Procès Ngenzi/Barahira. Mardi 14 juin 2016. J 25.

Audition d’Anaclet RUHUMULIZA, condamné à la perpétuité, en visioconférence.

Le témoin va parler de la journée du 16 avril, jour où NGENZI va chercher des renforts pour enterrer les victimes de l’église et du Centre de Santé de Kabarondo.

Comme les gens de Kabarondo avaient refusé d’enterrer les corps des victimes de l’église, NGENZI s’est rendu dans son secteur pour en ramener des fossoyeurs. Le témoin, qui était commerçant en 1994, avait un véhicule. Le bourgmestre vient donc le réquisitionner, ainsi que ceux de KABASHA et de Daniel MUNYAKAZI. En cours de route, ils se sont arrêtés au CERAI de Cyinzovu pour y prendre des outils : houes, pelles… Arrivés au marché de Kabarondo, le bourgmestre leur a demandé de déposer les personnes qu’ils avaient amenées et de repartir.

La déposition spontanée terminée, la présidente questionne le témoin. RUHUMULIZA avait un bar en face de chez KAJANAGE, très fréquenté, et par la population, et par les autorités qui s’y retrouvaient assez régulièrement, de tout bord politique. Madame MATHIEU veut surtout connaître les liens qui unissaient RWAGAFILITA [1] et le témoin. On disait que le colonel avait aidé ce dernier à acquérir la parcelle sur laquelle le bar avait été construit. RUHUMULIZA possédait aussi 5 véhicules ! Et de préciser que le grand frère du colonel, MUHIRE, avait épousé sa sœur. BARAHIRA faisait partie des clients du bar. Allusion ensuite à un incident qui avait opposé les militants des partis politiques : bagarre, jets de pierres… Quant à savoir si RWAGAFILITA était un extrémiste,  partisan du Hutu Power  [2] ? « S’ils le disent, c’est parce qu’il est décédé » !

Le témoin doit s’expliquer aussi sur l’identité des Abarinda  [3] avec lesquels il aurait participé au génocide. Il s’en défend, prétextant qu’il ne sait ni lire ni écrire. Une nouvelle fois est abordé l’épisode du vol des chèvres [4] et de l’intervention de NGENZI pour calmer les combattants. Il ne connaît cette histoire que par ce que le bourgmestre lui en a dit. Est évoquée ensuite la bagarre qui s’est produite entre les gens de Rubira et ceux de Rundu, bagarre au cours de laquelle sont morts PILOTE, son employé, et Patrice MURIHANO. Le témoin nie sa présence à l’église le 13 avril. Il n’est venu que le 16 pour conduire ceux qui devaient enterrer les corps des victimes. Il ne sait rien non plus sur la réunion du 11, ni sur la distribution des armes. Si les gens se sont mis à tuer, c’est « parce qu’on avait tué leur père, HABYARIMANA ». Le témoin répond aussi à ceux qui l’accusent d’avoir dit qu’il fallait arrêter le massacre des filles tutsi, puis d’avoir dit ensuite de le reprendre : « Les gens mentent et calomnient. Que ce témoin donne des preuves ! ». Des barrières à Kabarondo ? Pas du tout. En réponse à madame la présidente qui lui demande à quelle peine il a été condamné : « J’ai été condamné à la perpétuité « spéciale » pour avoir prêté ma voiture à des gens qui ont tué ». !!!

Monsieur COURROYE, l’avocat général, demande au témoin s’il y avait des Interahamwe [5] à Kabarondo. Pas à sa connaissance. Toto et Bienfaiteurs, deux frères, étaient plutôt des voyous. Et d’ajouter, concernant la distribution de grenades, que c’est son neveu qui les avait données au conseiller de Rubira, Cyprien, qui les aurait données à son tour au bourgmestre qui….

