Lettre à monsieur François BAYROU, ministre français de la Justice.

Le 7 Juin 2017.

Monsieur le Ministre de la Justice,

Vous avez accepté la responsabilité du ministère de la Justice sous la présidence de Monsieur Emmanuel MACRON. En tant que président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), association qui a pour objectif de poursuivre en justice les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 et qui vivent en France, je me permets de vous adresser cette missive.

Je suppose que vous ne connaissez pas particulièrement ces dossiers de génocide et que, déjà très occupé par des réformes que le gouvernement auquel vous appartenez juge prioritaires, vous n’avez pas eu le temps de vous pencher sur les nombreuses affaires à l’instruction au Pôle crimes contre l’humanité du TGI de Paris.

Avant les élections présidentielles, nous avions adressé, monsieur RWABUHIHI et moi-même (monsieur RWABUHIHI est président d’une ONG de droit rwandais, « Les Amis du CPCR), une lettre ouverte à tous les candidats pour leur faire part de nos interrogations quant à la poursuite des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi. Seule une candidate nous avait répondu ! Inutile de commenter.

Le 14 mai dernier, j’avais alors adressé une lettre au nouveau président de la République pour lui rappeler nos préoccupations par rapport au combat que notre association, avec d’autres, mène depuis plus de vingt ans pour que justice soit rendue aux victimes du génocide des Tutsi et aux rescapés. Il n’a pas encore eu le temps de nous répondre !

Dans ces différents courriers, nous rappelions l’impérative nécessité de voir poursuivis en justice tous ceux qui auraient participé au génocide des Tutsi et qui ont trouvé un accueil, parfois complaisant, sur le territoire français. Nous nous élevions en particulier contre les multiples décisions de la Cour de Cassation qui a toujours refusé de prononcer des décisions favorables aux demandes d’extradition en provenance du Rwanda. Ces décisions nous sont toujours incompréhensibles. Nous aurions aimé connaître votre sentiment par rapport à la position de cette Cour. La France est pratiquement le seul pays à avoir adopté cette jurisprudence!

D’autre part, nous ne cessons de dénoncer les lenteurs de la justice de notre pays. Créé en 2012, le Pôle crimes contre l’humanité ne dispose pas de moyens suffisants pour mener à bien les commissions rogatoires qui sont diligentées à la suite des plaintes que nous déposons. Vous noterez que le Parquet n’a poursuivi de lui-même qu’à de très rares occasions, laissant ainsi le travail de constitution de plaintes aux associations telles que la nôtre. Nous nous permettons donc de vous poser une question : avez-vous l’intention de doter le Pôle crimes contre l’humanité de moyens supplémentaires, en nommant en particulier d’autres juges d’instruction, afin que de nouveaux procès puissent se tenir sans plus tarder ? Vingt trois ans après le génocide des Tutsi, seuls trois Rwandais ont été condamnés : Pascal SIMBIKANGWA, à 25 ans de prison en première instance et en appel, et messieurs NGENZI et BARAHIRA, à la réclusion criminelle à perpétuité. Mais ils ont fait appel. Combien de temps faudra-t-il pour traiter toutes les plaintes déposées sur le bureau des juges ?

Nous avions osé une autre question à Monsieur le Président de la République concernant les relations entre la France et le Rwanda, relations qui n’ont cessé de se détériorer au fil du temps. La raison principale étant le refus des autorités françaises de reconnaître la moindre responsabilité de notre pays dans la commission du génocide des Tutsi. Nous n’avons cessé de dénoncer une complicité diplomatique, militaire et financière avec le gouvernement du président HABYARIMANA d’abord, puis avec le gouvernement intérimaire qui a mené le génocide à son terme. Monsieur SARKOZY avait reconnu en son temps « des erreurs d’appréciation »…. Depuis, les choses n’ont fait que s’envenimer avec les autorités du Rwanda, dont Monsieur KAGAME, président de la République. Cette question ne dépend pas directement de vous, mais dans la mesure où vous êtes membre du gouvernement, elle est susceptible de vous intéresser.

Monsieur le Ministre de la Justice, depuis ces dernières semaines, plusieurs clôtures d’instruction nous ont été annoncées mais le réquisitoire du Parquet tarde à venir. Ce qui veut dire qu’aucun nouveau procès d’assises ne se tiendra cette année alors qu’il y a urgence. Pourrions-nos compter sur vous pour que la justice de notre pays fasse cesser ces retards inacceptables qui font le jeu des bourreaux ? Je me tiens bien sûr à votre disposition si vous souhaitez avoir plus de précisions sur l’état des affaires.

Monsieur le Ministre de la Justice, comprenez bien que notre impatience, et plus encore celle des rescapés, est légitime. Ne pas juger les auteurs de crimes contre l’humanité réfugiés en France conforterait ces derniers dans l’impunité dans laquelle ils vivent depuis plus de vingt ans et serait un nouvel affront infligé aux victimes innocentes du génocide des Tutsi du Rwanda. Cette pensée nous est intolérable.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, je vous prie de croire, monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, en l’expression de mon profond respect.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

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