Procès en appel de SIMBIKANGWA. Lundi 21 novembre 2016. J17

La journée commence par un nouvel incident de procédure. La défense dépose « une plainte pour faux » concernant la production au dossier de L ‘Indomptable Ikinani [1]. Pour les parties civiles, qui n’a pas encore eu l’occasion de s’exprimer, il s’agit d’une procédure dilatoire, un écran de fumée. Affaire à suivre.

Audition de monsieur Joël GASARASI, veilleur de nuit.

Le témoin, dans sa déposition spontanée, se contente de déclarer qu’il vivait à Kiyovu en 1994 et qu’il tenait une barrière. Il a vu SIMBIKANGWA distribuer des fusils pour tuer les Tutsi.

Le président rappelle les propos que le témoin a tenus en présence des gendarmes français : « Si SIMBIKANGWA a des familiers qui sont au pays, je serai inquiet pour ma famille si on savait que j’avais témoigné contre lui.» Le témoin dit que ce n’est plus le cas et qu’il n’a subi aucune pression. Il se désigne lui-même comme un « chrétien intègre » (murokore). Il n’a pas été maltraité pendant le génocide.

Veilleur chez Assinapol RWIGARA, il a perdu son épouse, un enfant, sa mère, ses sœurs, ses beaux-frères et oncles maternels pendant le génocide. Il a connu SIMBIKANGWA quand il distribuait les fusils. C’est Diogène NYIRISHEMA, un voisin, qui lui a demandé de se présenter à la barrière qui se trouvait en face de la maison de son patron, pour sa sécurité. La barrière la plus connue, celle que l’on appelle souvent la « barrière des Chinois », se trouvait face à la maison de Protais ZIGIRANYIRAZO, le frère d’Agathe KANZIGA. Deux gardiens avaient un fusil reçu des mains de SIMBIKANGWA, Diogène et Jonathan REKERAHO. Il a vu arriver l’accusé dans une voiture beige. Diogène lui a dit :« Ne t’approche pas de SIMBIKANGWA. S’il te voit, il te tue. »

Le président ne manquera pas de mettre le témoin en face de ses nombreuses contradictions. Ce sera le leitmotiv de l’audition ! Le témoin précise qu’il n’y a pas eu de morts à sa barrière. Par contre, de nombreuses victimes sur la barrière des Chinois surnommée « Golgotha.»

Au président qui cherche à situer l’emplacement des barrières, le témoin lance : « SIMBIKANGWA ne devrait pas continuer à vous fatiguer. Il fournissait des armes. » A-t-il vu l’accusé remettre des armes ou l’a-t-il entendu dire ? On aura du mal à le savoir.

Par de courtes question, maître PHILIPPART demande des précisions au témoin sur les barrières, le nombre de victimes à la barrière des Chinois, SIMBIKANGWA aperçu seul ou accompagné…

Monsieur HERVELIN-SERRE fait redire au témoin que sa présence sur la barrière était pour lui une question de survie. D’autres mises en garde lui ont-elles été faites par d’autres que Diogène ? Le témoin de préciser : « Des militaires passaient souvent. Je me tenais tranquille. On avait peur de SIMBIKANGWA car c’est lui qui distribuait les armes. Je savais ce qu’on disait de lui, et le fait qu’il distribuait des armes me faisait peur, j’avais peur qu’il me tue. »

Avec l’intervention de maître BOURGEOT va commencer une longue période au cours de laquelle elle cherche à faire dire au témoin que de là où il se trouve il ne peut pas voir la barrière des Chinois. Ce qui n’est pas vrai. Et puis, le témoin a des difficultés à se repérer sur un plan. Beaucoup de questions, mais c’est devenu une habitude, qui ne servent pas vraiment à mieux comprendre la situation.

Au tour de maître EPSTEIN de questionner le témoin. Assez agressif, il s’étonne que le témoin ne sache pas faire la différence entre ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu dire, ce qu’il déduit lui-même… Que de contradictions, fait-il remarquer. L’avocat de la défense cherche aussi à savoir si le témoin a gardé des contacts avec d’autres personnes qui vont venir à l’audience : sous-entendu, vous vous êtes concertés !

SIMBIKANGWA a la parole. Le président voudrait connaître la position de l’accusé sur deux points précis : les barrières et la distribution des armes. Pour lui, ce que les témoins disent sur les barrières est « inexplicable, incompréhensible. » Les témoins sont des menteurs. Il n’est jamais allé sur les barrières. Il n’a jamais distribué d’armes. Et d’ajouter : « Je n’ai jamais trempé dans l’affaire du génocide. Dans le quartier où j’ai été , il n’y a pas eu de morts. » Et de conclure, toujours un peu à côté de la plaque : « Nous sommes des cartésiens. » Pourquoi les témoins disent-ils cela ? « Ma voiture n’est jamais sortie du garage pendant le génocide ! J’étais conduit dans une camionnette en compagnie de deux gardes. A la fin, j’avais une Peugeot d’occasion que j’avais achetée ! » (NDR. Pas la même que celle qu’un témoin voit arriver chez lui, volée dans des maisons dont les propriétaires ont été tués ou qu’ils ont désertées ! »

 

Audition de Salomon HABYAKARE, technicien, ancien veilleur chez Francis GEGE.

