Procès en appel NGENZI/BARAHIRA. Vendredi 4 mai 2018. J3


Avis de la Cour sur les « conclusions de nullité ».

Sur l’arrêt de mise en accusation, sur les débats concernant l’inégalité des parties [1], la Cour prononce un rejet.

Intervention du docteur FINELTAIN, médecin légiste.

Le témoin rend compte de l’expertise qu’il a effectuée le 6 avril 2018, suite à une ordonnance qu’il avait reçue concernant l’état de santé de Tito BARAHIRA. Monsieur FINELTAIN a commencé par rappeler tous les antécédents médicaux en rappelant les différents troubles dont souffre  l’accusé.

Il est clair que Tito BARAHIRA souffre d’une « insuffisance rénale terminale » ce qui veut dire que seule une greffe des reins pourrait mettre un terme au problème qu’il rencontre.

Lors de l’expertise réalisée en 2013, l’état de santé de l’accusé avait été jugé compatible avec sa détention, sous réserves qu’il bénéficie des soins appropriés. Il avait été transféré de la prison de la Santé à celle de Fresnes. Son état de santé avait été reconnu « correct », même si des réserves sur son état nutritionnel avaient pu être faite par un spécialiste.

Pour sa comparution en premier ressort devant la cour d’assises de Paris, les médecins qui l’avaient examiné et avaient jugé son état de santé « compatible » avec cette comparution, tout en émettant le souhait que les audiences ne puissent pas durer plus de deux heures.

Le témoin a donc vu Tito BARAHIRA le 6 avril dernier à la Pitié Salpétrière. Malgré les troubles divers dont se plaignait l’accusé, monsieur FINELTAIN avait trouvé un homme « robuste » qui a toutefois renoncé aux promenades dans la mesure où, fatigable, il ne peut s’asseoir lors de ces promenades. Le spécialiste reconnaît que BARAHIRA est très bien soigné, qu’il était « peu loquace, avait un bon niveau intellectuel, un bon jugement », et qu’il niait les accusations portées contre lui. Son état était quelque peu dépressif? Peut-être à cause de sa comparution prochaine.

Conclusions : l’état de santé de l’accusé est compatible avec sa comparution à condition de bénéficier d’une salle de repos, de pouvoir prendre ses médicaments, d’être transporté en ambulance plutôt qu’en fourgon et qu’il soit éventuellement accompagné d’un personnel soignant. Le témoin reconnaît que Tito BARAHIRA « est très bien soigné et suivi par des sommités mondiales ». Et de conclure en précisant que depuis 2016 des éléments positifs ont pu être notés (guérison de son hépatite C), que l’accusé comprend très bien le Français et qu’il a « un niveau intellectuel très élevé », ce qui a dessiné un petit sourire sur ses lèvres.

Monsieur l’avocat général cherche à savoir si l’accusé a une pathologie ou un traumatisme en lien avec les événements dont on parle. Le médecin est catégorique : « Non. Il conteste l’accusation et n’a aucune séquelle liée au génocide ».

Au tour de l’avocate de l’accusé de demander si la greffe de son client est compromise par sa situation de détenu. Le témoin reconnaît qu’en prison il n’est pas possible de bénéficier d’un régime alimentaire, ce qui est compensé par un traitement médicamenteux. La greffe est un traitement de choix et l’accusé est bien inscrit sur la liste des personnes qui attendent  une intervention.

L’accusé a-t-il perdu des chances de greffe en étant transféré à Paris ? Pas vraiment. La perte de chance d’être greffé est liée au traitement de son hépatite par l’Interferon. Cette complication l’a fait suspendre de la liste. Le gros problème, c’est qu’il n’y a pas de rein disponible. « L’incarcération n’est pas un handicap pour recevoir un rein ». Difficile de savoir si l’incarcération est une perte de chance pour être prioritaire.

L’expert termine son intervention, véritable « cours de médecine pour les Nuls », en redisant que l’accusé nie les faits qui lui sont reprochés et qu’il n’y a « pas d’autocritique : ni remise en cause, ni introspection », et que « les troubles de mémoire qu’il manifeste restent étonnants ».

Le reste de la journée sera consacré à l’interrogatoire de CV de Tito BARAHIRA. Toutefois, comme cet interrogatoire sera interrompu par l’intervention  de Monsieur Philippe OUDY, psychologue, qui a réalisé une expertise de Octavien NGENZI, nous faisons le choix de commencer par cette intervention pour garder l’unité de la l’interrogatoire de CV.

