Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.
- Suite des plaidoiries des parties civiles.
- Réquisitoire de monsieur BERNARDO, représentant l’accusation.
Suite des plaidoiries des parties civiles.
L’audience débute à 9h24 en raison d’un problème d’extraction du détenu. Les plaidoiries des avocats des parties civiles reprennent.
Voir le compte-rendu de la veille pour les premiers plaidoiries. La matinée de ce jour est consacrée à la suite avec celles de :
- Maître EPOMA.
- Maître TAPI.
- Maître KARONGOZI.
- Maître MARTIN.
- Maître GISAGARA (Communauté rwandaise de France).
Réquisitoire de monsieur BERNARDO, représentant l’accusation.
Après avoir donné la définition du crime de génocide, « le pire des crimes, imprescriptible, un crime qui blesse l’humanité et qui mérite la condamnation à perpétuité« , après avoir rappelé qu’un « crime non élucidé est une injustice, qu’un criminel non jugé, c’est également une injustice », monsieur le procureur se tourne vers le banc des parties civiles: » Je garde leurs témoignages et leurs souffrances au fond de mon coeur. » Et d’ajouter: » Sosthène MUNYEMANA a bien sa place dans le box des accusés et il faudra le déclarer coupable. »
« 1994, c’était hier et c’est aujourd’hui. Cette année-là, le groupe IAM chantait « Je danse le Mia », c’était la sortie du film « La liste de Schindler » et l’élection de Nelson MANDELA en Afrique du Sud. C’était hier et c’est aujourd’hui. »
Puis de parler de l’accusé, un homme qui a eu à cœur de se présenter comme « un homme idéal » « un père parfait« , « un mari parfait« , « un collègue parfait« . « Un génocidaire est capable de se présenter sous un jour idéal« . L’avocat général de poursuivre: « Sosthène MUNYEMANA ne se distingue pas des autres génocidaires. » Il adresse un dernier remerciement aux parties civiles. Le ton du réquisitoire est donné.
Monsieur BERNARDO revient rapidement sur l’historique de la plainte, rappelle que, grâce aux historiens, le génocide est maintenant bien documenté, qu’il n’y a pas de preuve parfaite dans une affaire qui repose essentiellement sur des témoignages. Et à l’adresse des jurés: « La seule preuve, c’est le recoupement de toutes les preuves. » Ce travail de recoupement a un nom: « C’est l’intime conviction. » Même si l’avocat général reconnaît ne jamais être allé au Rwanda, ne pas être l’ami de l’accusé, ne pas avoir de client, il n’a des liens qu’avec la justice. De définir l’intime conviction: « Construction d’une vérité au-delà de tout doute raisonnable. » Et d’ajouter: « C’est mon rôle de vous proposer un enchaînement des faits raisonnables. Il est facile de juger dès lors qu’on a été attentif, et vous l’avez été. »
Monsieur BERNARDO va replacer l’accusé dans son contexte à TUMBA en 1994. Il rappelle les grands faits historiques depuis 1973 et certaines évidences: à l’époque, il était facile pour un intellectuel d’entrer en politique, le génocide est le résultat d’une longue préparation, contrairement à ce que dit l’ambassadeur SWINNEN, l’ennemi, c’est le Tutsi de l’intérieur. Et de rappeler le double jeu de Juvénal HABYARIMANA. De continuer en évoquant l’attentat contre le président, l’assassinat des Casques Bleus belges, la mise en place immédiate des barrières et les assassinats de masse dans les églises et les bâtiments administratifs. Puis les rondes, l’intervention de l’armée, la création de la milice du MRND, l’enfouissement rapide des corps par crainte des satellites. À TUMBA, on utilise le bureau de secteur pour planifier les massacres, on tue les Tutsi au bord des fosses, on se partage le butin. Comme partout dans le pays. Plus de 200 témoins ont été entendus, 69 sont venus devant la cour: « Il y a là matière à confronter. »
Puis monsieur BERNARDO d’annoncer les différentes thématiques qu’il a l’intention d’aborder. Nous nous contenterons de les lister sans développer les exemples qui viennent à l’appui de la démonstration.
D’abord les différentes réunions auxquelles l’accusé a participé, que ce soit les réunions officielles auxquelles un grand nombre participait, aussi bien que les réunions plus clandestines chez l’accusé, chez REMERA, à l’Hôtel Faucon ou chez SINDIKUBWABO.
Puis les barrières, dont « la barrière contestée de la Vierge« , les rondes au cours desquelles Sosthène MUNYEMANA avait autorité sur les participants, les listes de Tutsi à éliminer, la journée du 21 avril contestée par l’accusé, la mort de KARANGANWA, le déplacement de KANYABASHI, l’enfouissement des corps. Tous ces événements dont parlent plusieurs témoins.
L’avocat général continue par la clé du bureau du secteur que l’accusé va d’abord réclamer chez le conseiller MAMBO, son utilisation. De poursuivre par l’épisode KERUSHYA qui vient se réfugier chez lui: épisode qui montre l’autorité de MUNYEMANA sur les Interahamwe qu’il chasse pour pas qu’un Tutsi soit tué devant chez lui. Nécessité de croiser tous ces témoignages qui sont « concordants« . Nécessité pour les jurés « d’apprécier la fiabilité des témoignages, de vérifier leur sincérité, leur cohérence. » Et d’ajouter: « Dans ces témoignages, j’y ai vu de la constance, ce qui n’est pas le cas de Sosthène MUNYEMANA qui s’adapte. »
Monsieur BERNARDO évoque ensuite les témoins cités par la défense. Les témoins de personnalité qui parlent d’un personnage clivé: excellent médecin, père attentionné et aimant. Quant au témoignage de sa femme, on ne peut le retenir, elle n’était pas là pendant le génocide.
