Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 23 novembre 2016. J19

Audition de monsieur Albert GAHAMANYI, agent de gestion financière.

Le témoin connaît l’accusé depuis que ce dernier est venu s’installer dans la maison voisine à celle de la famille GAHAMANYI. « Le 8 avril, SIMBIKANGWA a eu le courage de nous sauver » poursuit le témoin. Ils ne se sont plus revus jusqu’au procès en première instance en 1994 aux Assises de Paris. La famille GAHAMANYI occupait une maison de fonction, le père de famille étant Secrétaire Général au ministère de l’Intérieur.

Les enfants GAHAMANYI se rendaient souvent chez leur voisin pour voir la télévision. A partir du 7 avril, deux militaires ont été mis à la disposition de l’accusé. Le soir, il arrivait que SIMBIKANGWA reçoive la visite de militaires ou de fonctionnaires. Des membres de sa famille venaient aussi dont un de ses frères, Bonaventure MUTANGANA. Tout le monde savait que SIMBIKANGWA était un « maneko« , un agent de renseignement. Il lui arrivait de porter un foulard aux couleurs du MRND, avait toujours un pistolet sur lui. Le témoin signale qu’il avait aussi un pistolet mitrailleur.

Le témoin va raconter ensuite comment ils ont vécu les premières journées du génocide. Il précise en particulier que le 8 avril au matin des militaires ont tenté d’entrer dans leur maison en sautant par dessus le portail. La famille GAHAMANYI s’est dispersée. Pascal, le témoin, s’est retrouvé accueilli chez leur voisin SIMBIKANGWA qui avait demandé aux attaquants d’épargner la famille. Monsieur GAHAMANYI père ira se réfugier à la préfecture de Kigali. Il connaissait bien le préfet Tharcisse RENZAHO. D’autres personnes arriveront chez l’accusé, dont la famille HIGIRO et la femme d’un pasteur presbytérien, une Hutu qui n’était pas menacée.

Le témoin signale que SIMBIKANGWA sortait souvent, allait et venait, téléphonait à longueur de journée. Il n’était pas spécialement abattu, ni triste. Il ne restait pas dans sa chambre. (NDR. C’est pourtant ce que l’accusé avait affirmé lors du procès en première instance.) Il partait en voiture avec son chauffeur et ses gardes qui faisaient partie des militaires qui avaient attaqué les GAHAMANYI. Après une semaine, il arrivera à quitter Kigali pour Gitarama en compagnie de sa mère, dans la voiture de SIMBIKANGWA. Son frère Pascal ne sera pas du voyage car l’accusé trouve qu’il ressemble trop à un Tutsi et qu’il serait en danger. Quant à son frère Michel, il voyagera dans une autre voiture qui ne réussira pas à passer la barrière de Muhima. Ils reviendront à Kiyovu. SIMBIKANGWA et ses protégés arriveront à Gisenyi, puis direction Gitarama. Ils s’arrêteront à toutes les barrières, sans problème: « Ah! c’est vous! » diront les personnes qui gardent les barrières. Il était reconnu par tout le monde. Contrairement à ce qu’a pu dire l’accusé, à aucun moment il ne montrera sa carte d’identité.

Le témoin précise qu’il y avait des barrières partout et des cadavres tout le long de la route. Arrivés à destination, la mère du témoin ne veut pas rester. Elle demandera de repartir pour Gitarama où il lui semblait réussir à avoir plus de nouvelles de sa famille. Entre temps, le père de famille est venu à Kabgayi, près de Gitarama. Ils repartiront ensuite vers Butare. Plus tard, ils retrouveront Michel et rejoindront le Burundi. Ils passeront ensuite une année en Suisse où des amis les ont accueillis.

Les deux gardes de l’accusé, fortement armés, font peur aux enfants de la famille GAHAMANYI. Le président questionne le témoin pour savoir quel est son état d’esprit en venant témoigner pour la seconde fois en France. « J’espère que ma venue va aider à comprendre notre histoire avec laquelle nous devons vivre. Revenir témoigner, c’est aider les générations à venir. Ceux qui ont détruit notre pays vont toujours avoir cela dans la tête. On avait des familles, on n’en a plus. On vient pour vous aider: nous aimerions que tous ceux qui ont participé soient traduits en justice. Nous ne devons pas oublier ce qui s’est passé… Ce procès a un sens, évidemment! Les responsables doivent répondre de leurs actes partout dans le monde! »

