C’est face à l’inertie et aux refus répétés du ministère des Armées que les requérants avaient été contraints de porter l’affaire devant la justice administrative. Ce refus d’ouverture, malgré les conclusions du rapport Duclert en 2021 sur les « responsabilités lourdes et accablantes »[2] de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda, est symptomatique d’un usage abusif du secret défense. Ce dernier entrave l’émergence d’un débat public, pourtant reconnu d’utilité générale par le Conseil d’État le 12 juin 2020.
Ces documents sensibles, inaccessibles aux juges, n’ont pas été consultés par la commission Duclert, laissant dans l’ombre des éléments déterminants pour établir toute la vérité. En effet, des demandes d’accès visaient des archives relatives à l’attentat du 6 avril 1994 et au commandement de l’opération Turquoise. Cette opération pseudo-humanitaire, mandatée par l’ONU pour « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force« , a abandonné, malgré les alertes, 2000 Tutsis aux génocidaires sur les collines de Bisesero, entre les 27 et 30 juin 1994. La justice française a jusqu’à présent refusé d’instruire les plaintes sur cette inaction, bloquant toute tentative de remonter la chaîne de la prise de décision[3].
À l’audience, en présence de nombreux soutiens – l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, le collectif Secret défense, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), Histoire coloniale et postcoloniale – Marc Bouchage et François Graner ont rappelé les arguments essentiels que la rapporteure publique avait soit écartés à tort, soit complètement omis. Le Ministère des Armées a repris son argumentaire en quelques mots, estimant que la commission Duclert a déjà effectué un tri sur les archives pertinentes et prétendant qu’il y aurait déjà « un consensus historique« . Le tribunal fera connaître sa décision mi-juillet 2025. Malheureusement, dans la quasi-totalité des cas, il suit les recommandations de la rapporteure publique. Cela laisserait présager d’un refus.
Marc Bouchage a justement rappelé que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule que : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Au-delà d’une simple bataille juridique, ce nouveau refus d’accès aux archives constituerait une atteinte à la liberté d’informer, une entrave au travail journalistique, et un déni de démocratie. Cela interroge profondément le respect des principes démocratiques, sur le droit d’accès aux documents publics concernant des événements d’intérêt majeur pour notre mémoire collective.
Alors que l’exécutif prétend promouvoir un travail de mémoire, il accorde aux rapports officiels une valeur de vérité définitive, tout en bloquant l’accès aux sources. Cela revient à empêcher la critique et à verrouiller l’histoire. Cette politique empêche également toute traduction juridique des responsabilités évoquées et toute réparation pour les victimes. À l’heure où l’État français est mis en cause devant la justice administrative pour sa complicité dans le génocide des Tutsis, le devoir de vérité et de transparence est un impératif démocratique, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’un des pires crimes reconnus par le droit national et international.
La reconnaissance des crimes passés est également l’une des conditions premières pour prévenir la répétition de tels crimes : le « pays des droits de l’Homme » est aujourd’hui visé par une protestation populaire grandissante[4] et par des révélations médiatiques qui attestent de son soutien à l’Etat d’Israël malgré le fait que ce dernier soit en train de commettre un génocide à l’encontre des Palestiniennes[5]. Les autorités françaises continuent de protéger des zones d’ombre sur son rôle dans l’un des derniers génocides du XXe siècle. L’association Survie dénonce cette opacité persistante, l’utilisation abusive du secret défense et appelle les autorités françaises à cesser de protéger des zones d’ombre qui entravent la vérité et la justice.
- Camille Lesaffre, chargée de campagne pour Survie, <camille.lesaffre@survie.org> , +33 6 52 21 15 61
Le CPCR se tient aux côtés de SURVIE et de Marc BOUCHAGE et soutient leurs demandes légitimes.
- https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/la-france-et-le-genocide-des-tutsis/article/genocide-des-tutsis-l-etat-francais-bloque-une-nouvelle-fois-l-acces-a-des[↑]
- https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/la-france-et-le-genocide-des-tutsis/article/le-rapport-duclert-pour-quoi-faire[↑]
- https://survie.org/billets-d-afrique/2025/349-ete-2025/article/bisesero-eviter-un-deni-de-justice[↑]
- https://contre-attaque.net/2025/06/21/plus-de-4000-personnes-en-manifestation-et-en-actions-contre-le-salon-du-bourget-le-commerce-de-la-mort-et-en-soutien-a-la-palestine/[↑]
- https://disclose.ngo/fr/article/la-france-sapprete-a-livrer-des-equipements-pour-mitrailleuses-vers-israel[↑]