Procès en appel de Sosthène MUNYEMANA: mardi 14 octobre 2025. J 20

Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.



Le président Abassi – Dessin Félix Cuirot

Le président ouvre l’audience en validant les demandes de versements de nouvelles pièces aux débats : pour la défense, un rapport d’Amnesty International portant sur les lois rwandaises relatives au « sectarisme » ; pour les parties civiles, une lecture complémentaire proposée par Me BERNARDINI. Il invite ensuite les parties à se prononcer sur le mode d’organisation de l’interrogatoire de l’accusé, en proposant deux options : un déroulé ou un séquençage par thèmes. L’avocat général et la défense se déclarent favorables à la première formule, que la cour décide d’adopter.

Avant d’entamer la journée d’interrogatoire, le président revient sur l’expertise psychologique de Mme Paule DAHAN-SANANES, entendue la veille, puis donne la parole à l’accusé. Celui-ci se déclare « très choqué », affirmant que « les conclusions de l’experte ne correspondent pas à la réalité ». Il critique sa méthode de travail : « Pour chaque image, après mes premières réponses, elle insistait pour que je développe davantage. » Il lui reproche également de n’avoir tenu compte ni de son deuil (il venait de perdre sa mère), ni du contexte culturel rwandais. Il estime qu’elle a « manqué d’empathie » et qu’elle a réduit ses parents à des « monstres » et lui-même à un « enfant maltraité ».

Concernant l’expertise psychiatrique du Dr Dominique DANDELOT, l’accusé revient sur l’épisode relatif à une « consommation massive d’alcool » qu’il juge mal interprété : « Pendant le génocide, lorsque j’allais au café près de chez moi, je veillais à ce que mon verre reste plein. Cela ne signifiait pas que je buvais beaucoup, mais que je voulais éviter qu’on me resserve. » Interrogé par le président, il précise : « Ne pas boire d’alcool pouvait faire croire qu’on était un espion du FPR ; c’était perçu comme un comportement suspect. »

À propos des violences subies durant son enfance, il affirme n’avoir jamais employé le mot « bastonnade », parlant plutôt de « fessée », et précise que son frère ne l’a jamais battu.

Le président évoque ensuite la contre-expertise réalisée par Mme Michèle VITRY-POINSO, très différente de la première, et lui demande si ses déclarations étaient similaires à celles faites devant Mme DAHAN-SANANES, mais sans détailler la nature des corrections : « Je n’ai pas donné plus de détails », répond l’accusé, qui conteste également la notion de « clivage ».

L’avocat général interroge l’accusé sur l’éventuelle influence du décès de sa mère sur ses réponses. « Non », répond-il. Il critique sa méthode de travail. L’avocat général lui demande pourquoi il n’a pas interrompu l’entretien ou exercé son droit au silence : « Je ne m’y attendais pas. Et j’avais des choses à dire », explique-t-il, avant d’ajouter : « J’ai répondu spontanément. Quand elle me poussait, je cherchais autre chose à dire. Je n’ai pas compris qu’elle cherchait à montrer un clivage. »


Parole à  l’accusé

L’avocat général exprime ses doutes quant à la réalité des amitiés de l’accusé : « À l’audience, on les cherche encore. » L’accusé mentionne la présence, la semaine précédente, de M. Joseph MATATA dans la salle, ainsi que celle de l’épouse de M. Dismas NSENGIYAREMYE, ancien Premier ministre du Rwanda. Sur question de la défense, il cite également Beata UWAMARIYA, une femme tutsi qu’il a aidée à accoucher pendant le génocide, ainsi que l’infirmière Josepha. La défense souligne la difficulté pour les témoins de venir déposer en faveur de l’accusé : « Les gens ont peur et ne veulent pas s’exposer. »

(NDR. Monsieur Joseph MATATA, qui était effectivement présent aux côtés de madame MUNYEMANA, est un personnage connu en Belgique, et même en France. C’est lui qui, à chaque procès, dénonçait ce qu’il appelait « les syndicats de délateurs » à propos des rescapés qui venaient témoigner.)

 


Début de l’interrogatoire de l’accusé.

  • Sa situation personnelle

Le président débute le premier volet de l’interrogatoire, consacré à la situation personnelle de l’accusé. Il lui demande si le fait d’avoir été l’un des rares gynécologues du Rwanda lui conférait une position particulière : « Oui, nous étions cinq dans le pays », répond-il. Cette rareté le rendait-elle « visible » aux yeux des autorités ? « Sans doute. Je suivais notamment l’épouse de certaines d’entre elles, dont Joséphine, femme de Jean-Baptiste HABYARIMANA ». Était-il connu du président HABYARIMANA ? « Je connaissais Protais ZIGIRANYIRAZO, préfet de Ruhengeri et beau-frère du président. Il devait donc savoir plus ou moins qui j’étais. » L’accusé se décrit comme une personnalité connue à l’échelle locale.

(NDR. Concernant Monsieur Protais ZIGIRANYIRAZO, frère d’Agathe KANZIGA, épouse du président HABYARIMANA, il a récemment défrayé l’actualité, le maire d’Orléans ayant refusé qu’il soit inhumé dans le cimetière de la ville. Il aurait finalement été incinéré dans un lieu secret en présence de quatre ou cinq membres de sa famille.)

Le président évoque ensuite l’achat de sa maison à Tumba, en novembre 1991. L’accusé explique l’avoir financée par un prêt et y avoir logé des locataires. À la question de savoir s’il était un homme riche, il répond : « J’avais une maison et des locataires. J’étais riche comparé à la moyenne des Rwandais, mais je n’avais ni voiture ni économies à la banque. » Il indique avoir hérité d’une parcelle familiale et acheté une autre à côté de Musambira, où il projetait de construire une maison. Concernant la vente de sa maison en 2009, il précise avoir été condamné par les juridictions gacaca à indemniser deux jeunes à hauteur de « 2000 à 3000 € chacun ». Le bien a été vendu « 11 000 € ». Les indemnités, qualifiées de « rançon », ont été versées et le solde réparti entre ses enfants. Il affirme rester propriétaire des deux parcelles : la première, laissée à ses neveux, et la seconde, « récupérée » par des réfugiés après le génocide.

Interrogé sur ses déplacements à Butare, il déclare ne pas conduire : « Une camionnette venait nous chercher pour le travail. On l’appelait Apartheid car elle ne transportait que des médecins. » Il explique qu’il évitait d’emprunter une voiture, craignant de l’abîmer, un bien jugé trop précieux au Rwanda.

Concernant ses activités professionnelles pendant le génocide, il indique qu’il n’était plus secrétaire de la faculté de médecine et qu’il avait refusé un poste de direction. L’université étant fermée durant les vacances de Pâques, il travaillait à l’hôpital : « On était deux en consultation, quatre au total dans le service. » Avait-il des patientes tutsi ? « Oui, de toutes les ethnies. Il n’est pas si simple de distinguer Hutu et Tutsi. »

Le président revient sur le cas de Beata UWAMARIYA. L’accusé mentionne aussi une autre patiente, sans se souvenir si elle était hutu ou tutsi. Concernant Beata, il se rappelle qu’elle a été hospitalisée entre le 14 et le 16 avril, et qu’elle a accouché après le 21, peut-être le 28.

A-t-elle été menacée ? « Elle m’a dit que, le soir, des militaires et des Interahamwe fouillaient les chambres. Je l’ai donc fait sortir pour qu’elle rentre chez elle. »  Il nie avoir jamais tenu de propos anti-tutsi.

L’accusé décrit un hôpital déserté à partir de 16 heures, sans lien selon lui entre la hiérarchie et les miliciens : « J’ai même chassé des jeunes miliciens qui rôdaient dans le service de maternité. » Interrogé sur les patientes livrées à elles-mêmes, il reconnaît ne pas en avoir informé sa hiérarchie : « Je n’avais rien à proposer. Tout le monde marchait la tête baissée. » Sur le sort de ses patientes, il ajoute : « Je ne les connaissais pas personnellement. Celles que je connaissais n’ont pas été tuées pendant le génocide. »

Le président s’attarde sur les congés de l’accusé, du 21 mars au 9 mai 1994. Celui-ci affirme être revenu deux fois à l’hôpital : la première pour accoucher Beata, la seconde pour assister une autre femme. Dans le premier cas, le mari de Beata, qui travaillait à la Croix-Rouge, avait envoyé son chauffeur ; dans le second, le mari de la patiente avait emprunté un véhicule communal. Il précise qu’il franchissait les barrages sans difficulté, en présentant sa carte d’identité : « Deux ou trois jeunes me connaissaient », dit-il.

