Plaidoirie de Maître Epstein, pour la défense.

Maître Epstein, tant attendu du fait de sa réputation de grand orateur, commence sa plaidoirie cette après-midi sur ces mots: « Il est toujours difficile devant une Cour d’assises de trouver le ton juste (…). Vous allez devoir prendre une décision : vous devrez en être fièrs ; elle est importante pour vous, pour Pascal Simbikangwa, pour les parties civiles, pour notre société. »

L’avocat général requérait la veille la peine perpétuelle, aujourd’hui, l’avocat de la défense exige l’acquittement.

 Maître Epstein commence par dénoncer « un procès en sorcellerie », mené par l’Accusation et les parties civiles. Reprenant Maître Foreman sur sa langue qui aurait fourché en confondant le FPR avec le Front Populaire, Maître Epstein nous dit : «  (…) Et bien, pour moi, c’est pareil, je vois peu de différence, seulement peut-être les lunettes. »

Il en vient à fustiger « une dictature intellectuelle » menée par les historiens cités à la barre : Jean-Pierre Chrétien, Stéphane AUDOUIN- ROUZEAU et José KAGABO et il donne ses impressions à la Cour : « J’ai eu la sensation d’être dans une église. Et d’ailleurs, Monsieur l’Avocat Général, n’est-ce pas votre première phrase : vous ne dites pas que vous étiez en communion ? »

 Il évoque la place de la parole dans ce procès en indiquant que pour les témoins de l’accusation, «  leur parole, c’est un dogme ». Dans ce procès, ce sera «un peu parole contre parole. »

Il indique à la cour que le contre-interrogatoire mené durant les audiences était « la seule chose que nous pouvions faire », et ajoute qu’il ne défend « que des intellectuels, pas des bandits. »

 Il s’adresse directement au parquet en lui signalant qu’ils ont choisi la voie la plus simple, et que la « morale n’a pas sa place dans une Cour d’assises. (…). Nous recherchons  la vérité judiciaire et simplement celle-ci. » Pour finir sur ce point par « (…) On voulait avoir des aveux, on voulait faire dire ce que l’accusation voulait entendre. On a refusé. »

 Il invite donc les jurés à répondre non aux questions posées, puisque d’après l’avocat  « Rien ne permet d’établir avec certitude cette infraction. Le dossier a été construit de toute pièce. » Et d’évoquerce que le juge d’instruction a écarté, petit à petit, au fil de son information judiciaire.

 Il poursuit en reconnaissant deux points : qu’il n’a pas de scénario à nous fournir puisque c’est le rôle de l’accusation et qu’à son sens, elle ne l’a pas fait ; que le contre-interrogatoire ne permet pas la recherche de la vérité, mais « de torpiller ».

Il avise les jurés en leur signalant : « Si vous condamnez, il faudra justifier. Il faudra expliquer clairement qu’il est coupable, que c’est sûr et certain. »

 Il prétend également que le parquet de Paris pavanerait devant les autres parquets de France avec cette décision, et ajoute : « C’est un acte de faiblesse ou de peur. Vous avez peur que Pascal Simbikangwa ne soit pas condamné. »

 

Concernant les preuves que Pascal Simbikangwa soit un « épurateur avant l’heure », il indique qu’il croyait « que c’était la preuve qui était au cœur de cette audience. » et que « devant cette cour, nous avons un faisceau d’indices. »

Pour affirmer que Pascal Simbikangwa était un dignitaire du régime, l’accusation n’aurait « rien de probant, rien de pertinent », pour affirmer que le prévenu est un dignitaire du régime : « L’argument imparable : l’appartenance à l’akazu.(…)  C’est un terme qui a été inventé par l’opposition politique. »

Maître Epstein justifie le fait que peu de témoins ont été cités par la défense en ces termes : « Personne n’a le courage de venir à cette barre pour ne dire que du bien de Pascal Simbikangwa. »

 Sur l’adhésion de Pascal Simbikangwa au MRND, son représentant la remet en doute au motif que les témoins n’auraient pas identifié précisément si Pascal Simbikangwa détenait  une écharpe, un foulard ou un drapeau chez lui.  Il continue ce qu’avait commencé sa prédécesseur en portant le discrédit sur les témoignages des deux journalistes de la RTLM.

Il indique que Pascal Simbikangwa ne peut être un idéologue du génocide parce que le financement par lui du journal Kangura n’a pas été prouvé.

