Procès Simbikangwa: 20 février 2014

Audition de Venanse Munyakazi.

Monsieur Munyakazi  était fonctionnaire d’Etat en poste à l’imprimerie nationale au Rwanda dans les années 90.

Monsieur Munyakazi commence par évoquer les circonstances de ses rencontres avec Pascal Simbikangwa. Ce dernier venait à l’imprimerie nationale pour voir où en était l’impression des journaux qu’il finançait ou auxquels il participait. Le témoin évoque les nombreuses venues du prévenu, parfois avec Hassan Ngeze. Simbikangwa faisait pression pour retarder la sortie d’un journal afin d’y insérer un nouvel article; il s’assurait aussi parfois qu’un journal d’opposition soit empêché de paraître. « On avait peur de lui », ajoute-t-il.

Dans un deuxième temps, le témoin évoque un appel de Simbikangwa qui lui demande de se présenter au bureau du SCR (Service Central de Renseignements). A la question de savoir pourquoi monsieur Munyakazi ne lui donnait pas d’informations sur les journaux qui le critiquaient, lui et le pouvoir: « Si tu ne le fais pas, tu auras de sérieuses conséquences » menace Simbikangwa. Son chef lui demandera de ne pas tenir compte de cet avertissement.

Dans un troisième temps, le témoin va raconter à la cour une distribution d’armes que Simbikangwa aurait faite dans le quartier populaire de Nyamirambo à Kigali. Suite à l’exécution de voisins tutsi, se sentant menacé, monsieur Munyakazi a décidé de quitter le Rwanda pour Bukavu, au Zaïre, dès le 13 avril.

Le témoin aura ensuite à répondre à de nombreuses questions concernant l’entraînement des miliciens Interahamwe, la distribution des armes…

Prenant la parole en dernier, Pascal Simbikangwa va reprendre les thèmes qu’il développe depuis trois semaines:

– « Les témoins qui viennent de Kigali sont endoctrinés, ils jouent la comédie, se battent contre l’innocence. »

– « Je n’ai jamais eu aucune relation avec Kangura. »

– « Cet homme (le témoin), c’est la première fois que je le vois (asséné trois fois avec fermeté). Il a une façon bien rodée de reproduire ce qu’on lui a mis dans la tête pour me diaboliser. »

 

Audition de Michel Kagiraneza, aujourd’hui plombier à l’usine de thé de Rubaya.

Au début du génocide, monsieur Kagiraneza a 22 ans et se trouve en congés chez son parrain, le directeur de l’usine de thé de Rubaya. Il commence son audition par évoquer un souvenir précis. Alors qu’il se trouvait chez son parrain, il se souvient avoir vu arriver Pascal Simbikangwa. Il rapporte alors la conversation qu’il a entendue: Simbikangwa et son hôte parlent de la nécessité d’attaquer la colline de Kesho où se sont réfugiés près de 1500 Tutsi qui ont jusques-là résisté aux attaques des miliciens. Cette mise à mort sera mise en place le lendemain (à noter que Pascal Simbikangwa n’est pas jugé pour cet épisode, ce que nous avons regretté, sa participation n’ayant pas pu être prouvée vu les témoignages contradictoires). L’avocat du CPCR, Simon Foreman, ne se privera pas, d’ailleurs, de faire remarquer à Simbikanga qu’il a la chance d’avoir échappé à cette accusation.