 

Audition de monsieur Philippe OUDY, psychologue.

Le témoin, qui a examiné Octavien NGENZI,  commence par dire que l’accusé avait un bon état général, malgré un léger surpoids. Si l’examen a été « très superficiel », c’est parce que l’accusé a eu « un discours peu fourni ». Son niveau intellectuel est « dans la moyenne générale ».

Octavien NGENZI a eu une enfance sans problème, n’a exprimé aucune doléance envers ses proches, parle de la « guerre » (sous-entendu pas de « génocide »). Il n’y a pas de « thématique délirante ».

Sur les faits qui lui sont reprochés. « Je n’ai pas participé à ces choses-là… Je ne comprends pas qu’on soit remonté jusqu’à moi », déclare-t-il. S’il a dû se réfugier en Tanzanie, c’est  parce qu’il était « menacé par les escadrons de la mort ». (NDR. Ce terme a d’habitude une tout autre interprétation et est réservé aux proches de madame HABYARIMANA! [2]) L’accusé s’exonère de toute responsabilité et se présente plus comme « victime que coupable ». Il sait toutefois très bien où est la vérité et « il ment de façon consciente et délibérée ».

A la question de madame la Présidente qui cherche à savoir si l’accusé a souhaité bénéficier d’un soutien psychologique, l’expert  répond qu’il n’a manifesté aucun affect, que son discours était « désincarné » et qu’il n’avait pas souhaité avoir de support psychologique.

L’accusé n’a « jamais utilisé le mot génocide, seulement  guerre et bataille, et qu’il n’a parlé que de la disparition de ses proches. Aucune compassion », ceci en réponse à une question de maître GISAGARA.

Monsieur BERNARDO, avocat général, cherche à savoir si les propos de l’accusé étaient « purement descriptifs ». L’expert confirme, aucune émotion à l’évocation des faits. Seule émotion manifestée à l’évocation de la mort de son père. NGENZI contrôlait très bien son discours. Si son rapport est court (quelques pages), c’est que NGENZI n’avait pas trop envie de parler.

Cette expertise n’a manifestement pas plu à la défense. C’est Maître EPSTEIN qui ouvre le feu. Il veut savoir comment s’est déroulée l’expertise. « Je reçois une ordonnance et je rencontre la personne » se contente de déclarer le témoin. Il a lu le PV de synthèse avant sa rencontre avec l’accusé ainsi que l’interrogatoire de première comparution. Il est possible que les origines culturelles influent sur le comportement. Si l’expert n’a pas pu faire passer des tests projectifs, c’est parce qu’il n’avait pas d’étalonnage des populations. Il n’a pas en effet répondu à la question qui concerne une possible réadaptation tout simplement parce que l’accusé niait les faits. L’avocat fait remarquer à l’expert que Octavien NGENZI était « mis en examen, pas accusé« . Le témoin le concède et reconnaît aussi que le contexte de Fleury-Mérogis n’est pas vraiment adapté à un rapport d’expertise.

« 1h30 d’entretien, ça suffit ? », demande l’avocat. « Je ne l’ai vu qu’une fois, répond l’expert, il avait dit ce qu’il avait à dire » rétorque monsieur OUDY.

Au tour de maître CHOUAI de questionner le témoin. L’avocat est clairement énervé. Il tourne sans cesse autour du témoin, comme un prédateur autour de sa proie encerclée. Il s’étonne que l’expertise ne comporte en réalité que trois pages, décline tous les titres de l’expert, s’étonne qu’il ait abordé des questions juridiques, historiques, politiques. « C’est le fruit de mes lectures » se contente de répondre monsieur OUDY. L’avocat s’étonne aussi que le témoin évoque les termes de « guerre, de bataille », termes employés par NGENZI. « Serait-ce en opposition avec le mot génocide » interroge maître CHOUAI ? L’expert n’a pas eu ce sentiment. Et l’avocat de rappeler qu’en 1990, il y avait bien la guerre, suite à une offensive du FPR. « Des massacres entre ethnies » ajoute le témoin, mal à l’aise.

On peut reconnaître que le témoin aura été bien malmené par les avocats de la défense, très mécontents de ce rapport.

 

Interrogatoire de CV de Tito BARAHIRA.