Le président pose une nouvelle question au témoin: « Vous êtes mal à l’aise qu’on puisse reprocher des actes graves à SIMBIKANGWA? » « Pas du tout » répond le témoin, « merci à SIMBIKANGWA de nous avoir sauvés le 8 avril mais j’ai entendu parler de ce qu’il a fait. C’est à la Cour de décider à partir des témoignages. »

Maître PHILIPPART révèle au témoin que son père aurait été membre de Comité Central du MRND pour la préfecture de Gikongoro. Quant à la famille du pasteur presbytérien réfugiée chez l’accusé, elle ne risquait rien, ils étaient Hutu. L’avocate fait décrire au témoin le parcours qu’ils ont emprunté pour quitter Kigali. SIMBIKANGWA aura à s’expliquer à deux des barrières traversées, celle de Nyabugogo et celle de Gitikinyoni (NDR. C’est cette barrière qui était tenue par Joseph SETIBA, incarcéré à la Prison 1930 de Kigali.)

Sur question de maître Léa RABAUX (FIDH), le témoin confirme avoir entendu de nombreux tirs dans la nuit du 6 au 7 avril. C’est bien le 8 avril qu’il a quitté sa maison et il est resté 5/6 jours chez SIMBIKANGWA.

Le témoin répond ensuite à maître FOREMAN. Ils étaient 9 dans la voiture, trois dans la cabine et 6 à l’arrière. Il est vraiment impossible que SIMBIKANGWA n’ait pas vu de cadavres. Il ne pouvait pas ignorer non plus que ses gardes commettaient des crimes.

A monsieur CROSSON DU CORMIER, le témoin admet qu’il écoutait la RTLM qui émettait de la musique qu’ils aimaient. Les appels à la haine se faisaient sous forme d’humour. Mais il avoue qu’il n’a plus écouté cette radio pendant le génocide.

Comme à son habitude, par des questions courtes, monsieur HERVELIN-SERRE obtient quelques réponses claires: de chez SIMBIKANGWA on entendait bien les bruits de tirs, l’accusé téléphonait tout le temps mais il n’entendait pas le contenu des conversations, l’accusé s’intéressait beaucoup à la politique.  Il n’a pas vu de barrière devant chez SIMBIKANGWA jusqu’à son départ mais aux barrières il entendait bien les propos de l’accusé. Il disait qu’il évacuait sa famille mais qu’il allait revenir: il ne pouvait pas prendre d’Inyenzi [1]. Il disait aux Interahamwe [2]. de « faire du bon travail » « Mukomere! » ajoutait-il!

On montre ensuite au témoin un plan de la maison de SIMBIKANGWA, on projette des photos de l’extérieur et de l’intérieur.

Maître BOURGEOT veut savoir où dormait HIGIRO. Le témoin ne sait pas. Quant aux voisins, certains étaient agents de l’État, il y avait aussi une infirmière. Le soir ils écoutaient la Radio nationale et RTLM le matin. L’avocate veut savoir aussi pourquoi la famille est partie en Suisse après avoir rejoint le Burundi. Des amis étaient disposés à les accueillir. Maître BOURGEOT n’a pas trop apprécié la réponse du témoin lorsque l’avocat général lui demandait ce qu’il attendait d’un tel procès. « Vous » insiste l’avocate. «  Par mon témoignage, je participe à l’histoire de mon pays. Je dois être là pour aider mon pays. »

A monsieur le Président qui lui fait remarquer que le témoin a déjà répondu, maître BOURGEOT s’emporte: « Je ne suis pas libre de poser des questions? » Maître EPSTEIN vole à son secours: « C’est moi qui vais la reposer! » Et de jouer sur la corde sensible: « On a le même âge, je me suis presque identifié à vous! Pourquoi n’êtes-vous pas allé témoigner spontanément en faveur de SIMBIKANGWA? » Et de citer les propos de son père Célestin, puis ceux de sa mère qui ne vont pas dans le même sens que ceux du témoin. Puis d’évoquer la réconciliation. Pour l’avocat, « on est dans la phase d’unité! » Le témoin de répliquer: « Cette étape de la réconciliation est dépassée. Aujourd’hui, on veut la vérité. »

Maître EPSTEIN enfonce le clou: « On peut se réconcilier quand des gens mentent pour faire condamner SIMBIKANGWA? » Le témoin de répondre: « On juge SIMBIKANGWA. Je viens personnellement, je ne suis envoyé par personne. »

Et l’avocate de poser une dernière question: « Vous avez envie de lui dire quelque chose? » « Non » répond laconiquement le témoin. Ce n’est probablement pas la réponse qu’attendait l’avocat de l’accusé.

