Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 19 juin 2018. J29

Madame la présidente évoque le versement au dossier de deux documents :

Fin des questions posées à NGENZI par les avocats de la défense.

Maître CHOUAI commence par évoquer les perquisitions évoquées par plusieurs témoins. NGENZI répond qu’il s’est placé à côté de la femme tutsi de KAREKEZI pour la sauver des griffes des tueurs.

« Un homme de bonne volonté est venu vous avertir que des perquisitions allaient s’effectuer chez plusieurs couples mixtes. Que vous dit-il exactement ? » demande l’avocat. « Il avait l’intention d’intervenir lui-même mais comme il connaissait les liens que j’avais avec la famille KAREKEZI, il est venu me donner des noms des familles concernées. Madame KAREKEZI m’avait protégé en 1973 quand j’avais été chassé de l’école, je ne pouvais pas laisser attaquer sa maison. Je me suis précipité avec ma camionnette jusque chez eux et me suis placé à côté de madame KAREKEZI. Ils devaient même venir chez moi après, et chez BARAHIRA. »

L’avocat : « Comment faites-vous pour convaincre les tueurs de ne pas tuer la femme de KAREKEZI ? »

NGENZI : « Le groupe de tueurs était déjà là et je me suis assis à côté d’elle. Tous me voient assis pour la protéger. Ils ont donc hésité. Je n’avais plus de pouvoir mais j’ai gardé une influence sur ces jeunes gens que j’ai connus avant. Je suis un homme qui n’aime pas la violence. KAREKEZI dit vrai quand il dit que je l’ai protégé. Pour le reste, il doit être du côté de l’accusation. J’étais une autorité mais suis resté impuissant par manque de moyensLe couple KAREKEZI n’arrive pas à dire que j’ai fait quelque chose de bien. Ils sont vivants mais on ne sait pas ce qui serait arrivé sans ma présence. Ils ne veulent pas être témoins à décharge. Ils sont pourtant convaincus que je leur ai sauvé la vie. »

Concernant son intervention chez Jérôme, il redonne sa version des faits, en gardant sa chronologie des faits qui est totalement contraire à celle des autres témoins. Il évoque ensuite l’arrivée de l’abbé Papias à son domicile, très tôt le matin du 14. De rajouter : « Il était moitié Hutu, moitié Tutsi. » Si Papias est venu chez lui c’est parce qu’il a été abandonné par l’abbé INCIMATATA. Il ose la remarque suivante : « Il devait savoir que Papias était en danger. Il a payé pour lui seul ! Il est venu à mon domicile parce qu’il avait confiance en moi jusqu’à ce que je le dépose à l’évêché. »

Maître BOURGEOT demande pourquoi on doit aller fouiller chez BARAHIRA. « Il était considéré comme un homme riche et on disait que sa femme était Tutsi. C’est l’erreur de tous les Rwandais. Mais sa femme savait que son domicile serait attaqué. »

 

Audition de madame Médiatrice UMUTESI, partie civile.

Le témoin évoque la situation des Tutsi au Rwanda, même avant 1990. Dès l’attaque du FPR le 1er octobre 1990, beaucoup de Tutsi sont arrêtés et considérés comme complices. A Kibungo, on déplore la mort de deux enseignants dont l’un sera crucifié sur un arbre. Tous ces faits sont connus du public. Des perquisitions seront aussi organisées chez des gens qui n’avaient pas la confiance du pouvoir. Le témoin évoque alors une fouille pratiquée à son domicile par des militaires en présence de NGENZI. Alors qu’elle venait d’accoucher, un militaire lui a donné un violent coup de pied dans le dos.

BIENFAITEUR [2] venait souvent lui soutirer de l’argent ou du matériel de construction en la menaçant si elle ne s’exécutait pas. « Comme j’étais de Nyanza, il me reprochait mes origines royales ! » Leurs relations avec la famille NGENZI se sont détériorées au point que ses enfants ne pouvaient plus se rendre chez le bourgmestre pour jouer ou regarder la télévision.

A l’ère du multipartisme, son mari créera la branche PL [3] de Kabarondo, ce qui lui vaudra l’animosité grandissante de NGENZI et des membres du MRND.