L’accusation se trouverait donc « dans une volonté de condamner, de faire mal. »

Sur ce volet, Maître Epstein discrédite ce qu’il appelle « la bande » de JP Chrétien et « l’expert qui n’en est pas un » Monsieur Dupaquier. Il dénonce également les positions prises par d’autres historiens qui mettaient en perspective les différents génocides du XXème siècle, et évoque la « honte infligée à un petit fils de déporté. »

Il poursuit sur la RTLM en affirmant que bien que Pascal Simbikangwa soit actionnaire, il n’était pas censé « écouter jour après jour l’idéologie de la radio. »

 Ensuite, il répond au point avancé la veille par l’accusation sur le fait que Pascal Simbikangwa agisse en « homme de l’ombre ». Après avoir indiqué qu’on se croirait « dans des romans. (…) Il n’y a rien, à part un fantasme, pour le nourrir. » Il indique que l’accusation « aurait bien voulu avoir un ou deux meurtres. »

 Il reprend la phrase employée par son client pour accuser les témoins : « Mentez, il en restera bien quelque chose « , tout en reconnaissant avoir pris « un certain plaisir à contre-interroger les témoins.»

Puis, après avoir balayé les rapports d’expertise, qui « ne valent rien », Maître Epstein s’attaque aux parties civiles, qui ont fait « un procès spectacle », en évoquant les comparaisons avec les procès Barbie et Eichmann. Maniant le verbe, il indique : « Grossir le trait, c’est que l’on doute. ». L’accusation aurait « déshumanisé » son client, alors qu’il reconnaît que Pascal Simbikangwa est une personne « très dure à appréhender. Insaisissable. ».

 Sur l’accusé, il nous livre qu’ « il a peur, c’est la raison pour laquelle il ment, et il a le droit de mentir. ». D’après lui, Pascal Simbikangwa ne serait pas dans le déni : il n’aurait pas distribué les armes. Il reconnaît seulement à son client une responsabilité morale : celle de n’avoir pas plus sauvé de réfugiés. 

 Enfin, il développe des points de droit, concernant d’après lui, « le nœud du problème » : l’exigence de plan concerté dans la définition du génocide inscrite dans le Code pénal, reprenant la jurisprudence du TPIR qui ne reconnait pas l’entente, alors que l’accusation nous avait bien précisé la veille que l’entente, c’était une infraction à part entière.

Il revient sur les comparaisons faites entre les différents génocides du Xxème siècle : « ça, c’est le virus. (…) Et concernant le génocide des juifs : là, on y va, à bras le corps ! »

 Il indique que concernant l’accusation pour complicité de crime contre l’humanité : « l’élément matériel n’est pas constitué. »

 Enfin, dernière partie de sa plaidoirie, il revient sur les fondements d’une condamnation :

« Pour condamner, il faut avoir des preuves, pleines et entières. Ce qu’on a fait, ce que font les experts, c’est de donner de la coloration. » Et sur la notion de l’intime conviction : « Le corolaire de l’intime conviction, c’est le doute, qui doit profiter à l’accusé. »

Il souligne que « le destin d’une Cour d’assises, c’est reconnaître la vérité quand elle est là. »

 Après une rhétorique sur le doute et l’Etat, il tente de sensibiliser les jurés sur leur vote, et évoque la réquisition de la peine à perpétuité la veille par l’Avocat Général : « Pour Pascal Simbikangwa, pour lui, il faut la perpétuité, il faut sa tête. Vous ferez du théâtre judiciaire sinon. »

Il continue avec cette phrase : « Il n’y a pas à jouer dans cette salle. (…) Vous êtes les juges de Pascal Simbikangwa, ne vous comportez pas en bon élève. (…) Ceux qui prennent les bonnes décisions, ce sont ceux qui disent non. ».

 Alors, orateur ? Oui, et un grand. Théâtral ? Egalement. Talentueux ? Sans nul doute. Convaincant sur la non-culpabilité de son client ? …

Durant leurs plaidoiries, je remarque que les deux avocats de la défense n’auront prononcé le mot «innocence » que pour énoncer le principe si cher à notre procédure pénale qui est la présomption d’innocence : seulement à ce moment- là…

 

Claire Bruggiamosca.

 

(crédits: Martion/AFP)

 

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