 

Audition de Michel GAHAMANYI, frère du témoin précédent.

Comme son frère, le témoin précise qu’il ne connaît SIMBIKANGWA que depuis que ce dernier est venu s’installer dans le quartier. Le 8 avril 1994 au matin, menacés par des militaires qui s’étaient introduits chez eux, ils se sont enfuis chez des voisins. Le père du témoin appelle l’accusé pour savoir s’il peut faire quelque chose. Le témoin vivra chez SIMBIKANGWA environ deux semaines. Comme l’a évoqué son frère, il n’a pu traverser les barrières alors qu’il cherchait à quitter la capitale. Lors d’une seconde tentative, ils réussiront à se rendre chez sa tante à Kabaya, dans la région de Gisenyi.

Le témoin de redonner un récit tout à fait semblable à celui de son frère concernant leur fuite de la maison familiale. Le père de famille, le matin du 7 avril, écoute Radio Muhabura, la radio du FPR: on y annonce des tueries. Les militaires ayant échoué lors d’une première attaque de leur maison reviendront en fin de matinée. Réfugié chez un de leur voisin qui habitent juste un peu plus haut qu’eux, il se rendra ensuite chez SIMBIKANGWA qui a accepté de les recevoir. Il faut préciser que l’accusé avait demandé aux militaires qui attaquaient ses voisins de ne pas leur faire de mal.

Deux gardes en armes sont commis à la protection de l’accusé. Les jeunes GAHAMANYI les redoutent. Pendant les quelques jours où le témoin restera chez SIMBIKANGWA, ce dernier sortait souvent: « Je croyais qu’il allait au travail » avouera le jeune homme. Il partait en pickup avec ses gardes, des GP de la présidence. Concernant les barrières, il confirme bien qu’il y en avait une chez les Chinois. Par contre, tant qu’il a été là, il n’a pas vu de barrière devant la maison de l’accusé. Il ne nie pas toutefois qu’il y ait pu en avoir une après son départ. Comme l’avait dit son frère, SIMBIKANGWA est habillé en civil avant le 6 avril. Après, il portait une tenue de combat quand il sortait, et un pistolet. Lors de leur fuite, ils ont dû montrer leur carte d’identité jusqu’à Nyabugogo (NDR. Emplacement de la nouvelle gare routière de Kigali, en direction de la sortie vers Butare.) Leur première tentative de départ sera vouée à l’échec. Si SIMBIKANGWA passait, rien d’étonnant à cela: il était connu et était accompagné de GP.

Le jeune Michel a bien vu des violences sur la barrière des Chinois que l’on pouvait apercevoir depuis la maison de l’accusé, dans le jardin: on pouvait apercevoir cette barrière à travers la clôture en treillis. (NDR. Les clôtures étaient constituées de sortes de nattes généralement fabriquées en tiges de sorgho et à travers lesquelles on pouvait voir ce qui se passait dehors. C’est ce qui existe encore.) C’est de là que le témoin verra deux personnes se faire abattre sur la barrière. Il y avait bien des corps aux barrières. A propos du refus de SIMBIKANGWA de prendre son frère Pascal, le témoin évoque le fait qu’il n’avait pas de carte d’identité et qu’il avait le faciès d’un Tutsi.

Le témoin évoque ensuite un épisode qui l’a marqué. Six fusils d’assaut neufs ont été amenés à la maison. Les gardes les ont nettoyés, l’accusé en aurait remis deux à des voisins (monsieur NYAGARE et un autre qui travaillait à la BNR, la banque nationale du Rwanda) et aurait échangé l’arme que possédait son domestique. Ces armes repartiront aussitôt avec l’accusé, mais le témoin ne peut dire où. Il en aurait compté dix. Quand SIMBIKANGWA estime que la situation se dégrade, il encourage Michel à repartir. Avec le même voisin que la première fois, ils se rendront à Ngororero, puis à Kabaya, chez leur tante maternelle. Son cousin Jean d’Amour l’accompagne mais Pascal ne peut toujours pas faire partie du voyage. Par contre, ce dernier se rendra à deux reprises dans le Nord avec son « sauveur« , mais il a peur de la famille de SIMBIKANGWA, peur aussi de ses gardes.