Sur questions de madame la présidente, le témoin évoque à nouveau la « visite » de NGENZI à son domicile, accompagné de gendarmes. « C’était une façon de nous perturber dans le cadre de la préparation du génocide. » C’est le bourgmestre qui avait conduit les gendarmes à son domicile.

De nombreux meetings politiques étaient organisés à Kabarondo par les différents partis. Ceux du MRND rassemblaient les Hutu attachés au régime, sans oublier les Interahamwe [4]. Tout cela se terminait souvent par des bagarres : les Tutsi qui passaient se faisaient agresser.

Après avoir évoqué la mort de son mari en mars 1993, le témoin évoque les événements directement liés au génocide. Elle dit comment, revenant de Kigali chercher de l’argent à la banque pour payer ses ouvriers, elle verra au loin de la fumée. Ce n’est que le lendemain matin qu’elle apprendra l’attentat qui a coûté la vie au président HABYARIMANA. Madame UMUTESI parle ensuite de la RTLM, « une radio pyromane, qui prônait le divisionnisme et incitait les Interahamwe à tuer. » C’est alors que les Tutsi de collines ont commencé à venir à l’église. Personnellement, elle habitait une maison que BARAHIRA avait vendue à la commune, tout près du bureau communal, du Centre de Santé et de l’église. D’évoquer ensuite la date du 13 avril, jour de l’attaque de l’église [5]. Elle héberge chez elle près d’une vingtaine de personnes, et autant dans les annexes de la maison. C’est chez elle que viennent se ravitailler un certain nombre de rescapés qu’elle ne connaissait pas tous.

Le témoin parlera ensuite assez longuement de la visite de BIENFAITEUR [2] qui vient lui proposer de lui rapporter une dizaine de cartes d’identité avec mention « Hutu », en échange d’une forte somme d’argent. Il ne reviendra pas.

Puis ce sera l’attaque de sa maison par des militaires, en présence de NGENZI, « armé, les cheveux en bataille et qui fumait beaucoup. » Le témoin se serait approché de NGENZI pour implorer sa clémence : il lui a répondu par un crachat. Les militaires sont entrés dans la maison et ont out cassé : NGENZI observait à l’extérieur. Un militaire lui a demandé si elle n’avait pas d’argent. Elle lui remet une forte somme. Le militaire la laissera dans la maison pendant que toutes les autres personnes sont invitées à monter dans les voitures. Les tueurs iront les exécuter. Une des voitures était conduite par un militaire, l’autre par NGENZI. La suite, elle l’apprendra par des rescapés, dont Jacqueline qui témoignera après elle. Et de rappeler le rôle important du bourgmestre dans ces massacres. Contrairement à ce que dit l’accusé, elle prétend qu’il n’était pas venu pour les protéger.

Elle retrouvera NGENZI à Benako, mais ils n’ont pas fui ensemble : elle a emprunté une autre route d’exil. Quant à BARAHIRA qu’elle connaissait, elle ne l’a pas vu pendant le génocide, étant elle-même restée enfermée chez elle. Ce qu’elle a pu raconter sur l’ex-bourgmestre, elle l’a entendu dire soit en Gacaca [6], soit par d’autres personnes. Elle avait toujours eu de bonnes relations avec lui : c’était le parrain de deux de ses enfants. Madame la présidente cherche à savoir dans quelles circonstances elle s’est portée partie civile. Comme Médiatrice se lance dans des explications un peu hors sujet : « Je vais vous le dire, continue la présidente. Et de lire sa déposition devant les gendarmes français : « Alain GAUTHIER est venu au Rwanda avec un policier rwandais. Il nous a fait signer un papier mais je ne me souviens pas de lui avoir donné mon témoignage. »

Maître CHARRIER, pour les parties civiles, revient sur le jour où le témoin a reçu un coup de pied de la part d’un militaire. NGENZI était resté au salon, mais il a fui ses responsabilités car ils étaient voisins et qu’ils avaient de bonnes relations.

Pourquoi NGENZI serait alors venu à l’enterrement de son mari en 1993 ? « C’est la tradition au Rwanda. Même si vous ne vous entendiez pas avec votre voisin, vous y allez ! »

RTLM ? C’était bien la radio des tueurs. Elle donnait des informations précises sur le déroulé des massacres. Après l’attentat, il était impossible d’ignorer les massacres et les lieux où ils étaient commis.

