Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mardi 22 novembre 2016. J18

Audition de monsieur Emmanuel KAMANGO, mécanicien.

Le témoin a connu SIMBIKANGWA sur la barrière des Chinois où il est venu en voiture. Des militaires gardaient son domicile. L’accusé serait arrivé et se serait arrêté en disant qu’il avait « deux Inyenzi » [1] dans sa voiture. « Je ne le connaissais pas: on m’a dit que c’était lui. » Il l’a revu une autre fois tout près de l’Ambassade d’Allemagne. Un jeune homme est sorti en courant et a été abattu. Deux militaires se tenaient là: HIRANDEBA et MUROKORE. Le premier des deux a rapporté les propos de SIMBIKANGWA qui voulait « éradiquer les Tutsi. »

Sur questions du président, le témoin reconnaît qu’il y a eu beaucoup de morts à la barrière des Chinois mais que lui-même n’a pas tué. Il reconnaît aussi avoir été condamné à 10 ans de prison (il en fera 13) par les Gacaca [2] de Nyarugenge pour s’être rendu sur la barrière et avoir porté un habit militaire! On lui aurait aussi reproché d’avoir détenu une arme. (NDR. Pas sûr qu’il dise toute la vérité, mais ce n’est pas son procès.) Par contre, il ne reconnaît pas avoir détenu une arme. Ce sont les militaires qui ont tué à la barrière. SIMBIKANGWA est bien venu à la barrière mais il ne l’a pas vu distribuer des armes. Le témoin confirme les propos de l’accusé: « Je viens apporter deux minables Inyenzi! » [1]

Benoît travaillait à la présidence. C’était un tueur que tous redoutaient. « Nous prenions nos jambes à notre cou quand nous le voyions! » Mais c’est bien SIMBIKANGWA qui avait autorité sur les militaires. Le témoin précise qu’ils étaient obligés de se rendre sur les barrières. Il étonne lorsqu’il dit qu’il ne sait pas s’il est Hutu ou Tutsi. On apprendra qu’il est en fait Congolais. A la question de savoir si l’accusé était bien présent à la barrière, le témoin répond que c’est ce qu’il a vu et que personne ne l’a obligé à déclarer cela. Pour lui, l’important, « c’est de craindre Dieu« . Personne ne lui a dit de déclarer ce qu’il a dit. Avait-il peur de SIMBIKANGWA? « Je n’ai jamais parlé avec lui, aucun civil ne pouvait approcher une autorité comme lui. Nous avions peur des militaires. Je crains Dieu seul mais lui ne le craint en rien, il ne craint personne. »

Des questions rapides d’un assesseur permettent au témoin de préciser à nouveau un certain nombre de points. Il en est de même en ce qui concerne monsieur HERVELIN-SERRE. Il y avait bien une barrière devant la maison de SIMBIKANGWA, il n’avait pas d’arme et si on l’avait obligé à en avoir une, il l’aurait prise pour protéger les siens.

Maître BOURGEOT questionne le témoin sur l’existence des barrières, en particulier celle de chez SIMBIKANGWA. Elle s’étonne que la barrière ait pu changer de place. Le témoin lui explique qu’il est facile de déplacer un arbre selon les besoins du moment. L’avocate de la défense se refuse à comprendre.

Au tour de maître EPSTEIN de questionner le témoin. A-t-il témoigné dans d’autres procès? Non. Il n’a connu la maison de l’accusé que pendant le génocide, on ne lui a pas remis d’armes car il était Zaïrois, bon nombre des informations qu’il donne ne sont pas de première main, Benoît ne lui a pas remis d’arme, il ne connaît pas BAGOSORA [3]. Quant à FURAHA, il dit que c’était un Interahamwe [4] de Kiyovu.

Maître EPSTEIN souligne les contradictions des déclarations du témoin qui donne des versions différentes selon les enquêteurs. Le témoin rétorque qu’il « a eu une prise de bec avec l’enquêteur qui ne prenait pas ce qu’il disait. » Le comportement du témoin irrite passablement l’avocat de la défense qui s’énerve et qui, une nouvelle fois, lui reproche de changer de version.

 

Audition de monsieur Diogène NYIRISHEMA, commerçant.

Dans sa déclaration spontanée, le témoin se contente de dire qu’il connaissait l’accusé avant le génocide et qu’il l’a vu aux barrières. Sur questions du président, il confirme qu’il était veilleur à l’église presbytérienne. Il se souvient que SIMBIKANGWA frappait les gens. Il venait bien aux barrières pour dire à ceux qui étaient là comment se comporter. Ils devaient être vigilants pour que les Inyenzi n’entrent pas. Le témoin confirme que SIMBIKANGWA a bien donné une arme à Jonathan et une à lui. L’accusé se déplaçait « en pickup blanchâtre » et avait un chauffeur. Il aurait même fourni de la nourriture, « des choux et de la viande. »

SADALA avait bien une barrière devant chez lui. Questionné par monsieur HERVELIN-SERRE, le témoin confirme que l’accusé était bien connu avant 1994, qu’il visitait les barrières et qu’il donnait des instructions relatives aux Tutsi. Il confirme aussi qu’un fusil a été remis à Jonathan, une arme pleine de munitions.