Le témoin confirme bien avoir donné son accord, lorsque les enquêteurs lui demandent s’il accepterait de témoigner devant la justice française. Le président insiste: « Ce que vous dites peut contribuer à faire la vérité? » « Pour moi et pour les autres victimes » répond le témoin. Maître EPSTEIN n’apprécie pas du tout la façon dont le président pose ses questions. Il fulmine: « Votre façon de poser des questions? Vous prenez en otage la justice! » L’incident est clos mais l’ambiance se tend.

Parlant des déplacements de l’accusé, maître PHILIPPART (CPCR) évoque les allers et retours de l’accusé de Kigali à Kibilira. Il a bien remis deux lettres au témoin? Oui, une de son frère et une de son père. Le jeune Michel confirme bien que SIMBIKANGWA a dû faire de nombreux déplacements. Ce qui provoque les sourires de l’accusé. « Il sortait comme s’il allait au travail » précise le témoin.

Monsieur CROSSON DU CORMIER évoque l’existence des frères de l’accusé, en particulier Bonaventure MUTANGANA qui, avant le génocide, avec d’autres militaires, évoquait le fait qu’ils étaient « passés devant chez Le Tutsi » en  parlant de KAJEGUHAKWA, un homme très connu. Le témoin redoutait précisément ces frères de l’accusé dont il dit qu’ils « ont voulu (le) tuer plusieurs fois. » C’est même la sœur de SIMBIKANGWA qui l’aurait averti! L’avocat général cherche à savoir si, au Rwanda, on peut reconnaître un Hutu d’un Tutsi. Le témoin de dire:  » On peut effectivement les différencier, mais on peut aussi se tromper. Nous sommes tous des Rwandais! »

Au tour de monsieur HERVELIN-SERRE de poser quelques questions. Le témoin confirme que, du jardin de SIMBIKANGWA, on peut apercevoir la barrières de chez les Chinois, à travers le treillis. Des travaux avaient été engagés dans la maison de l’accusé, travaux qui concernaient le garage et une chambre à droite du salon mais qui n’étaient pas terminés. De la maison, on entendait bien des tirs. Quant aux cadavres, le témoin a bien vu passer des camions recouverts de draps sur la Rue du Roi BAUDOIN qui passe devant la maison. Son frère Pascal lui avait bien dit de se méfier des gardes du corps de SIMBIKANGWA qui l’avaient menacé avec un fusil. Ces gardes s’étaient même vantés d’avoir tué des gens, en expliquant les difficultés qu’ils avaient eues: leur tenue était souillée du sang de leurs victimes.

Maître BOURGEOT interroge le témoin, mais se contente de poser des questions qu’on a déjà entendues. Au président qui le lui fait remarquer, elle répond vertement: « Laissez-moi poser mes questions! » Et de reprendre en évoquant le fait que son frère Pascal restait le plus souvent à l’intérieur de la maison alors que le témoin sortait dans le jardin d’où il apercevait bien la barrière des Chinois. « C’est de là que vous voyez deux personnes se faire tabasser« ? (NDR. Le mot « tabasser »est un euphémisme car les deux personnes se feront « tuer »!) L’avocate demande au témoin si l’employé de la BNR à qui SIMBIKANGWA a donné une arme s’appelle bien monsieur VATIRI: le témoin confirme.  Elle s’étonne qu’on puisse nettoyer une arme neuve, souligne la gentillesse de l’accusé qui « n’était pas obligé de lui apporter du courrier« , cherche à savoir pourquoi son frère Pascal est parti en Suède, laissant entendre qu’il en avait voulu à leurs parents pour leur conduite pendant le génocide. Michel ne confirme pas la dernière insertion de l’avocate.

