transféré vers un véhicule de la police nationale. Cette vérification de son identité a duré 4 heures, délai au bout duquel il a été mis en rétention en vertu du mandat d’arrêt international dont il fait l’objet. Il a subi un examen médical, une ordonnance médicale a même été rédigée. Donc, rien de plus légal.

L’avocat général a ensuite procédé à ses réquisitions :

La Cour ne dispose pas de l’ensemble des pièces, mais les faits précis suffisent pour rendre un avis. Des remarques cependant :

-Le Rwanda n’a pas aboli la peine de mort. (Note :Le président lui fera remarquer que si !) Il ajoute qu’il a été marqué par l’affaire Eichmann, la peine de mort ayant été rétablie pour lui par Israël. Il veut donc des engagements du Rwanda qui promettra qu’il ne rétablira pas la peine de mort.

-Il évoque ensuite les « garanties de détention convenables » au Rwanda. Il veut bien l’entendre mais aimerait avoir le texte de la commission qui déclare cela.

-Il faudrait aussi que la Cour dispose des textes qui définissent les crimes reprochés : génocide, complicité, complot… Rwamucyo est-il « auteur » ou « complice » ?

-La Cour doit disposer des textes applicables si Rwamucyo doit comparaître au Rwanda.

En conclusion, il demande donc un complément d’information et rappelle que la Cour n’a pas à connaître des conditions de l’interpellation : elles ont été légales. Elle a à se prononcer sur la demande d’extradition.

Intervention des avocats de la défense.

Ils sont au nombre de trois : Maîtres Meilhac, Boulin et Flamme (ce dernier du barreau de Gand)

Maître Meilhac a d’abord tenu à parler du contexte politique dans lequel se déroule cette affaire. Il a rappelé qu’il était avocat d’Agathe Kanziga (Note : dont le fils Léon était présent à l’audience) dont l’interpellation avait suivi de peu le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays et le voyage de Sarkozy à Kigali. A propos de l’arrestation de Rwamucyo, il a rappelé qu’elle intervient deux jours avant le somment Afrique-France de Nice. Donc, « contexte politique fort et pesant ».

Maître Meilhac commence par évoquer les conditions de l’arrestation :

-C’est choquant : dans un cimetière, au cours d’une cérémonie religieuse, à l’occasion des obsèques d’une personne qui est morte dans les geôles du TPIR sans avoir bénéficié de soins (Note : il ne nomme pas Barayagwiza, ni ne dit qu’il était un proche d’Agathe Kanziga, membre fondateur de la CDR et de Radio Mille Collines).

-Il dénonce la procédure de l’arrestation et en particulier le rôle de quelqu’un qui se prévaut consultant au TPIR (Note : ne nomme pas JF Dupaquier dont il s’agit) alors qu’il est consultant du gouvernement rwandais

-L’interpellation s’est déroulée de façon curieuse. Rwamucyo n’avait pas ses papiers sur lui mais ils étaient dans sa voiture. On aurait pu vérifier son identité sur place. Il avait un titre de séjour belge valable jusqu’en novembre 2014. Cette vérification d’identité a duré 4 heures, ce qui est un maximum, et Rwamucyo n’a pu avoir accès à son avocat, Maître Boulin, qu’après ce délai de 4 heures. Il s’agit donc d’une procédure détournée qui encourt la nullité. Rwamucyo doit donc être remis en liberté immédiatement.

-A propos de l’extradition : un pays peut abolir la peine de mort et la rétablir. IL faut donc  écarter cette demande d’extradition. Il remercie au passage l’avocat général qui a fait allusion à l’affaire Eichmann. Il évoque aussi le refus d’extradition prononcé à Toulouse (Note : il s’agit de l’affaire Bivugabagabo dont il ne cite pas le nom) ; cet arrêt se fonde sur le refus du TPIR d’accéder à la demande d’extradition de Rwandais vers le Rwanda. Les exigences d’un procès équitable ne sont pas garanties. Il faut donc refuser l’extradition. L’avocat s’appuie également sur les « rapports accablants » d’ONG telles qu’Amnesty International

-Il évoque alors le courage de Victoire Ingabire qui s’est rendu au Rwanda en cette période électorale et dénonce l’arrestation de l’avocat américain Erlinder. Même les Américains se sont inquiétés. Il n’est donc pas nécessaire de demander d’informations complémentaires. Le régime actuel fonde sa légitimité sur le génocide. Kagame est visé par une instruction judiciaire à Paris (Bruguières et maintenant Trevidic)

-L’avocat demande enfin la remise en liberté immédiate de son client. Il donne des garanties de représentation puisqu’il vit en Belgique avec sa famille. Le président lui fait remarquer que la demande de remise en liberté n’a pas été présentée dans les règles.