Comment se fait-il que l’abbé INCIMATATA ait pu dire que le bourgmestre n’avait pas de sentiment anti-Tutsi avant 1994 ? « NGENZI n’avait rien en commun avec le prêtre qui était respecté. Le bourgmestre n’allait pas révéler son fond au prêtre. Si les réfugiés sont allés à l’église c’est aussi parce que INCIMATATA était respecté ».

Quant aux listes de Tutsi ou de complices avant 1994, pour le témoin, c’est une question politique, elle-même ne travaillait pas pour l’État. Ils ont simplement constaté comment on tuait les Tutsi. Le témoin de rappeler enfin que NGENZI n’avait pas l’intention de cacher les enfants de son ami MURENZI mais il avait bien le plan de les tuer. Selon elle, le bourgmestre n’a sauvé personne.

Maître ARZALIER interroge le témoin à son tour. NGENZI ne lui a pas sauvé la vie, l’infirmière Marie-Goretti est bien venue chez elle. Le bourgmestre l’a-t-il sauvé ainsi que sa fille ? Elle ne sait pas.

Madame l’avocate générale cherche à obtenir des précisions sur la vie du témoin entre le 7 et le 12 avril. De nombreuses personnes viennent chez elle pour obtenir du secours, même des réfugiés de l’église. Sa maison était la plus proche de l’église, qui plus est une maison de la commune, même si elle était habitée par une Tutsi. Elle reparle de la visite de BIENFAITEUR qui lui faisait miroiter l’obtention d’une carte d’identité hutu. Quand les véhicules ont emmené les personnes qui étaient chez elle, le témoin précise : « Je ne savais pas où j’étais moi-même. J’étais comme morte. Je souhaitais également la mort ». Ce qu’elle sait du Centre de Santé ? On le lui a raconté après même si elle entendait de chez elle les enfants pleurer.

Au tour de l’avocat général de questionner madame UMUTESI. Elle rappelle que son mari était le responsable du PL : « Les gens instruits étaient chagrinés par le pouvoir en place, ils espéraient une vie meilleure. On ne donnait des places qu’aux Hutu, même s’ils n’étaient pas compétents. On avait toutefois commencé a donné des responsabilités à des Tutsi. Exemple du préfet de Butare ! (NDR. Qui sera destitué après le discours du président SINDIKUBWABO le 19 avril, puis assassiné.)

Le 17 avril, le témoin était bien dans sa maison fermée à clé, rideaux tirés ? « Oui, c’était un coup monté, cette visite de BIENFAITEUR. A part lui, personne ne savait que la maison était habitée. On était tellement terrifiés qu’on n’osait même pas regarder par la fenêtre. Sans compter les bruits des armes provenant de l’église ! » Contrairement à ce qu’il prétend, NGENZI n’a pas sauvé des vies : « La femme de Jérôme, je ne sais pas, mais s’il avait été ami de Jérôme, il ne serait pas allé chez lui pour tuer la sœur de sa femme. Il est parti avec des Interahamwe[4] qui étaient comme des chiens enragés ! Tant qu’il était là, il avait encore le pouvoirIl a circulé avec les militaires et les Interahamwe pour les conduire dans les maisons. BIENFAITEUR, de la CDR avait un pouvoir mais seule une personne bien implantée à Kabarondo pouvait savoir où vivaient les Tutsi. »

Maître EPSTEIN, pour la défense, veut aborder à son tour trois thèmes : la fouille de 1990, les relations du témoin avec NGENZI et la période du génocide. A propos de la fouille, le témoin souligne que NGENZI faisait toujours en sorte que le mal qu’il faisait ne venait pas de lui. Malgré les propos qu’il aurait tenus aux militaires : « Du calme, il faut la laisser », le témoin poursuit : « Je n’appelle pas cela me défendre. C’est lui qui a conduit les militaires chez un ennemi du pays. Il ne pouvait pas m’arrêter, je venais d’accoucher. NGENZI était hypocrite (NDR. Malin selon l’interprète).

De revenir sur les relations qu’elle entretenait avec le bourgmestre. (NDR. Que l’interdiction de jouer avec ses enfants vienne de qui que ce soit, l’important est que le témoin confirme le fait. Il existe effectivement des contradictions avec des déclarations antérieures !) Mais l’ambiance avait bien changé.

