Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 27 juin 2018. J33

 

La journée commence par la lecture d’un PV concernant un témoin que la défense souhaite entendre. Il s’agit d’un certain Justin KANAMUGIRE, actuellement détenu au Rwanda pour un viol qu’il conteste avoir commis sur la personne d’une jeune fille mineure : la fille de son frère. Il se dit injustement accusé par la femme de ce dernier. Le témoin sera entendu dans la matinée concernant le génocide perpétré contre les Tutsi.

Madame la présidente donne lecture de l’enquête de personnalité concernant Tito BARAHIRA. Ce rapport a été réalisé le 5 juillet 2013 et rapporte l’étonnement de l’accusé lorsqu’il a appris son arrestation. Son ex-épouse a refusé, dans un premier temps d’être entendu. Retenons que l’accusé est arrivé à la prison de Fresnes le 4 avril 2013 alors qu’il avait quitté le Rwanda le 17 avril 1994.

 

Audition de Jean-Marie MICOMBERO, témoin de contexte, transfuge du FPR.

Le témoin ne connaît rien de l’affaire dans laquelle il intervient, ne connaît rien sur les accusés. Son témoignage sera essentiellement centré sur sa propre expérience en tant que juge militaire et sur les griefs qu’il reproche a un système dont il aura bien profité pendant de longues années avant de se  décider à quitter le Rwanda où il se sentait en danger.

Pour lui, il est toujours difficile de savoir la vérité dans des dossiers de génocide.

Né au Congo, il rejoint le FPR en janvier 1991. Après sa formation, il deviendra garde du président KAGAME puis garde des VIP du FPR. Très vite, il deviendra chef des renseignements, en 1994, pour être affecté à la présidence de la République. Après avoir fait des études de droit jusqu’en 1997, il est affecté à la Cour d’appel militaire comme juge, puis comme cadre supérieur au Ministère de la Défense. Il travaillera là de 2003 à janvier 2006. Enfin, il travaillera  comme Secrétaire général dans ce même MINADEF.

Le témoin aborde ensuite une période moins faste pour lui puisqu’il évoque un séjour de deux ans en prison : il n’explique pas vraiment les raisons pour lesquelles il a été incarcéré. A sa libération, il sera envoyé au Soudan comme conseiller de police au sein des forces onusiennes. En 2011, il décide de se réfugier en Belgique où il vit actuellement.

Il souhaite faire part de son expérience en tant que cadre de la défense pour aborder ensuite les défis que son ancien pays doit affronter.

En 1994 ; il fallait amener la Communauté internationale à une certaine compassion pour le Rwanda qui venait de connaître le génocide. Il fallait aussi traquer les présumés génocidaires des Forces Armées Rwandaises, et donc mettre en place des mécanismes : travailler sur des dossiers de génocide, créer des organes comme le Genocide Desk au sein de l’Auditorat militaire, créer un service pour les civils au Parquet (Gérald GAHIMA, Jean de Dieu MUCYO, Martin NGOGA seront les premiers Procureurs généraux), créer des services pour aider ces derniers, approcher les chercheurs, les journalistes…

Jean Carbonare au JT d'Antenne 2 le 28 janvier 1993
Jean Carbonare au JT d’Antenne 2 le 28 janvier 1993 (archive INA)

Il cite alors comme exemple monsieur Jean CARBONARE, de SURVIE, qui avait sensibilisé la population française (NDR. Jean CARBONARE était intervenu sur Antenne 2 le 28 janvier 1993 dans le Journal de Bruno MASURE. De retour d’une mission au Rwanda, il avait dénoncé des crimes qui avaient été commis dans le Nord du Pays contre les Bagogwe, pasteurs Tutsi qui vivaient quelque peu en marge de la société. Ce sera une sorte de « galop d’essai » dans la préparation du génocide.)

Le témoin de rajouter qu’au Rwanda rien n’est possible sans l’armée.

