Procès en appel NGENZI/BARAHIRA: jeudi 3 mai 2018. J2

Madame la Présidente commence par annoncer que le juré titulaire N°1 a fait savoir qu’il ne participerait plus au procès pour des raisons professionnelles. L’avocat général demande que lui soit infligée une amende de 1500 euros. La Cour, après en avoir délibéré, ordonne que le premier juré supplémentaire prenne place comme juré N°1. Elle confirme la sanction financière demandée par monsieur BERNARDO.

Quelques informations données par madame la Présidente.

Monsieur GUICHAOUA, cité par le Parquet, essaiera finalement de se présenter devant la Cour.

Monsieur REYNTJENS a fini également par accepter de venir, alors qu’il avait menacé de ne pas prêter serment pour l’occasion où on l’obligerait à témoigner !

Ordonnance de la première présidente de la Cour d’appel concernant l’enregistrement du procès : plusieurs avocats n’ont pas eu connaissance de cette annonce.

Madame NGENZI, citée comme témoin, doit quitter la salle jusqu’à ce qu’elle ait témoigné. Maître EPSTEIN insiste pour  qu’elle soit entendue au plus vite.

Lecture de l’ordonnance de mise en accusation.

Le reste de la matinée sera consacré à la lecture intégrale de l’acte d’accusation par madame la Présidente. Elle tient à préciser qu’à ce stade de la procédure, les deux accusés bénéficient de la présomption d’innocence. Madame la Présidente, après avoir rappelé le contexte historique, évoque le rôle des bourgmestres dans l’organisation administrative du pays, celui des gendarmes et du commandant RWAGAFIRITA, extrémiste hutu notoire [1]. Elle continue en évoquant les faits reprochés aux accusés en privilégiant l’ordre chronologique, et ce en fonction des lieux des massacres.

Avant de suspendre l’audience, madame la présidente rappelle les 10 questions qui avaient été posées au jury de première instance, questions auxquelles il avait été répondu positivement par au moins 6 jurés sur 9. Elle termine son intervention par la lecture de la feuille de motivation qui a justifié la condamnation des deux accusés.

Etude des conclusions en nullité déposées par la défense.

Concernant l’enregistrement audio-visuel du procès. Maître BOURGEOT, avocate de Tite BARAHIRA, avance l’idée que la présence des caméras pourrait nuire à la sérénité des débats et perturber certains témoins ! Monsieur l’avocat général commence par rappeler l’intérêt de tels enregistrements pour les chercheurs : il est important de conserver des traces de ce procès. D’autre part, le matériel utilisé est très discret, fixe, et il ne peut y avoir d’atteinte aux droits de la défense. De rappeler ensuite qu’il s’agit d’une ordonnance qui est « exécutoire de droit » et que la décision n’appartient pas à la Cour mais à la première présidente de la Cour d’appel. La Cour se retire pour délibérer : « Il n’appartient pas à la Cour de statuer. La Cour rejette les conclusions de la défense.

Intervention de maître CHOUAI, avocat de Octavien NGENZI.

L’avocat de NGENZI commence par prononcer de graves reproches à l’endroit de la procédure. « Nous plaidons le droit au procès équitable » assène-t-il. Tout en reconnaissant que « le principe de la compétence universelle honore notre pays , il ajoute aussitôt que « telle qu’elle est pratiquée, c’est une farce ! » : il y aurait « une justice quand on est Français et une justice pour les autres, c’est-à-dire une justice indigente ?» Pour lui, les débats sont contaminés. Et de poursuivre : « Nous souhaitons l’annulation de cette procédure. J’aurais aimé que ce procès se tienne, que nous puissions nous battre à armes égales. » De se référer ensuite à l’article 6 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : égalité des armes = procès équitable. Et pour justifier ses propos, l’avocat de la défense est tout heureux de s’en remettre à monsieur Olivier LEURENT, président de la Cour d’assises dans le premier procès SIMBIKANGWA, qui avait reconnu que ce genre de procès n’était pas adapté à la Cour d’assises.

Maître CHOUAI va alors exposer les cinq griefs qu’il souhaite développer :