Maître BOURGEOT, et cela devient une habitude, souligne les contradictions entre les différentes déclarations du témoin. Quant à SADALA, il jouait bien le même rôle que SIMBIKANGWA, mais il recevait ses instructions de l’accusé et de RENZAHO [5] . Et le témoin d’ajouter: « J’ai toujours dit que j’avais un fusil! » Maître BOURGEOT soupçonne le témoin de s’être entretenu avec Joël GASARASI et les autres qui ont voyagé avec lui. Et l’avocate de souligner toujours et encore les contradictions du témoin. Elle s’en irrite!

Maître EPSTEIN entre à son tour en piste. Il finira par faire dire au témoin que l’arme dont il disposait était la même que celle de REKERAHO! L’avocat s’étonne que le témoin n’ait pas été inquiété par la justice comme ses collègues. Maître BOURGEOT ironise en citant l’OMA des juges: « Diogène est un témoin direct qui rapporte ce qu’on lui a dit. »

L’avocat général, monsieur CROSSON DU CORMIER, tente d’expliquer les conditions dans lesquelles est organisée la venue des témoins. Il peuvent se rencontrer, se concerter, mais ils sont entendus seuls! Ils viennent ensemble, accompagnés… il n’y a aucun moyen de faire autrement.

Maître FOREMAN propose de lire trois paragraphes de la déposition de SADALA décédé depuis. SIMBIKANGWA était venu chez lui entre le 10 et le 15 avril dans une Toyota blanche. Il était venu réclamer environ 60 000 francs. L’ordre d’installer des barrières était bien venu de SIMBIKANGWA. Le 11 avril, il s’était arrêté devant son domicile: il y avait de nombreux fusils derrière son siège.

Cette intervention énerve maître EPSTEIN qui perd un peu son sang-froid.

 

Questions posées à SIMBIKANGWA.

Avant l’audition du témoin suivant, le président souhaite que l’accusé puisse répondre à des questions.

Le président veut orienter la discussion en rappelant les propos du témoin. Maître BOURGEOT monte sur ses grands chevaux et monsieur DE JORNA doit hausser le ton pour la faire taire. C’est lui qui dirige les débats.

Comme à son habitude, monsieur SIMBIKANGWA dénonce « un grossier montage« , puis lit un document qu’il a écrit. (NDR. Je mets au défi quiconque arrivera à comprendre ses propos!) Il lit ensuite le témoignage de madame GAHAMANYI, qui vante son comportement, dénonce les déclarations de Venance et Sam Gody. Pour lui ni l’un ni l’autre n’avaient leur place dans ce tribunal, « une anomalie contre la loi française. » Il conteste avoir eu un lien quelconque avec Benoît.

Concernant Diogène NYIRISHEMA, il s’étonne aussi qu’il « ait pu être appelé devant la Cour de France« : « Il n’y a aucune place pour cet individu. » Même avis concernant le témoignage de Jean Marie Vianney NYIRIGIRA. Les barrières? Ce n’était pas la place d’un capitaine!  Il conteste d’ailleurs le fait qu’une barrière ait été installée devant son domicile. Et d’ajouter, dans son langage toujours imagé: « Les jurés ne comprennent pas. Ça devient une soupe. »

A propos de SADALA, l’accusé explique les circonstances dans lesquelles son voisin est venu lui demander une arme. Il en avait besoin pour protéger les 80 personnes réfugiées chez lui! C’est le commandant BUGINGO qui l’aidera à lui en procurer une. L’arme sera ensuite remise à KAMANGO.

Et SIMBIKANGWA de continuer: « Je suis devant une juridiction de France. Nous sommes cartésiens! Des témoins viennent dire que Dieu les a sauvés. Ce n’est pas Dieu qui sauve! » De conclure: « SIMBIKANGWA n’était pas un distributeur d’armes. Je n’en avais pas à distribuer. Cette arme a servi de dissuasion contre les bandits ou les Interahamwe [4] . Car il y a eu des Interahamwe qui étaient bons… Dans tout le Rwanda il n’y a pas eu une seule arme que j’aie pu distribuer! »

 

Audition de Dieudonné NYITIGEKA.

