Procès Simbikangwa: 7 mars 2014 (1)

Audition des Parties civiles, synthèse par Claire Bruggiamosca

Cette matinée dont nous connaissons tous l’importance commence par la décision du président d’accepter la requête de l’avocat général de poser la question subsidiaire : si la Cour décide que PS n’est pas coupable en tant que complice des faits qui lui sont reprochés, elle pourra le faire subsidiairement en tant qu’auteur.

 

La matinée est consacrée à l’audition des parties civiles.

Les présidents de la FIDH et de la LDH n’étant pas présents, 4 personnes vont être aujourd’hui entendues à la barre:

-le président de l’association Survie, TARRIT Fabrice

-le président de l’association LICRA, JAKUBOWICZ Alain

-le président de l’association CPCR, Alain Gauthier

-et Dafroza Gauthier, en tant que témoin et membre du CPCR.

 

Le président de Survie ouvre la voie. Il débute en présentant son association, qui lutte contre la Françafrique et le néocolonialisme mais aussi combat la banalisation et la négation du génocide des Tutsi rwandais. Monsieur TARRIT nous rappelle que l’ancien président de Survie, Jean Carbonare, avait alerté la communauté internationale mais surtout la France au journal télévisé de Bruno Masure sur Antenne 2 qui alerta dès le 24 janvier 1993 du risque de génocide au Rwanda, un an avant sa commission. Il rappelle le rôle des parties civiles à ce procès, qu’il qualifie comme un « combat citoyen avant tout », et qu’ « il n’y a pas de complot, comme on a pu l’entendre au cours de ce procès ». Il évoque également le choc qu’il a ressenti lorsqu’il est question de la négation de PS à avoir vu des corps : « on sème le doute sur la réalité des corps qui jonchaient les rues de Kigali. D’entendre quelqu’un le nier, cela m’a choqué. » Il réfute toute idée d’un génocide purement ethnique et nous rappelle toute la dimension économique, politique de ce génocide.

 Arrive le tour du président de la LICRA, Maître JAKUBOWICZ Alain. Après nous avoir rappelé l’histoire de la création de l’association LICRA, il explique que la place de la LICRA à ce procès est « une place naturelle », puisque son utilité sociale est de combattre le négationnisme et d’être au côté de toutes les formes de racisme.

Maître JAKUBOWICZ, qui représentait le Consistoire israélite de France aux procès Barbie, Touvier et Papon, cite l’un de ses confrères, Maître André Frossart qui avait donné une définition du crime contre l’humanité : « le crime contre l’humanité, c’est le crime d’être né ». Il nous interpelle sur l’universalité du crime contre l’humanité et indique aux jurés que « le  génocide des Tutsi, ce n’est pas l’affaire des Tutsi, c’est l’affaire de tous. » Il les alerte également sur les risques du négationnisme en citant Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, qui avait indiqué au cours de son audition au procès Barbie que « le tueur tue deux fois. La première fois en tuant et la seconde fois en essayant d’effacer les traces de son meurtre (…). La seconde ne serait plus de sa faute mais de la nôtre ».  Enfin, il rappelle aux jurés : « vous écrivez l’histoire au cours de ce procès (…) votre décision sera rendue au nom du peuple français. »

 Alain Gauthier se déplace à la barre.

A. Gauthier semble très ému, ses mains et sa voix tremblent. Le poids de toutes ces années de lutte se fait sentir, et c’est comme si, à ce moment précis, il nous le transmettait. Après avoir passé plus de 5 semaines en silence malgré les innombrables calomnies proférées par PS à son encontre, A. Gauthier a cette fois ci la parole.

Il commence par présenter l’association, et indique que « sans la plainte que le CPCR a déposée en 2009, et c’est peut-être le seul point sur lequel je suis d’accord avec lui (PS), ce procès n’aurait pas eu lieu. » Très humblement, il s’excuse auprès des jurés de les « avoir entraînés dans cette aventure» et leur rappelle qu’ils vont « exercer une responsabilité très importante en tant que juré. Ce sera sans doute la décision la plus importante de votre vie. »

 Sur le déroulement du procès, A. Gauthier souligne très justement le caractère théâtral de ce procès d’assises :

« C’est la 1ère fois que je participe à un procès. Des faits m’ont étonné (…) ; le prévenu a souvent utilisé le terme de comédien, j’ai eu l’impression qu’on était un petit peu au théâtre parfois. (…) J’ai également été choqué par des propos indignes: la question posée à Maître Gillet, « et vous aussi vous avez une petite amie ? » En sous-entendant une petite amie tutsi. (…) J’évoque également le sourire incessant alors qu’on évoquait des témoignages difficiles à entendre. (…) Autant de techniques qui ne permettaient pas de faire avancer les débats. »

 A. Gauthier reprend les différences culturelles auxquelles les jurés ont été confrontés durant le procès : la traduction des témoignages, la mémoires des témoins, la méfiance des témoins à l’égard des enquêteurs, la lassitude des témoins … Ces points ont été repris dans un article publié sur le site (voir Quelques mises au point.Posté le 27/02/2014 par Alain Gauthier)

 A. Gauthier nous retrace également son propre parcours, se mêlant avec l’Histoire du Rwanda. Il évoque l’avant génocide. Son premier voyage au Rwanda, sa rencontre avec Dafroza, les deux lettres envoyées au Président de la République de l’époque, François Miterrand, une première fois pour tirer une sonnette d’alarme, en octobre 1990, et la seconde pour lui indiquer qu’un génocide se prépare au Rwanda, en mars 1994.