  • Impossibilité pour NGENZI de préparer sa défense du fait de sa détention. Il en profite pour dénoncer la procédure engagée à Mayotte lors de son arrestation.
  • Impossibilité matérielle de citer des témoins. Il regrette que la défense ne puisse citer que cinq témoins, même si l’avocat général leur en a accordé trois de plus ( Nous verrons dans la réponse de l’avocat général que la vérité n’est pas celle-là !)
  • Risques pour les témoins à décharge:  de citer le courrier de Filip REYNTJENS qui se dit en danger puis d’ironiser sur « les réactions des parties civiles qui se réjouiraient de la non comparution » de ce dernier (NDR. La défense n’a pas à penser à la place des parties civiles. N’a-t-il pas entendu que monsieur REYNTJENS avait fini par accepter de se présenter ? Maître CHOUAI évoque alors le rapport de Human Rigths Watch de 2011 qui révèle que « des témoins auraient même été tués » ! ( Quels témoins ? L’avocat connaît-il les peurs des victimes à venir témoigner au vu et au sus de toute la communauté villageoise, voire des familles des accusés ?)
  • Le non-déplacement sur les lieux. Les enquêteurs se sont rendus très souvent au Rwanda, « mais sous la surveillance des autorités locales». On comprend le sous-entendu qui est vite explicité : « Les témoins ne sont pas libres au Rwanda ! » Et d’avouer que les avocats de la défense ont eu la lumineuse idée de profiter de la semaine de « vacances » de se rendre au Rwanda et d’ adresser au Procureur général de Kigali une double demande : soutenir leur demande de visa et faire en sorte que leur sécurité soit assurée une fois arrivés sur place. L’avocat général aura bien vu la manœuvre !
  • La présomption d’innocence. S’il n’a rien contre la liberté de la presse, il tient à préciser qu’il « existe des parties civiles qui ont un site inadmissible » (NDR. Suivez mon regard. Visé, le CPCR). L’avocat exhibe alors une photo montrant NGENZI en état d’arrestation ( Cette photo pour laquelle la défense a mis le CPCR en demeure de retirer sous 24 heures. Ce que nous avons fait ! Qu’à cela ne tienne, maître CHOUAI a l’outrecuidance de faire connaître à la Cour qu’il assigne le CPCR à comparaître le 18 mai. Il souhaiterait faire suspendre le site du CPCR. Rien que cela! Pour rappel, Octavien NGENZI a déjà poursuivi le CPCR pour non-respect de la présomption d’innocence : il a été débouté et a perdu de nouveau en appel !

 

Le troisième avocat de Octavien NGENZI passe alors à la barre pour dénoncer une « contamination de la procédure. Un virus que je vais vous rendre visible : l’abîme qui sépare la défense et l’accusation. » Et de dénoncer à son tour, comme si nous n’avions pas encore compris, l’immense fossé qui existe entre les moyens de l’accusation et ceux de la défense. Sans compter avec le CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) dont « l’activisme est une composante essentielle de l’accusation » De s’apitoyer ensuite sur « la solitude de la défense ». Il met enfin en garde les jurés : si ce procès se tient, ils devront avoir en tête toutes ces questions !

Au tour de maître EPSTEIN d’entrer dans la danse. Et de s’en prendre aussitôt au président du CPCR pour des déclarations qu’il aurait faites à la presse : « J’espère que les magistrats balaieront rapidement leur demande (de nullité) pour qu’on puisse entrer dans le vif du sujet. » L’avocat de NGENZI claironne que « nous sommes dans le vif du sujet dans ces questions de procédure. » Il regrette à son tour de ne pouvoir citer que cinq témoins, de ne jamais être invité dans des colloques après procès, fait lui aussi appel à Olivier LEURENT : à procès exceptionnel devrait correspondre une procédure exceptionnelle ! Et d’ajouter sans sourciller : « Les dindons de la farce, ce sont les avocats de la défense. Plus, c’est l’accusé. C’est lui qui trinque ! » Et toujours sérieux : « L’accusé aurait aimé se rendre au Rwanda, pour montrer sa maison… » (NDR. Tiens donc ! Et pourquoi a-t-il fui  en 1994?) Pour lui, « la procédure est totalement viciée. Les témoins qui vont venir de Kigali sont des témoins entraînés ! » (NDR. On connaît la chanson, et on l’entendra souvent dans les jours à venir.) Il ose alors une comparaison : « Cette procédure, c’est comme un héritage. Quand vous le recevez, si le moins l’emporte sur le plus, vous pouvez le refuser. Mon héritage est vicié, pourri : vous le rejetterez. »

Enfin autour de maître BOURGEOT, et toujours la même rengaine : « Je suis convaincue que ce procès ne correspond pas pas aux exigences d’un procès équitable ! » Elle se défend de vouloir faire du dilatoire : si cela avait été le cas, elle aurait demandé la remise en liberté de BARAHIRA. Et d’évoquer les graves ennuis de santé de son client, sa solitude (elle n’est assistée que par une élève avocat). Elle envie les systèmes judiciaires des autres pays bien meilleurs pour la défense (NDR. C’est bien connu, l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin !) Et de rabâcher les complaintes de ses collègues : risques encourus par les témoins, nombre de témoins cités par la défense insuffisant, absence de transport sur les lieux. Et s’adressant aux jurés : « Monsieur BARAHIRA bénéficie de la présomption d’innocence. Vous devez le regarder comme un innocent ! »

Conclusions des parties civiles.