Le président s’interroge sur la période suivant son retour de congé, en mai 1994, jusqu’au 1ᵉʳ juin, peu documentée par les enquêteurs. « Comment reprenait-on le travail alors que, dehors, il y avait le génocide? », demande-t-il. L’accusé : « C’était très difficile. On avait peur. On parlait peu, comme si les mots nous manquaient. » Avait-il encore des patientes tutsi à cette période? « J’ai dû en avoir. Pour elles, venir à l’hôpital était très difficile. »

Enfin, le président lui demande pourquoi il n’a pas profité de ses congés pour fuir le pays et rejoindre son épouse, alors en France : « Ce n’était pas possible. Je n’avais pas de véhicule, j’avais trois enfants et nulle part où aller. Avant le 6 avril et le début des tueries, je n’avais aucune raison de fuir. »

Interrogé sur son statut social, il admet avoir été un notable, tout en précisant : « Je ne m’en rendais pas compte. Je n’y ai jamais pensé. »

L’audience est suspendue à 12h42 et reprend l’après-midi à partir de 14h. Voici les abréviations utilisées pour les dialogues qui suivent :

P = Président
M = Sosthène Munyemana
A = Juge assesseur
PC = Avocat des parties civiles
PR = Procureur de la République (avocat général).
D = Avocat de la défense

 

  • L’engagement politique

P : Aviez-vous une adhésion au MDR ?
M : le président a accepté la relance du multipartisme dont celui du MDR. Je retournais d’Europe donc j’étais content en ayant l’expérience du multipartisme ici. Quand le MDR est né et qu’en plus il se rénovait pour enlever l’ambiguïté ethnique et sociale, alors il me paraissait être un bon parti car il condamnait l’ethnisme et promettait de mettre fin à la marque de l’ethnie sur la carte d’identité. Le MDR se prononçait clairement pour des négociations ouvertes avec les réfugiés et donc cela faisait pour moi un bon parti. En 1992, j’ai pris la carte du MDR dont j’avais assisté à des meetings. Si je vais dans son évolution à la relance du multipartisme, les nouveaux partis se sont prononcés pour le MRND. Ils se sont coalisés pour affronter le MRND. C’est ce gouvernement qui a mené des négociations de paix avec le FPR avec le premier ministre, le ministre des affaires étrangères était Boniface NGULINZIRA.

En juin 1993, les politiciens ont commencé à avoir des appétits en prévision des élections. Les présidents des partis qui étaient ensemble dans la coalition ont commencé à se liguer contre le MRND. Ils comprenaient qu’il était devenu trop visible et qu’il pourrait gagner une élection donc ils ont voulu l’éliminer. Au MDR, il y avait un congrès, un bureau politique composé des responsables des préfectures et dont dix présidents qui se retrouvaient à Kigali et un bureau politique. Les 10 représentants de chaque préfecture s’étaient réunis et avaient désigné Dismas NSENGIYAREMYE comme futur représentant d’une coalition. Dans une compétition pour le futur, le président du parti a voulu se représenter. Faustin TWAGIRAMUNGU a fait une alliance avec le MRND et HABYARIMANA, alors que jusque-là ils avaient combattu le MRND. Il parvient à évincer Dismas NSENGIYAREMYE et réussit à se faire nommer dans le gouvernement de coalition. Dans les 6 mois qui restaient, il fait designer Agathe UWILINGIYIMANA à la place de Dismas qui venait d’être destitué. Cela a mis du désordre au sein du MDR mais il y a eu une convocation d’un congrès extraordinaire qui a duré deux jours et donc Agathe participe à ce congrès en tant que représentante de BUTARE et Faustin TWAGIRAMUNGU est exclu. Agathe est démissionnée de son poste de premier ministre au cours de ce congrès et Dismas retire sa candidature. C’est à ce moment-là que KAMBANDA est nommé premier ministre.

Après le congrès, Dismas a été tellement menacé qu’il s’est exilé en France vers fin juillet – début août 1994. Jean KAMBANDA s’est aussi senti menacé par les membres du MRND et il est venu séjourner chez moi pendant une semaine à Tumba.

P : Il y avait trois courants en 1993 où il y avait d’abord le courant de Frodouald KARAMIRA, il y avait ensuite le courant de Faustin TWAGIRAMUNGU qui était proche du FPR et il y avait ensuite un troisième courant qui était modéré avec Dismas. Il y avait la volonté ensuite d’être nommé premier ministre. Au sein du MDR, il y avait ce congrès où il a fallu savoir ce qu’on faisait de Faustin qui était proche d’être nommé à la place de Dismas. Le bureau politique n’était pas sur le choix de Faustin et donc ce dernier est expulsé du parti. À la suite de l’assassinat du président burundais, il y a une mouvance Power qui va apparaitre. On assiste en plus à une nouvelle scission entre Agathe et Jean KAMBANDA avec la première qui veut être première ministre à la place de ce dernier.

M : La scission a eu lieu plutôt avec Agathe qui avait dit qu’elle ne se présenterait pas mais finalement s’est présenté comme première ministre.
P : Sur ces problématiques du MDR vous avez dit que vous êtes en accord avec Dismas ?
M : Oui, je le confirme
P : Quelle est la position de Dismas ?
M : Côté MRND, on s’appuyait beaucoup sur l’armée et on la disait pro-MRND. Dismas restait au milieu avec son parti sans force armée soutenant le MRND en disant que sa force est la population et donc il voulait rester dans une ligne de démilitarisation.
P : Etiez-vous à ce congrès en juillet 1993 ?
M : Non, je n’étais qu’un simple membre du parti.
P : Il y a une lettre du 7 septembre 1993 postérieure au congrès après l’exclusion de Faustin que vous avez signée. Avez-vous participé à son élaboration, son envoi et vous souvenez-vous de l’avoir signée ?
M : Je n’ai pas participé à son élaboration mais je l’ai signée car j’étais d’accord avec son contenu. Nous faisions des réflexions sur comment le parti devrait être amélioré. Jusqu’à présent, on adressait nos réflexions au bureau politique. Avec la cassure qu’il y a eu au MDR, c’est la première lettre que nous avons envoyée. Pour nous, HABYARIMANA était en quelque sorte responsable de ce qui s’était passé au MDR car au départ ils avaient fait avec Agathe tout le désordre dans le MDR ensemble.
P : Il y a quand même un paradoxe, on sent que c’est une problématique nationale prise en compte par le parti politique à travers ses organes. Comment expliquer alors que vous vous présentez comme un simple militant mais que vous pouvez vous adresser directement au président de la République avec des mots forts ?
M : C’est pour ça que je dis que nous étions tous dans cette liste des membres militants et aucun n’agissait en tant que représentant local ou national. On l’a envoyée au président car on l’identifiait comme l’origine du problème et il ne nous a jamais répondu car il s’est peut être dit que ça ne vient pas du parti.
P : Vous envoyez une lettre directement au président pour l’apostropher sur des points nationaux s’agissant de la gouvernance du pays ? Ce n’est pas le parti politique qui écrit!
M : C’est pour ça que nous parlons beaucoup de démocratie car comment mettre la démocratie dans le parti alors qu’il ne peut pas l’appliquer dans son parti.
P : Quelle légitimité vous avez à écrire à un président de la République ?
M : Nous avons fait comme un citoyen qui écrirait au président. Je n’ai pas pensé à la force des termes de la lettre à l’époque.
P : Parlez-nous du Cercle d’intellectuels du MDR résidant à BUTARE.
M : Le cercle de réflexion du MDR était un groupe informel né directement après la relance du multipartisme. Il était composé de professeurs d’hôpital et de gens des environs de Butare Ville. Nous l’avons créé pour susciter des idées et nous avions un bureau dont le président est malheureusement décédé fin 1993. J’étais deuxième vice président à l’époque. À la mort d’Ignace SENTAMA, je suis devenu le seul vice président et les autres postes n’ont pas changé. Il y a une date clé qui est celle du 14 avril. Ce jour-là nous apprenons que la MINUAR arrivée en décembre allait être retirée en plein massacres et c’est à cela que nous avons réagi quand nous l’avons appris. Nous avons eu l’idée d’envoyer une lettre à l’ONU pour montrer la situation du Rwanda et de montrer combien le risque est grand si on retire les Casques Bleus. Ce que vous avez, c’est la transcription lue sur Radio Rwanda
P: C’est une transcription, vous avez raison.
M: (Ce cercle), c’était des intellectuels, des médecins – il y a un autre groupe, dont le Dr RWAMUCYO, complètement différent du nôtre-. Ce cercle avait pour but d’apporter des avis au bureau politique du MDR.