La période du génocide. L’annonce de la mort de la mère de Dafroza à sa femme, les appels lancés depuis le Rwanda, l’inertie en France. L’après génocide avec ces phrases lourdes de sens : « Un choc au moment du retour : un vide; la vie ne sera plus la même. Parce que la marque d’un génocide ce n’est pas la furie, c’est le silence des nôtres. »

 Il relate ensuite la naissance du CPCR et indique aux jurés que pendant de nombreuses années, « Nous (le CPCR) nous sommes substitués à la Justice, et je sais que beaucoup de gens nous le reprochent. ». Il rappelle également les mots d’ordre de l’association : « la justice, pas la vengeance. » Il rend un hommage à ses avocats, mais surtout, à leurs enfants, qui ont été remplis de patience depuis 20 ans, puisque « pas un jour ne s’est passé depuis 20 ans sans que nous parlions du génocide à la maison ». Il répond indirectement à PS qui a allégué durant tout le procès que l’association avait des  moyens colossaux, et rappelle que la CPCR est la plus petite des associations présentes au procès.

 Puis, en tant que président et représentant des parties civiles, il devient le porte- parole des victimes. Il signale aux jurés une date importante pour le couple : l’ouverture de la fosse commune de  la paroisse où la mère de Dafroza a été assassinée. Une sépulture digne y a été organisée. Il mentionne que même si dans ce procès les morts sont anonymes, « pour nous, les victimes ont des noms. ».

A. Gauthier décrit la position de PS tout au long du procès : « Pendant tout ce procès, je l’ai souvent regardé, j’ai rêvé qu’un jour, il finirait pas baisser la garde. » Puis, évoquant un goût partagé avec PS pour la littérature, Monsieur Gauthier cite un poème de Victor Hugo, La conscience, qui reprend le mythe de Caïn et Abel, métaphore explicite du génocide des Tutsi rwandais. Caïn, après avoir tué son frère Abel, fuit l’oeil de sa conscience. Il cite les cinq derniers vers du poème, à l’adresse du prévenu:

 » On fit donc une fosse et Caïn dit: « C’est bien! »

Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.

Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre

Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,

L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn. »

Enfin, il finit par s’adresser directement à PS : « Une chance a été donnée à l’accusé de réintégrer la communauté des hommes, en acceptant de regarder en face sa responsabilité : je ne suis pas sûr que vous ayez été capable de la saisir. »

 

Dès les premiers mots de Dafroza Gauthier, une très grande émotion est palpable et la salle devient silencieuse.

Un seul mot pour décrire Dafroza Gauthier : la dignité.

Je ne peux retranscrire les mots qu’elle a prononcés. Je n’ai pris aucune note durant son intervention.

 

Comme le disait son mari durant son intervention, les victimes ont des noms, et l’une des victimes de ce génocide porte le nom de Dafroza Gauthier.

Elle nous retrace sa vie, entremêlée de sanglots lorsqu’elle aborde les moments douloureux qui la jonchaient : sa petite enfance au Rwanda, sa fuite précipitée, sa rencontre avec Alain Gauthier, leur vie ordinaire qu’ils menaient en France : « métro, boulot, dodo » comme elle l’indique à la Cour, la naissance de leurs enfants, et puis le génocide.

Elle a perdu une grande partie des membres de sa famille, dont sa mère, et comme pour leur donner la place qui leur est due dans ce procès, elle cite leurs noms.

Elle remercie également ses avocats et ses enfants.

Elle regarde PS et dit qu’elle partage cette Histoire avec lui sans haine et ni vengeance. Elle lui indique également que les victimes n’ont plus peur et ne vont plus se taire.

Enfin, elle cite et remercie l’association Ibuka, qui a été tellement injuriée par PS durant le procès, en traduisant sa signification en français : « Souviens-toi. »

Ce fut la grande intervention d’une femme qui, malgré l’horreur d’un génocide, a su garder la tête haute.

 

Pour reprendre Maître Alain JAKUBOWICZ, je ne parle pas en tant que juriste, ni en tant que membre du CPCR, mais en tant que citoyenne française : le couple Gauthier est exemplaire pour sa simplicité, sa ténacité, sa dignité et son courage.  Sans eux, ce procès n’aurait pas eu lieu : donc merci.

 

Claire Bruggiamosca

 

 

 

 

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