Maître PARUELLE tient à rassurer les membres de la Cour « Ce procès n’est ni vicié, ni vicieux. » Il rassure aussi les accusés : ils auront droit à un procès équitable. Quant à la question du délai raisonnable, « les victimes attendent depuis 24 ans ! »

Maître LAVAL, qui a déposé ses conclusions, se présente comme l’avocat du CPCR qui s’est donné comme tâche de permettre le fonctionnement des juridictions françaises concernant le génocide des Tutsi. Et d’évoquer la mémoire des centaines de milliers de victimes, « femmes, enfants, vieillards coupés en morceaux à la machette, enterrés vivants, tous morts dans des conditions effroyables, assassinés par tous les moyens que la cruauté humaine peut imaginer, enterrés vivants pour unique raison qu’ils étaient Tutsi. » D’ajouter : « Vous êtes aux portes de l’enfer, dans les jours à venir, vous allez vivre en enfer… J’ai la passion du droit, c’est par le droit que vous allez rendre justice. On vient vous expliquer que le droit n’aurait pas été respecté, que le procès ne serait pas équitable ? Cela ne ressemble à rien. »  Et d’asséner : « La défense et les parties civiles ont les mêmes exigences, la même intransigeance sur la question des principes, et en particulier le principe du droit de la défense. » Le procès serait faussé, contaminé ? « Il faut appliquer le droit, tel qu’il existe, le droit positif. » Un seule préoccupation : «  Est-ce que les règles de droit ont été respectées, à égalité des armes ? » Maître LAVAL rend alors hommage aux avocats de la défense lors du procès en première instance : « Ce fut un grand procès, un procès de haute tenue. Nous ne sommes pas dans un désert législatif. Les accusés ont été entendus de très nombreuses fois. Aucun des faits n’a été omis. Et chaque fois les accusés ont eu la possibilité de s’expliquer. Comment dire que les droits de la défense n’ont pas été respectés. On a répondu négativement à leurs demandes ? Et alors, c’est la règle du jeu. Dura lex, sed lex ! La loi est dure, mais c’est la loi ! Les accusés avaient le droit de demander des actes à la clôture de l’information judiciaire ils ne l’ont pas fait. Après la publication de l’OMA, ils ont fait appel mais leur demande a été rejetée… La demande de nullité est stupéfiante : la Cour n’a pas la possibilité d’annuler l’arrêt de la Chambre de l’instruction. Si la Cour le faisait, ce serait une grande première.»

Maître Rachel LINDON, pour la LICRA, évoque la demande de visas formulée par la défense : cette demande a été faite le 30 avril. Les délais sont-ils suffisants ? Quant à la pression sur les témoins :  « Il y aura des témoins des deux bords ; on pourra leur demander s’ils ont subi des pressions. » Pour clore son intervention, l’avocate fait allusion à l’affaire MUNYESHYAKA qui a bénéficié d’un non-lieu alors que le TPIR aurait pu le juger.

Maître Jean SIMON, pour Survie, se dit avoir été « gêné par les avocats de la défense. » Il partage les demandes de la défense en ce qui concerne les besoins, mais il ne s’agit pas de cela aujourd’hui. Maître SIMON dénonce une posture de la défense. Et de dire aux jurés : « La garantie d’un procès équitable, c’est vous. »

Au tour de l’avocat général, monsieur BERNARDO, de clore les débats. Il se dit fier du système de justice. IL rend hommage aux avocats de la défense mais ils ont développé des arguments identiques. « Nous sommes là pour appliquer la loi française. Il est facile de critiquer notre droit en s’appuyant sur des pratiques étrangères. Je n’ai jamais vu ça ! » Et d’ajouter que le procès doit se tenir car la Cour d’appel a donné tort aux accusés après la publication de l’OMA. La Cour de cassation, saisie, a dit la même chose. Et d’insister sur la prise en charge par l’Etat des frais de justice : « En France, l’aide juridictionnelle, c’est 350 millions d’euros, 13% du budget de la justice.  Nous sommes là pour requérir l’application de la loi, pas pour l’accusation, pas pour les victimes. » Et de souligner que les avocats de la défense ont « des talents de prestidigitateurs car ils demandent d’annuler ce qui n’existe pas.»

L’avocat général précise que « c’est un honneur d’être commis d’office : on ne prend que les meilleurs ! » Monsieur BERNARDO se sent obligé de préciser comment s’est passée la citation des témoins supplémentaires de la défense : ce n’est pas la version de ses avocats. De 5 témoins on est passé à 13 pour NGENZI, et à 27 pour BARAHIRA. Il reproche à la défense de prévoir un voyage au Rwanda la semaine prochaine en faisant tout pour que ce soit refusé. « Vous voulez aller au Rwanda pour quoi faire ? Pour prendre des photos et leur faire dire ce qu’on veut ? » ironise-t-il ? Et d’ajouter : « C’est un coup d’audience. » Quant aux témoins, s’ils sont menacés, la Cour peut décider de les entendre à huis clos.

En conclusion, monsieur BERNARDO s’étonne : « La France ne serait pas à la hauteur de juger ces crimes ? C’est un rideau de fumée que veut jeter la défense. Cela évite de parler du fond, de parler de ce qui gêne. La défense cherchait à déplacer les lieux des débats. Elle préfère débattre du fond devant la presse. » Et de dénoncer deux déclarations faites aux journalistes par les avocats de la défense. « Voilà l’estime qu’on a de vous, mesdames et messieurs les jurés. »

L’avocat général requière le rejet des conclusions.

L’audience est suspendue et reprendra demain à 9h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA)  était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
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