Le président lit le texte de la « motion du 16 avril du Cercle d’intellectuel du MDR résidant à BUTARE ».

P: Quand vous faites cette motion, que savez-vous du gouvernement intérimaire ?
M : Nous connaissions surtout les engagements pris dans notre courrier pour reprendre une coalition avec le FPR et un autre objectif de combattre la famine. Les deux premiers objectifs nous paraissaient primordiaux si le gouvernement le respectait.
P : Vous aviez la radio à la maison?
M : Oui
P : Vous captiez la RTLM ou Radio Rwanda ?
M : Par principe quand la RTLM a été lancée je n’ai jamais capté ou voulu capter la RTLM car il y avait un grave problème d’extrémisme Nord / Sud et donc je n’ai jamais cherché à la capter.
P : Si on entend vos proches, vous écoutiez la radio régulièrement.
M : Oui
P : C’était quotidien ?
M : Oui
P : Est ce que entre le 6 et le 7 avril vous étiez informé qu’il y avait des massacres dans le pays ?
M : Oui je le savais mais ce n’était pas encore arrivé à BUTARE
P : Vous saviez que Agathe a été assassinée ?
M : Oui on en parlait dans le courrier
P : Faites-vous un moment le lien entre le démarrage et la perpétration de massacres dans le pays avec le gouvernement intérimaire ? Vous ne vous demandez pas pourquoi il n’essaye pas de les arrêter ?
M : Le gouvernement disait qu’il s’efforçait de les arrêter.
P : Où avez-vous entendu cette information?
M : Je parle des objectifs que le gouvernement s’était fixé et le fait que le MRND est le seul à n’avoir perdu aucun membre. Nous restions dans la perspective de dire que nous restions dans l’opposition.
P : Il y a une différence fondamentale entre dire que c’est des nouvelles têtes, ils ne vont pas faire comme le MRND et avoir les informations sur leurs objectifs, quelles sont vos sources ?
M : Sincèrement, nous partions seulement de l’énoncé de l’objectif où le gouvernement s’est donné comme objectif d’arrêter les massacres pendant ses six semaines de durée de vie.
P : Je répète encore une fois ma question: d’où sortiez vous cette info ? De la radio ou un communiqué ?
M : Les trois objectifs que j’ai cités ont été précisés à la radio.
P : Je n’ai pas vu cet élément dans le dossier. Si quelqu’un l’a vu, n’hésitez pas pour enrichir les échanges. Soutenez-vous le gouvernement intérimaire jusqu’au 16 avril ?
M : À ce moment-là j’ai arrêté et notamment vers le 19 avril.
P : Lorsqu’un gouvernement dit que l’un de ses objectifs est de faire cesser les massacres mais qu’ils continuent même sept jours après, dans un pays comme le Rwanda extrêmement structuré avec cette idée du respect de l’autorité, comment ne vous étiez vous pas dit que je peux cautionner un gouvernement alors que vous avez pu constater que manifestement sur le terrain les massacres continuaient
M : Nous avions comme information que ceux qui s’adonnaient aux massacres c’était surtout la garde présidentielle et il y avait des patrouilles mixtes qui étaient proposées pour neutraliser la garde présidentielle devenue incontrôlable et donc la volonté ne venait pas seulement du gouvernement pour la neutraliser.
P : Vous saviez que les Tutsis étaient tués le 16 avril?
M : Oui je savais qu’ils étaient en grand risque d’être tués.
P : Pourquoi cela n’apparait pas dans la motion en connaissant ces tueries de Tutsi pour les faire cesser?
M : Ce que nous demandons est d’arrêter les tueries de Hutu et de Tutsi sans les citer pour que tout le monde en profite. Ce qui est embêtant, c’est que citer les Tutsi dans un document comme ça cela aurait pu avoir comme effet pervers que ceux qui tuent comprennent que l’on désigne les Tutsi. C’est ce que je me suis dit à posteriori mais nous n’en avons pas discuté.
P : La référence à la MINUAR est plutôt à la fin du document et est assez résiduelle par rapport au reste des points évoqués, ce qui parait paradoxal avec le fait que l’objet du document aurait été selon vous d’évoquer la MINUAR.
M : Je comprends. Nous avons commencé à évoquer le contexte. Nous étions quatre pour rédiger cette lettre et c’était un compromis. Donc je n’ai pas eu la maîtrise de toute la lettre même si je suis d’accord avec l’ensemble.
P : Concernant les remerciements à l’armée rwandaise dans la lettre, pourquoi adressez-vous vos remerciements aux FAR par rapport avec votre adéquation à la ligne de Dismas qui est plutôt démilitarisée ?
M : Ce n’est pas pareil. Après l’attentat, BAGOSORA a voulu réaliser un coup d’état mais les FAR s’y sont opposées et donc le fait que les FAR mettent en place ce gouvernement était mieux qu’un coup d’état de BAGOSORA qui nous paraissait horrible.
P : Ce document a- t-il été envoyé ? Et si oui à qui ?
M : Nous avons identifié les destinataires et comme il y avait le secrétaire, c’est lui qui s’est chargé de l’envoi. La lecture de ce document à la radio n’était pas du tout prévue.
P : Vous n’avez pas la preuve qu’il a été envoyé?
M : Je n’ai pas revu le secrétaire Balthazar. Je suppose qu’il l’a envoyé mais je n’ai pas retrouvé de copie.
P : Sur cette motion, nous avons entendu une témoin madame GLIKORIC COULIBALY qui avait trouvé que selon elle certains éléments étaient favorables aux génocidaires car en feignant de faire appel à la MINUAR cela montrerait une intention coupable. Vous êtes d’accord ?
M : Cela me surprend car nous parlions du chef militaire de la MINUAR (NDR. Roméo DALLAIRE) qui avait des tendances partisanes et donc nous demandions aux Nations Unies d’améliorer la MINUAR. Nous demandions que l’on renvoie sa façon de travailler.
P : Il y avait quand même un élément critique.
M : Oui, nous critiquions le dirigeant de la MINUAR pour son esprit partisan
D : Nous voulons nous permettre une observation. Deux autres témoins ont fait une analyse de cette lettre et une vision totalement opposée à celle de madame COULIBALY.
PC : Je voudrais compléter en disant qu’il y a trois témoins sur la question.
P : Vous avez déclaré que le document a été envoyé et adressé à l’ONU et aux ambassades en avril 1994. Vous le confirmez ?
M : Oui, je partais du fait que le secrétaire l’aurait envoyé car nous lui avons donné la liste des destinataires mais je ne l’ai pas vu l’envoyer.
A : Je voulais savoir quel était votre intention d’envoi ?
M : Je voulais l’envoyer aux Nations Unies et aux pays qui avaient accompagné les négociations d’Arusha ainsi que la Tanzanie et les pays voisins qui ont aide le Rwanda comme le Burundi.
A : Ont-elles atteint leur destination ?
M : Je pars du principe que le secrétaire les a envoyées. De mon côté, en France, j’ai essayé d’écrire un peu partout en France pour voir si il a été envoyé.
A : L’instruction l’a t’elle déterminé ?
M : Ils ne m’ont rien dit.
A : Qui a pris l’initiative de le lire à la Radio ?
M : À BUTARE le 19 avril étaient venues les autorités nationales et peut-être un membre des autorités nationales l’a amené à la radio et a demandé à ce que la lettre soit lue.
A : Si on suit votre raisonnement, votre intention était de l’envoyer à l’ONU et aux autres pays mais ce n’était pas votre intention de l’envoyer au gouvernement ? Je ne comprends pas bien le chemin de ces destinataires jusqu’aux mains du gouvernement.
M : La coïncidence de la date du 19 m’amène à me demander si quelqu’un au gouvernement de Butare a pu avoir notre lettre en main et l’amener pour lecture.
A : Je comprends que vous n’avez pas de réponse à cette question.
P : Concernant la branche MDR-Power, on a entendu des témoins comme Monsieur GASHUGI qui a dit qu’on vous voyait le poing en l’air dans les meetings et qu’il y avait marqué MDR Power sur votre bras ou encore que vous étiez habillé avec les couleurs du MDR, en noir et rouge.  Et d’autres témoins en parlent.
M : Je n’ai jamais eu ça sur mon bras, il a inventé et il s’est lui même trompé dans sa déposition disant m’avoir vu le faire en 1993 alors que cela n’existait pas. Toutefois, c’est possible qu’il m’ait vu en rouge et noir.
P : Etait-il possible pour un parti d’évoluer en dehors de l’influence Power ?
M : Oui c’était possible car chaque individu pouvait rester tel quel ou bien basculer, c’était du cas par cas.
P : (…)
M : Je n’ai jamais participé à un meeting du MDR-Power, je n’ai pas participé à un meeting après la cassure du MDR.
P : Lorsque vous êtes arrivé à TUMBA, vous êtes-vous présenté auprès du préfet du bourgmestre et du responsable du secteur ?
M : Je connaissais le préfet HABYARIMANA Jean-Baptiste. Sa femme était ma patiente et faisait partie de mon groupe de femmes auxquelles je faisais faire un sport ?
P ; Vous étiez au courant qu’il était Tutsi ?
M : Oui
P : Quelle était sa réputation ?
M : Il était très respecté.
P : C’est lui qui a fait la réputation apaisée de BUTARE ?
M : Les gens étaient paisibles à BUTARE. HABYARIMANA était apaisant.
P : KANYABASHI ?
M : C’était quelqu’un de correct. Je le connaissais comme administratif,  j’ai eu l’occasion de venir le voir pour certains documents.
P : Son épouse était de quelle ethnie?
M : Son épouse, je ne la connaissais pas
P : Monsieur BWANAKEYE, le conseiller de secteur de TUMBA ? Le bureau de secteur est son bureau
M : Je ne sais pas si il était divorcé ou si il avait perdu plusieurs femmes. Il avait plusieurs enfants et une femme enceinte en 1994.
P : Et MAMBO ?
M : Je ne l’ai pas vu tout de suite quand je suis arrivé. Je me suis présenté directement à BWANAKEYE mais je n’ai pas eu l’occasion de voir Mambo en tant que responsable de cellule jusqu’au 17 avril et c’est là que j’ai appris que c’était mon responsable de cellule.
P : Vous ne le connaissez donc pas avant le 17 avril ?
M : Non, et je suis sûr que ma femme qui est la à l’audience qui était déjà partie à ce moment-là ne la connait pas non plus.