Question reprise aussitôt par maître MATHE, avocate de NGENZI : « Cette histoire de grenades est incompréhensible ! » L’avocate de la défense ne manque pas ensuite d’interroger le témoin pour savoir s’il a perdu des membres de sa famille. « 9 personnes, mes trois enfants, leurs femmes et mes petits-enfants. Ils ont été fusillés après l’arrivée  du FPR. C’est RYAKA qui est responsable de ces exécutions » ! (NDR : Jovithe RYAKA, partie civile, témoignera le lendemain). Maître MATHE a pris l’habitude de poser cette question à chaque témoin, pour bien montrer que le FPR a commis de nombreuses exécutions sommaires. (NDR : cette posture idéologique lui vaudra, le lendemain, une réaction cinglante de Maïtre LAVAL, avocat du CPCR. On y reviendra).

 

Audition de Paul NGIRIBANZI.

Le témoin fait partie des gens de Gasharu qui ont été réquisitionnés par le bourgmestre pour aller enterrer les corps des victimes. Il a donc accompli la triste besogne avec ceux qui l’accompagnaient. Il n’oublie pas de préciser que les blessés avaient été achevés et jetés dans une fosse creusée derrière l’église. Pendant qu’un groupe nettoyait la cour de l’église, un autre groupe faisait le même travail au Centre de Santé, sur les ordres de NGENZI.

Madame la présidente cherche à savoir si les fossoyeurs étaient venus sous la contrainte. « Oui », reconnaît tout simplement le témoin. Ils étaient à peu près 15 par véhicule. Est de nouveau évoquée l’attaque du 8 avril chez TITIRI, le fameux épisode des chèvres [4].  Le témoin précise qu’il a bien entendu NGENZI affirmer qu’il ne fallait pas tuer les chèvres quand leurs propriétaires étaient encore en vie, propos interprétés comme une autorisation de tuer. NDILISHAMANI, le fils délinquant de RUHUMULIZA était bien présent. Même si NGENZI n’a pas forcément donné l’ordre de tuer, tout dans son comportement y incitait. D’ailleurs, « NGENZI était très respecté. Il pouvait arrêter le génocide rien qu’en nous interdisant de tuer. » Selon le témoin, pendant qu’on tuait au Centre de Santé, NGENZI se tenait tout près de la citerne, à quelques mètres de là. Mais les ordres venaient bien de lui.

« Des personnes ont-elles été enterrées vivantes ? » demande un assesseur. « Certaines, oui, mais on  achevait celles qui respiraient encore ». « Même les enfants ? » insiste l’avocat de la FIDH. « Oui » ! Et de poursuivre : « NGENZI avait la compétence de sauver ses administrés. Il n’a essayé de sauver personne. » Le témoin a été condamné à 9 ans de prison par les Gacaca.

L’avocat général fera repréciser au témoin un certain nombre de points : propos de NGENZI considérés comme une incitation à tuer, blessés achevés à la machette ou au gourdin, femmes et enfants compris… Il fallait cacher les corps avant l’arrivée du FPR… Passivité de NGENZI qui n’a rien fait pour sauver qui que ce soit… Le témoin peut jurer qu’on ne lui a pas demandé de « charger » le bourgmestre ? Affirmatif.

C’est le tour de maître MATHE de questionner le témoin. Toujours les chèvres de TITIRI et les propos de NGENZI, situation de la fosse commune… Et de terminer : « Où avez-vous vu NGENZI assister à des massacres sans rien dire ? Est-il passé à côté d’un cadavre sans rien dire ? » Réponse embarrassée du témoin…

Alain GAUTHIER

 

Audition de François NZIGIYIMANA.

Le témoin déclare que NGENZI est venu sur le secteur de Rubira , son secteur d’origine, avec 4 véhicules, pour récupérer des hommes pour qu’ils aillent enterrer les corps des victimes de l’attaque de l’église. Selon lui, NGENZI voulait enterrer les corps pour ne pas que les Inkotanyi [6] les trouvent en arrivant. En route pour Kabarondo, les véhicules s’arrêtent pour récupérer des pelles et des houes dans un local du CERAI.