Le témoin apprend la nouvelle de l’attentat alors qu’il est en compagnie de REKERAHO. Son patron, le soir même, vient lui dire de ne pas quitter la maison le lendemain matin. Il partira le lendemain au Burundi après s’être réfugié à l’Hôtel des Mille Collines. Le 11 avril, un GP, MUYAMBERE est venu avec des Interahamwe [2] sous la direction de Fidèle FURAHA. Ils vont mettre la maison à sac. Ils ont fait sortir trois jeunes filles qui se cachaient et ont demandé à un certain Alphonse de les tuer. Ne pouvant s’y résoudre, on lui arrache le gourdin des mains : les jeunes femmes seront assassinées. Alphonse sera tué sur place. Une des jeunes filles mettra trois jours à mourir.

Au bout d’une semaine, SIMBIKANGWA serait venu à bord d’une Land Rover avec des militaires. Il a donné un fusil à Jonathan, puis un autre à Diogène. Le témoin dira qu’il apprendra plus tard le nom du militaire qui a fait exécuter Alphonse : il s’agit d’un certain HIRANGENE. Il a tué tellement de gens que les corps des victimes sont empilés à la barrière.

Le président demande au témoin de préciser un certain nombre de points déjà abordés, questionne sur SADALA, le Tanzanien qui a épousé une femme tutsi. Va suivre une discussion interminable sur les conditions dans lesquelles SADALA aurait reçu un fusil de SIMBIKANGWA, et sur les raisons pour lesquelles l’accusé a donné son accord. Un peu plus tard, maître EPSTEIN ne manquera pas de revenir sur la question pour mettre le témoin en face de ses contradictions, voire ses mensonges. Autres question sur la réunion à laquelle le témoin n’a pas participé, les cadavres sur la barrière des Chinois, en particulier l’impossibilité, pour quelqu’un qui passait là, de ne pas les voir. Le président de faire préciser les distances entre la maison de SIMBIKANGWA et les différents lieux du quartier.

Sur question de maître MASAHELA, le témoin précise que SIMBIKANGWA avait de l’autorité dans le quartier.

Monsieur CROSSON DU CORMIER voudrait faire dire au témoin qu’au début de l’instruction il n’a pas été interrogé sur SIMBIKANGWA. D’ailleurs, SADALA et lui-même n’étaient-ils pas annoncés comme décédés ? Pour lui, il n’y a donc pas de contradiction formelle dans les déclarations du témoin.

Questionné par maître EPSTEIN, le témoin affirme qu’il n’a jamais subi de pression. (NDR. Chez l’avocat de la défense, c’est une idée fixe. Il pose la même question à tous les témoins.) Quand le témoin confirme qu’Isaïe a bien coupé un arbre devant la maison de SIMBIKANGWA, ce dernier se met à rire. (NDR. Il aura la même réaction à plusieurs reprises, jusqu’à même éclater de rire !) Suit une série de questions en rafales qui ne doivent pas permettre aux jurés d’y voir plus clair. (NDR. Pourquoi ne pas faire simplement remarquer qu’il y a des contradictions dans les propos des témoins plutôt que de le harceler et de probablement noyer les jurés.)

Maître EPSTEIN de conclure sur une dernière question. « Pourquoi parler de Diogène aujourd’hui pour la première fois ? Vous avez parlé à Diogène ? » « Non », répond le témoin. « Vous avez voyagé avec lui ? » « Oui . » Le témoin ne sait pas si REKERAHO est en prison.

Avant d’entendre le témoin suivant, le président demande à SIMBIKANGWA s’il veut réagir aux propos du témoin. L’accusé souligne les nombreuses contradictions. Et de s’interroger : « Quel crédit donner à ce témoignage ? » Et de souligner le travail méticuleux des enquêteurs français. Il y a eu chez le témoin la volonté de mentir, le désir de l’enfoncer.

 

Audition de monsieur Jonathan REKERAHO, en visioconférence.

Le témoin est entendu en visioconférence du Parquet de Kigali. Il est actuellement incarcéré pour avoir désobéi aux autorités alors qu’il est lui-même une autorité. Il connaît SIMBIKANGWA depuis longtemps, bien avant le génocide, « avant même de savoir ce qu’était un génocide. » Il l’a vu dans des réunions, dans des distributions d’outils (d’armes) et dans la supervision du génocide. Et de développer rapidement chacun des points énumérés.

