Procès Ngenzi/Barahira. Jeudi 19 mai 2016. J7.

Audition d’Olivier GRIFFOUL, lieutenant de gendarmerie, enquêteur.         

Cette journée d’audience a principalement été consacrée à l’audition de l’OPJ Olivier GRIFFOUL qui rapporte comment se sont déroulées les enquêtes au Rwanda dans le cadre de l’instruction d’Octavien NGENZI et de Tito BARAHIRA.

Monsieur GRIFFOUL expose tout d’abord que la région de l’Est du Rwanda est un peu à part et qu’il y a une certaine frustration de ne pas être prise en compte par le pouvoir central, il parle de « la Creuse du Rwanda ». Il expose que c’est sur cette frustration que le Colonel RWAGAFILITA va alors jouer pour embrigader et influencer la population de la région. Lors de l’enquête il a été révélé que de nombreux massacres avaient été commis sur toute la commune de KABARONDO, mais l’OPJ précise que les enquêtes se sont principalement concentrées sur les massacres liés aux deux accusés. Il explique que le plus compliqué a été de replacer chronologiquement les événements puisque les Rwandais vivent principalement au rythme du soleil et n’ont donc pas une perception bien précise des dates. L’OPJ résume ensuite la chronologie qui a finalement pu être retenue s’agissant des événements survenus sur la commune de KABARONDO : du 6 au 13 avril déclanchement des massacres dans les secteurs de KABARONDO avec notamment l’action de la milice du Simba Batalion et l’arrivée de réfugiés à l’église de KABARONDO ; le 13 avril massacre à l’église de KABARONDO ; dans les jours qui suivent les massacres du centre de santé et de l’IGA ; puis enfin les perquisitions. L’OPJ fait tout de même remarquer que les tensions existaient précédemment dans la commune, particulièrement parce que c’est une région proche de l’Ouganda d’où le FPR menait la guerre. Ainsi de manière générale les jeunes gens d’une vingtaine d’année étaient souvent assimilés à des complices du FPR et il y avait eu des arrestations en ce sens.

Dans ses questions, la Présidente a tenté de savoir plus précisément quels étaient les liens entre Octavien NGENZI et les milices ou les autorités influentes de la préfecture, principalement le Colonel RWAGAFILITA. L’OPJ fait remarquer qu’il ressort clairement de l’enquête que le Colonel RWAGAFILITA avait un lien avec l’accusé, il aurait d’ailleurs financé ses études, mais également appuyé sa nomination en tant que bourgmestre. S’agissant des liens entre Octavien NGENZI et les milices de la région, à de nombreuses reprises des témoins indiquaient avoir vu l’accusé en présence des membres de ces milices, notamment dans un bar de la commune.

La Présidente s’est ensuite penchée sur la localisation des accusés plus précisément lors des faits qui seront étudiés durant le procès. Pour cela des vidéos réalisées par les enquêteurs de la commune de KABARONDO ont été visionnées afin de permettre aux jurés et à la Cour de mieux se rendre compte de la géographie de la commune.

Les questions se tournent enfin sur le déroulement des auditions de témoins. Monsieur GRIFFOUL expose alors qu’en arrivant sur place il prend contact avec des témoins déjà entendus et sélectionnés par la police rwandaise et qui certainement avaient été préparés pour ces auditions. Mais il explique qu’au cours de l’enquête il a également tenté d’interroger des témoins « neufs » qui n’avaient jamais été contactés par les autorités rwandaises. S’agissant des pressions pouvant peser sur les témoins, l’OPJ déclare qu’il n’est pas possible de dire qu’il n’y a aucune pression. Mais cette dernière peut avoir des causes multiples, le gouvernement en place mais aussi le fait que bourreaux et victimes vivent de manière très proche.

L’Avocat Général, Philippe COURROYE, reviendra sur l’influence du Colonel RWAGAFILITA ainsi que sur son idéologie génocidaire et sa participation à l’incitation et enfin sur les liens qu’il pouvait avoir avec Octavien NGENZI. Il abordera également le contrôle que pouvait avoir Octavien NGENZI sur la commune, l’OPJ répondant à cela que l’argument avancé par l’accusé qu’il n’avait plus le contrôle de la commune à cette époque n’est que pure fiction.