BARAHIRA vu par Grumbl

« Pour vous juger correctement, on doit savoir qui vous êtes », commence madame la Présidente. Et de demander à l’accusé de parler de ce que fut sa vie, de manière chronologique, de préférence, hors période concernée par les faits sur lesquels nous reviendrons plus tard. Tito BARAHIRA préfèrerait répondre à des questions, ne sachant pas trop par où commencer.

BARAHIRA né dans une famille de cultivateurs/éleveurs. Huit enfants composent la famille. Un de ses frères aurait été fusillé à Kabarondo en 1994 avec son épouse et ses enfants. « Il paraît que c’est par le FPR » ajoute-t-il. Il lui resterait un frère au Rwanda, frère qui n’aurait pas été retrouvé : on dit qu’il pourrait être en Ouganda. L’accusé aurait eu une « enfance heureuse ». Instituteur pendant une année à Kabarondo, il part en stage à Butare pour pouvoir intégrer la fonction publique : les salaires y étaient meilleurs.Il sera ensuite affecté au Ministère de la Jeunesse et des Sports, en charge de « l’encadrement de la jeunesse ». En 1976, à moins de 26 ans, il sera nommé bourgmestre de Kabarondo par le président HABYARIMANA, sur proposition du ministre de l’Intérieur. (NDR. L’accusé se garde de préciser, mais l’avocat général le lui rappellera plus tard, que le ministre de l’Intérieur n’est autre que le tout-puissant Pierre-Célestin RWAGAFILITA [3]).

L’accusé a été content d’être nommé à ce poste et de pouvoir ainsi servir son village natal comme membre du MRND. On lui demande de préciser le sens des abréviations. BARAHIRA hésite : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique créé par le président HABYARIMANA en 1975, après son coup d’état de 1973.

D’évoquer ensuite les avantages de la fonction : salaire de 11 000 francs rwandais. C’est tout. Mais questionné par madame la présidente, il finira par reconnaître qu’il bénéficie aussi d’un logement de fonction.

A cette époque, BARAHIRA  précise qu’il n’y a pas de tensions entre membres de la population, qu’il travaille en lien étroit avec le Préfet. Sa commune est divisée en 12 secteurs divisés en cellules : 12 conseillers de secteur élus et un responsable par cellule. Six policiers sont engagés par le Conseil communal.

Il restera bourgmestre pendant 10 ans. En 1986, il démissionne, préférant « se reposer »[4], dira-t-il. Madame la Présidente évoque des rumeurs selon lesquelles il aurait des problèmes judiciaires : il conteste. Il sera remplacé par Octavien NGENZI. Après quelques mois de chômage, il se fait embaucher comme releveur de compteurs dans la société Electrogaz (NDR. Cette société jouera un rôle important dans le génocide, et ce dans tout le pays, beaucoup de ses employés ayant participé aux massacres.) Il continuera à s’occuper de ses affaires : sa ferme, une maison commerciale qu’il souhaite louer.Le 30 janvier 1994, il revient en politique et devient le président MRND de la commune. Il remplace monsieur KARASIRA, mais pas avant mai 1994.

Les Interahamwe [5])? Il ne les connaissait pas. Il entendait parler d’eux à la radio, mais ils œuvraient seulement à Kigali, selon lui. A Kabarondo, il n’en connaissait pas !

Quelle radio écoute-t-il ? Radio Rwanda. Il y avait bien la RTLM, la Radio Télévision Mille Collines [6], mais il ne l’écoutait pas : il ne pouvait pas la capter. Il ne sait pas du tout ce que disait cette radio.

Quant à ses lectures de la presse, il note le journal IMVAHO et KANGURA[7], un hebdomadaire, « pas un journal de parti »,  qu’il ne lisait qu’à Kigali.

Il quitte Kabarondo le 17 avril, en direction de Rusumo, la frontière tanzanienne, avec femme et enfants, d’abord dans la voiture d’un voisin, David BUGINGO. Il sera séparé de sa famille à Gatore, suite à des tirs, pour rester seulement avec Patrick, son fils aîné. Victor, un fils de 8 ans, se perd. Il le retrouveront plus tard.

Il finit par renoncer à traverser à Rusumo, la douane ayant déjà été prise par le FPR,  se dirige vers le Burundi début mai : séjour dans un camp de réfugiés, puis départ vers la Tanzanie car il apprend qu’un camp vient d’être établi à BENAKO. C’est là qu’il retrouve NGENZI, les gens ayant été regroupés par commune d’origine. Les bourgmestres y ont retrouvé leur autorité.