Après sa déposition spontanée, le témoin va faire l’objet d’un tir nourri de questions. Le président et l’avocat général ne se privent pas de le mettre en face de ses déclarations contradictoires. Sans qu’on comprenne tout de suite pourquoi, il dit tout et son contraire, nie sa présence à Kabaya, lors du discours de Léon Mugesera, puis reconnaît qu’il y était, souligne celle de Simbikangwa puis l’infirme aussitôt. Tout le monde se demande pourquoi et comment un tel témoin a pu être cité! Ni la défense, ni les parties civiles ne semblent y trouver leur compte. « Vous n’êtes pas crédible, monsieur Kagiraneza », assène maître Epstein, pour la défense. Le témoin panique, reconnaît ses témoignages contradictoires. On comprendra finalement assez vite que le témoin, habitant près de l’école de Kibihekane, au coeur du fief Habyarimana, Zigiranyirazo et consorts a peur des représailles dont il risque de faire l’objet quand il retournera chez lui. Se pose clairement la question de la préparation des témoins et du risque qui existe de les mettre en danger. On est loin des thèses de Simbikangwa sur les témoins manipulés par le FPR! Quoique! Le témoin, malgré ses 42 ans, paraît jeune. Simbikangwa ne lui donne pas plus de 22 ans! Ce qui lui permet de dire que, le témoin ayant deux ans en 1994, c’est un enfant qu’on a formaté pour venir témoigner contre lui! Heureusement que le ridicule ne tue pas!

 

Suite donnée aux demandes de la défense de prendre connaissance d’un certain nombre de documents.

Le président ayant fait droit à la défense de lire des articles de Stefen Smith (qui ne peut venir à la barre), maître Epstein va nous infliger de longues minutes d’une lecture fastidieuse. L’avocat général a pris soin de qualifier  les écrits du journaliste de « sulfureux ». Il parle aussi d’une réaction « déloyale » de la défense de vouloir faire une telle lecture.. Et effectivement, pendant de longues, trop longues minutes, nous allons subir les écrits tendancieux d’un journaliste anti-FPR qui puise son inspiration chez  Péan, Guichaoua, Claudine Vidal et autres Ruzibiza. Ce dernier a été l’informateur du juge Bruguière dont les conclusions de l’ordonnance ont été plus que mises à mal par l’enquête du juge Trévidic. Il est aujourd’hui reconnu que Ruzibiza a écrit un tissu de mensonges pour plaire au juge et obtenir les papiers qu’on lui avait promis.

La tactique de la défense va provoquer la colère justifiée de maître Simon Foreman: » La défense veut toujours entraîner les témoins sur leurs liens avec le FPR! » Ca suffit. Simon Foreman finira par reconnaître, malicieusement, que cette lecture de plus d’une demi-heure nous aura toutefois évité de passer une demi-journée avec Stefen Smith. A toute chose malheur est bon. L’avocat général, s’adressant aux jurés, leur rappelle qu’ils auront à juger un homme, Pascal Simbikangwa, pour son rôle personnel dans le génocide des Tutsi, événement incontestable.

La défense va alors nous infliger une seconde punition: la lecture des dépositions de Pascal Simbikangwa lors de sa garde à vue à Mayotte. Là encore, irritation de l’accusation et des parties civiles. Quel est l’intérêt d’une telle lecture?  Pascal Simbikangwa, comme à son habitude, va vouloir prendre la parole pour dire une nouvelle fois qu’il a passé la majeure partie de son temps dans son fief de Gisenyi pendant les trois mois du génocide et qu’il n’est revenu à Kigali qu’une fois pour ravitailler la cinquantaine (sic) de Tutsi qu’il hébergeait dans sa maison de Kiyovu. Il sera indispensable, dans les jours qui viennent, de revenir avec précision sur son emploi du temps. On risque d’y retrouver un certain nombre d’incohérences.

Mais la journée n’est pas finie. Il reste à lire un dernier document: l’acte d’accusation envoyé par le Rwanda en mars 2008 à l’appui de la demande d’extradition, extradition qui sera rejetée par les magistrats français, comme ils le feront pour une quinzaine d’affaires: exception française! L’avocat général va rappeler aux jurés la chronologie des faits dans cette affaire Simbikangwa avant que maître Epstein ne nous inflige cette dernière lecture. Demande lui est faite de ne lire que des « morceaux choisis ». Bien évidemment, pour troubler les jurés, l’avocat de la défense ne lira que des parties de l’acte d’accusation qui n’ont pas été retenues par l’ordonnance de mise en accusation des juges d’instruction, l’OMA. Manipulation? La question peut se poser légitimement.

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