Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 13 juin 2018. J25

Lecture des auditions de Marie-Goretti MUKAYIRERA

Madame la présidente donne lecture des déclarations de Marie-Goretti MUKAYIRERA, infirmière au centre de santé de Kabarondo, entendue à deux reprises lors de l’enquête : le 23 octobre 2007 par un OPJ rwandais, et le 20 mai 2011 par les gendarmes français dans des locaux de Kibungo.

Marie-Goretti confirme qu’elle accepterait de témoigner devant une juridiction française.

Elle se décrit comme une veuve, dont le mari est décédé au cours du génocide le 13 avril dans les alentours de Kabarondo, mais pas à l’église. Elle est Tutsi, a fait des études d’infirmière, et a été affectée au centre de santé de Kabarondo, qui se situe à proximité immédiate du bureau communal, en 1982. A l’époque, elle n’était affiliée à aucun parti politique. En 1994, elle vivait à Kabarondo, déjà à la même adresse. Octavien NGENZI le bourgmestre, était l’un de ses voisins les plus proches. Il n’a rien fait lorsque sa maison a été saccagée.

Au moment du génocide, le directeur du Centre de santé, nommé Christophe, était en congé. Elle était donc responsable du centre en son absence. Lorsque les tueries ont commencé, Marie-Goretti s’est cachée dans une chambre du Centre de santé avec sa fille et une autre enfant.

Dans ce génocide, elle a perdu son frère Aimable, son époux Benoit, tué le 13 avril à coup de machette dans une petite forêt, et sa fille de 11 ans, morte dans la nuit du 19 au 20 avril.

Avant le génocide, Octavien NGENZI était selon elle une autorité ordinaire. Il saluait tout le monde, n’avait pas l’air méchant. Il n’était pas autoritaire mais n’aimait pas être contredit. Il faisait partie du MRND, mais elle ne sait pas s’il exerçait une fonction à responsabilité dans ce parti politique. En revanche, il entretenait des liens avec le pouvoir en place en tant que bourgmestre, et était l’ami du colonel RWAGAFILITA [1], qui venait souvent à son domicile.

Au cours du génocide, elle a vu NGENZI entre 4 et 5 fois.

Le 12 avril au Centre de santé. Un habitant lui a demandé de quoi faire face aux incendiaires de son secteur. NGENZI lui aurait répondu : « Je ne peux rien faire quand les gens aiment pas les autres ».

Le 14 avril, c’est lui qui est venu lui annoncer la mort de son époux, lui répétant la même phrase. Il lui a aussi demandé comment elle se nourrissait, et lui a fait porter des beignets et du sucre. Lorsqu’elle lui a demandé s’il était vrai que les blessés du Centre allaient être tués, il aurait répondu : « Tu penses qu’il leur reste grand-chose ? »

Le soir du 17 avril, deux hommes sont venus au Centre et la cherchaient. Elle a entendu l’un deux dire : « Laisse-la, elle mourra demain ».

Elle a décidé d’aller se cacher avec une de ses filles chez Médiatrice UMUTESI. Deux soldats les ont vu et ont demandé à Médiatrice UMUTESI de les faire sortir. Elle leur a donné 10 000 Francs rwandais, somme que Médiatrice UMUTESI a complétée. Après leur départ, elle a quitté cette maison pour ne pas mettre son hôte en danger et est allée se cacher dans la brousse.

Sa fille, elle, a échappé à la rafle de chez Médiatrice, mais elle a dans sa fuite croisé NGENZI  qui lui a fait rebrousser chemin pour être embarquée avec les autres. Elle a été emmenée à Kibungo mais pas exécutée, et a pu rejoindre sa mère le 19 avril. Elle était alors mal en point, avait manqué d’insuline. Sur son lit de mort, elle a raconté à sa mère que NGENZI l’avait ligotée, battue avec du câble électrique, et avait piétiné son ventre.

Parmi les personnes qui étaient au Centre de santé avec elle, deux ont été tuées, une a survécu. Peut-elle impliquer directement NGENZI dans les massacres du Centre de santé ? Elle n’était pas sur place, tout le monde lui conseillait de se cacher de lui. Et quand, lassée de se cacher, elle a voulu se livrer à des policiers, ils ont refusé de la tuer, préférant attendre un ordre du bourgmestre. C’est lui qui décidait à Kabarondo.