Maître EPSTEIN lit enfin ses déclarations aux gendarmes français. Elle confirme ce qu’elle a dit. Elle ne pensait pas que les événements pouvaient les atteindre à Kabarondo : « Les choses ont dépassé l’entendement. Personne ne croyait que ça allait venir à Kabarondo, à la campagne. D’ailleurs, les gens de Kigali ont envoyé leurs enfants à la campagne. Personne ne pouvait penser qu’une autorité pouvait faire tuer sa population. » (NDR. Ce fut le cas aussi à Butare. On disait aux gens de fuir vers le Burundi, mais personne ne croyait que le Sud du pays serait atteint !)

Si NGENZI est allé chercher des gens à Rubira, ce n’était pas pour les protéger mais pour les rassembler à l’église où ils seraient tués, les rassembler pour qu’aucun n’échappe. C’était un plan des autorités.

L’avocat d’évoquer « les volets fermés » dans la maison du témoin ! (NDR. Il n’y a pas de volets aux fenêtres au Rwanda !)

L’avocat souhaiterait que le témoin dise que les personnes venaient chez elle parce qu’elle était une « commerçante prospère ». Non, c’était tout simplement parce que « les réfugiés ne savaient pas où aller, c’était l’endroit le plus proche de l’église. »

L’avocat de la défense revient à son tour sur les contradictions du témoin concernant la personne qui l’aurait avertie de l’arrivée de militaires chez elle. Il existe des contradictions entre ses différentes dépositions, c’est vrai, on peut se tromper.  Pour elle, ce n’est pas BIENFAITEUR qui a fait venir les militaires, mais bien NGENZI : l’Interahamwe n’avait pas autorité pour faire venir des militaires. L’important c’est de reconnaître que NGENZI est venu chez elle avec des militaires et qu’ils ont emporté des Tutsi.

L’avocat de revenir sur le rôle de l’argent dans le génocide. Il parle de « l’argent sauveur ». Le témoin ne confirme pas. Elle reconnaît qu’elle avait très peur et qu’elle a donné de l’argent.

Maître CHOUAI cherche à savoir pourquoi le témoin s’est constitué partie civile. Madame la présidente lui avait déjà posé la question. Madame UMUTESI n’en dira pas plus. Il n’obtiendra pas la réponse qu’il attendait.

Maître BOURGEOT revient sur les relations du témoin avec son client, BARAHIRA. Oui, ils se sont invités à des fêtes familiales. Mais si elle fait aujourd’hui un « portait mauvais » de son client, ce n’est pas parce qu’il est accusé de génocide : « Je ne peux pas tenir des propos qui ne sont pas vrais. Je ne raconte que ce que je sais. » Le témoin s’entendait bien avec la femme de BARAHIRA. Même encore aujourd’hui, elles se voient. En 1994, elle ne savait pas si cette dame était Hutu ou Tutsi.

Et d’évoquer ensuite le rôle de BARAHIRA dans l’animation de réunions en tant que président du MRND. Pour le témoin, l’ex-bourgmestre avait encore de l’autorité. Des membres de sa famille ont été tués. Jean-Marie Vianney MUNYANGAJU lui a appris que c’est NSABIMANA qui était l’auteur des crimes. Elle l’a appris lors des Gacaca [6].

L’avocat d’accuser le témoin : tout ce qu’elle a dit sur BARAHIRA, elle l’a entendu dire.

 

Audition de Jacqueline MUGUYENEZA, partie civile.

Le témoin commence par évoquer les années 1992/1993, époque du multipartisme. Le PL [3] s’était divisé en deux : les « orthodoxes » qui avaient suivi LANDO et le PL Pawa sous la houlette de MUGENZI. Elle aborde ensuite la période du génocide. Le 7 avril, alors qu’elle est venue au bord de la route, elle aperçoit BARAHIRA à vélo : il se dirigeait vers Kibungo. Elle se rendra ensuite chez Médiatrice qui l’invite à venir chez elle : « Viens, on meurt ensemble ! » Jusqu’à sa mort, elle se souviendra de cette journée du 13 avril : des gens de sa famille mourront à l’église. De raconter ensuite les conditions de vie chez madame UMUTESI. Elle confirme que son hôte a remis de l’argent à BIENFAITEUR [2].

