Audition du colonel Robardey: 11 février 2014

Procès de Pascal Simbikangwa, jour 7, un témoin pour la défense

Deuxième semaine du procès de l’ancien officier rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité au palais de justice de Paris. Le premier rwandais jugé en France pour ces faits risque la perpétuité.

« En mission »
Avec assurance et détermination, arrive à la barre le colonel à la retraite Micel Robardey, en poste au Rwanda de septembre 1990 à septembre 1993.
Crâne rasé, front haut et posture altière, le colonel entame son témoignage paradoxalement en s’excusant presque d’être venu : « je ne voulais pas, je n’ai jamais rencontré Pascal Simbikangwa« .
Mais la rectitude de l’ancien gendarme a pris le dessus, c’est « le devoir » qui confesse-t-il l’a obligé à venir, pour éclairer la cour des observations qu’il a faites sur le terrain. « C’est plutôt le dossier qui vous a rattrapé » commente l’avocat général Me Bruno Sturlese.
Le colonel vient donc témoigner à la demande de la défense, en faveur de l’accusé.
« J’étais en mission  pour assister en police judiciaire le Rwanda sous uniforme rwandais » confirme-t-il conformément à l’accord d’assistance militaire avec la France. « Conseiller technique à l’Etat major » lui fera repréciser le président.
Tout de suite, il constate une désorganisation des services. Il déplore d’abord  deux systèmes : la criminologie et la gendarmerie qui doivent rendre compte au Procureur de la République et le service central de renseignement. Celui-ci était « tout puissant » : il pouvait arrêter, interroger et emprisonner qui il souhaitait et ne rendait compte qu’à la présidence.
C’est là qu’il rencontre le nom de Pascal Simbikangwa : « on entendait partout la rumeur du capitaine à roulettes (l’accusé est dans un fauteuil roulant depuis un accident en 1986)  qui soi-disant torturait les opposants ».
Des rumeurs
« Immédiatement« , le colonel diligente 3 enquêtes : sur les rumeurs autour de Pascal Simbikangwa, sur les attentats présumés, et sur les massacres attribués aux Tutsi Front Patriotique Rwandais (FPR).
Contre toute attente assure-t-il, « on accepte mes enquêtes et j’ai  l’indépendance et tous les moyens nécessaires pour travailler au Rwanda en toute liberté ».
Ses conclusions sont limpides : toutes les accusations sur Pascal Simbikangwa sont un montage politique du FPR, lequel est responsable de tous les attentats au Rwanda et des massacres des élites Hutu.
C’est, parfois au mot près, exactement la ligne de défense de l’accusé depuis une semaine.  L’accusé sourit même lorsque le colonel ajoute  « j’observe que Pascal Simbikangwa n’a pas torturé en 1992« . Les avocats de l’accusé ne cachent pas leur satisfaction quand le colonel lance « les parties civiles mentent« .
Michel Robardey, lui, droit dans ses bottes, n’a rien à se reprocher. Il confesse malgré tout avoir eu du mal à « redresser des types tordus, déformés », mais, finalement, il n’a souvent travaillé  qu' »avec des types remarquables » et n’a nommé  que « des types remarquables ».

« Effet d’annonce publicitaire »
Le président donne alors la parole aux parties civiles.

Me Simon Foreman demande à Michel Robardey un peu plus de précision sur ses enquêtes, et notamment sur celle autour de l’accusé.  Le colonel répond, intraitable : « sur la base d’un seul interrogatoire d’un homme qui l’accusait, et qui a menti. On ne ment pas une fois : ou vous mentez ou vous ne mentez pas ».
Me Foreman décide de prendre au mot Michel Robardey et lui rappelle qu’il a envoyé une note en février 1993 à François Mitterrand, au pape Jean-Paul II et à plusieurs chancelleries et officines d’états européens intitulée « Dénonciation du génocide fait par le FPR ».
« Oui, c’était un effet d’annonce publicitaire ». L’emploi du mot génocide pour le colonel est à géométrie variable : « cela dépend de la définition qu’on donne à ce mot qui est différente selon les pays, j’imagine que le TPIR n’ a pas la même que la Cour… ».
Michel Robardey se justifie : « ils massacraient les villageois en rafale../.. pour moi l’expression ‘khmers noir’ me paraissait totalement justifiée. »
Pourtant, jusqu’à la la veille encore, les historiens et journalistes ont devant la cour rappelé qu’il n’y a bien eu qu’un seul génocide au Rwanda, celui des Tutsi et Hutu modérés, et que quiconque avance la thèse d’un double génocide est coupable de révisionnisme et de négationnisme.
Mais, le colonel le rappelle « Nous sommes en guerre« . Il y a bien eu certes « quelques Tutsi molestés« , et des militaires français aux barrières filtrantes en 1993 (« seulement une semaine« )…
Et les massacres de Tutsi au Bugesera en 1992, préfiguration du génocide ? Michel Robardey a enquêté auprès de jeunes responsables Hutu « enivrés et drogués au chanvre indien » qui avaient en main ce que « tout Rwandais avait dans sa cave » (l’habitat rwandais d’alors n’a très majoritairement pourtant pas de cave) : « des casses-têtes et des machettes et des gourdins« . Ce n’était, selon le colonel, qu’une réponse spontanée aux attentats.

« la question qui tue »

Me Bruno Sturlese, l’avocat général rappelle que les accusations  du ministère public ne sauraient être fondées sur des rumeurs et demande au témoin plus de clarté : « Quand vous parlez de génocide, vous parlez bien du génocide des Tutsi ? »
Michel Robardey s’esclaffe :  « c’est la question qui tue ! » Rumeurs de désapprobation de l’assistance, puis poursuit :
« Y-a-t-il eu un génocide, deux génocides, est-ce qu’on doit dire génocide rwandais… ?« 
Ce qu’il veut dire haut et clair en revanche c’est « qu’il y a eu un génocide, dès que la France est partie. »
Ni l’avocat général ni les avocats des parties civiles ne souhaiteront continuer à interroger le colonel qui quitte la salle le regard droit. Michel Robardey, faut-il le rappeler, fut avec d’autres militaires français accusé en 2008 par Kigali d’avoir participé au génocide.
Un peu plus tôt dans l’après-midi, le journaliste suisse Jean-Philippe Ceppi, présent à Kigali en avril 1994, avait quant à lui rappelé les scènes dont il avait été témoin, et qui l’avaient conduites à immédiatement dénoncer un « génocide » perpétré sur des Tutsi et Hutu modérés.
Par Guillaume Brunero

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