Sur question du président, il précise l’emplacement des barrières. Quant à lui, il se tenait sur la barrière de SADALA. Sur les autres barrières, il y avait des chefs. Il reparle de SADALA et de sa famille et revient sur les conditions dans lesquelles il a obtenu une arme pour ce dernier. Au passage, il remercie SIMBIKANGWA d’avoir sauvé SADALA et Isaïe. Mais il n’a pas fait que du bien. Et de mettre à son compte les morts sur la barrière de ZIGIRANYIRAZO [3] , la plus violente, la plus meurtrière. SIMBIKANGWA peut bien nier ne jamais s’être rendu à cette barrière, « je dis ce que j’ai vu » poursuit le témoin. Et de poursuivre en disant qu’il pouvait voir cette barrière de chez son patron car c’était une maison à étage. Quand le témoin déclare que « SIMBIKANGWA et les autres militaires nous donnaient des instructions », cela provoque les rires de l’accusé. On lui a dit que l’accusé avait distribué des armes.

Le témoin ne peut pas vraiment dire si des Tutsi auraient été arrêtés à sa barrière et conduits chez HABYARIMANA comme l’aurait demandé l’accusé. Il donne un vague exemple. Par contre, sur la barrière de ZIGIRANYIRAZO [3] , on tuait. SADALA aurait trompé SIMBIKANGWA pour obtenir une arme ? Il lui a fait croire que c’était pour lutter contre les Inyenzi [4] alors que c’était pour protéger sa famille ? Le témoin confirme. Il devra aussi expliquer les conditions dans lesquelles il sera amené à rendre son arme. Là encore, des déclarations contradictoires. Il sera d’ailleurs arrêté pour détention d’arme mais ne sera jamais jugé, encore moins condamné. Il doit revenir aussi sur ce qu’il a déjà dit sur l’arme remise à KAMANGO. Il demande de ne pas tenir compte des versions antérieures : il n’a pas vu SIMBIKANGWA remettre une arme à KAMANGO, c’est ce dernier qui le lui a dit. Quant aux munitions, on lui en a bien remis un sac. Et puis, remet-on une arme sans ses munitions ? KAMANGO, finalement, il ne l’a jamais vu tirer ! Quand on lui fait remarquer qu’il a menti, il se contente de demander qu’on efface « de mes propres yeux . »

Les fosses creusées à la demande de SIMBIKANGWA ? Encore des déclarations contradictoires ! Par contre, « si SIMBIKANGWA a des yeux, il n’a pu que voir des cadavres. » Le témoin affirme qu’il a participé à deux réunions à l’Hôtel Kiyovu. BAGOSORA [5] était là et c’est à SIMBIKANGWA qu’ils devaient exprimer leurs besoins en armes.On lui a signalé que des armes étaient entreposées au garage AMGAR. C’est probablement là que l’accusé s’est approvisionné en armes.

Maître MASAHELA, par de brèves questions, obtient chaque fois des réponses positives : « SIMBIKANGWA vous bien donné une arme ? Il vous a dit de ne pas laisser passer les Inyenzi/Tutsi ? Vos informations vous les avez reçues directement de ceux qui avaient reçu des armes ? La barrière du Péage et du CELA, c’est la même ? »

A l’avocat général, le témoin précise qu’il n’a reçu aucune menace pour faire des déclarations ou les modifier. Les réunions pouvaient aussi se tenir chez GEGE. Il y a vu BAGOSORA [5].

A monsieur HERVELIN-SERRE qui l’interroge, le témoin déclare qu’il n’a pas vu de GP qui auraient protégé l’accusé. Il confirme qu’Isaïe a bien coupé un arbre pour ériger une barrière devant chez SIMBIKANGWA, que des meurtres ont été commis dans des maisons en particulier chez Jeanine qui habitait à 100 mètres de chez l’accusé. Quelques mots sur Robert KAJUGA, le chef des Interahamwe [2] , qui aurait donné des armes. Pas étonnant, son bureau se trouvait dans le garage AMGAR. S’il n’a pas parlé des munitions quand il a parlé des armes, c’est tout simplement parce que les munitions ne sont pas des armes. « Quand on vous donne un fusil, on vous donne des armes. » Et de redire ce qu’il savait sur l’histoire de l’arme remise à SADALA .

Maître BOURGEOT ne manquera pas de faire remarquer que le témoin se contredit tout le temps. Et de revenir sur la remise de l’arme à SADALA. Ce dernier « cachait des Tutsi, 80 » avance l’avocate. « Oui, mais SIMBIKANGWA ne le savait pas. »

C’est maître EPSTEIN qui clôturera la soirée. De redire que les déclarations du témoins sur SADALA sont contradictoires. Idem concernant les accusations du témoin contre BAGOSORA [5] au TPIR, ou encore à propos de la remise de son arme ou concernant les fosses communes. L’avocat de conclure : « Vous pouvez dire une chose et son contraire en quelques secondes. »

SIMBIKANGWA, à qui on donne la parole en dernier, ne souhaitera pas s’exprimer.

Il est tard. La fatigue se fait sentir. Le président propose de suspendre l’audience et de remettre au lendemain l’audition du témoin Emmanuel KAMANGO.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

 

  1. L’indomptable IKINANI publié par SIMBIKANGWA a déjà été évoqué plusieurs fois, notamment lors de l’audition de Jean-François DUPAQUIER.
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  2. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  3. Également sur surnommée la « barrière des Chinois » dans plusieurs autres témoignages.
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  4. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .
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  5. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
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