Elle a bien dit qu’elle était sortie pour nourrir les rescapés de l’église, mais cela se passait dans l’enclos de la maison. Ce sont les rescapés qui venaient. Le 17, le chauffeur, Callixte BIDELI, est venu les avertir qu’une réunion s’était tenue : il s’agissait de débusquer les Tutsi qui avaient survécu. On lui fait remarquer que lors d’une audition précédente elle avait dit que c’était MUNYANGAJU qui était venu ! Le témoin trouve qu’on va trop vite en besogne : elle a beaucoup de choses à dire.

Madame la présidente se sent obligée de dire au témoin qu’on est en train de juger deux personnes qui risquent la réclusion criminelle à perpétuité : « Si on ne sait pas on ne sait pas. On ne va pas trop vite en besogne. Je souligne vos contradictions ! » Madame MUGUYENEZA reprend le récit de ses souvenirs, confirme qu’on leur a fait lever les bras en l’air. Les gens étaient malmenés par les militaires. L’un d’eux a voulu entrer dans la maison : il a réclamé de l’agent à Médiatrice. Elle ne sera pas obligée de suivre les autres dans les véhicules. Ceux qui étaient cachés dans les annexes ont été débusqués à leur tour. MUNYANGAJU, revenu sur les lieux, serait intervenu pour qu’on épargne les femmes qui ne combattaient personne. Tous les gens ont été embarqués dans les camionnettes en direction de Kibungo. Après être passés par le Camp Huye où se trouve CYASA, Jacqueline expliquera dans le détail comment elle réussira à échapper à ses bourreaux au moment où son tour était venu d’être découpée, l’abbé Papias ayant été sorti du groupe.

Madame la présidente demande une nouvelle fois au témoin de ne pas perdre les jurés dans les détails qu’elle donne. Le témoin a du mal à suivre les conseils qu’on lui donne, c’est sa façon de répondre aux questions. Elle acquiesce toutefois et continue. Elle avait accepté de mourir mais a trouvé assez de ressources pour se mettre à courir et à se cacher dans la brousse alentour.

Maître CHARRIER interroge le témoin. Elle confirme que c’est NGENZI qui conduisait la rafle chez Médiatrice. Elle confirme aussi qu’on lui a rapporté les propos du bourgmestre aux hommes de l’église qu’il aurait traité de « lâches ». L’avocat lui demande d’expliquer à la Cour combien il est difficile de se souvenir à cause du temps qui passe et du traumatisme. De ce procès, elle attend la justice.

Maître PADONOU revient sur la précision que le témoin avait donnée lorsque, cachée dans la brousse, elle entendait les enfants pleurer alors que les adultes se taisaient. « Les adultes avaient accepté la mort » déclare Jacqueline.

Madame l’avocate générale revient sur le déplacement à Bisenga, le parcours suivi, le comportement des gens dans la voiture, le temps pris pour se rendre sur les lieux des massacres. Concernant l’évêché, c’est Papias qui lui racontera ce qui s’y est passé.

Sur question de monsieur l’avocat général, Papias ne parlait pas dans la voiture. Tout le monde se taisait. Par contre, elle ne sait pas pourquoi il a fallu payer pour qu’il obtienne sa libération.

Sur questions de maître BOURGEOT, le témoin confirme qu’elle a fait un stage à la commune quand BARAHIRA était bourgmestre. Elle était jeune et le respectait mais elle précise qu’on ne l’abordait pas facilement. L’avocate souligne les contradictions du témoin concernant une réunion du 17 avril. D’ailleurs, à cette date, BARAHIRA était déjà parti. Si elle n’a parlé de BARAHIRA que tardivement, elle n’en a parlé que lorsqu’on lui a posé des questions à son sujet.

Maître BOJ, toujours pour la défense de NGENZI, fait remarquer au témoin qu’il n’est pas facile de la suivre et qu’elle a fait des déclarations contradictoires : « C’est dommage, car vous portez des attaques sévères ! »

Il interroge madame MUGUYENEZA sur des témoignages qu’elle aurait donnés en Gacaca [6] en 1999 ! Pas de chance, à cette date, les tribunaux populaires n’avaient pas encore commencé à fonctionner ! L’avocat évoque une audition du 17 mai 1999 dans laquelle elle ne mentionne toujours pas le nom de NGENZI, puis une autre une semaine plus tard. Madame la présidente lui fait remarquer qu’à quelques mots près, c’est le même PV d’audition avec une date différente. Peu probable qu’elle ait été entendue à une semaine d’intervalle sur la même affaire !