 

Interrogatoire d’Octavien NGENZI

Interrogé par la présidente, Octavien NGENZI est prié de donner sa version de la journée du 13 avril.

Avant le 13 avril, Octavien NGENZI a conduit trois personnes à l’église, ce dans l’intention de les protéger des tueurs. L’église lui paraissait être le seul endroit sûr. Il n’a pas conduit de réfugiés au bureau communal car c’était le choix des victimes, qui préféraient rejoindre les autres à l’église. Selon NGENZI, jusqu’au 12 avril, tout le monde était convaincu que la sécurité serait assurée dans l’église et ses environs.

Il aurait aussi transporté au moins trois blessés au centre de santé. Notamment le 8 avril, et le 10 avril, où il a emmené le neveu de Patrice HABYARIMANA qui était transpercé par une flèche à deux crochets qui peuvent déchirer les organes – une arme traditionnelle utilisée par les chasseurs. Il l’avait trouvé parmi les blessés lors d’une « accalmie ». Il l’a amené au Centre de santé, mais il a fallu le transférer à l’hôpital de Kibungo. Il ne sait pas s’il a été sauvé. Un homme de l’hôpital qu’il a retrouvé peut confirmer sa présence à l’hôpital.

Il a essayé de sauver qui il pouvait avec les moyens à sa disposition.

NGENZI n’aurait pas vraiment écouté la radio après le 7, car en tant qu’autorité, ce n’est pas la radio qui lui donnait les instructions. Et ce n’était pas un moyen d’assurer la sécurité de Kabarondo. La présidente fait remarquer que la réunion du 8 à la préfecture de Kibungo avait été annoncée à la radio : a minima, la radio annonçait donc les réunions, et peut-être les massacres qui avaient eu lieu dans d’autres églises du pays… Mais NGENZI n’a rien entendu de tel. Pour lui la radio relayait surtout ce qui se passait à Kigali, et n’était pas toujours fiable. Ce qui le préoccupait était son secteur, et il suivait uniquement les instructions du préfet qu’il voyait tous les jours.

La présidente insiste : malgré son entourage, les policiers de secteurs ou sa propre famille, qui eux écoutaient éventuellement la radio, pouvait-il vraiment penser que les habitants seraient en sécurité à l’église ? NGENZI se justifie : l’insécurité totale régnait au Rwanda, il a bien entendu certains communiqués et était informé des hostilités du FPR – ça tout le monde était au courant. Mais sans détails. A-t-il été informé des massacres de Kayonza par son ami bourgmestre ? Non, ce sont des informations qui lui sont parvenues après.

NGENZI nie s’être rendu avant le 13 avril au camp militaire de Kibungo pour chercher des hommes ou des armes qui devaient tuer les gens de l’église, comme certains témoins l’affirment. Ceux qui témoignent en ce sens, et qui disent l’y avoir vu en compagnie de RWAGAFILITA [1], sont des HUTU qui veulent le charger.

A l’église, NGENZI s’est rendu 2 fois. La première fois le 9, la deuxième fois le 11. Il y a apporté du bois de chauffage et de la nourriture. Mais par respect pour la dignité des femmes, il ne s’est pas introduit à l’intérieur de l’église ou dans les chambres, et s’est contenté de rester dans la cour ! Il avait une relation de confiance avec l’abbé INCIMATATA jusque- là, qui pouvait l’informer si besoin.

NGENZI estime que le 11 au soir, quelques 300 personnes s’étaient réfugiées dans l’église (lors des interrogatoires précédents, il avait parlé de 150 à 200 personnes).

Le 12 avril, l’abbé INCIMATATA parle d’un afflux massif à l’église : il aurait même cessé d’enregistrer les arrivées. NGENZI confirme que les réfugiés étaient nombreux, mais après avoir tergiversé, il se dit incapable de donner une estimation. Il n’a pas été curieux d’obtenir un chiffrage, ne serait-ce que pour organiser l’approvisionnement : il était surchargé et n’a pas pu assurer ce décompte. En tout cas, cette arrivée massive des réfugiés à l’église le soulage : cela signifie qu’ils seront sauvés.

 

Le 13 avril

 Le 13 avril, Octavien NGENZI se serait rendu tôt le matin chez le préfet de Kibungo.