Monsieur MICOMBERO aborde ensuite la seconde partie de son exposé qui concerne les défis qui se présentent au Rwanda dans le domaine judiciaire. Il évoque alors la fabrication des dossiers, de témoins par le DMI, un groupe de personnes qui encadraient les personnes lors des procès à l’étranger, autrement dit des témoins préparés. Il évoque alors spontanément des dossiers dans lesquels il a travaillé : celui du capitaine Théophile TWAGIRAMUNGU, au cours duquel il ordonnera une « descente sur le terrain » à Butare pour vérifier la véracité de certains témoignages. Il s’avère que l’association IBUKA préparait les témoins pour leurs dépositions ! Parle en suite du cas Laurent MUNYAKAZI, un général major que l’on retrouve en compagnie de l’abbé MUNYESHYAKA à la Sainte-Famille. MICOMBERO est étonné, au cours de l’instruction, de voir tant de personnes venir témoigner contre lui. Il y avait une fabrique de témoins à charge et il était difficile d’en trouver à décharge. (NDR. L’abbé MUNYESHYAKA sera jugé en même temps que MUNYAKAZI et condamné aussi à la réclusion criminelle à perpétuité, en son absence.)

En conclusion, le témoin dénonce la forte pression exercée par la pouvoir judiciaire en place. Si on veut arriver à la réconciliation, on a besoin d’une vraie justice. Pour juger, et probablement pense-t-il à la Cour devant laquelle il dépose, il est important de comprendre le contexte. Et d’ajouter, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi : « Malheureusement, au Rwanda, le FPR est construit sur un mensonge ».

Madame la présidente s’étonne qu’ayant été juge à la Cour militaire le témoin ne soit pas tenu par le secret. MICOMBERO tente une explication : « Normalement oui, mais au Rwanda je ne suis pas lié par le secret car je ne suis plus en fonction ». Maître GISAGARA lui démontrera un peu plus tard que ce n’est pas vrai. Mais le témoin ne se sent pas lié par les textes juridiques de son ancien pays. Il veut faire passer la morale avant toute chose.

Sur questions de la présidente, MICOMBERO confirme que, même dans le procès d’assises auquel nous participons, des témoins ont pu être fabriqués, préparés. Pour comparaître aujourd’hui, il avoue qu’il est protégé car il est traqué, entre autres, pour avoir témoigné dans le dossier de l’avion [1].

Maître PARUELLE fait remarquer au témoin que deux arrêts infirment ses dires, deux accusés du TPIR ayant été extradés vers le Rwanda. D’autre part, le Canada, les USA, en extradant des ressortissants rwandais, ont estimé qu’ils bénéficieraient au Rwanda d’un procès équitable. (NDR. Contrairement à la France qui s’est opposée au renvoi de 42 Rwandais réclamés par la justice de leur pays. Voir sur le site l’analyse du professeur Damien ROETS). Pour le témoin, la justice rwandaise n’est pas neutre. Il suffit pour cela de relire les rapports de Human Rights Watch ou encore d’Amnesty International. La Grande-Bretagne a refusé aussi les extraditions. Pour lui, la peur règne sur les collines et même au niveau des juges. Et de donner l’exemple du colonel Diogène MUDENGE.

L’avocat note que des acquittements sont prononcé au Rwanda, qu’il y en a eu dans les Gacaca  [2] !

Maître GISAGARA voudrait revenir sur ce qu’a dit le témoin concernant le FPR qui serait construit sur un mensonge. Et MICOMBERO d’énumérer : mensonges sur le plan judiciaire, les gens étant intimidés, mensonges sur les statistiques concernant le développement du pays, mensonge concernant la famine qui perdure au Rwanda dirigé par le FPR.

