Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 26 octobre 2016. J2

Arrêt de la Cour sur la demande de nullité.

La journée commence par la lecture de l’arrêt de la Cour sur la demande de nullité déposée la veille par la défense. La Cour rejette toutes les demandes: de nullité de l’OMA, de nullité des débats et d’un procès équitable, du transport sur les lieux et le complément d’information. Enfin, rejet de la demande de remise en liberté de monsieur SIMBIKANGWA car il n’y a pas de garantie de représentation.

Interrogatoire sur le CV de SIMBIKANGWA.

Tout le reste de la journée va être consacré à l’interrogatoire sur le CV de l’accusé. Membre d’une fratrie de 7 enfants, monsieur SIMBIKANGWA va être amené à s’expliquer sur ses nombreux changements d’identité: au collège il a choisi de s’appeler SIMBIKANGWA pour avoir plus de chance d’être inscrit (nom qui fait moins Hutu du Nord que SENYAMUHARA. En fait, son père déclare l’avoir dénommé SIMBIKANGWA à sa naissance!) S’il a menti sur son identité devant les policiers, c’est parce qu’il voulait protéger les gens de sa famille. Autant d’explications difficiles à comprendre, même si pour lui il n’y a rien d’extraordinaire: VOLTAIRE avait bien changé de nom aussi! . D’ailleurs, l’accusé a du mal à s’en tenir à son CV: à plusieurs reprises, il reviendra sur le fait que son « dossier a été fabriqué de toutes pièces » qu’il « est vide« . S’il est en prison, « c’est de la vengeance« . Il lui sera rappelé de revenir à son CV.

Issu d’une famille mixte, maman Tutsi et papa Hutu, il reconnaît qu’il est apparenté au président HABYARIMANA, leurs arrière-grands-parents étant communs. Il a plus d’affinité avec sa mère, son père étant assez volage et parfois violent envers sa femme.

Élève brillant, il finira, après deux ans d’université, par choisir la carrière militaire, ébloui par la tenue des soldats un dimanche à la messe. Monsieur SIMBIKANGWA ne manquera pas de signaler qu’il éprouvait une certaine fascination pour son président, « un président exemplaire en Afrique« .

Le tournant de sa vie se passe un jour de juillet 1986: il est victime d’un accident de la route qui le laissera paraplégique: « le temps zéro de mon existence » avouera-t-il plus tard. Malgré des soins prodigués en Belgique (privilège dont il aurait bénéficié par sa proximité avec HABYARIMANA?), il rentre en fauteuil roulant. Lui qui était un grand sportif, récompensé par de nombreuses coupes, voilà qu’il est condamné à l’immobilité. Sa jeune épouse accouche l’année suivante mais finira par le quitter au bout de quelques années. Il obtient la garde de sa fille, Marie-Merci (même prénom qu’une fille du président!) qu’il décidera d’envoyer aux Etats-Unis où elle réside. Il n’a jamais souhaité qu’elle soit entendue, par souci de sa sécurité!  Il est amené assez vite à quitter l’armée et sera versé au Service de Renseignements (recueil et recoupement des informations, contrôle de la presse…) Il continuera toutefois à être appelé « capitaine ». A ceux qui s’en étonnent, il déclare:  » Ne dit-on pas encore aujourd’hui Capitaine d’Artagnan? » Il obtient le grade de directeur sans en exercer la fonction. Ce qu’il appelle « la guerre des mines » change la situation dans le pays et la mise en place du multipartisme, auquel il n’est pas favorable, le prive de toute fonction officielle à partir de 1992. Mais il continuera quelques temps à employer des informateurs à titre personnel.

L’attentat du 6 avril 1994 contre le président HABYARIMANA le laisse « abasourdi« . Rien ne sera dit sur la période du génocide, si ce n’est qu’en juillet il fuit vers le Zaïre avec l’aide de son « frère » Bonaventure MUTANGANA. Il se rendra plus tard au Kenya avec sa fille et un neveu, mais sera incapable de dire ce qu’il a fait dans ce pays. Ne se sentant plus en sécurité (assassinat de deux membres du FPR, Messieurs LIZINDE et SENDASHONGA), il choisira l’exil vers les Comores, pour arriver à Mayotte: il est enfin en France! C’est là qu’il sera appréhendé pour trafic de faux papiers et condamné à deux reprises à des peines de prison. (NDR. C’est là aussi qu’une plainte sera déposée contre lui pour génocide).

L’audience est suspendue à 13h10.

Audition de madame Julie LANDRY, enquêtrice de personnalité.