Car, le 11 et le 12, les réfugiés Tutsi et les déplacés de guerre avait afflué sur la commune de Kabarondo. La situation dépassait ses capacités de Bourgmestre et le soir du 12 il y avait eu une bagarre entre trois individus. NGENZI est allé remettre en main propre au préfet un rapport sur cette bagarre, qui impliquait des déplacés de guerre, ce qui montrait que la situation pouvait dégénérer, et qu’il lui fallait des renforts. Le préfet était inquiet et apeuré, il a assuré qu’il ferait le maximum, mais n’a pas donné suite. Certains le décrivent comme sans pouvoir, discrédité ? En tant que Bourgmestre, NGENZI considérait que le préfet gardait son pouvoir et qu’il devait respecter sa hiérarchie.

NGENZI est ensuite rentré autour de 9 heures chez lui. Ce 13 avril, il dit n’avoir pas eu connaissance de la réunion tenue le matin place du marché : on n’a pas souhaité le mettre au courant. Il a été averti de l’attaque de l’église depuis chez lui par le bruit des armes, autour de 10 heures 30 du matin. Il a alors pris peur et est resté chez lui, jusqu’à ce que le policier communal Anaclet vienne le trouver 15 ou 20 minutes plus tard, pour l’informer que l’église était attaquée par les militaires. Mais il n’a pas donné de détails et NGENZI n’en a pas demandé : l’armée nationale tirait sur les réfugiés, il n’y avait pas de moyen d’agir.

Il a fini par se rendre au bureau communal qui est situé à 300 mètres environ de chez lui. Sur le chemin, à pied, il n’a rien vu d’anormal… Les tirs continuaient, il a vu les soldats de l’État, au moins une trentaine. Ils avaient déposé leur stock de munitions à la commune, et passaient devant le bureau communal pour recharger leurs armes, les mêmes qu’utilisées sur le front, automatiques. Lui-même n’avait pas d’arme.

Il se serait posté à l’extérieur du bureau communal, ne voyant qu’un seul policier dans la salle de garde à travers la porte entrouverte. Il n’ose pas aller vers ses concitoyens. Les militaires formulent en effet des reproches à son encontre : il aurait dû tuer ces Tutsi bien avant, il n’a pas prévenu que certains réfugiés étaient armés, il est considéré comme leur complice. Le bourgmestre reste sur place, à leur disposition. Il est comme « pris en otage ». Face à la mort possible, il n’a pas osé fuir.

Il refuse de dire qu’il « assiste » au massacre, car l’église est située dans un creux. Sommé d’éclaircir ce qu’il a vu ou non compte-tenu de plusieurs déclarations contradictoires, NGENZI précise qu’il ne voit pas, mais qu’il voit passer les militaires puis entend les détonations. Une haie fait en effet obstacle à la vue mais pas à l’ouïe… Il nie avoir donné instruction aux policiers communaux d’aller tuer. Ils ont sûrement obéi directement à des militaires haut-placés. Lui est resté posté devant le bureau communal jusqu’à environ 15 heures, au départ des militaires.

La population a alors commencé à piller les biens des Tutsi morts. Les déplacés de guerre aussi se sont servis. Et on a achevé les blessés. Lui-même ne peut pas préciser si ces civils qui ont pris le relais étaient armés, puis finalement si – des machettes et des fusils.

Lui n’a pas approché – « cela aurait été une forme de suicide ». Puisque l’armée est intervenue, cela annule selon lui toute initiative de l’autorité civile. Il est resté un peu sur place, avant de retourner à Kibungo à la rencontre du préfet. Il n’a pas pu vérifier s’il y avait des gens à sauver, car il avait trop peur, les militaires l’ayant directement traité de complice. Il évaluait le risque de perdre sa propre vie à 80%, car beaucoup souhaitaient le remplacer en tant que bourgmestre. Et la population avait pu observer tout ce qu’il avait fait pour les Tutsi et pourrait rapporter qu’il s’opposait aux tueries.

Pour le bourgmestre, l’élément déclencheur de l’attaque de l’église est l’erreur de l’abbé INCIMATATA et du conseiller de secteur, qui a été de rassembler les Tutsi et les Hutu lors de la réunion place du marché. Si l’abbé n’avait pas perdu confiance en lui, il l’aurait informé, et il aurait pu positionner la police en sécurité.

