Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 6 juin 2018. J 20

Interrogatoire de Octavien NGENZI suite aux différents témoignages entendus jusqu’à ce jour.

Octavien NGENZI est invité à décliner son emploi du temps du 7 au 12 avril 1994.

7 avril 1994. Après avoir entendu la nouvelle de l’attentat, « une nouvelle terrible », l’accusé dit avoir pensé directement à la sécurité » et évoque un « pays décapité ». Il ne pensait pas que les troubles arriveraient jusqu’à Kabarondo.  Il a alors l’idée de s’entourer par les personnes responsables de la commune, représentant les différents partis : Etienne MUKIZA du MDR, Jean-Marie Vianney MUNYANGAJU du PL, Isaïe IRYIVUZE du PSD, le conseiller RWASAMIRERA ainsi que le brigadier NDOBA. Ils se sont tous réunis à la commune le 7 en début d’après-midi. Le bourgmestre lit le communiqué du ministre de la Défense, BAGOSORA [1], puis leur propose de se déplacer chaque jour dans les différents secteurs. Mais le projet ne s’est pas réalisé.

Madame la présidente fait remarquer à l’accusé que ce qu’il dit diffère de ce qu’il a dit aux gendarmes français. NGENZI prétendant que le communiqué interdisait toute circulation, madame la présidente relit le communiqué [1]. Le bourgmestre évoque ensuite les démarches qu’il a faites dans Kabarondo auprès de la population. Il demande aux personnes contactées de rentrer chez elles : peu convaincant.

Pourquoi n’est-il pas allé à l’église [2] ? Il n’avait pas de raisons d’y aller. Les réfugiés étaient en sécurité et il ne voulait pas que sa visite n’augmente le stress des réfugiés. Il ne se souvient pas d’avoir fait une démarche auprès du préfet : selon lui, c’était au préfet de donner ses consignes s’il en avait. Étonnant !

8 avril 1994. Le matin, il rencontre l’abbé INCIMATATA qui souhaite avoir une escorte pour l’accompagner à Kibungo chercher de la nourriture. NGENZI lui accorde un policier car le curé, en tant que Tutsi, pourrait être en danger.

KAJANAGE était passé chez lui à 9 heures. Comme il est à la commune, son ami le rejoint à son bureau. Il lui annonce que sa famille a été assassinée à Rubira : « Tu dois y aller en tant que bourgmestre, lui dit-il, et en tant qu’ami. » Sa mère, son frère, sa belle-sœur et leurs enfants ont été tués. KAJANAGE lui remet 1000 francs pour offrir à boire après les obsèques. Deux policiers l’accompagnent, en arme. Lui n’est pas armé.

Sur question de madame la présidente, il précise qu’il n’y a pas de Kalachnikov à la commune. Il trouve un attroupement devant la maison d’Antoine BAKAME. Des Interahamwe [3] s’acharnaient pour faire sortir un « fugitif » tutsi, Gervais RUKINGA. Il se fait insulter mais finit par faire entendre raison aux assaillants. On lui remet un blessé qu’il transportera au Centre de Santé : c’est le fils de GASHAYIJA. L’enterrement des membres de la famille KAJANAGE est terminé quand il arrive : en fait, les corps ont été jetés dans les latrines. « Vous appelez cela un enterrement ? » s’offusque la présidente.

Le fameux épisode « des chèvres de TITIRI » est évoqué [4] mais NGENZI refuse de reconnaître qu’il était présent et n’accepte pas qu’on lui prête les propos qu’il aurait tenus : « Vous mangez les chez alors que leurs propriétaires sont encore vivants ? »

Le préfet avait convoqué le Comité préfectoral de sécurité composé entre autres du commandant de l’armée, du président de première instance de Kibungo, le président de la première chambre de Rwamagana. Tous les bourgmestres sont invités mais lui ne participera pas. Personne ne l’avait même averti ! Le soir, il rencontre le préfet à 17 heures.

9 avril 1994. NGENZI convoque une réunion du Comité mais demande au conseiller de l’animer. Quant à lui, il part à Bisenga avec deux policiers. Et de raconter sa rencontre avec les Simba Bataliani [5] qui le menacent. Il leur dit que ce n’est pas à eux de faire la loi.

Madame la présidente demande à l’accusé s’il connaît Pauline NYIRAMASHASHI. Elle lui fait remarquer que les déclarations de cette femme ne correspondent pas à ce qu’il dit lui-même de leur rencontre. NGENZI dit l’avoir prise dans sa voiture… « Je les ai sauvés mais elle doit m’accuser ! » se contente de dire l’accusé.

Il se rend ensuite au bureau communal et se rend compte que la situation se dégrade. Il va alors au Centre de Santé pour voir de quels secteurs sont les blessés. Il y rencontre un certain Félicien, de la famille du curé de la paroisse. Il se rend ensuite au presbytère pour rencontrer le prêtre. Version différente de celle donnée par l’abbé INCIMATATA. A Kibungo, il voit le préfet à qui il demande des forces armées. Il en profite pour ramener deux stères de bois. Dans la cour de l’église, il voit les réfugiés : environ 300 ! Il avait dit 150 à l’instruction.