« Mensonge aussi en 1994 ? » insiste l’avocat. Jean-Marie MICOMBERO de répondre : « C’était catastrophique ! Beaucoup ont fui le Rwanda, certains ont même été assassinés. De nombreux cadres du FPR ont fui ! J’ai quitté le système en 2011, ne pouvant plus accepter le mensonge. Mais dans mon cœur, je l’avais quitté en 2003 ».(NDR. Il serait intéressant de connaître les véritables raisons de leur fuite : elles ne sont pas toutes louables pour ce que nous pouvons en savoir ! S’interroger aussi pourquoi le témoin a mis 8 ans pour partir du pays à partir du moment où son cœur l’avait décidé !)

S’il a fait deux ans de prison, c’est pour avoir milité pour l’indépendance de la justice, surtout au sein de la Défense. « La gestion du budget de la défense était catastrophique. Beaucoup d’argent disparaissait. Je me suis opposé à Jacques NZIZA. J’ai été emprisonné pour corruption et condamné ». Étonnamment, à sa sortie de prison, il sera promu au rang de colonel.

Maître GISAGARA lui fait remarquer que si TWAGIRAMUNGU a été acquitté, c’est que le système marche ? Le témoin souligne le rôle qu’il a joué dans cet acquittement : « Il a été acquitté parce que nous avons été actifs. Cette décision a d’ailleurs été confirmée par la Cour suprême. Mais le système est très malade ! »

Concernant IBUKA, le témoin précise que « politiquement, il fallait des associations qui représentent les victimes. Elles ont parfois déraillé, trébuché, participé au montage des témoignages ».

Le témoin confirme qu’aujourd’hui il fait de la politique, comme opposant du FPR.

Maître MARTINE fait remarquer à l’intervenant que quand des témoins disent la même chose, ne serait-ce pas parce qu’ils ont vu la même chose ? Ils n’en sont pas pour autant des témoins fabriqués ? Devant cette Cour d’assises, certains témoins ont été interrogés plusieurs heures ! Monsieur MICOMBERO dit avoir une grande confiance en la justice française.

Monsieur l’avocat général fait remarquer au témoin qu’il a parlé des imperfections de la justice rwandaise. Mais il ne connaît ni les accusés, ni les faits, ni les enquêteurs dans l’affaire qui nous occupe. « Vous témoignez sur un conteste rwandais : donc vous ne connaissez rien ? » soulignant par là le peu d’utilité de ce témoignage.

Maître EPSTEIN fait dire au témoin qu’il est réfugié politique en Belgique, qu’il était magistrat dans l’affaire TWAGIRAMUNGU et que dans ce dossier il y avait beaucoup de copier/coller. « Comme dans ce procès ! » ajoute-t-il sans sourciller, un petit rictus aux lèvres. « Un tel est méchant mais on n’arrive pas à le prouver ? » Le témoin dit que c’est comme cela au Rwanda. Le témoin confirme aussi qu’on ne fait « pas de différence entre ce qu’on a vu et ce qu’on a entendu dire ».

« Les associations de victimes sont entièrement politiques ? » questionne l’avocat. « Les associations sont victimes de manipulations politiques, les enquêtes des chercheurs sont encadrées, des gens sont complices de la tragédie rwandaise ». Certains ont même des résidences privées au Rwanda ! « C’est donc que Kigali écrit sa propre histoire » continue l’avocat Le témoin confirme une nouvelle fois. Et de conclure : « Il n’y a aucune différence entre le régime d’avant l’attentat et celui d’après ? » « Sous certains aspects, oui » confirme une nouvelle fois le témoin.

Maître CHOUAI demande au témoin s’il a travaillé avec le GFTU [3]. Ce dernier répond par la négative.

Et INTORE, qu’est-ce que c’est ? « C’est la jeunesse du FPR que l’on encadre. On instruit les jeunes de l’extérieur comme ceux de l’intérieur » « C’est donc une milice comme les Interahamwe [4] ? » ose l’avocat. Et le témoin, sans sourciller, confirme : « Les Intore, c’est comme les Interahamwe ! » (NDR. La véritable définition sera peut-être à reprendre un jour ! »

 

Audition de Justin KANAMUGIRE, en visioconférence.