En date du 7 octobre 2008, devant les autorités judiciaires rwandaise, évoquant la rafle, NGENZI n’est toujours pas cité, seulement comme conducteur !  « Je n’ai pas perdu la tête à ce point, s’exclame le témoin, je ne cherche pas à lui causer tort ! »

D’évoquer enfin deux déclarations du témoin qui seraient contradictoires : le fait qu’elle ait dit, le 10 mai 1999, qu’elle soupçonnait NGENZI d’avoir ramené les gens à l’église pour faciliter leur massacre, et en date du 20 mai 2011, que le bourgmestre aurait demandé aux réfugiés de retourner chez eux. (NDR. L’avocat n’a pas compris que le témoin rapportait les propos de NGENZI qui avait accusé les hommes de l’église d’être des lâches, propos que lui avait rapportés la vieille Dancilla. C’était une façon de se moquer d’eux mais pas de les inciter à rentrer chez eux !)

Au tour de maître CHOUAI de terminer les questions au témoin. Elle a parlé du procès de Théophile TWAGIRAMUNGU, condamné à la peine capitale puis acquitté ! Jamais de NGENZI. « Il faut que Méthode vienne vous voir ? Que d’autres viennent vous voir ? » Pas de réponse.

L’avocat revient sur la déclaration de madame UMUTESI qui a dit être seule quand elle a donné de l’argent à un militaire. Le témoin prétend l’avoir vue ! « Moi, je vous parle de ce que je sais » déclare Jacqueline.

Et l’avocat d’affirmer : « Il y a une chose en commun entre vous deux. Une personne française est venue vous voir pour obtenir vos dépositions à une association : Alain GAUTHIER ». C’est dit !

 

Audition de Augustin NSENGIYUMVA.

Le témoin est venu de Kigali le 6 avril au soir et va rester chez madame UMUTESI. Le 13 avril, il entend des tirs à l’église. Il dira un peu plus loin, qu’il est sorti ce jour-là pour voir ce qui se passait à l’église et qu’il aurait vu NGENZI.  Peu avant, madame UMUTESI avait partagé à plusieurs l’argent qu’elle avait retiré à la banque le 6 avril pour le cas où il pourrait en avoir besoin.

Du 13 au 16 avril, il note que certains venaient chercher de l’argent chez son hôte. Le 17, prenant son courage à deux mains, il est sorti dans la cour avec Jacqueline et Médiatrice. C’est alors que des militaires ont sauté par-dessus la clôture, d’autres sont entrés par le portail et leur ont intimé l’ordre de lever les bras en l’air. NGENZI les accompagnait et aurait déclaré que le bourgmestre lui aurait demandé de lui remettre les gens qu’elle cachait chez elle, lui-même ayant donné ceux qui étaient chez lui, dont les enfants de MURENZI. Le bourgmestre possédait deux armes dont un pistolet. Il fumait une cigarette.

« On nous narguait : « Vous savez bien mettre les mains en l’air : c’est ainsi que les Inyenzi [7] dansent ! » De donner ensuite sa version des faits concernant la rafle des personnes qui étaient là. Il embarque avec les autres mais arrivé à la commune, un militaire aperçoit l’argent qui dépasse de ses poches. Il lui demande de descendre de la voiture, de lui remettre cet argent et de déguerpir. Il reviendra ensuite à la maison de madame UMUTESI. Avant cela, il avait vu sortir de la commune la secrétaire et ses deux enfants. Ce qui s’est passé plus tard à Kibungo, c’est Jacqueline qui lui racontera.

Sur questions de madame la présidente, le témoin dit qu’il était venu en vacances à Kabarondo le 6 avril et qu’il ne connaissait vaguement NGENZI comme bourgmestre. En mai 2011, en présence des gendarmes français, il avait évoqué des « propos ségrégationnistes » à l’égard de ceux qu’il accusait d’être des complices.

BIENFAITEUR [2], il le connaissait. Il l’avait vu plusieurs fois chez Médiatrice chez qui, ces jours-là, il n’y avait pas moins de 20 personnes. Le 9 avril, NGENZI serait venu remettre un message au gardien, accompagné d’un certain NINJA. Le 13, il a tenté une sortie pour voir ce qui se passait vers l’église [5], mais il s’est arrêté au portail. Il a vu beaucoup de gens qui gisaient dans la cour de l’église et sur la route. Il avait donné une autre version : il avait fui dans la forêt et avait vu NGENZI en compagnie de gendarmes.