BARAHIRA occupe un emploi en lien avec le Sida, NGENZI travaille avec le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés). En décembre, l’accusé apprend que sa femme est retournée au Rwanda. Lui part pour Nairobi où sa femme le rejoint provisoirement avec deux de leurs enfants. Cette dernière rejoindra sa sœur en France en juillet 1997 et obtiendra l’asile en février 1998. Son fils Patrick partira clandestinement au Togo puis réussira à rejoindre à son tour la France.

BARAHIRA passe 8 ans au Kenya. Aidé par Caritas, par des paroisses catholiques et protestantes. Il bénéficie du regroupement familial et rejoint sa femme en France à Balma (à l’Est de Toulouse) en décembre 2004. Au bout d’un an, sa femme lui fait savoir qu’elle préfère vivre seule et elle demande le divorce. « S’agissait-il d’un divorce avec consentement mutuel ?» questionne madame la Présidente. L’accusé ne semble pas trop comprendre. Il a un droit de visite pour son enfant de 13 ans, droit qu’il respecte.

Est évoquée ensuite la situation de ses autres enfants. La présidente lui apprend qu’un de ses fils aurait eu quelques démêlés avec la justice, ce qu’il ignore. Seul Patrick lui rend visite ; ce dernier lui transmets des nouvelles des autres.

Après son divorce, Tito BARAHIRA a logé dans un centre d’hébergement. Il a travaillé à l’Inspection académique de Toulouse, puis dans une société de nettoyage. Pour raisons de santé il a pris sa retraite en 2011.

A Toulouse, il a fréquenté une association, le Club des Rwandais, a voyagé deux fois pour se rendre en Belgique, « pour me détendre », a-t-il ajouté. Il continue à s’intéresser à la vie politique du Rwanda, « en vue d’un éventuel retour ».

Quant à sa santé, il reconnaît qu’elle se dégrade, allant même jusqu’à dire : « Ma vie se dégrade de jour en jour. A cause de ma détention ». Et comme son permis de séjour est périmé, il dit ne plus être sur la liste de ceux qui attendent une greffe. Il souffre aussi de séquelles de deux accidents. Et quand on lui demande s’il a quelque chose à ajouter, il évoque une année de sa scolarité au cours de laquelle, alors qu’il était loin de chez lui, il a souffert de brimades de la part de ses camarades. Pour cette raison, il a arrêté l’école temporairement.

Il a connu NGENZI qui a travaillé sous ses ordres, mais ce n’était pas son ami, simplement des « copains de travail. » Il ne l’a plus revu après BENAKO.

Madame la présidente présente alors des documents sous scellées retrouvés chez BARAHIRA lors de perquisitions à son domicile : acte de mariage, acte de naissance signés de NGENZI. Intérêt ?

BARAHIRA a-t-il eu des condamnations au Rwanda ? « Oui, on a voulu me poursuivre. On m’a dit que j’ai été jugé par les Gacaca [8]» mais il ne sait pas si on l’a accusé,  ni de quoi. Madame la Présidente l’informe qu’il a été condamné à la réclusion criminelle sur le secteur de Cyinzovu : il n’était pas informé.

On évoque alors sa détention. Il est seul dans sa cellule, ne pratique aucune activité à cause de sa maladie. Il n’a pas demandé non plus d’aide psychologique. Il reçoit quelques visites de son fils Patrick et de sa sœur. Le rapport sur son comportement est bon : BARAHIRA est « respectueux et peu dépensier. »

C’est au tour des avocats des parties civiles de poser des questions. Pourquoi se présente-t-il aux élections de président du MRND en janvier 1994, connaît-il KANGURA (et de lire quelques extraits du N°6) [7] , pourquoi partir le 17 avril pour la Tanzanie, pourquoi ne pas être rentré au Rwanda comme sa femme ? demande maître PARUELLE.

C’était le MRND du multipartisme, c’est là qu’il se sentait probablement le mieux. KANGURA ? Il était vendu à Kigali et il n’a pas lu ce N°6. Il a fui « à cause de l’avancée du FPR » et il a bien fait de ne pas rentrer car ceux qui l’ont fait ont disparu.

Maître Guillaume MARTINE, pour la FIDH, revient sur les Interahamwe [5]. BARAHIRA élude la question.