A la reprise, nous assistons à l’audition, par visioconférence, de madame Julie LANDRY, enquêtrice de personnalité. L’enquête dont il est question date de juin 2010, si bien que le témoin aura du mal à se détacher de ses notes, malgré de nombreux rappels à l’ordre du président. L’enquêtrice a en fait recueilli beaucoup de renseignements de la bouche de  Constantine, une sœur de l’accusé. Cette dernière est très élogieuse à l’égard de son frère qu’elle décrit comme « un homme au grand cœur » qui n’aura de cesse d’aider les membres de sa famille. Elle évoque à son tour l’attachement quasi filial de SIMBIKANGWA pour son président: « Je l’aimais beaucoup, peut-être trop » aurait-il avoué. Et le témoin d’ajouter: « Il l’aimait autant que sa femme« , confirmant son admiration exclusive pour le président. L’exposé du témoin n’apportera que peu d’éléments nouveaux, le Président ayant déjà évoqué lui-même un certains nombres de caractéristiques de la personnalité de l’accusé.

Questionnée par le président, madame LANDRY ne pourra pas vraiment expliquer pourquoi SIMBIKANGWA ne lui a jamais parlé de son « frère » Bonaventure MUTANGANA. Par contre, elle reviendra rapidement sur un autre événement qui aurait profondément marqué l’accusé: la mort de sa petite sœur de 6 ans, dans ses propres bras. Sa détention à Mayotte? « Quelque chose d’horrible » à cause des conditions dégradantes auxquelles il est soumis. Il en fera une dépression. Suite à son accident de 1986, l’accusé va « se surinvestir dans le domaine professionnel« . Pendant son séjour en Belgique, il va profiter de sa rééducation pour lire beaucoup: cette année va lui permettre de rebondir. Il refuse surtout qu’on ait pitié de lui.

Le président va revenir longuement sur le thème des « privilèges » dont aurait bénéficié l’accusé: il n’était qu’un officier subalterne et il est envoyé aussitôt se faire soigner en Belgique! Pour l’accusé il ne s’agit pas d’un privilège: il ne pouvait pas être soigné au Rwanda. Monsieur DE JORNA s’étonne aussi que SIMBIKANGWA ait choisi l’exil au Kenya, ce que sa famille n’a pas les moyens de faire. A la question de savoir pourquoi il ne retourne pas au Rwanda, il est répondu qu’il avait peur pour sa sécurité. Questionné sur son sentiment suite aux réactions de l’avocat général, monsieur SIMBIKANGWA exprimera une demande: « Je souhaite qu’il soit juste avec moi!« 

Reprise de l’interrogatoire de personnalité.

C’est au tour de Maître Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, de prendre la parole. Elle revient avec insistance sur les changements d’identité de l’accusé. SIMBIKANGWA s’énerve:  » Ces gens (désignant la défense) cherchent toujours à dévier. La question est de savoir si SIMBIKANGWA a participé au génocide ou non! » ajoute l’accusé qui fait semblant d’oublier qu’il ne s’agit ici que de sa personnalité et non des faits qui lui sont reprochés. L’avocate insiste: pourquoi avoir encore changé de nom après l’épisode de la mine placée sous sa voiture en 1993? « Je n’ai changé que sur mon passeport, pas à l’état civil! C’était pour ma sécurité, aux barrières en particulier« . Étonnant! Ses mensonges à l’OFPRA? L’accusé est mis en difficulté et finit par dire, une fois encore, qu’on « veut noyer le poisson »! Une façon de ne pas répondre.

SIMBIKANGWA est ensuite interrogé par Maître PHILIPPART sur les ressources dont il dispose. La question dérange l’accusé qui finit par s’énerver tout en reconnaissant qu’il possède un ranch avec un troupeau, des maisons en location, un salaire…

C’est au tour de monsieur Ludovic HERVELLIN-SERRE d’interroger l’accusé. De revenir sur ses ressources, en particulier sur l’indemnisation qu’il aurait reçue après son accident. La question le dérange, mais sur l’insistance de l’avocat général, il finit par reconnaître qu’il a reçu environ 1 500 000 francs rwandais, ce qui lui a permis d’obtenir un prêt auprès des banques, de construire une maison qu’il louera à des Américains… Il ajoute, faisant sourire la maigre assistance: « Je suis socialiste. Je n’aime pas beaucoup l’argent. » Et pourtant! SIMBIKANGWA préfère choisir son terrain: « En 1972, je me suis caché car certains disaient que j’étais Tutsi! » Pourquoi pas? Et de continuer: « J’ai toujours été sensible aux faibles… J’étais proche des Tutsi… J’aime la Révolution de 1789… Je n’aime pas les privilèges! »

Monsieur CROSSON du CORMIER terminera l’interrogatoire en reprenant le thème des « privilèges » ou plutôt des « avantages » dont bénéficie SIMBIKANGWA. Il le questionne en particulier sur son logement de fonction: n’est-ce pas un avantage? « Les avantages, je les ai eu par moi-même« , insiste l’accusé. Et d’ajouter, un peu hors sujet: « HABYARIMANA vivant, il n’y aurait pas eu de génocide! »

« Et votre départ vers le Zaïre, puis le Kenya, les Comores, Mayotte? Quels moyens avez-vous utilisés? » insiste l’avocat général. SIMBIKANGWA va finir pas reconnaître qu’il a traversé la frontière à Goma en voiture (on apprendra qu’il était avec son « frère » MUTANGANA) , qu’il a pris ensuite l’avion pour aller à Nairobi (pour 400 euros!) « Et pourquoi la France« ? « La France est un pays fort, déclare l’accusé, où je serais sûr de ma sécurité… question aussi de liberté… pays où je pouvais m’épanouir et avoir des projets. La France est le pays des hommes libres« .