  • La destitution du  préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA

P : Quand avez-vous été informé que le préfet HABYARIMANA était destitué ?
M : Je l’ai apprise le 19 avril avec la présentation du nouveau préfet mais par contre je savais qu’il y avait une menace contre lui car le gouvernement avait menacé de destituer le préfet de Butare et de Kibungo.
P : Quand vous évoquiez cette menace de destitution des deux préfets, vous ne vous êtes pas demandé pourquoi le gouvernement va destituer un préfet qui est apprécié ?
M : Je n’avais pas pensé que cela irait jusqu’à la destitution car je sais que les responsables politiques font souvent des menaces sans lendemain.
P : La décision du Conseil des ministres du 17 avril, êtes-vous d’accord pour dire que le préfet HABYARIMANA devait le savoir et ne l’apprend pas le 19 avril ?
M : Non, je pense qu’il l’a su rapidement.
P : Au vu de la rapidité des informations qui circulent, l’avez-vous su avant le 19 avril par des échos au regard de vos rapports avec le préfet et au vu de votre statut de notable de Tumba ?
M : On ne conversait pas, il n’avait pas mon téléphone et je n’avais pas le sien, on était pas à ce stade-là. C’est possible qu’il y a eu une télédiffusion le 17 avril. Après la mise en place des barrières, j’ai directement participé à la ronde et donc je ne l’ai su que le 19.
P : Comment l’information d’un préfet limogé le 17 avril ne vous parvient que le 19 ? Cela parait difficile à comprendre au vu du contexte et notamment de l’importance de la décision.
M : Il n’y a pas eu de bruit sur ça. Surtout que le lendemain, le 18, il vaquait à ses activités comme d’habitude. C’est quand le 19 avril on a entendu le discours de SINDIKUBWABO. Je croyais qu’il avait été destitué ce jour-là et j’ai appris plus tard qu’il a été destitué le 17.
(…)
M : Le jour où j’apprends que le préfet est destitué, j’apprends que le commandant de la gendarmerie est muté vers le front.
P : Vous apprenez donc ces deux nouvelles le même jour.  Quel signal cela envoie ?
M : C’était la catastrophe et on le savait tout de suite.
P : Entre le 17 et le 19 avril avez-vous revu le préfet HABYARIMANA dont on dit qu’il a été tué mais dont le corps n’a jamais été retrouvé ? Vous êtes vous inquiété de son sort même le 19 ?
M : Non, je vous dis sincèrement qu’on ne communiquait pas de cette manière-là, je n’avais pas son numéro de téléphone et je ne l’ai pas joint.
P : On peut s’interroger sur le fait que vous n’en savez pas plus au vu des propos positifs que vous tenez sur lui.
M : On était des connaissances mais on n’était pas encore des amis qui se fréquentent.
P : Ce n’est pas tant l’amitié que des conditions dans un contexte trouble, dans ce contexte vous auriez pu avoir peur que sa famille et lui aient été tués
M : Vous savez, il y a une famille venue de Kigali qui fuyait vers le Burundi et qui s’est arrêtée dans un couvent religieux à Butare. J’ai appelé pour avoir de leurs nouvelles mais les soeurs m’ont dit qu’il ne sont pas ici. Dans cette période, tout le monde se méfiait de tout le monde.

Réunion du 19 avril à Butare

P : Arrivent à BUTARE les plus hautes autorités du pays dont le président de la République et le Premier ministre. Etiez-vous présent lors de cette réunion ?
M : Je n’y étais pas. Je n’en avais pas qualité car les personnes invitées étaient des chef de service.
P : Quand avez-vous su que le Président a tenu ce discours ?
M : J’ai du entendre des extraits de ce discours à la radio le 20, j’ai des souvenirs d’avoir entendu seulement des extraits de ce discours.

Le président lit une partie du discours du président SINDIKUBWABO.

P : Quand vous entendez ce passage du discours, comment vous l’interprétez?
M : C’est un discours extrémiste et d’appel aux tueries, c’est clair. C’est pour ça que nous étions éloignés du MRND car il y avait à chaque fois ce genre d’incitation aux tueries.
P : En avez-vous tiré une conclusion pour le président ou le gouvernement intérimaire?
M : C’est là que j’ai compris qu’il devenait incontrôlable et qu’il y avait des tueries dirigées contre les Tutsi.
P : Avez-vous eu des bribes du discours de Jean KAMBANDA?
M : J’ai dû en entendre quelques extraits mais je n’ai pas eu autant d’écho de celui de SINDIKUBWABO.
P : Vous avez entendu l’autre discours de KAMBANDA?
M : Oui, il y a eu un autre éditorial dont je ne connais pas la teneur mais il semble qu’il était plutôt modéré.
P : Avez vous été informé du discours de KANYABASHI?
M : J’avais su qu’il avait pris la parole mais je n’ai pas entendu son discours.

Le président lit le discours de KANYABASHI le 19 avril.

P : Que pensez vous de ces mots ?
M : Il fait allégeance au gouvernement, c’est sûr.
P : Est-ce que les choses sont claires sur l’allégeance de Monsieur KANYABASHI à SINDIKUBWABO?
M : Ça dépend si on a eu le contenu du discours, je n’ai pas eu le contenu de ce discours.
P : Pour vous, quelle est l’orientation de ce 19 avril ?
M : Cela ne présageait rien de bon, c’est clair, je sentais qu’il y avait un changement.
P : Peut on dire que c’est le point de départ du génocide à BUTARE ?
M : Oui
P : Quand prenez-vous conscience de ce départ ?
M : Je me suis dis cela à partir du discours de SINDIKUBWABO.
P : À ce moment-là, ne vous dites-vous pas que vous allez partir ?
M : Je suis avec trois enfants en bas âge sans véhicule ni moyen de déplacement et sans invitation. Je me demandais où aller, et par exemple, la France ne m’accueillerait pas comme ça. Je n’y ai même pas pensé car il y avait trop de choses à résoudre et donc je n’aurais pas pu partir.