Arrivé à Kabarondo, le bourgmestre aurait séparé les gens en deux, un groupe étant chargé de l’enterrement des corps de l’église, un autre de ceux du centre de santé. Le témoin fait partie du second groupe et ajoute qu’un policier communal les accompagnait. Il déclare qu’arrivés au centre de santé ils trouvent des corps, ainsi que des personnes blessées lors de l’attaque de l’église. Le témoin déclare que parmi le groupe, certains enterraient les corps, tandis que d’autres tuaient les rescapés. L’avocat général insistera sur le fait que les rescapés devaient certainement hurler lorsque les Interahamwe les achevaient au centre de santé et que par conséquent le policier communal Manassé, qui était resté au niveau de la cour intérieure, entendait ces hurlements sans s’interposer. Le témoin confirme que malgré les hurlements qu’il entendait forcément, le policier communal ne s’est pas opposé à ces exécutions.

De manière générale, sur la diffusion du message de haine par la radio à cette époque, le témoin expose que la radio reprenait la position des autorités nationales et que sur Kabarondo, il n’a pas perçu d’opposition des autorités face à ce message.

Les questions de la défense sont d’abord axées sur les membres du groupe des Interahamwe qui étaient allés au centre de santé et leur implication dans les exécutions. Me MATHE demande enfin au témoin s’il a perdu de la famille. Ce dernier répond par l’affirmative, sur la commune de Kayonza: il explique qu’ils ont été tués, battus à mort lors des attaques menées par les membres du FPR.

Audition d’Oscar KAJANAGE, partie civile, rescapé.

C’est un témoin d’une particulière importance puisque c’est un ami d’enfance de NGENZI. Il explique qu’à la fin des années 50, qui était une période de fort ségrégationnisme, le père de NGENZI a tué son père, mais que cela ne l’a pas empêché d’avoir de très bons contacts avec NGENZI. Cependant, il précise que NGENZI a hérité de son père ces idées ségrégationnistes. Il fait également état de ses bonnes relations avec le Colonel RWAGAFILITA [1] et donne pour preuve le fait que lorsqu’il a été nommé bourgmestre, ils sont allés fêter cela chez le Colonel pour le remercier d’avoir aidé à sa nomination. Cependant leurs relations se dégradent en 1990 lors de l’attaque du FPR. En effet, NGENZI serait venu lui demander de ne plus passer chez lui et de se rendre seulement à la commune s’il avait besoin de lui parler. Le témoin précise également qu’à partir de ce moment sa femme qui était secrétaire à la commune, n’avait plus accès aux documents confidentiels. Si un tel cas se présentait, on faisait venir la femme de NGENZI qui travaillait en tant que greffière au tribunal.

S’agissant de la période du génocide, le témoin expose qu’après le 7 avril, il voit NGENZI faire des va et vient dans les secteurs de la commune ramenant des personnes qui fuyaient à l’église de Kabarondo. Cependant il expose que jamais il n’a vu NGENZI procéder à des arrestations des attaquants. Il l’accuse même d’avoir formé et dirigé le groupe d’Interahamwe appelé Abarinda  [3]  qui venait de son secteur d’origine. En date du 10 avril, le témoin apprend la mort de sa famille. Il va alors demander à NGENZI d’aller les faire enterrer, il lui fournit alors des nattes et de l’argent pour payer de la bière aux personnes qui enterreraient les corps, comme le veut la coutume. Lorsque NGENZI revient il fera alors part au témoin du fait que ses proches étaient déjà enterrés lorsqu’il est arrivé, mais NGENZI précise qu’il ne faut pas que le témoin lui demande comment ils ont été enterrés. Sous-entendu que les membres de la famille du témoin n’avaient pas été enterrés décemment.