Le témoin doit être entendu en visioconférence. Mais comme témoin protégé du TPIR, il avait demandé un « huis clos partiel« . Après avoir donné les raisons de sa demande, le président demande l’avis aux parties. Les parties civiles sont plutôt d’accord dans la mesure où il est nécessaire de l’entendre. L’avocat général partage le même avis. Seule la défense demande à ce qu’on lui refuse ce huis clos. La Cour s’étant retirée pour délibérer finit par faire droit à sa demande.

La salle est donc évacuée. Seuls peuvent rester les conseils des différentes parties et les parties civiles représentées par le CPCR.

A noter que lors du procès en première instance, il avait été fait lecture des dépositions du témoin qui n’avait pas accepté de témoigner. Ces dépositions peuvent être consultées sur le lien ci-dessous :

Lecture de l’audition de Dieudonné Niyitigeka par les enquêteurs
(procès en première instance, audience du 3 mars 2014).

 

A la fin de l’audition, le huis clos partiel est levé. On peut procéder à l’interrogatoire de l’accusé.

Monsieur SIMBIKANGWA commence par dénoncer  » des inexactitudes graves, insupportables, inacceptables » dans les propos du témoin.

« Le capitaine était plus grand qu’un général? » IYAMUREMYE a bien dit qu’il lui avait tout supprimé! « SIMBIKANGWA était très méchant« ? L’accusé de déclarer que lors de l’arrestation massive des Tutsi en 1990 personne n’avait mentionné son nom! (NDR. Comme si le témoin avait fait allusion à cet épisode! SIMBIKANGWA excelle toujours à répondre à côté de la plaque.)

L’accusé conteste toutes les déclarations du témoin concernant sa présence aux barrières. Pour lui, il s’agit d’une fabrication de faux témoignages. « Il faut punir les vrais fautifs » finira-t-il par ajouter. « Qui sont-ils? » interroge le président. Et SIMBIKANGWA d’énumérer les cinq vrais coupables: celui qui a abattu l’avion, la MINUAR, Augustin NDINDILIYIMANA et RUSATIRA, BAGOSORA qui avait le pouvoir de décider, le FPR présent dans la capitale.

Maître FOREMAN fait remarquer que l’accusé fait erreur quand il parle de SETIBA. Ce dernier a bien confirmé qu’il avait eu la visite de SIMBIKANGWA à la barrière de Gitikinyoni. Quant à NTEZABERA, entendu en 2001, il ne pouvait pas démentir Dieudonné entendu en 2012. L’avocat du CPCR veut savoir si l’accusé a bien franchi les barrières dont a parlé le témoin. Réponse de SIMBIKANGWA: « Puisque vous êtes le champion de la diversion, je réponds par la diversion! » Maître FOREMAN a beau insister, il ne peut obtenir une réponse. L’accusé lui reproche une fois encore de l’avoir « jeté en prison par téléphone! » (NDR. Incompréhensible!) Et de menacer l’avocat d’un doigt vengeur!

Maître FOREMAN demande maintenant à quelle barrière l’accusé a fini par reconnaître avoir vu un cadavre brûler dans un pneu. SIMBIKANGWA refuse de répondre. Il en devient même odieux: « Ah! c’est les morts qui vous intéressent maintenant? » Et d’évoquer les morts de sa famille! « Vous n’avez pas de compassion pour les morts de ma famille! » « Comment faisiez-vous pour franchir les barrières? demande l’avocat. « En général, on ne m’arrêtait pas. Si on m’arrêtait, je montrais ma carte d’identité! » (NDR. Comme si on pouvait le croire!)

De poursuivre: « Cher ami… » Maître FOREMAN tonne: « Vous n’êtes pas mon ami. » Et l’accusé de se reprendre, voulant faire de l’humour: « Mon ennemi! » Le président éclate: « Vous l’appelez maître, s’il vous plait. »

Maître FOREMAN, manifestement irrité: « Je tente ma chance sur un dernier sujet »: « BUGINGO était-il un GP? » L’accusé hésite, refuse de répondre puis finit par le reconnaître.

Maître MASAHELA prend la parole à son tour et fait remarquer à l’accusé qu’il ne reconnaît avoir donné une arme à Jonathan qu’à partir de 2012. SIMBIKANGWA précise que, dans cette affaire, il n’a servi que d’intermédiaire. Ce n’est pas lui qui a donné l’arme. « Ce n’est que confronté à REKERAHO qu’il a fini par le reconnaître » précise l’avocate de la FIDH.

Les trois questions de maître BOURGEOT concernant SADALA n’apporteront rien de nouveau.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

 

  1. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .
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  2. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
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  4. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
    L’irruption de Fidèle FURAHA à la tête d’un de leurs groupes est aussi rapportée par Salomon HABYAKARE lors de son audition de la veille.
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  5. Tharcisse RENZAHO, le Préfet qui a supervisé les massacres à Kigali, voir Focus/ les réseaux d’influence.
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