 

  • Les relations avec toutes les personnalités

P : Connaissiez-vous Theodore SINDIKUBWABO ?
M : Je l’ai eu comme enseignant de pédiatrie. Je ne l’ai pas revu bien qu’il habitât Tumba. Je le connaissais mais il me connaissait pas.
P : Il n’était pas de votre parti ?
M : Non.
P : Comment avez vous connu KAMBANDA ?
M : On le connait parmi nos épouses car les deux étaient amies et dans la même classe. Cela date des années 78, 79 ou 80. Il est venu chez moi au moins trois fois et je suis allé chez lui une fois.
P : Vous le considérez comme un ami ?
M : Oui
P : L’avez-vous rencontré quand il a été nommé Premier ministre.
M : Le 14 mai et la veille, le 13, le vice-directeur de l’université invite à une réunion du Premier ministre le lendemain. Une personne vient nous chercher pour y aller. Il y a beaucoup de noms dans cet auditorium. Je me rappelle dans ce discours de beaucoup de mention du FPR. Il utilisait des termes qui ne venaient pas du MDR en parlant d’Inyenzi.
P : Vous savez, à cette réunion, que chacun maîtrise une arme. Le 14 mai, l’ennemi n’est-il pas simplement les Tutsi ?
M : C’est clair.
P : Ne pensez-vous pas qu’à ce moment-là tout le monde a compris que l’ennemi est Tutsi ?
M:
P : On peut analyser ces propos comme une incitation à tuer les Tutsi ?
M : Oui.

Rencontre avec Jean KAMBANDA.

P : Monsieur Jean KAMBANDA. est il venu vous voir pendant le génocide et que vous a t’il dit ?
M : Il était venu car il a appris que j’avais fui de chez moi.
P : Quand il vient vous voir le 19 juin, avait il un véhicule officiel ?
M : Il avait une jeep avec des militaires et un autre jeep avec des gardes. J’ai écris une lettre en partant à Jean KAMBANDA en croyant que j’allais mourir où je lui demandais de protéger mes enfants.
P : Le 14 mai, vous entendez plusieurs choses qui a minima vous bousculent, voire vous inquiètent. Avez-vous tenté de le contacter pour comprendre ?
M : Il était a GITARAMA et moi à BUTARE, je ne voulais pas lui parler  comme ça par téléphone et donc je n’ai pas pu lui parler.
P : Même le 19 juin ?
M : Même le 19 juin.
P : Vous avez considéré que ce serait un ami qui pourrait s’occuper de vos enfants ?
M : J’ai fait la différence entre ce qu’il a fait en politique et notre amitié. Je ne pensais qu’à mes enfants, mes enfants.

P : Qui était Straton?

M : Il était médecin, biochimiste. Il travaillait au laboratoire universitaire. On a fait connaissance avec lui et il est parti en Belgique faire ses études. Ma femme s’occupait de leur fille pendant que la femme de Straton préparait ses examens. On se voyait dans des fêtes une fois ou l’autre mais on ne se voyait pas souvent. On était quand même amis car on pouvait s’entraider et il m’a aidé à traverser les barrières.
P : Straton faisait parti du gouvernement intérimaire.  De quel parti politique était-il ?
M : Il était du MRND.
P : Comment a t-il pu finir ministre de l’agriculture alors qu’il était biochimiste ?
M : Je ne savais pas non plus. Quand je l’ai appelé, je lui ai dit que j’hésitais entre le féliciter ou lui donner mes condoléances car ce n’est pas une voie que j’aurais souhaitée pour un ami.
P : L’avez-vous entendu tenir des propos extrémistes ?
M : Non, mais il faisait parti des manifestants qui manifestaient contre la CDR accusée d’avoir tué Félicien GATABAZI.
P : Pouvait-on être ministre dans le gouvernement intérimaire sans valider ou participer au génocide ?
M : je pense qu’on pouvait y aller en disant : « Allez, on va rectifier tout ça ». Je prends l’exemple des accords d’Arusha,  cela s’est passé comme ça.

P : Quel était votre relation avec KANYABASHI ?
M : Juste de manière administrative.
P : Pensez-vous qu’il avait une marge de manœuvre ?
M : Je pensais qu’il en avait une comme il accueillait les gens mais à posteriori je me suis dis qu’il avait pas tant de marge de manœuvre que ça. Tout aurait été possible si il avait eu des personnes autour de lui pour l’aider.
P : Qu’est-il advenu de ceux qui étaient en opposition avec HABYARIMANA et la gendarmerie ?
M : Ils allaient se faire tuer.

P : Vous vous voyez avec BWANAKEYE ?
M : On se connaissait comme administratif local.

P : MAMBO ?
M : Je ne le connaissais pas et je ne l’ai connu que le 17 avril. Je l’ai connu comme milicien.
P : Quand l’avez vous identifié comme grand tueur ?
M : Du 24 au 25, j’ai eu des échos de ses participations aux tueries.

P : REMERA ?
M : Il affichait son extrémisme et je le connaissais depuis longtemps. Plus on le craignait mieux c’était pour lui.
P : Avez vous été chez lui?
M : Jamais. Quand je le voyais au bar de RUGANZU, il buvait seul. Il n’y aucune relation entre lui et moi.
P : REMERA était quand même présent dans la plupart des réunions de secteur?
M : Oui, comme il habitait le secteur. On avait pas la force de chasser REMERA de ces réunions.
P : Vous dites dans vos anciens interrogatoire que REMERA est infréquentable mais vous étiez quand même dans des réunions où il était ? Pensez vous qu’il avait des intentions bienveillantes envers les Tutsi du secteur ?
M : Non

P : RUGANZU ?
M : Il était membre du MDR et on se connaissait au moins 8 ans avant que j’aille à Tumba;  je l’ai connu dans ma commune de naissance. Je n’ai rien vu de répréhensible chez RUGANZU sauf quand il tenait cette buvette. Je ne connaissais rien de lui pour qu’on puisse l’étiqueter. Il était considéré comme riche.
P : On évoque le bar de RUGANZU comme un lieu dans son domicile qu’il a aménagé comme bar/café c’est bien cela ?
M : Oui
P : On en parle comme un lieu de réunion de Hutu extrémistes à tendance Power?
M : Non c’est faux, c’était la même fréquentation qu’avant le génocide.
P : Mambo était il présent ?
M : Non jamais.

P : Et REMERA ?
M : Je l’ai vu deux fois, il y était assis tout seul
P : Pendant le génocide ?
M : Il n’y était pas
P : À combien de mètres habitait-il du bureau de secteur ?
M : À 80 mètres.

P : On a évoqué la fosse de chez RUGANZU, vous la connaissiez ?
M : Oui, je l’ai appris dans la nuit du 21 au 22 où les Tutsi ont été tués là-bas et des filles ont été violées. Ceux qui avaient été tués ont été jetés dans cette fosse.
P : Pourquoi y a-t-’il une fosse près du domicile de RUGANZU ?
M : Je crois que son fils était en train de construire une maison et les assassins l’ont interprété comme une fosse pour y mettre les cadavres.
P : Les premières victimes du 21 avril au matin étaient des personnes qui habitaient près de chez RUGANZU, vous le saviez ?
M : Oui, je le savais, les premières victimes habitaient là-bas.
P : Cela ne vous a pas surpris que les premières victimes étaient les personnes qui habitaient là-bas?
M : Non, les militaires sont allés commencer les tueries là-bas et RUGANZU n’y était pour rien.
P : Qu’est devenu RUGANZU?
M : J’ai appris qu’il avait été tué, il est revenu de la zone Turquoise et il s’est fais tuer à son retour à Tumba par le FPR.

P : Félicien KUBWIMANA, l’ancien conseiller de secteur ?
M : Je le connaissais moins, j’ai parle avec lui. On était voisins aussi mais on ne s’était pas rendu visite encore. On se disait bonjour dans la rue.
P : Quand on vous dit que Félicien voulait se substituer à BWANAKEYE ?
M : Non, je n’ai pas vu cela, il n’a jamais convoité de remplacer BWANAKEYE.
P : Connaissiez vous son fils ?
M : Je ne dirai pas la même chose que son père. Lui, il avait une arme à feu.
P : Vous le considérez comme un grand tueur ?
M : Je sais qu’il a tué Tharcisse  que l’on savait être un tueur également.
P : Avez vous déjà remis des armes à ce Faustin ?
M : Jamais, monsieur le président, je ne connais pas les armes et je ne manie pas les armes.