Le témoin raconte ensuite la journée du 13 avril et les différentes attaques de l’église, d’abord par les Interahamwe puis par les militaires. Il expose que c’est bien NGENZI qui a ramené certains Interahamwe, notamment le groupe du Simba Bataliani [7], et qui a arrêté le bus des militaires pour leur demander de massacrer les réfugiés de l’église. Le témoin raconte que cette attaque a duré jusqu’à 16h où ils ont finalement réussi à ouvrir les portes de l’église et à en faire sortir les rescapés pour les achever. Il dit que toutes ces attaques ont été supervisées par NGENZI qui se trouvait debout sur la route asphaltée. Le témoin réussit alors à se cacher dans une des salles de l’église. Lorsque les Interahamwe l’y trouvent avec d’autres personnes, il arrive à s’en sortir en leur donnant de l’argent. Il partira alors jusqu’à Cyinzovu et restera caché dans un buisson jusqu’au 16 avril.

Le témoin relate également le massacre du centre de santé et les perquisitions faites dans la commune de Kabarondo. De manière générale, sur le comportement de NGENZI le témoin déclare : « Il n’était pas caractérisé par la compassion, par le sens de l’amitié, mais par la volonté d’exterminer les Tutsi ».

Lorsqu’arrivent les questions de la défense, Me MATHE commence par un commentaire en affirmant qu’elle n’avait pas l’intention de poser de question à ce témoin considérant qu’il ne disait pas la vérité. Finalement elle lui posera tout de même de nombreuses questions ; d’abord axées sur les différents partis politiques de Kabarondo et leurs activités, puis sur sa participation aux Gacaca et enfin sur les contradictions qui pouvaient apparaître dans ses différentes auditions faites lors de la procédure. Cependant, le témoin arrive relativement bien à se souvenir de ce qu’il a vu personnellement et de ce qu’il a entendu au cours des Gacaca.

Audition d’Etienne GAKWAYA

Il s’agit de l’ancien conseiller de secteur de Rundu. Il expose qu’avant le génocide il a observé un changement de comportement chez NGENZI.

Pendant le génocide, il expose qu’il avait réussi à tenir le secteur de RUNDU hors des massacres, mais que le 9 une attaque est arrivée de Rubira et que NGENZI est intervenu pour qu’elle cesse. Le lendemain, des personnes de RUBIRA sont donc venues le chercher et l’ont lunché, l’accusant d’être en faveur des Tutsi. Il précise que c’est le groupe Abarinda [3], dirigé par RUHUMULIZA Anaclet, qui l’a attaqué et qu’à la suite de cela, il a été remplacé en tant que conseiller de secteur. Il expose qu’il a raconté ces faits à NGENZI qui n’a rien fait.

Selon le témoin, NGENZI aurait pu au moins tenté de s’opposer aux massacres ou bien fuir comme d’autres, mais il est resté.

Me MATHE, pour la défense, abordera le jour de l’attaque entre les deux secteurs, Rubira et Rundu, insistant sur le fait que ce jour-là NGENZI a bien séparé les attaquants et calmé la population. La défense lui posera également des questions sur sa fuite et sur les raisons pour lesquelles il a été emprisonné par le FPR après le génocide alors qu’il avait protégé des Tutsi. Il exposera alors qu’effectivement il a été emprisonné 4 ans, sans savoir pourquoi et que finalement il a été libéré parce qu’il n’y avait pas de dossier sur lui.

L’audience est suspendue à … 23h15!

Laura GUILABERT

 

  1. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  2. Terme qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Dans secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel « des gens qui savent chasser » pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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  4. Des voleurs s’étaient emparés des vaches et des chèvres d’un certain TITIRI. Selon plusieurs témoins, NGENZI aurait dit « Vous mangez les chèvres alors que leur propriétaire est encore en vie?”, incitant ainsi les massacres qui ont suivi. NGENZI assure que « ce sont des inventions », cependant les témoignages rapportant ces propos se multiplient au fil des audiences.
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  5. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  6. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« .
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  7. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, déjà cité par plusieurs témoins pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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