La fin de la matinée ainsi que le début de l’après- midi seront consacrés aux questions de la défense qui furent nombreuses, allant parfois jusqu’à remettre en cause le travail effectué par les enquêteurs et leur impartialité. Maitre MATHE revient principalement sur les auditions de témoins, ainsi que l’existence de « témoins professionnels », fait qui a pu être dénoncé par les rapports de nombreuses ONG. A cela l’OPJ répond qu’effectivement c’est un phénomène qui existe au Rwanda, mais qu’ils sont aujourd’hui bien identifiés et écartés des procédures. Il ajoute que lorsque des incohérences apparaissaient dans les témoignages, il faisait remarquer leurs contradictions aux témoins afin que le magistrat puisse avoir connaissance, lors de la lecture des auditions, de ces contradictions. De manière générale Monsieur GRIFFOUL a toujours tenté de rester nuancé dans son propos indiquant bien dans certains cas qu’il s’agissait de sa perception des choses et que ce n’était pas forcément des vérités acquises, nuances parfois complètement occultées par la défense attribuant aux témoins des propos tranchés.

Audition d’Aline KAGOYIRE, rescapée.

L’après- midi s’est poursuivie avec l’audition d’Aline KAGOYIRE, rescapée de la préfecture de BUTARE dans le sud du Rwanda. Avec une grande émotion elle a raconté à la Cour ce qu’elle avait vécu durant le génocide, mais également ce qu’elle avait pu voir de la politique ségrégationniste mise en place avant 1994 et sur l’influence que pouvaient avoir les bourgmestres.

Audition de Gilbert BITTI, juriste de droit pénal international.

Par la suite un éminent juriste de droit pénal international, Gilbert BITTI, est intervenu afin d’expliquer les nuances de définition entre le crime contre l’humanité et celui de génocide. Il expose que dans la cadre de la preuve du plan concerté nécessaire à la qualification du génocide, il n’est pas nécessaire de trouver des preuves documentaires antérieures, mais que ce plan peut se déduire d’une série d’actes. Il expose également le problème que peut poser la preuve testimoniale, principal mode de preuve dans ces affaires. En effet les témoins ont vécu des événements traumatisants et sont entendus plusieurs fois sur des périodes parfois très longues. Par conséquent il ne faut pas s’attacher à la cohérence intrinsèque du témoignage mais à sa cohérence extrinsèque au regard de la situation générale faisant l’objet de l’enquête.

Lors des questions posées par les avocats des parties civiles, Maitre LAVAL, avocat du CPCR, a souhaité demander des précisions à Monsieur BITTI s’agissant de la différence entre le crime de génocide et celui d’entente criminelle commune.

La défense quant à elle s’est concentrée sur des questions portant sur la procédure en vigueur devant les juridictions internationales. Maitre MATHE a par exemple demandé des précisions sur la possibilité de faire des déplacements sur le terrain, mais aussi sur la façon dont sont pris en charge les témoins. C’est un débat qui semble peu pertinent puisqu’il s’agit de procédure de droit anglo-saxon alors que la procédure française est inspirée du droit romano germanique. Mais cela ne signifie pas que les droits de la défense sont moins bien respectés devant les juridictions françaises.

Audition de Jean-Loup DENBLYDEN, militaire belge en 1994, ingénieur au CERN.

Jean-Loup DENBLYDEN, en poste au Rwanda au tout début du génocide, intervient ensuite comme dernier témoin de la journée. Il avait été envoyé à Kigali dans le cadre de l’évacuation des ressortissants étrangers. Il raconte également avec beaucoup d’émotion la récolte des témoignages de rescapés qu’il a dû effectuer. Il fait également état d’appels au secours envoyé durant le génocide, mais est bouleversé lorsqu’il évoque l’impossibilité de venir en aide aux victimes.

Sur la phase précédant le génocide il évoque également l’existence de quotas au sein de l’administration et des écoles.

Enfin s’agissant de la situation actuelle du Rwanda, il ne dépeint pas un tableau tout rose du pays. Mais il évoque une reconstruction intéressante du pays avec des membres du gouvernement qui changent et évoluent. Mais il évoque également le fait que certains rescapés sont toujours menacés par des personnes ayant une idéologie génocidaire.

Projection du documentaire D’Arusha à Arusha

Enfin la journée de se termine pas la diffusion du film D’Arusha à Arusha. Vu l’heure tardive, 21h15, la présidente clôture la journée sans qu’il y ait de questions sur le documentaire.

Il faut signaler que l’audition de Filip REYTJENS a été reportée à une date ultérieure non encore connue du fait d’un problème de fonctionnement du système de visioconférence.

 

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