P : Joseph KANYABASHI ?
M : Il me semble que sa femme était infirmière au laboratoire mais on se fréquentait  peu avec sa famille. Entre personnes de Gitarama, quand on se rencontrait, on parlait plus facilement et c’était son cas. On commençait a se connaitre mais on n’ avait pas encore commencé à se fréquenter.
P : Vous n’ avez pas constaté quoi que ce soit qu’aurait vu ou fait KANYABASHI?
M : Non rien
A : Certains témoins ont dit qu’ils ne pouvaient accéder au bar de RUGANZU et que les Tutsi y étaient chassés ? Qu’en pensez-vous ?
M : Avant le 6 avril, je n’ai jamais entendu dire que des Tutsi étaient chassés de chez RUGANZU. Apres le 6 avril, comme ils étaient cachés, ils n’y sont pas revenus. Je n’y étais pas tout le temps mais les fois où j’y étais je n’ai jamais assisté à cela.
A : Les miliciens fréquentaient-ils le bar de RUGANZU ?
M : Les gens qui fréquentaient son bar, je les connaissais avant mais ceux que j’ai fréquentés avant je dirais que ce n’est pas des miliciens. Je ne sais pas quel est la limite pour être milicien, moi-même on m’a dit que j’étais milicien.
A : Y avez-vous vu des militaires ?
M : Je n’ai jamais vu de militaire dans son bar, même les militaires qui habitaient là.
A : Quelle était la périodicité de vos visites dans ce bar ?
M : Avant le génocide, j’étais souvent absent. Il pouvait se passer deux mois sans que j’y aille. Pendant le génocide, comme j’étais tout le temps présent à Tumba, je pouvais y aller une fois toutes les deux semaines.

 

  • Les réunions politiques

Réunion du 17 avril qui se tient au bureau de secteur de TUMBA:

P : Que pouvez-vous nous en dire de cette réunion ?
M : Cette réunion est convoquée par le conseiller BWANAKEYE car on avait commencé à voir les arrivées de personnes vers Tumba. Il parle directement de cette question de réfugiés qui arrivent et qui sont poursuivis. Il nous alors proposé de mettre une barrière à la périphérie du secteur de TUMBA pour que le secteur puisse être protégé de toute intrusion et notamment celle des miliciens. BWANAKEYE voulait accueillir les réfugiés et barrer la route aux poursuivants car ils risquaient de semer le trouble. Il est décidé que nous allions faire des rondes dans nos quartiers respectifs. C’était une pratique courante au Rwanda à chaque fois qu’il y avait des troubles comme ça. Mis à part ces deux points, pendant cette réunion, quelqu’un a soulevé la question du comité de sécurité du secteur. Aussi au niveau préfectoral et communal, chaque niveau a déjà un comité de sécurité. Ce comité de sécurité n’inspirait pas beaucoup confiance. Il faudrait des personnes sages du secteur qui seraient des ressources si le conseiller BWANAKEYE avait besoin de quelque aide que ce soit. Chaque responsable de cellule est membre du comité. Il s’ajoute à cela REMERA qui était président du CDR.

Notre mission ne fut pas énoncée, BWANAKEYE savait qu’on était là s’il avait besoin. À ce stade, mon fils Gustave est venu à la réunion me dire que chez nous venaient d’arriver des personnes dans une camionnette. Je me rends chez moi et je trouve Monsieur KAMANZI avec un couple, Marie-Goretti et Bonaventure, ainsi que les amis de ce couple et mon frère Appolinaire. J’apprends de ce couple que la femme de KAMANZI et 6 de ses 8 enfants ont été tués. Il était abattu par cette nouvelle et il n’avait pas de nouvelles de ses autres enfants. J’ai essayé de consoler KAMANZI de mon mieux mais il était inconsolable.
Je suis revenu à la réunion et j’ai dit à voix basse au conseiller la raison pour laquelle mon fils était revenu me chercher. Il m’a ensuite dit que cela montrait bien que ce que nous venions de mettre en place avait de bonnes raisons d’être.
P : Combien de temps a duré la réunion ?
M : Je pense environ une heure et demie.
P : On va évoquer cette réunion du 17 avril qui est un événement très important car beaucoup de personnes ont été entendues à ce sujet.
M : Excusez-moi de vous interrompre, monsieur le Président, je voulais préciser que la salle de 150 personnes était pleine et il y avait des personnes dans la cour.
P : Ces personnes qui s’étaient réfugiées de quelle ethnie étaient-elles ?
M : Elles étaient Tutsi et allaient dans leur famille tutsi.
P : Aviez-vous à l’esprit que c’était une réunion pour que les Tutsi viennent trouver refuge?
M : Oui.
P : BWANAKEYE était-il seul ou avec d’autres personnes avec lui ?
M : Il était assis devant mais je ne me rappelle plus s’il était entouré de ses collaborateurs.
P : Où étiez vous ?
M : J’étais assis dans la foule.
P : Certains témoins ont évoqué le fait que c’était une réunion qui excluait les Tutsi, vous confirmez qu’elle était ouverte à tous ?
M : C’était une réunion ouverte à tous.
P : RUGANZU était-il là ?
M : Oui, il était là, on l’a cité comme un membre du comité.
P : REMERA était là ?
M : Oui, il était là.
P : La réunion était une réaction pour protéger la population ?
M : On voulait protéger le secteur des poursuivants des réfugiés.
P : Aviez-vous à un moment ou à un autre évoqué des Hutu que vous avez abrités chez vous ?
M : Non, pas du tout, si j’avais tenu les propos qu’on me prête, il n’y aurait pas eu de rondes mixtes.
P : Les témoins que vous abritez chez vous se sont révélés être des Hutu. De fait, est ce que vous êtes d’accord pour dire que les personnes que vous abritez quand votre fils vient vous voir était des Hutu ?
M : Je ne savais ce qu’ils étaient en dehors de mon beau-frère.
P : Vous évoquez la mise en place de rondes et de barrières de protection mais pour protéger qui ?
M : Pour protéger le secteur et laisser passer les Tutsi qui fuyaient.
P : Avez-vous fait face à des miliciens qui sont venus à Tumba pour semer le chaos et la peur ?
M : Le 17 avril on a fait face à des miliciens qui poursuivaient ceux qu’ils pourchassaient mais qui auraient pu venir à Tumba.
P : Mais c’est des Tutsi qui venaient à ce stade ?
M : Les Tutsi étaient poursuivis.
P : Les barrières ont vocation à repousser les poursuivants ? M : Oui
P : Et les rondes ?
M : Elles ont vocation à neutraliser les miliciens. Le 18 avril, un milicien a été arrêté pendant une ronde car il avait une grenade qu’il voulait lancer. Il a été remis à la brigade. Quand, le 21, les militaires ont commencé les tueries, le 22 on l’a vu libéré.
P : Qui décide de ce qui va être mis en place ?
M : BWANAKEYE a proposé cela et ça a été adopté par toute la population car c’est la population qui allait être amenée à participer aux activités.

Le président lit les déclarations de Francois BWANAKEYE.

P : Il nomme ceux qui ont participé aux massacres comme REMERA et d’autres. Il dit ensuite qu’il a organisé une réunion où il dit qu’il ne veut aucune chose qui conduise à la violence et qu’il ne veut pas que cela arrive dans son secteur et alors à ce moment-là il dit que vous MUNYEMANA, REMERA et les autres ont crié, que ce qu’il disait n’avait pas de fondement et qu’il ne pourrait plus toucher aux clés de mon secteur. Quel est votre réaction ?
M : Ces éléments sont faux et je comprends dans quelle circonstance ils ont été donnés. Il était en détention et il demandait la clémence en essayant de se dédouaner. Il voulait qu’on le libère et il fallait qu’on nomme quelqu’un.
P : Pourquoi vous met-il en cause, vous ?
M : Il fallait bien qu’il trouve des noms. Si la personne ne dit pas que si derrière on lui demande des noms alors il va se sentir obligé de le citer pour avoir sa clémence. On lui a peut être tendu le bras en disant que s’il n’y a pas mon nom, alors cela ne passera pas.