Intervient alors Maître Boulin. Il connaît Rwamucyo depuis dix ans, dénonce « le harcèlement des délateurs ». Et pourtant Rwamucyo n’a jamais fui. Le régime de Kagame, régime sanguinaire, veut tuer tous les intellectuels hutu. Rwamucyo a une famille, six enfants, une maison dont il est propriétaire… Le Rwanda rejette les intellectuels, ceux qui ont un certain charisme. Rwamucyo est une référence. Ceux-là, les délateurs français veulent les faire taire, veulent les tuer. Rwamucyo doit être remis en liberté.

Maître Flamme intervient enfin. Il déclare que les cours européennes doivent garantir les droits et exiger des procès équitables. Il se dit reconnaissant à son tour au Procureur d’avoir dit qu’il n’avait pas de certitude quant au rétablissement ou non de la peine de mort au Rwanda, évoque le refus du TPIR d’extrader des Rwandais qui n’étaient pas encore jugés (Munyakazi). Il déclare que la justice rwandaise n’est pas indépendante. La France a refusé d’extrader Kamana (Note : décision de la Cour d’Appel de Lyon qui a annulé l’extradition prononcée par le Tribunal de Chambéry). « La peine de mort a-t-elle été abolie au Rwanda ? », s’interroge-t-il. Évoque enfin l’affaire Victoire Ingabire et dénonce le « scandale international » de l’arrestation de monsieur Erlinder.

La parole est enfin donnée à Rwamucyo.  Il se dit content de voir ses amis, sa femme et ses enfants. « Cela fait 16 ans que je suis injustement poursuivi par ce gouvernement criminel ». Me désignant du doigt, il ajoute : « Ce monsieur m’avait promis qu’il aurait ma peau et il l’a eue ». (Note : il fait allusion au Colloque du Sénat au cours duquel je n’ai jamais tenu de tels propos. C’est lui qui a claironné alors que je ne « connaissais le Rwanda que par des confidences sur l’oreiller ». Voir mon compte-rendu sur ce Colloque intitulé « Demain, le Rwanda »). Il dénonce alors une « affaire personnelle qui l’oppose à Dupaquier », ce dernier, lors de son arrestation ayant dissimulé des éléments concernant sa fiche rouge d’Interpol, la poursuite judiciaire dont il fait l’objet… Rwamucyo se perd alors dans des considérations étonnantes, me prêtant des faits avec lesquels je n’ai rien à voir, confondant Gauthier et Dupaquier…

« Monsieur le Président, ajoute-t-il, je suis docteur et innocent. Je ne suis pas un bandit. Je vous demande à me présenter devant mes juges avec Dupaquier et Gauthier ». Il évoque le déplacement des juges Pous et Ganascia en commission rogatoire à Kigali, prône pour une réconciliation au Rwanda « si on veut dire la vérité ». Il termine en disant : « Je suis heureux d’être dans un pays où on donne la parole à un accusé. Je ne suis pas un assassin…Le gouvernement veut ma peau. Il est possible de faire la paix et la réconciliation au Rwanda ».

La décision est mise en délibéré et sera rendue le mercredi 9 octobre.

A la sortie, je suis invectivé par la plupart des Rwandais présents qui s’expriment en Kinyarwanda. Leurs regards en disent longs. Les policiers de service me demandent si je suis bien la personne attaquée par Rwamucyo. Je leur dit qu’il s’agit bien de moi. Ils me demandent alors de ne pas quitter la salle sans eux. Je leur fais savoir que je n’ai pas peur mais ils me disent qu’ils ne veulent pas de trouble à l’ordre public au sein de la Cour d’Appel. Ils me demandent alors de les suivre et exigent que je les accompagne vers leur voiture. Ils me conduiront à la gare Versailles Chantier afin que je puisse rejoindre Paris…

Ce compte-rendu est fait sous ma seule responsabilité à l’aide des notes que j’ai prises lors de l’audience. Il ne peut rendre compte de tout ce qui a été dit dans l’enceinte de la Cour d’Appel. Je pense avoir relaté l’essentiel.

Alain Gauthier, président du CPCR

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