Maître EPSTEIN s’excuse mais il doit poser des questions, même si « c’est pénible. » Il fait savoir au témoin que, même si l’experte psychologue a dit que SIMBIKANGWA n’avait pas d’affects, il était ému lors de la déposition du témoin. Ce dernier redit qu’il avait tout le temps peur et qu’il a bien parlé à l’accusé des victimes de la barrière. S’il n’a pas choisi de témoigner spontanément, c’est tout simplement qu’il « voulait oublier« . Ce qu’il pense de SIMBIKANGWA? « Il était proche de HABYARIMANA, membre des Escadrons de la mort. Mais on ne voyait pas qu’il était méchant! » Il a accepté de venir témoigner mais reconnaît qu’il aurait préféré le faire anonymement: toutefois, il aurait fait le même témoignage. Au témoin qui souhaite que justice soit rendue, maître EPSTEIN insinue: « Rendre justice à toutes les victimes du génocide? » « Oui, pour leur rendre hommage. Ce serait bien si on pouvait garder la mémoire de chaque victime » précise le témoin.

Et l’avocat d’ajouter: « Si SIMBIKANGWA devait être injustement condamné, ce serait positif pour toutes les autres victimes? » Logiquement, le témoin: « Si c’est injustement, non! » (NDR. Une question qui vise sans aucun doute à instiller le doute dans l’esprit des jurés avec le mot « injustement »)

Maître BOURGEOT voudrait parler de Bonaventure MUTANGANA, mais le témoin refuse de parler d’une affaire qui est à l’instruction. Elle explique alors les conditions dans lesquelles la défense a insisté pour qu’il se présente à la barre le dernier jour du procès, croyant probablement faire le buzz. (NDR. Si MUTANGANA fait l’objet de poursuites, ne serait-ce pas la défense qui en est responsable par leur insistance à le faire témoigner? Peu de monde connaissait son existence.) L’avocate insiste en faisant remarquer que SIMBIKANGWA l’a sauvé. Ce que le témoin ne conteste pas. « Vous vous sentez obligé de l’accabler? » Et de poursuivre, un peu limite, comme pour donner mauvaise conscience au témoin:  » Si une personne avait sauvé mes sœurs et mes parents, je l’aurais remerciée! Seule votre mère l’a fait! » Froidement, le témoin réagit: « SIMBIKANGWA n’était pas mon ami. Il m’a sauvé. Mais des gens ont sauvé et ils ont tué ou fait tuer! »

Maître BOURGEOT fait allusion au témoignage de maître MABILLE que la défense a fait citer! Elle ne manque pas, comme pour réduire la portée des propos du témoin, qu’il travaille pour le gouvernement rwandais! Elle a probablement une idée derrière la tête.

 

Lecture de l’audition de monsieur Célestin GAHAMANYI, père des trois frères, récemment décédé.

Lecture de l’audition de madame Thérèse MUKAMUSANA, mère des témoins.

Audition de monsieur Pascal GAHAMANYI, opérateur de machines.

Déposition spontanée du témoin. « J’ai connu Pascal SIMBIKANGWA comme voisin quand il est venu habité à côté de chez mes parents. Il était un voisin… pas particulier… mais il n’y avait pas d’autre relation avec ma famille sauf qu’ils avaient une petite fille. À l’époque, la femme de SIMBIKANGWA organisait des visites pour occuper sa petite fille et on se rendait chez eux, on regardait la télévision, un film. Ça a été comme ça.. sans autre engagement particulier jusqu’à ce que sa femme soit partie. On y allait moins. À partir du 6 avril, c’était la période de guerre. D’abord on restait à la maison, conformément aux consignes de la radio nationale. Une journée après, des militaires sont venus chercher mon père pour tuer toute la famille. On s’est éparpillés, je suis resté à l’intérieur de la maison. Comme je ne voyais pas ma mère, je l’appelais: elle ne répondait pas. Les militaires m’ont mis à terre, ils voulaient me tuer. Ils ont demandé où était mon père et j’ai dit que je ne savais pas. Ils ont commencé à piller, deux d’entre eux me tenaient à terre avec un fusil sur la tempe, prêts a tirer. En passant près de la fenêtre, un fusil l’a heurtée: elle s’est brisée. Ma mère est venue en courant et hurlait: “Ne tuez pas mon fils!” Eux disaient: “Où as- tu caché ton Tutsi ?” en parlant de mon père. Ils l’ont mise à terre aussi. Un des militaires appelle ses collègues disant que SIMBIKANGWA a demandé de ne pas tuer cette famille. Ils sont partis, mes parents ont cherché a quitter Kigali car c’était l’insécurité totale.