P : Je voudrais évoquer un autre témoignage qui est celui de Vincent KAGERUKA. Il dit que vous avez menti et que vous aviez dit que le FPR avait déjà pris la commune de GISHAMVU et que les Hutu avaient le droit de commencer à se défendre pour pousser au génocide. Quelle est votre réaction ?
M : Il était présent à la réunion du 17 avril et je l’ai appris par lui-même. Ce qu’il dit est faux car je ne peux pas avoir dit que les Hutu ont le droit de se défendre et que la même soirée, comme par hasard, on a organisé des barrières et des rondes mixtes ce qui n’aurait pas marché. Sa version n’arrête pas de changer, ce qui montre une certaine inconstance. Les mots qu’il met dans ma bouche, je ne les ai pas prononcés.
P : Pourquoi dit-il ça ?
M : C’est un petit cercle ceux qui disent ça, juste quatre sur 150 personnes. Les propos qu’ils mettent dans ma bouche, ils ne les inventent, pas c’est des propos prononcés dans les meeting du CDR depuis 1992. Ils ont puisé dans le discours de SINDIKUBWABO pour les mettre dans ma bouche. Je n’ai jamais tenu ces propos.
P : D’autres personnes ont été entendues et évoquent le fait que vous n’ayez rien dit et que vous n’avez pas participé de façon active à cette réunion. Et certains même disent que vous n’y étiez pas. Vous avez quelque chose à dire ?
M : Si j’avais prononcé des paroles aussi dures, tout le monde m’aurait entendu.
P : Il y a tout un lexique de comité avec le comité de crise, de pacification plus tard. Vous avez fait partie du comité de sécurité.
M : Pardon, monsieur le Président, on était désigné comme « sage » mais ce n’était pas forcement pour intégrer un comité de sécurité, c’était juste en cas de besoin.
P : Combien de fois avez-vous été invité à participer à un comité de sécurité ?
M : À aucun moment
P : Avez-vous participé à la réunion du 24 avril au Bureau de secteur de Tumba ?
M : Oui
P : Quel était son objectif ?
M : On m’avait confié la clé du bureau de secteur et j’avais ouvert aux réfugiés tutsi autour du bureau. On m’a fait parvenir ces clés pour que les gens soient à l’abri. Quand je mets les Tutsi à l’intérieur, je constate que rien n’ est en place pour que les gens restent dans le bureau et donc j’appelle BWANAKEYE pour qu’il vienne rapidement car ils ne peuvent pas rester là longtemps. Je sentais que même à l’intérieur ces personnes étaient toujours en danger. Mon idée était de les mettre à l’intérieur mais c’était à BWANAKEYE de gérer leur sécurité. Le 24 avril, il est venu voir ces personnes et il en a profité pour convoquer une réunion. Il y avait une soixantaine de personnes à cette réunion en plus des réfugiés auxquels j’avais ouvert. Son idée était que les personnes retournent chez elle.
P : Que se passe t-il du 17 au 24 avril ?
M : Il y a des rondes normales qui sécurisent le secteur de TUMBA, l’arrestation du milicien avec la grenade. Et le 21 avril, les militaires viennent à TUMBA faire des tueries et fouiller des maisons et là on apprend que des voisins ont été tués. J’ai eu la peur de ma vie et ce soir-là nous ne sortions pas faire des rondes et plus personne n’a osé aller voir ce qui se passait. Le 23 avril, j’ouvre le bureau. Le 24 avril, c’est l’occasion où les gens se rencontrent. Pendant ces nuits où on était cloitrés, on entendait des poursuites de miliciens: donc on savait qu’ils tuaient des gens mais personne n’a osé bouger de chez lui. On a ensuite repris les rondes à partir du 24 et on s’est organisés comme on s’organisait avant.
P : Peut-on dire que les premières victimes ont été ciblées comme les Tutsi aisés en vue à TUMBA?
M : Tout-à-fait, ceux qui n’ont pas été tués ce jour-là, ils ont été obligés de fuir car ils étaient en danger.
P : Je voudrais évoquer les listes de Tutsi supposées avoir été établies pour les tuer, ce qui a déjà été évoqué par certains témoins. Il y aurait eu des réunions informelles dans lesquelles vous auriez été amené à élaborer des listes de Tutsi à tuer.
M : Je n’ai participé à aucune réunion, MY LOVE qui m’accuse de cela date la réunion au moment où les personnes sur les listes ont déjà été tuées. C’est un professionnel du mensonge.
P : Comment les miliciens savaient où aller dans la situation particulière de Tumba avec une certaine mixité entre des personnes aisées et des personnes plus modestes, alors comment savaient-ils où aller tuer ?
M : Je ne sais pas, monsieur le président, cela vient peut être de REMERA car des groupes de tueurs sortaient de chez lui selon un témoignage. Je ne connaissais pas les gens de Tumba. Comment j’aurais pu participer?
P : Y a t-il eu une réunion chez vous ?
M : Jamais. RUGANZU n’est jamais venu chez moi, il était chez lui dans son commerce et il n’a jamais mis les pieds chez moi. Il n’y jamais eu de réunion chez moi.
P : Vous n’avez jamais participé aux réunions informelles, c’est bien ça ? M : Non, jamais.
P : Avez vous participé à un des comités ?
M : Jamais, le comité de crise se déroulait dans notre langue locale.
(Le Président demande à l’interprète comment on peut traduire le comité de crise)
M : Il n’y a jamais eu ce terme..
P : Un témoin évoque un comite de crise auquel vous auriez participé pour désigner les responsables des groupes chargés de tuer.
M : Je n’en ai jamais fait partie.
P : Vous répétez que vous n’avez jamais participé ?
M : Jamais, jamais, monsieur le président.
A : La réunion a eu lieu le même jour que le Conseil des ministres du 17 avril où on a décidé de destituer le préfet. En étiez-vous informé pendant cette réunion?
M : Non, car la première annonce a eu lieu le soir et nous, à ce moment-là, on avait déjà démarré les rondes
A : Personne dans cette réunion était au courant ?
M : Non, non.
A : Vous avez dit qu’il y avait des bruits qui couraient tout è l’heure!
M : C’était des rumeurs pour remplacer le préfet qui date du 14 et 15. Ce bruit qui a couru n’a pas fait l’objet de discussions.
A : Concernant les déclarations de Vincent KAGERUKA?
M : Quand on me prête ces propos, je me dis que les deux sous-préfets ont dû se concerter quelque part car c’est les seuls à dire qu’il y avait des rondes mixtes Hutu et Tutsi et que mes propos ont mis fin à ces rondes. Or, avant le 17 avril, il n’y avait pas du tout de ronde.
A : Pourquoi selon vous ces quatre personnes vous ont prêté des propos que vous n’avez pas tenus ?
M : La seule chose que je sais, c’est que quand ma mise en cause a commencé en France, alors les membres du Collectif Girondin qui sont partis au Rwanda ont rencontré comme première personne Vincent KAGERUKA.
A : Avaient-il des raisons de faire ça ?
M : On ne se connaissait même pas. Dans ce dossier, j’ai toujours pensé qu’il y avait une composante politique et ils ont pu monter une cabale.
A : Sur la réunion du 24 avril au bureau de secteur?
M : Quand j’ai ouvert à ces personnes, j’ai vu qu’il manquait de temps.
A : Pourquoi n’avez vous pas rendu la clé à BWANAKEYE en lui disant que c’est son affaire personnelle de mettre les personnes à l’abri ?
M : Quand je l’ai averti, il m’a dit qu’il ne peut pas sortir de chez lui à cause des milices qui rôdent et qui pourraient s’en prendre à sa femme qui est Tutsi.
A : Où est-il quand vous lui dites que ces gens ont besoin d’aide ?
M : Il était chez lui. Il n’a pu venir que le 24 et je ne lui ai pas demandé ce qu’il avait fait entre-temps mais il m’a fait comprendre qu’il ne pouvait pas bouger de chez lui parce que sa femme était en danger.
A : Vous auriez dit après que vous l’avez laissé agir et que vous ne vous en êtes plus occupé.
M : Oui, une fois qu’il est arrivé, je me suis dit que le reste est de son ressort.

  • Les rondes et les barrières

P : Vous n’avez jamais contesté avoir participé à des rondes mais vous contestez avoir participé à des barrières.
M : Oui.
P : Quand ont-elles commencé, les rondes ?
M : Le 17 avril. Elles ont repris le 24 avril et jusqu’au 10 juin.
P : Avaient-elles lieu toutes les nuits ?
M : Non, pas toutes les nuits. On les avait organisées de manière à se reposer un jour sur deux.

Sur question du président, l’accusé liste quelques noms de participants à ces rondes.