Au tour de maître Kevin CHARRIER , avocat du CPCR, d’interroger l’accusé. A la maison, quel langage utilisait-on concernant les relations Hutu/Tutsi ? « J’étais toujours avec les Tutsi, mais c’est un sujet dont on ne parlait pas. On vivait ensemble, nous étions amis. Il y avait des mariages mixtes… »

A la question de savoir pourquoi  c’est lui qui a été choisi comme bourgmestre, l’accusé répond simplement : « J’étais apprécié. Et j’étais content de pouvoir servir ma commune d’origine. Je n’avais pas à me demander pourquoi moi ? Après 10 ans, j’ai voulu me reposer. »

Autre question concernant son séjour en Tanzanie. Aurait-il été « confronté à des personnes qui se vantaient d’avoir commis le génocide ? » Il n’a pas rencontré ce problème. A BENAKO, il y avait aussi des Tutsi. La vie à BENAKO, c’était comme au Rwanda. Il existait une bonne entente entre Hutu et Tutsi. Nous étions tous des réfugiés.

« Vous avez forcément rencontré des tueurs ? insiste l’avocat. « Je ne comprends pas ce que vous dites » se contente de dire l’accusé.

Et l’avocat d’insister : « On s’entretue au Rwanda, et en Tanzanie on ne parle de rien ? » Pas de réponse.

Maître GISAGARA revient sur la mort de ses frères « fusillés par le FPR ». « Tués parce que vos frères ? » Il n’a pas voulu savoir. Le FPR a rassemblé des gens et les a tués. Il y avait une incitation à s’entraccuser. Quant à son frère resté au Rwanda, il aurait souhaité qu’il vienne témoigner mais…..

La parole est donnée à madame l’avocate générale.

– Le devoir de la police, demande t-elle ?

– Protéger la population.Votre pouvoir à vous ?

– Pouvoir d’arrêter les gens qui ont commis des délits ou des crimes.

– Les opérations de recensement utilisaient-elles toujours la mention ethnique ?

– Ces opérations étaient à la charge du bourgmestre. Il était toujours indiqué la mention ethnique.

– Pourquoi avez-vous été nommé bourgmestre ? En 1974, pourquoi avez-vous été nommé au Ministère de la Jeunesse. Nommé par qui ? Qui était ministre de l’Intérieur en 1974 ?

– RWAGAFILITA [3].

L’avocat général, monsieur BERNARDO, prend la relève. « Vous avez été nommé bourgmestre à 26 ans ? D’où tient-on son autorité à cet âge-là ? Quelles qualités aviez-vous ? »

Réponse de BARAHIRA. « On a la majorité à 18 ans. On peut donc devenir bourgmestre à 18 ans. A 25 ans, je suis majeur, je peux donc devenir bourgmestre. J’avais les qualités, j’avais les compétences parce que c’était à la fin de mes études. J’étais grand, apprécié dans mes prestations. J’ai été proposé par le Ministre de l’Intérieur qui m’appréciait probablement. »

HABYARIMANA a pris le pouvoir suite à coup d’état en juillet 1973.

– HABYARIMANA est chef du gouvernement et Président. Avait-il un parti politique pour l’aider à diffuser ses idées ?

– Le MRND depuis 1975.

– Pourquoi HABYARIMANA vous choisit-il dès 1976 ?

– Il avait ses services secrets !

– Le lien entre vous et le président, ne serait-ce pas RWAGAFILITA [3]?

– Si c’est lui, il ne me l’a pas dit.

– Vous avez eu un beau parcours. Vos parents sont catéchistes dans L’Église anglicane ?

– Des paroisses anglicanes, il y en avait dans tout le pays avec un pasteur à la tête de chacune d’elle.

– Chargé de l’encadrement de la jeunesse ? Qu’est-ce à dire ?

L’accusé donne des explications fumeuses.

– En 1976, poursuit l’avocat général, il n’y a pas de problèmes entre Hutu et Tutsi ? Comment on se reconnaît ?

– Il n’y a plus de problème d’ethnie en 1976. Chaque ethnie se connaît.

– Hutu et Tutsi, ça correspond à quoi ?

– Je ne sais pas. C’est l’ethnie, mais cela importe peu. Je n’ai découvert cela qu’à l’école secondaire. On ne m’en avait pas parlé auparavant.

– On ne savait pas les reconnaître ?