L’interprète traduit un PV d’audition concernant le témoin incarcéré depuis quelques semaines pour vengeance.

Il est là pour parler de NGENZI. Le 8 avril, le bourgmestre est venu à Mutumba en voiture et a incité les gens à tuer les Tutsi. Il en a transporté quelques-uns à l’église. Il a ensuite envoyé des attaquants de Rubira vers le lieu de culte. Le bourgmestre collaborait avec BARAHIRA.

Le témoin raconte à sa façon l’attaque de l’église le 13 [5] : bagarre avec les Interahamwe [4] ; arrivée de renforts sous la responsabilité de NGENZI , tirs sur l’église. De la cour de l’église où il se tient, il voit NGENZI debout sur la route asphaltée entouré d’Interahamwe. Viateur RUTABONA, qui est à ses côtés, est blessé : il le transportera à la sacristie. De retour, il cherche à s’enfuir en contournant l’église. Il dit être en compagnie de l’abbé INCIMATATA et d’une autre personne : ils vont se séparer. Il va prendre la direction de l’église pentecôtiste mais le pasteur leur refuse l’entrée : il ne veut pas de sang dans son église. Caché dans la brousse, il a échappé à ceux qui le pourchassaient. Vers 16 heures, NGENZI aurait remis une récompense aux tueurs. (NDR. Ne fait-il pas une confusion avec le jour de l’enfouissement des corps ?) Les Interahamwe auraient pillé les vêtements du prêtre. Lui-même a marché toute la nuit pour rejoindre son lieu d’habitation à Mutumba.

Madame la présidente n’aura de cesse de mettre le témoin en face de ses contradictions. Elle s’étonne qu’il ait pu parler de 17 500 réfugiés à la paroisse. Il a vu les militaires qui tiraient. Il a vu BARAHIRA avec NGENZI le 13 : il avait dit le contraire aux gendarmes français. Madame la présidente a du mal à comprendre un témoin qui semble si peu fiable. Elle lui rappelle qu’il a juré de dire la vérité. Or, sa vérité du jour n’est pas celle de 2013 !

Par de courtes questions, maître BOURGEOT lui fait remarquer que ses déclarations sont contradictoires et qu’il est un faux témoin.

Il est l’heure de suspendre l’audience. Maître CHOUAI, qui n’a pas eu le temps de questionner le témoin, demande à la présidente qu’on puisse de nouveau l’entendre le lendemain. On tentera de le faire, lui promet-elle, mais sans certitude.

La défense n’avait pas pu poser ses questions au témoin la veille. Pour une meilleure compréhension, nous faisons le choix d’insérer cette partie de l’audience qui a eu lieu le lendemain.

Maître CHOUAI remercie la Cour d’avoir accepté de reprendre cette audition et pose ses premières questions. Il veut savoir pourquoi le témoin avait refusé, dans un premier temps, d’être entendu par les gendarmes français. KANAMUGIRE ne souhaitait pas qu’on l’auditionne au milieu de la population. Il craignait pour sa sécurité : les rescapés redoutent parfois des représailles lorsqu’ils ont témoigné.

L’avocat de NGENZI revient sur la journée du 13 et met le témoin en face de ses contradictions : sa présence à l’église, l’heure de son départ, la présence de NGENZI, le nombre de réfugiés (17 000 selon le témoin !) En fait, c’est un peu un dialogue de sourds entre les deux protagonistes.

Maître BOURGEOT intervient à son tour. Elle doute aussi que le témoin dise la vérité et le soupçonne que quelqu’un lui ait « rafraîchi la mémoire ! »

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. Attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel. Voir également : FOCUS – Avril – juin 1994 : les 3 mois du génocide.
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  2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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  3. GFTU : « Genocide Fugitive Tracking Unit », section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
    Lire également les auditions de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie et du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
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  4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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  5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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