10 avril 1994.  NGENZI se rend à Rundu et Rubira pour séparer des combattants. Il se rend à nouveau à Kibungo, toujours pour demander des réquisitions.

Sur question de madame la présidente, il refuse de reconnaître le sens des expressions « assurer la sécurité » et « travailler ». Pour lui, il emploie ces termes au sens propre ! (NDR. Pour tout le monde, « assurer la sécurité » c’est tuer les Tutsi et « travailler », c’est tuer. »

La présidente lui rappelle que Sylvestre GACUMBITSI, jugé au TPIR, a parlé d’une livraison d’armes après une réunion au Camp militaire. Bien sûr, il n’en a pas entendu parler.

Madame la présidente montre à l’accusé un bloc-notes bleu récupéré lors de perquisitions. A la page 37, et à la date du 9 avril, NGENZI a écrit : « Distribution d’armes avec GATETE. » L’accusé prétend avoir écrit cela après avoir reçu des courriers à Mayotte ou après avoir consulté internet. Encore une fois pas très convaincant.

Il aurait souhaité que le préfet se déplace pour juger de la situation, mais il n’a pas osé lui demander pourquoi il n’était pas venu sur place !

11 avril 1994. NGENZI réunit les responsables de la commune et invite Oreste INCIMATATA ainsi que des commerçants et des « intellectuels ». On lui demande d’aller chercher des militaires. Le prêtre avait souhaité qu’on organise des rondes autour de l’église mais le bourgmestre s’y oppose. Et NGENZI de dire qu’il utilisait le mot selon l’acception anglaise. On lui fait remarquer que c’est le même sens qu’en français ! De toutes façons, il interdit les patrouilles.

S’il n’a pas fourni de la nourriture aux réfugiés, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de budget pour cela. Il précise que le calme règne à Kabarondo et que le 11 avril, ce n’est pas son « basculement » mais le « basculement de la situation ». Le calme règne ? Difficile à croire lorsqu’il évoque la présence des déplacés de guerre ne provenance du Nord, « affamés, en haillons ». Et d’ajouter : « Peut-être ont-ils participé aux massacres ? »

Madame la présidente souligne une contradiction. Dans son audition du 14 novembre 2011, il avait déclaré que les gens de l’église étaient protégés par la police communale. Il nous dit aujourd’hui qu’il avait refusé que les policiers assurent cette sécurité. Comprenne qui pourra. Et d’ajouter : « La patrouille militaire je pouvais l’arrêter, mais pas la patrouille communale ! » Étonnant tout de même pour quelqu’un qui dit avoir perdu son autorité. Plus étonnant encore, plus d’autorité sur les militaires que sur les policiers communaux ?

A maître EPSTEIN qui se hasarde à donner des conseils à madame la présidente sur les questions à poser, cette dernière lui rétorque qu’elle refuse les conseils de la défense et elle lit la déposition de NGENZI.

Sur question de la présidente, l’accusé reconnaît qu’il n’a avait pas de réfugiés au bureau communal après le 13, mais « s’ils avaient voulu, ils auraient pu venir. Je les aurais reçus. »

12 avril 1994. Ce jour-là, il conduit INCIMATATA u bureau communal de Kigarama : il verra sa famille pour la dernière fois. Le prêtre, dans l’après-midi croise le bourgmestre à qui il demande où on pourrait enterrer une personne qui vient de mourir. NGENZI de commenter : « Je faisais le bien et il transforme mes actions en mal ! »

L’accusé ne sait pas combien on peut dénombrer de morts à Kabarondo le 12 au soir. Six policiers étaient en exercice effectif à cette date.

Et d’ajouter, sur invitation de madame la présidente : « J’ai donné tout ce que j’ai pu pour les Tutsi. J’ai aidé les humains, sauvé des vies, rendu des services ! » (NDR. Pas sûr toutefois qu’il ait convaincu la Cour.)

Maître PADONOU lui fait préciser ce qu’il entend par « fugitifs tutsi ». « C’est quoi un fugitif pour vous ? » Il veut bien reconnaître que c’est un rescapé !

Comme il est presque l’heure de suspendre l’audience, maître LAVAL demande à la présidente que les parties civiles puissent se concerter avant de poser des questions à l’accusé. Madame la présidente suspend donc l’audience jusqu’au lendemain. On continuera alors les questions à l’accusé.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

 

  1. ommuniqué officiel annonçant la mort du Président HABYARIMANA diffusé sur Radio Rwanda dans la nuit du 6 au 7 avril (archivé sur « francegenocidetutsi.org« )
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  2. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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  3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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  4. Des voleurs s’étaient emparés des chèvres d’un certain TITIRI. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Voir également l’audition d’Oreste NSABIMANA.
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  5. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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