Le dernier mot revient à la défense. Maître EPSTEIN, comme il sait bien le faire, pose de fausses questions.   » Vous partez de bas et arrivez haut? » « On veut faire de vous un dignitaire rwandais qui a donc participé au génocide? » Pour toute réponse, son client lance:  » J’ai acquis des biens par mes efforts. Je suis un combattant! » L’avocat va se rasseoir, satisfait.

Audition de monsieur Bonaventure MUTANGANA, « frère » de SIMBIKANGWA.

Entendu à sa demande, monsieur MUTANGANA va donner un portrait extrêmement flatteur de son « frère ». Il le décrit comme un homme brillant, qui a le souci des autres membres de sa famille, mais aussi des gens de sa colline. Comme son « frère », il aime citer les auteurs français. « A force de faire le bien, on devient coupable » (Bossuet), soulignant le fait que SIMBIKANGWA se retrouve injustement poursuivi par la justice alors qu’il ne savait qu’être généreux. Il insiste aussi sur son courage dans l’adversité et reconnaît qu’il lui doit ce qu’il est devenu. « Beaucoup croient que c’est un criminel! Je demande au tribunal d’user de son indulgence. » Être devenu Français? C’est sa joie et son honneur!

Le président:  » Vous vous sentez libre de dire ce que vous dites ou vous avez peur? »

MUTANGANA: «  J’ai demandé d’être entendu en toute liberté. SIMBIKANGWA est un homme de bien. » Lors du premier procès, il n’avait pas témoigné dès le début parce qu’il avait peur de représailles. Et il reconnaît qu’il avait raison puisqu’il avait appris, voici deux jours, qu’on le recherchait suite à un mandat d’arrêt international délivré par le Rwanda.

Le président, calmement, tente de faire faire prendre conscience au témoin que son « frère » n’a peut-être pas que des qualités puisque des témoins l’accusent. « Votre frère a peut-être une autre face sombre? » MUTANGANA botte en touche:  » SIMBIKANGWA a la chance d’être incarcéré dans ce pays. Sinon, il serait déjà mort. »

 » Le 7 avril, vous venez chez votre frère avec son ami HIGIRO. Quel était son état d’esprit? »

 » Il était triste, abattu. Mais il a accueilli son ami HIGIRO. Les Tutsi venaient de tuer HABYARIMANA. Cela ne l’a pas empêché d’accueillir ses amis dans sa maison. » Il reconnaît que ce jour-là il voit des cadavres dans les rues de Kigali mais qu’il n’assiste pas à des exécutions. A partir de là, le témoin va refuser de répondre aux questions qui le concernent personnellement dans la mesure où il est poursuivi lui-même. Ses réponses pourraient le desservir. Il finit par dire qu’il a traversé la frontière zaïroise en voiture, avec SIMBIKANGWA.

L’avocat général veut connaître la date à laquelle le témoin a obtenu la nationalité française. Ce dernier, fidèle à sa ligne de conduite, refuse de répondre. Ce que le magistrat ne comprend pas puisque sa nationalité française le protège contre toute décision d’extradition. Le ton monte et monsieur CROSSON du CORMIER finit par renoncer.

Parole est donnée à la défense. Maître BOURGEOT demande au témoin s’il connaît d’autres personnes accusées à tord. Ce dernier évoque alors l’affaire MUNYESHYAKA accusé par les rescapés qu’il a accueillis dans son église de la Sainte Famille à Kigali: « Les mains qui lui ont été tendues l’ont mordu ». Des femmes qu’il a sauvées l’accusent de viol!

« Et HIGIRO? », poursuit l’avocate. « C’est un homme bien. Il est devenu riche. Ils étaient amis! »

Maître EPSTEIN entre en scène:  » Je vous félicite pour votre courage. D’autant qu’il y a dans la salle des parties civiles qui prennent des notes… » Suivez mon regard! Maître EPSTEIN fait du Maître EPSTEIN, comme on l’a connu en première instance. Et nous ne sommes qu’au début du procès.

SIMBIKANGWA s’adresse à l’avocat général.  » Si Bonaventure n’a pas à être inquiet car il ne peut être extradé vers le Rwanda, il court le risque d’être jugé pour génocide« . Remarque qui n’amènera pas de réponse et qui clôturera la journée.

L’audience est suspendue à 20h15.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

 

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