Ils ont demandé aux voisins, certains ont dit qu’ils pouvait prendre ma famille mais personne ne me prenait avec. SIMBIKANGWA a fait savoir que je pouvais me réfugier chez lui.  Il m’a gardé jusqu’à fin juin-début juillet quand on a quitté Kigali pour se rendre au Zaïre.

Pendant la période où je suis resté chez monsieur SIMBIKANGWA, c’était difficile parce que j’avais un contact permanent avec les deux militaires, les gardes du corps. Ils faisaient partie des 8 militaires qui étaient venus chez nous pour nous tuer. J’ai eu des menaces chaque jour. Ils m’ont tué chaque jour. C’est difficile de se rappeler ces moments-là.

Après on a quitté Kigali. Arrivés à Goma, je suis resté avec lui pendant une semaine avant de retourner à Kigali voir mon père. »

Le président questionne le témoin sur la personnalité de SIMBIKANGWA, sur les relations qu’il entretenait avec ses parents. Il le considérait bien comme un « maneko« , « le chef des espions« , précise Pascal GAHAMANYI. Quelques questions aussi sur les fonctions de son père, haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Le témoin est amené à redire ce qui s’est passé le 8 avril lors de l’attaque des militaires. Ces événements semblent avoir fortement marqué le témoin: « Ils ont dit que javais tué HABYARIMANA et que je devais mourir! » Et d’ajouter que tous les Tutsi étaient condamnés à mort car ils avaient tué HABYARIMANA. Le jeune Pascal semble aussi marqué par le fait que les deux gardes de SIMBIKANGWA faisaient partie du groupe de militaires qui avaient attaqué la maison familiale. Il va devoir subir leur présence pendant toute la durée du génocide! Et les menaces continueront: « On t’a raté mais on va t’avoir!« 

Le témoin regrette d’avoir été écarté du voyage à Gisenyi car avec SIMBIKANGWA il ne risquait rien. Il réfute l’argument avancé: il ressemblait trop à un Tutsi. Sont évoquées les occupations de l’accusé. Le témoin rapporte les propos de SIMBIKANGWA: il fallait tuer les Tutsi qui avaient tué HABYARIMANA. D’ajouter qu’il portait toujours un pistolet et qu’une livraison d’armes a bien eu lieu, une cinquantaine qui ont été entreposées dans la maison pour repartir le lendemain.

Une barrière a bien été placée tout près de la maison de l’accusé: un arbre qui a été abattu, qui ne barrait pas complètement la route. Le témoin révèle que le chauffeur de l’accusé a été tué par ses gardes. Averti, SIMBIKANGWA aurait dit qu’il fallait se débarrasser du corps. Après cette exécution, le jeune Pascal pense que son tour viendra un jour. En attendant de trouver un autre chauffeur, c’est lui qui conduit la voiture de l’accusé. Aux barrages, ils ne s’arrêtaient pas car l’accusé était connu.

SIMBIKANGWA lui fournira bien une carte d’identité hutu. De retour à Gisenyi, il estime ne pas pouvoir rester chez sa tante de peur de leur causer des ennuis. Il voudrait rejoindre sa mère à Gitarama pour partir ensuite à Butare. C’est d’ailleurs cela qu’il reprochera surtout à son « sauveur », de n’avoir jamais proposé de le conduire dans le sud du pays. Pascal a vécu avec la pensée que chaque jour serait le dernier! Malgré l’intervention de SIMBIKANGWA, les menaces continueront. Il n’est pas possible, selon lui, que l’accusé ait pu ignorer les crimes commis par ses gardes. Pareil pour les cadavres aux barrières ou le long des routes. Même dans sa position dans la voiture, il ne pouvait pas ne pas voir.

Des menaces de mort? Il en aurait eu aussi de la part du frère de SIMBIKANGWA, Bonaventure MUTANGANA! De nombreuses questions lui sont posées ensuite sur son retour à Kigali et sa vie avec son père après le génocide.

Maître FOREMAN demande au témoin si l’accusé recevait des visites de personnalités chez lui. Il évoque le nom d’Hassan NGEZE [3], en particulier. Il dit aussi que SIMBIKANGWA était violent, même avec sa femme. L’avocat de la défense s’étonnera d’ailleurs qu’il ait pu tenir de tels propos! (NDR. Ceux qui ont connu SIMBIKANGWA d’assez près évoquent souvent ces épisodes de violence avec son épouse qui finira par le quitter! Ces témoins ne sont pas dans le dossier!)