Après 15 heures, NGENZI est immédiatement allé voir le préfet, pour l’informer que les réfugiés avaient été massacrés par l’armée nationale. Il y est allé physiquement à défaut d’autres moyens de communication. N’y avait-il pas d’action plus urgente que de faire un rapport administratif, comme par exemple sauver des blessés ? Non, c’est à la hiérarchie d’apporter ses instructions.

La présidente souligne que NGENZI a parlé de cette visite du 13 avril chez le préfet très tardivement, en janvier 2011. Elle demande si le préfet a préconisé des actions pour secourir les blessés, ou organiser les obsèques… Non, la situation de guerre était trop préoccupante et le préfet ne pouvait jouir de tout son pouvoir. Au niveau national, c’est au président de la république, aidé par le chef d’état-major de l’armée, et de la gendarmerie de décider : NGENZI ne sait pas si le préfet répercutait leurs ordres. Il se plaint que cela retombe sur le bourgmestre aujourd’hui, alors que le chef d’état-major de la gendarmerie a lui été libéré par le TPIR.

Après la visite au préfet, NGENZI serait retourné, toujours aussi isolé, au bureau communal. Il y avait beaucoup de témoins attroupés par curiosité, d’autres qui pillaient. Et certains remontaient vers le Centre de santé. Lui n’est pas rentré dans l’église. Il ne peut vraiment pas estimer le nombre de victimes. Il n’adhère pas à l’estimation de 2000 morts dans et autour de l’église, car ce chiffre n’est fondé sur aucune donnée. NGENZI répète : il était seul, démuni, et l’idée ne lui est pas venue de compter les victimes.

Face au juge dans un interrogatoire précédent, NGENZI avait déclaré : « Le soir du 13, j’étais détruit, perturbé, 300 personnes étaient mortes d’un seul coup, des civils innocents qui étaient là pour se protéger. Je suis resté chez moi comme quelqu’un qui a perdu un proche, je les considérais comme les miens. » Il aurait aussi parlé de centaines de cadavres et non pas de milliers. Mais il refuse désormais de se prononcer sur un chiffre.

Ce soir-là, NGENZI est resté sur les marches du bureau communal, sans savoir que faire. Contrairement à d’autre témoins, il n’a pas vu le colonel RWAGAFILITA [1]. Il n’a pas vu non plus Tito BARAHIRA qui doit se tromper sur sa présence à ses côtés et veut sûrement assurer ainsi sa défense.

La présidente demande directement à Tito BARAHIRA de préciser ce point. Il confirme qu’il a vu NGENZI arriver du côté du centre de santé vers 17 heures 10 et entrer directement dans le bureau communal, mais à distance, puisqu’il se tenait lui-même sur la route asphaltée en contrebas avec les gens de son groupe. Des civils étaient venus voir ce qui se passait. Les tirs avaient cessé. Il y avait beaucoup de gens devant l’église, mais lui a fini par quitter les lieux car le chef d’Electrogaz est arrivé.

La présidente demande à NGENZI s’il souhaite ajouter quelque chose au sujet de l’attaque de l’église [2]. L’accusé dit que beaucoup de charges sur sa participation à cette attaque n’avaient pas convaincu au départ le juge d’instruction. Mais la jonction de son dossier avec celui de BARAHIRA a rajouté des témoins « allant trop loin dans leur vérité », avec par exemple l’anecdote de la victime piétinée – il y aurait confusion sur la personne. Ces témoins l’ont chargé parce que c’était leur mission. Quant à l’abbé Oreste INCIMATATA, il n’apporte pas de preuve. C’est le gouvernement rwandais qui porte ces accusations. Avec fermeté, la présidente réaffirme l’indépendance de la justice française.

Elle demande enfin si NGENZI  connaît Paul BISENGIMANA. Ce bourgmestre de la commune de Gikoro a témoigné devant le TPIR et a reconnu que sa présence même à l’église était de nature à encourager les massacres. NGENZI juge cette action monstrueuse, mais ne veut pas être comparé à lui : si on a de bonnes intentions et qu’on les manifeste, ou si on a peur, on n’est pas coupable de la même manière.

 

Questions de maître PARUELLE

 Jusqu’au 13, NGENZI s’est rendu 2 fois à l’église. L’abbé lui a signalé un flot de réfugiés, mais il n’est pas allé voir ce qui s’y passait ?