Le 17, chez Médiatrice, il est bien monté dans une voiture. Il reconnaît NGENZI et Théophile TWAGIRAMUNGU car il faisait des livraisons au Camp de Kibungo. Au bureau communal, il remet de l’argent à un militaire. Ce qui l’a sauvé ? « La chance m’a souri » se contente-t-il de dire. Madame la présidente lui fait remarquer qu’il avait donné une autre version de sa fuite : il avait sauté de la voiture et couru !

Maître MARTINE demande au témoin à quelle heure il aurait vu NGENZI devant l’église, le 13 avril. Il précise que c’est au moment des tirs, vers 10 heures, et encore après. L’avocat lui fait remarquer que NGENZI a prétendu être chez lui à cette heure-là. Mais le témoin confirme. Quant aux militaires, ils se concertaient avec le bourgmestre.

Les dernières questions reviendront à la défense. Maître BOJ a deux questions à une première question concernant les relations de sa cousine avec le bourgmestre. Le 15 mai 2011, il avait dit que ce dernier avait « de bonnes relations avec Médiatrice car elle était commerçante » alors que madame UMUTESI évoque des problèmes depuis 1990 ! Le témoin de répondre : « Vous ne pouvez pas tout savoir. Le mari de Médiatrice avait créé son parti. NGENZI ne pouvait pas le regarder d’un bon œil. Eux seuls géraient ce problème. »

Lors de sa dernière intervention, l’avocat de NGENZI confond les dates du 13 et du 17. Évoquant la rafle, il décrit le comportement du bourgmestre devant l’église ! Incohérence dont pas grand monde ne se rend compte. La démonstration tombe à l’eau. (NDR. Il faut dire qu’il est déjà tard et qu’il y a encore un témoin à entendre.)

 

Audition de David TANAZIRABA, assistant bourgmestre en charge de l’administration en 1994.

Le témoin commence par évoquer les premiers massacres à Kabarondo à partir du 7 avril 1994 : secteur de Bisenga, puis Rundu et Rubira. Du 7 au 12 avril, il parle de l’arrivée massive de réfugiés à l’église de Kabarondo. Le 12 ou le 11 avril, une réunion de sécurité se tient sur la façon d’assurer la sécurité. Une autre réunion a lieu à la préfecture pour tous les bourgmestres. De retour, NGENZI n’éprouve pas nécessaire d’organiser des rondes.

Le 13, « date rouge », l’attaque de l’église par les Interahamwe et les militaires [5]. Du 14 au 18 se déroulera le ratissage des maisons des Hutu mariés à des femmes tutsi, ce que l’on appelle aussi des « perquisitions ». Des Tutsi sont réfugiés chez NGENZI, Médiatrice : ils seront conduits à Kibungo et massacrés là-bas. Le 18, ce sera l’attaque de l’IGA [8] conduite par CYASA. Le 19 ce sera l’arrivée du FPR à Kabarondo. Le témoin partira en exil.

Monsieur TANAZIRABA précise qu’il était alors assistant bourgmestre depuis le 8 mars 1990, chargé des affaires administratives. Il est Hutu et est alors un agent de l’État : ce n’est pas NGENZI qui l’a employé.

Concernant l’attitude de NGENZI avant 1994, le témoin évoque la période des « complices », après l’attaque du FPR le 1er octobre 1990. Par contre, il a pu se tromper de date concernant la réunion de sécurité : l’essentiel, c’est qu’elle a eu lieu. Le témoin explique clairement la situation telle qu’il l’a connue : chaque commune avait des armes, une par policier, le ratissage a bien eu lieu mais il ne sait pas qui a donné l’ordre. Si des gens se sont réfugiés à la maison communale, c’est qu’ils s’y sentaient en sécurité. Il n’y avait que Dative et ses enfants, ainsi que le comptable. NGENZI devait savoir qui se trouvait là. Concernant l’enlèvement des personnes réfugiées chez madame UMUTESI, il en a entendu parler par Jacqueline, mais il a vu lui-même passer NGENZI : il habitait tout près.