Les témoins sur les faits? Josépha MUJAWAYEZU, « venue en service commandé« , qui dit qu’à KIGALI » on s’entretuait« . SIBOMANA? Confus. ELVANIE, la nounou? Elle aussi confuse et peu crédible, qui s’est approprié le discours des Hutu. ERASME, le pasteur en Afrique du Sud? qui a rédigé une attestation en faveur de l’accusé dont il ne se souvient pas, et qui dit, concernant le discours de SINDIKUBWABO, qu’il « lui laisse le bénéfice du doute »! Francine MUKARUTESI? qui prétend que sa mère a été manipulée et qu’on pourrait poursuivre pour subornation de témoin. (NDR. Une témoin que la défense a dû regretter de faire citer, comme tant d’autres, vu les pressions qu’elle a tenté d’exercer sur son neveu Fabrice ISHIMWE. En langage sportif, on parle de joueurs qui marquent des buts contre leur camp. On peut se demander qui a bien pu conseiller aux avocats de la défense de tels personnages.)
L’avocat général de continuer la liste. Philippe LA ROCHELLE, l’avocat canadien? « Aucun intérêt. » Hervé DEGUINE, » un témoin inutile. » KAREMANO? jugé non-crédible par le TPIR. Quant à GEROLD, de l’OCLCH, l’ambassadeur SWINNEN, tous deux encore « inutiles ». Laurien NTEZIMANA? » venu en service commandé, une épine dans le pied de la défense. » N’est pas Laurien qui veut. Et de conclure: « On ne manipule pas les témoins qu’on fait citer. » (NDR. Une leçon que les avocats de la défense ferait bien de retenir.)
Enfin, une déclaration assassine: « Sosthène MUNYEMANA a agi de telle façon qu’il ne peut être autre chose qu’un génocidaire. » Il n’a jamais secouru aucun des Tutsi enfermés dans le bureau de secteur, des réfugiés qui attendaient leur exécution. Pour l’accusé, ce procès est un « complot » de Kigali. Pourtant, son appartenance au MDR-Power ne fait aucun doute: sa lettre du 7 septembre 1993 dans laquelle il interpelle le présidant HABYARIMANA pour protester contre la nomination de TWAGIRAMUNGU, la motion de soutien au gouvernement intérimaire du 16 avril 1994 en attestent.
Sosthène MUNYEMANA, poursuit l’avocat général, « avait des compétences pour devenir ministre, il avait une autorité politique même au niveau local. » Et lorsque monsieur BERNARDO évoque la participation du couple MUNYEMANA à un meeting du MDR en 1993, l’épouse de l’accusé se lève et hurle dans la salle: « Je n’y étais pas, je sors! » Elle sera effectivement évacuée par les gendarmes. Sa fille la rejoindra.
Pour l’avocat général, Sosthène MUNYEMANA est « un enfant de la révolution hutu, il a fait le choix de basculer dans le génocide. De sa jeunesse, il retient l’incendie de sa maison par des « monarchistes ». Et monsieur BERNARDO de rappeler son cursus scolaire, une carrière brillante, son engagement au MDR. Il bascule très vite dans le mouvement Power, se présente comme un soutien indéfectible à Jean KAMBANDA à qui il renouvelle son soutien le 14 mai 1994 lors de la réunion à l’Université de BUTARE.
Sa fuite le 22 juin? On n’est pas du tout sûr de la date. Il aurait franchi la frontière à GOMA le 27? Après avoir pris la route la plus longue et la plus risquée, mais escorté par un ministre et des militaires. Puis ce sera KINSHASA et la France où l’attend son épouse. « Ce n’est pas le parcours d’un Rwandais moyen » commentera monsieur BERNARDO.
Pour conclure, l’avocat général évoque les qualifications juridiques: génocide, plan concerté, entente, auteur principal de crime de génocide et crimes contre l’humanité, complicité de génocide. À la question de savoir s’il a commis le génocide, ce sera « oui ».
La peine? « C’est toujours difficile. Il n’y a pas de barème: l’assassinat d’une personne peut valoir la perpétuité, un meurtre, trente ans, un viol, quinze ans... » Et aussitôt, sans ménager de suspens: « Je demande la perpétuité. » Et de se justifier: « Vous êtes les représentants de la justice. Vous devez tenir compte du nombre de victimes. Trente ans ont été requis en première instance. Mais il comparaissait libre. On n’est pas lié par la première instance, ni par les décisions du TPIR. Pour autant de victimes, il y a un tarif. Pendant trente ans, l’accusé a fait sa vie, il a élevé ses enfants. Ce dont n’ont pas bénéficié les victimes. Il est allé au bout de sa carrière professionnelle. » La perpétuité s’impose.
La journée de demain sera consacrée aux plaidoiries des avocats de la défense avant le délibéré de jeudi.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page