– Les Hutu étaient comme les Tutsi. Pas de caractéristiques bien définies.

– Comment exerciez-vous votre métier de bourgmestre ?

– J’étais libre d’agir, de suivre les instructions. On était libre tout en suivant les instructions.

– En 1994, vous partez en exil à BENAKO. Où est votre épouse ?

– Elle est rentrée au Rwanda, à Byumba. Je l’ai su le 27 décembre 1994.

– Pourquoi ne pas aller la voir au Rwanda ?

– Ma femme me dit qu’au Rwanda il ne faut pas parler à haute voix. J’avais peur de mourir.

– Certains Hutu sont revenus au Rwanda ?

– On avait demandé à tous de rentrer. Certains l’ont fait, d’autres sont portés disparus.  Maintenant, j’ai envie de rentrer mais ne sais pas comment m’y prendre.

– Vous saviez qu’un mandat d’arrêt vous visait depuis le 31 août 2009 ?

– J’avais peur d’avoir des problèmes, peur de me faire fusiller là-bas. Maintenant je pense aller au Rwanda, mais j’ai toujours peur.

– Pourquoi être resté au Kenya alors que votre femme part en France ?

– J’ai attendu que ma femme ait un titre de réfugié pour demander ensuite le regroupement familial.

Maître BOURGEOT, avocate de l’accusé, va poser une série de questions destinées à le faire paraître sous un meilleur jour. Elle tient à préciser toutefois que, contrairement à ce qu’a prétendu un avocat des parties civiles, le MRND n’est pas le parti le plus extrémiste. (NDR. Pour une fois, elle a raison. Il y a la CDR!)

L’avocate continue. « Vous avez vécu pendant 10 ans dans une famille éclatée. Pendant 7 mois, vous ignoriez que votre femme et vos enfants étaient vivants. »

BARAHIRA confirme.

– Et vous avez laissé Patrick seul pendant trois semaines.

– Je l’ai laissé trois semaines dans le camp de Benako pour aller à Nairobi, dit-il !

– Vous avez été malade dans le camp ?

– J’avais la malaria quand je suis revenu.

On revient sur le décès de ses frères et sœur et sur son emprisonnement.

– Pourquoi avez-vous été emprisonné ?

– Il y avait beaucoup de gens emprisonnés sans raison.

– Vous avez envisagé de retourner au Rwanda pour retrouver votre famille ?

– J’en ai eu envie, mais quand j’ai vu ma femme à Nairobi, elle m’en a dissuadé. L’ancien bourgmestre de Kigarama m’en a dissuadé aussi : « Si tu retournes, tu ne survivras pas ». L’ancien maire a été fusillé sur la barrière. » (NDR. Sur quelle barrière ? Par qui ?)

– Vous étiez un bon bourgmestre ?

– On me connaissait comme bon citoyen. Les gens venaient me voir.

– La détention et la greffe sont-elles compatibles ?

– Mon titre de séjour est périmé : je ne peux avancer sur la liste des greffés.

– Vous n’étiez pas au courant de la peine des Gacaca  [8] ?

– J’ai appris que mon dossier était dans les Gacaca sur des dénonciations de ceux qui avaient entendu dire !

L’audience est suspendue. Elle reprendra le lundi 14 mai à 9h30.

Alain GAUTHIER

 

  1. Voir les griefs développés la veille par la défense.
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  2. « Escadrons de la mort » ou « Réseau Zéro » : une « société secrète » militaire dont l’objectif était d’éliminer les opposants politiques, de développer et d’armer des milices au sein de la population civile afin de déstabiliser le régime et faire échec aux accords d’Arusha.
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  3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA)  était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
    Voir le glossaire pour plus de détails.
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  4. Selon l’abbé INCIMATA auditionné le 30 mai, il a été contraint de démissionner suite à un meurtre qu’il a commis. Non seulement il ne sera pas jugé mais il obtiendra même un emploi à Electrogaz.
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  5. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  6. RTLM (Radio-Télévision Libre des Mille Collines), radio privée créée en 1993. Elle répandit une propagande virulente contre les Tutsi, les Hutu modérés, les Belges et la MINUAR. La station est accusée d’avoir créé une atmosphère hostile qui prépara le terrain au génocide et d’avoir diffusé des incitations claires aux meurtres avec des invectives comme « Tuez tous les cafards » (Inyenzi).
    Voir FOCUS : les médias de la haine.
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  7. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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  8. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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