Sur question de maître MARTINE, le témoin dit qu’il cachait chez lui une vingtaine de Tutsi. Heureusement que le bourgmestre ne le savait pas.

Maître CHARRIER fait confirmer au témoin que NGENZI était à une réunion à Kibungo le 11 avec tous les bourgmestres.

Au tour de maître GISAGARA. La suppression des rondes, c’était bien une mauvaise décision ? Le témoin confirme. Qui a décidé les ratissages ? Il ne sait pas mais NGENZI y participait avec les Interahamwe [4]. Lui-même n’a jamais été poursuivi en Gacaca [6]. NGENZI dit qu’il est poursuivi parce que Hutu et bourgmestre ? « Ce n’est pas mon problème mais c’est faux ! » affirme le témoin.

Maître PADONOU veut savoir si, selon lui, le bourgmestre avait gardé son autorité en 1994. « Tous les bourgmestres ont gardé leur fonction. Il était chef de la sécurité, il avait autorité. Sauf les bourgmestres qui ont refusé. » A Benako, il confirme que les bourgmestres avaient repris du service. Il confirme aussi les déclarations de MACUMU qui dit que ce dernier croyait que les gens qui partaient à Kibungo étaient sauvés. C’est bien David, le témoin, qui était avec lui, qui lui a déconseillé de monter à bord.

Monsieur l’avocat général déclare que c’est lui qui l’a fait citer mais il aimerait bien que le témoin fasse la distinction entre ce qu’il a vu et ce qu’il a entendu dire. C’est bien ce l’ancien assistant bourgmestre avait déclaré en introduction de sa déposition. Et de revenir sur un certain nombre d’événements : vu ou entendu dire ?

Sur nouvelle question de la présidente, le témoin reconnaît qu’il a caché une vingtaine de Tutsi mais personne ne le savait, sauf son épouse et son petit frère qui assurait le ravitaillement. Certaines de ces personnes sont encore en vie. Sa femme, directrice adjointe de l’IGA est restée à la maison mais elle avait remis les clés au planton pour qu’il ouvre la porte aux Tutsi.

Maître BOURGEOT : « La réunion du 11 était bien un comité de pacification ? » Le témoin confirme. « Eh bien non ! ce n’est pas ça. Vous ne citez pas BARAHIRA. Vous prêtez serment et vous ne dites pas la vérité à cette Cour. C’est grave. » Le témoin de répondre : « Non, je ne mens pas. »

Maître BOJ veut savoir comment il a appris la rafle chez UMUTESI. Le témoin répond avoir vu passer NGENZI devant chez lui pour aller chez Médiatrice. NGENZI aurait-il nié y être allé ? L’avocat lui fait remarquer qu’il y a une différence entre aller chez UMUTESI et organiser la rafle ! « Vous tirez des conclusions hâtives ! » Pour lui, le témoin n’a rien vu : il raconte ce qu’on lui a rapporté : « La Cour appréciera ! » Si RUZINDANA n’a rien pu faire, c’est parce qu’il était du PSD.

La parole est prise enfin par maître CHOUAI. « Quelque chose me chiffonne. Vous cachez vingt Tutsi, c’est courageux ! Pourquoi être allé à Benako ? » Le témoin de répondre : « Je n’avais aucune relation avec le FPR, n’appartenait à aucun parti politique. J’ai quitté le pays à cause de la guerre qui, avant, était encore loin. »

Ironique, l’avocat enchaîne : « Dommage ! Vous auriez été célébré par le FPR. » « J’étais civil, pas militaire. J’étais technicien, un agent de l’Etat. Je suis resté chez moi. » L’avocat de poursuivre : « D’aucuns disent que l’État était génocidaire. NGENZI, derrière moi, le serait parce qu’il était bourgmestre ! » Le témoin : « Tous les agents de l’État n’ont pas été génocidaires. »

 

Fin de l’audience à 23 heures!

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. Anjan Sundaram, Bad news, Paris, Marchialy, 2018 (Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot).
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  2. L’un des célèbres Interahamwe de Kabarondo, souvent cités au fil des audiences. Les Interahamwe sont « ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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  3. Parti Libéral. Voir « Glossaire« .
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  4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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  5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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  6. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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  7. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .
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  8. IGA : Centre communal de formation permanente.
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