Kabarondo était un petit territoire du Rwanda qui venait de vivre la mort de son président. L’insécurité y régnait à Kabarondo, il y a eu des morts dès le 8. Mais jusqu’au 12, il n’y a pas eu de mort dans l’église. Il a pris ses renseignements auprès du préfet.

L’avocat tente de matérialiser pour les jurés la distance qui séparait l’observateur NGENZI des massacres qui avaient lieu jusque sur la route – soit environ la salle d’audience, puisqu’il y avait seulement 52 mètres entre le mur du bureau et celui de l’église. NGENZI serait donc resté immobile plusieurs heures, statique, à quelques mètres des massacres ? L’accusé répond en rappelant qu’il faut prendre en compte la topographie du terrain et la haie vive qui sépare le bureau communal de la route. Il n’y a pas selon lui de charges pour l’accuser d’avoir participé au massacre.

Quand la population cesse-t-elle les massacres ?

NGENZI ne peut pas le préciser, mais reconnaît que les assaillants comme les rescapés parlent de massacres jusqu’au soir. Il redit la nécessité de partir informer sa hiérarchie immédiatement, quitte à « abandonner les siens ».

Quand il est rentré de chez le préfet, NGENZI est-il repassé devant l’église ?

Oui, car la route passe entre l’église et le bureau communal. Mais non, il ne s’est pas interrogé beaucoup, sachant déjà qu’il y a des morts comme des tueurs : c’est le chaos total, il est démuni pour réagir. Il n’y a pas eu de combats mais un génocide. Il ne pouvait rien y faire, cela aurait été un suicide de s’opposer à l’armée nationale. Seul Rambo dans les films peut s’opposer à l’armée nationale ! Il s’agissait de chiens enragés. Au moment où la population a pris le relais sans arme à feu, il aurait peut-être été possible de parler, mais à l’église c’était impossible car il y avait une population civile qui ne le connaissait pas en tant que bourgmestre.

 

Questions de Maître Laval pour le CPCR

 

Le 8 avril NGENZI a manqué la réunion convoquée par le préfet (préfet assassiné le 15 avril car totalement hostile au génocide), parce que, dit-il, il n’était pas informé de la réunion et qu’il trouvait de toute façon plus important d’assurer la sécurité de Kabarondo. Il est donc attaché à la hiérarchie et à la loi, mais peut y faire entorse. Pourquoi le 13 avril, face au massacre de masse de l’église, dont il a connaissance, reste-t-il à la disposition de ces militaires hors-la-loi qu’il juge criminels ? Et pourquoi être allé cette fois chez le préfet à Kibungo au moment même où sa population est exterminée ?

NGENZI réaffirme qu’il a été pris en otage, et que malgré ses opinions, il a dû rester immobile. Il n’a pas eu les moyens d’assurer la sécurité, ou le ravitaillement : il n’avait aucun moyen d’assurer ses missions de bourgmestre. Aller chercher de l’aide chez le préfet aurait pu apporter des solutions.

Pourquoi réclamer à un préfet hostile au génocide des renforts pour assurer la sécurité, puisque ce sont les forces de gendarmeries et les forces armées elles-mêmes qui sont en train d’exterminer les Tutsi de l’église de Kabarondo ?

Dépourvu de téléphone, NGENZI ne pouvait pas imaginer d’éventuelles solutions sans y aller en personne.

Maître LAVAL égraine les nombreuses victimes des jours précédents, par les Forces Armées Rwandaises dans le ressort de Kabarondo.

Le préfet, hostile donc au génocide, réunissait les bourgmestres. NGENZI l’aurait rencontré le 8, le 9, l0, le 11, deux fois le 13 avril. Le 13, les Forces Armées Rwandaises et les gendarmes sont des forces d’extermination: vous allez voir un préfet hostile au génocide pour réclamer une aide qui vient de massacrer la population, tempête l’avocat. Vu le palmarès des massacres perpétrés avec le concours des forces armées à ces dates, comment prétendre être allé le voir pour réclamer leur intervention ?

 NGENZI ne peut apporter de réponse cohérente, et préfère reparler de l’attentat commis selon lui par le FPR sur l’avion du président.

 

Il est l’heure de suspendre l’audience car Tito BARAHIRA doit se rendre à l’hôpital pour sa dialyse. L’interrogatoire reprendra demain avec les questions des parties civiles, celles de l’accusation et celles de la défense.

 

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

 

  1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
    Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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  2. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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