Maître MAHASELA, pour la LICRA, rappelle au témoin ses propos concernant les camions de cadavres qui passaient devant la maison. Il confirme. L’avocate de bien faire préciser au témoin que c’est pour protéger sa famille qu’il ne veut pas rester dans le Nord. L’avocate de la FIDH, maître Léa RABAUX, veut s’assurer que SIMBIKANGWA écoutait bien la RTLM.

La Peugeot dont il a été question dans un témoignage avait été volée à un concessionnaire de la ville.

A l’avocat général, le témoin reparle de la profession de son père. Pascal croyait que son père était au PL mais on lui révèle qu’il était au MRND. Il faut dire que c’est un sujet dont on ne parlait pas en famille. L’avocat général émet une hypothèse: c’est peut-être parce que son père connaissait bien RENZAHO  [4] et qu’il avait une place élevée que leur famille a pu être épargnée! « Si mon père avait été influent, il nous aurait pris avec lui.« 

Maître EPSTEIN revient à la charge. Il veut revenir sur les deux interrogatoires du témoin. Le témoin a bien vu NGEZE [3] venir chez SIMBIKANGWA: il décrit la voiture avec précision, une machette sur le tableau de bord. L’avocat lit ses déclarations au TPIR: le témoin les confirme dans l’ensemble. Maitre EPSTEIN s’emporte en face du témoin. D’où tient-il cette histoire du chauffeur qui part avec la femme de l’accusé? Les crimes des gardes, c’est Isaïe qui vous en parle? Oui. L’avocat dit au témoin qu’il fait partie de ceux qui changent de version selon les circonstances, cela à propos de l’affaire des armes.

L’avocat fait allusion au dossier MUTANGANA mais monsieur CROSSON DU CORMIER lui fait remarquer qu’on ne peut évoquer cette affaire qui est à l’instruction. « Votre client c’est SIMBIKANGWA. Je souhaite qu’on ne parle pas d’une enquête en cours. »

C’est maître BOURGEOT qui va prendre le relai. Elle reproche au témoin de parler de choses dont il n’avait jamais parlé avant. Elle laisse entendre que le témoin n’avait pas très envie de venir témoigner, ce que ne confirme pas Pascal GAHAMANYI. Elle donne son sentiment au témoin: pourquoi l’accable-t-il? « Vous reconnaissez du bout des lèvres qu’il vous a sauvé la vie! Pourtant votre père l’a reconnu! » Le témoin n’apprécie pas que l’avocate insinue que leur père les a abandonnés. Maître BOURGEOT voudrait absolument savoir ce que SIMBIKANGWA aurait dû faire! Le témoin finit pas dire qu’il aurait dû le conduire à Butare.

De nouveau une série de questions sur la maison de SIMBIKANGWA: disposition des pièces, chambre de l’accusé, la barrière que l’on peut voir du jardin.. Quant à connaître les raisons pour lesquelles le témoin est parti en Suède, il se contente de parler de son envie de faire des études. Le reste, il ne veut pas en parler. De revenir aussi sur ses déclarations au TPIR dont le témoin n’a pas envie de parler: les PV sont mal rédigés. S’il est des sujets qu’il n’a pas abordés, c’est tout simplement qu’on ne lui a pas posé les questions.

« Si vous aviez été entendu comme témoin anonyme » (ce qui se fait en Suède selon le témoin) vous auriez témoigné autrement? » Non, cela n’aurait pas changé ses déclarations.

Parole sera donnée à SIMBIKANGWA. Dans son style qui lui est propre, il commence par la citation d’un philosophe français: « Souvent la témérité et le courage sont du côté du coupable… l’embarras et la timidité du côté de l’innocent. » Il ne comprend pas la position des témoins qu’il a tant aimés. Il se dit blessé par leurs propos. Au bout d’un long moment, le président se voit dans l’obligation de lui dire qu’il va devoir suspendre l’audience.L’accusé termine en dénonçant « la supercherie, le mensonge, le mensonge conditionné par la peur. » Il termine en proclamant son innocence.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

 

  1. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .
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  2. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  3. Éditorialiste du journal Kangura. Voir l’audition de Jean-François DUPAQUIER et dans “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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  4. Tharcisse RENZAHO, le Préfet qui a supervisé les massacres à Kigali, voir Focus/ les réseaux d’influence.
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