P : Y avait-il seulement des rondes de personnes Hutu ou y avait il des rondes de Tutsi ?
M : Les rondes étaient mixte du 17 au 21. Apres le 21, dans notre ronde, elles sont restées mixtes mais c’était un peu spécial car dans notre ronde les Tutsi bénéficiaient de la protection de la ronde plutôt que d’être chez eux et le risque d’être attrapé par un groupe qui parviendrait à se faufiler. Les miliciens nous guettaient. Dans une ronde entre le 25 et le 28 avril, une personne s’était cachée. On intercepte un groupe qui venait de lui faire traverser notre zone. Il y avait une ronde qui passait directement devant chez moi et nous la contournions et la coupions. Lors de notre premier passage nous n’avons vu personne dans notre zone et de l’autre coté nous avons vu un groupe de miliciens et un militaire qui conduisaient un homme en remontant. Nous l’avons vu emmené à une fosse pour le tuer.

À notre hauteur la discussion s’est engagée. Le militaire nous parlait et je lui répondais car j’avais accouché sa belle-sœur chez lui. Quand nous avons rattrapé ce militaire, ils ont commencé à dire qu’ils ont attrapé un Inkotanyi. J’ai dit que je connaissais cet homme et ils m’ont dit que non, que c’était un sauvage qui ne peut être qu’un Inkotanyi. Il me balance une poche qu’ils ont trouvée chez lui avec des seringues et il dit qu’il avait des seringues pour tuer des Hutu. J’ai dit que non. Il m’a ensuite dit qu’il était parti s’entrainer avec le FPR. J’ai dit qu’il fallait le remettre à la justice pour qu’il y ait une enquête. Là, le militaire m’a braqué et il a dit: « On peut se demander si en toi aussi on peut avoir confiance ». Et là, on a tous couru dans tous les sens et ils en ont profité pour aller tuer cet homme. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie que cette fois- là. Cet homme qu’ils ont tué, je connaissais bien sa femme et sa petite soeur. C’était impossible de faire quoi que ce soit.
P : Pendant ces rondes vous est il arrivé que des personnes vous supplient de les sauver sans que vous réagissiez?
M : Les cas dont je me rappelle est celui d’une dame qui habitait au-delà du bureau de secteur. Il y a des gens qui n’ont pas participé aux rondes ou qui y faisaient n’importe quoi et les utilisaient pour tuer. On a crié on  et quand on est arrivés, il était déjà mort. Quand il y avait un appel au secours, on accourait vers la personne qui appelait. Je n’ai jamais agi silencieusement, j’arrivais en me déclarant. La dame nous a raconté que nous avons fais fuir un militaire. Il aurait fallu que tout le secteur agisse pareil.
P : Combien étiez-vous pendant ces rondes?
M : Il y avait à peu près 8 personnes chaque nuit de garde et on était prêts à se lever pour aller secourir au cas où.
P : Etiez-vous armé?
M : Non, non, moi j’avais juste un manche à balai pour m’appuyer.
P : Je voudrais savoir l’utilité de ces rondes. Vous confirmez qu’à Tumba il n’y avait pas de militaire du FPR?
M : Non
P : Alors il n’y avait pas de FPR et il y avait des miliciens et des militaires qui tuaient des Tutsi. Si on prend ces points alors à quoi servaient ces rondes ?
M : Si chaque quartier avait fait des rondes pour protéger ce qu’il y a à l’intérieur de sa zone, alors chaque quartier aurait été sécurisé.
P : Le jour, les Tutsis étaient tués?
M : Au départ, on n’a pas envisagé que les tueries se feraient de jour, c’est après qu’ils ont commencé a être tués de jour et on n’a pas pallié cette situation-là.
P : On ne comprend pas l’utilité d’une ronde de nuit alors que de jour des Tutsi sont tués et qu’il y avait des miliciens et des militaires. Comment faire face à des miliciens et des militaires armés ?
M : Vous avez raison, nos rondes n’étaient pas efficaces. Il y avait une recrudescence des rondes la nuit donc on les a maintenues.
P : Imaginons: la nuit vous tombez sur des miliciens armés, qu’auriez vous fait ?
M : Avec notre nombre, nous les découragions, les miliciens n’agissaient pas en grand nombre sauf quand ils étaient avec les militaires. On avait commencé les rondes et du coup on n’a pas arrêté.
P : A votre connaissance, savez-vous si les rondes n’avaient pas de vocation protectrice et était qualifiées de rondes tueuses ?
M : Je ne les ai pas vues en action mais j’ai entendu parler à Tumba d’un clan de tueurs (les Abanyetumba) mais cela n’enlève pas la qualité de la mienne.
P : Votre ronde a été évoquée comme « la ronde du bonheur » tout en indiquant que la sienne était tueuse. On peut se demander de l’utilité de votre ronde face à des tueurs ?
M : Je n’ai jamais dit qu’elle était protectrice de façon optimale, c’était juste de la dissuasion.
P : Mais de la dissuasion à huit ?
M : Une fois qu’on avait commencé, on ne voulait pas arrêter. De temps à autre, on se disait: « Aujourd’hui au moins on a sauvé quelqu’un ». C’était peut être une illusion mais ça nous faisait nous dire qu’on avait une utilité.
P : N’y avait-il pas une autre explication comme celle de l’image que vous deviez donner car un homme hutu devait faire des rondes et celui qui n’en faisait pas risquait d’apparaitre comme un ennemi potentiel ?
M : Je comprends votre hypothèse mais cela n’a jamais été ça, contrairement à l’alcool. Pour les rondes, je ne me suis jamais senti obligé. On sentait qu’en gardant la même activité et en restant ensemble cela nous renforçait un peu et protégeait notre périmètre. Parfois on est dans l’irrationnel aussi.
P : Vous auriez pu ne pas faire de rondes?
M : Il y a des gens qui n’ont pas fait de rondes, on ne les a pas forcés.
P : Sur les barrières, plusieurs témoins évoquent votre présence ou la tournée des barrières mais ces témoignages ont été écartés par la chambre de l’instruction. Toutefois, y avait-il une barrière près de chez vous, là ou se trouvait la statue de la Vierge Marie ?
M : Il n’y a jamais eu de barrière là-bas, elle aurait porté un nom spécifique portant mon nom ou celui de la statue.
P : Aviez-vous des difficultés pour passer des barrières à BUTARE ?
M : J’étais comme tout le monde. Je courais des risques une fois sorti de TUMBA, avec des miliciens qui ne me connaissaient pas.
P : Peut-on considérer que les rondes et les barrières (pas la vôtre) sont devenues des pièges à ciel ouvert pour les Tutsi ?
M : Oui, à la base, on devait laisser passer les Tutsi aux barrières et j’ai vu qu’elles sont devenues des pièges.
P : Vous étiez présent à la réunion du 17 avril et vous étiez plébiscité comme un sage pour devenir une personne ressource. Quand vous avez vu des rondes et des barrières devenir des pièges à ciel ouvert, vous n’avez pas essayé d’en parler ?
M : Je pense que j’ai été incapable de faire quoi que ce soit. On n’avait pas les moyens ni la force de les démonter.
P : Pourquoi ne l’avez vous pas dit à BWANAKEYE ?
M : Il savait ce qui se passait
P : Qu’est ce qui fait que quelqu’un comme vous ne lui dise pas qu’il faut se réunir pour réagir à cette entreprise destructrice ?
M : Je n’y ai pas pensé, on avait nos pensées fixées sur nos enfants.
P : Etait-ce pour vous protéger ?
M : Non, non, je n’y ai juste pas pensé.
P : Quel est le rôle que vous avez joué dans la mise en oeuvre des barrières et des rondes au final ?
M : La mise en oeuvre de ces barrières et la décision d’adoption, j’y ai adhéré. C‘était la proposition de BWANAKEYE. Elle paraissait efficace au moment de la mise en oeuvre car elle permettait aux Tutsi d’entrer et de bloquer les poursuivants. Je n’ai pas pensé à rediscuter de cette évolution avec BWANAKEYE.
P : Pourquoi ne vous êtes-vous pas dit qu’il fallait vous retirer des rondes au vue de leur évolution ?
M : Cela n’aurait rien changé aux autres rondes. Nous nous protégions de notre mieux.

Mathieu PEREZ, bénévole

Lucas RUGARD, bénévole

Jacques BIGOT, pour les relectures, les notes et la mise en page

Alain GAUTHIER, président du CPCR, pour les relectures et les NDR.

 

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