Procès Ngenzi/Barahira. Lundi 20 juin 2016. J29.

Audition de Géraldine UWAMAHORO, fille de Osée KAREKEZI et de Jacqueline KANSORO.

Après avoir dit que NGENZI était une autorité qui « avait le pouvoir de mettre fin au génocide« , le témoin raconte qu’elle a vu le bourgmestre « les yeux dans les yeux« , à une date qu’elle ne peut fixer, participer à une fouille dans la maison de ses parents. NGENZI aurait amené des Interahamwe [1] dans sa voiture, une camionnette. Alertée par le bruit, le témoin est allée voir par la fenêtre ce qui se passait: elle a eu très peur. Alors qu’elle allait s’assurer que le portillon de derrière était fermé, elle s’est trouvée nez à nez avec un homme qui portait fusil. Il lui a demandé sa carte d’identité. Beaucoup de gens sont arrivés et ont encerclé la maison. Ils sont entrés pour voir si des gens s’y cachaient. Les Interahamwe lui posaient beaucoup de questions et NGENZI voulait savoir où était leur grande sœur (Claire). Le témoin lui a répondu qu’elle s’était rendue chez leur grand-mère. « Ce n’est rien, elle mourra là-bas » aurait répondu le bourgmestre. Quelqu’un d’autre a demandé pourquoi ils ne voyaient pas MACUMU, un ami de sa sœur. Les gens qui étaient venus perquisitionner ont continué à circuler puis sont partis en disant qu’ils reviendraient plus tard.

Madame la présidente passe alors à la série des questions. Le témoin avait bien été mise au courant des massacres perpétrés à l’église, bien qu’elle habitât un peu loin. Mais elle ne pouvait préciser la date de la visite de NGENZI. Elle a reconnu les Interahamwe aux armes qu’ils portaient, NGENZI lui-même étant en possession d’un pistolet. Ce dernier a demandé où était sa grande sœur: «  Si nous l’avions trouvée, nous l’aurions tuée. Ce n’est pas grave, elle mourra là-bas« . Le témoin confirme bel et bien les propos du bourgmestre.

Quant à savoir pourquoi Claire était recherchée, c’est probablement parce qu’on cherchait aussi son grand ami MACUMU et qu’elle aimait les chansons de Cécile KAYIREBWA et d’Annunciata KAMALISA, toutes deux considérées comme des complices du FPR. Le témoin (NDR: qui avait 14 ans à l’époque des faits) connaissait vaguement le bourgmestre. Mais alors qu’il avait l’habitude d’être tiré à quatre épingles, il avait ce jour-là les cheveux en bataille et une tenue pas très soignée. A savoir si NGENZI était à l’aise, s’il était chef ou soumis, difficile de le dire, le témoin rappelant qu’elle avait très peur et qu’elle ne regardait pas autour d’elle.

Maître MATHE reviendra sur la configuration de la maison du témoin, voudra savoir si le témoin était avec ses parents, s’il y avait des militaires. Autant de questions qui n’apporteront pas de réponses très éclairantes. BARAHIRA, elle le connaissait mais ne l’a pas vu.

Audition d’Odette KAMPIRE, épouse du bourgmestre MPAMBARA.

Madame KAMPIRE commence par se réjouir de pouvoir dire une vérité qu’elle ne pouvait pas dire dans son pays, il y a 15 ans, quand elle était incarcérée. Le témoin raconte assez rapidement comment, alors que les combats avaient repris en avril 1994, elle a été amenée à fuir le Rwanda: son mari l’a conduite chez sa sœur, puis chez NGENZI, avant de partir vers Kibungo, sans y passer la nuit. Elle passera deux semaines à Mbare, Rusumo, avant d’entrer en Tanzanie le 28 avril. Après un séjour assez long au camp de Benako (300 000 personnes) elle rentrera de force au Rwanda où elle sera jetée en prison. Libérée après 4 années d’incarcération, elle va fuir et se retrouver à Mayotte où NGENZI viendra la rejoindre. C’est en 2008 qu’elle pourra rejoindre la métropole. Elle a bien connu le bourgmestre de Kabarondo: « C’était un homme bon, pacificateur, médiateur, qui aime tout le monde, père de famille aimant ». En détention, elle a appris de ses codétenus que NGENZI était apprécié, qu’il s’est bien comporté mais qu’il a été dépassé. Il était « impuissant« , lui auraient-il dit.

Madame MATHIEU, la présidente, va passer aux questions qui vont permettre au témoin d’être plus précise dans un emploi du temps qui n’est pas très clair. Elle redit qu’elle s’est rendue chez NGENZI le 12 au soir et que son mari est venu la rechercher le 13 en fin de matinée. Ils se seraient rendus chez des amis qui habitaient entre Kabarondo et Kayonza, pour reprendre la route vers Kibungo le lendemain. Chez le bourgmestre, il n’y avait personne d’autre qu’elle et ses enfants.

La présidente lui lit alors les déclarations de son mari devant le TPIR, racontant que le 14 avril, c’est son épouse qui est venue le rejoindre à Rukara après avoir emprunté un véhicule à NGENZI! Cette version des faits ne correspond pas du tout aux déclarations du témoin. Sans se démonter, madame KAMPIRE dira: » Je vous donne mon témoignage personnel. Le témoignage de mon mari au TPIR, je ne sais pas. Je vous dis ma vérité. » Et de poursuivre qu’elle a bien entendu une détonation vers 9 heures du matin et que son mari est venu la chercher vers 11 heures. Quant à elle, elle a vu NGENZI le 12 au soir, mais elle est allée se coucher vers 19 heures. Elle ne reverra le bourgmestre que lors de leur fuite en Tanzanie, après la frontière. Il avait une blessure à la tête: il aurait été frappé après avoir été accusé d’être un complice du FPR! Et de préciser qu’au camp de Benako les deux anciens bourgmestres n’avaient aucune autorité ni responsabilité, sauf lorsque le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés) ou les autorités tanzaniennes leur demandaient de distribuer la nourriture. A Mayotte, quand le témoin voulait « blaguer« , elle appelait le bourgmestre de Kabarondo OMAR! Jean-Marie Vianney NTAGANIRA [2]? Elle a entendu ce nom mais n’en sais pas plus. Revenant sur son incarcération à son retour au Rwanda, elle la justifie par le fait qu’elle devait « payer ce qu’aurait dû payer son mari », lui qui n’avait pas voulu la suivre mais avait préféré prendre la fuite: « Il a eu de la chance! ». Elle a été innocentée en 2001, mais comme elle aurait appris qu’on devait à nouveau l’arrêter, elle est partie.

Maître GISAGARA cherchera à en savoir plus sur les circonstances de sa fuite. Après avoir dit qu’elle avait traversé la frontière clandestinement, elle reviendra sur ses propos en disant que ce sont ses enfants qui sont passés ainsi mais qu’elle, elle était en possession d’un laisser-passer. Interrogée sur sa fuite de 1994, elle reconnaît avoir passé une barrière tenue par des civils. Quant aux massacres de l’église du 13 avril, c’est son mari qui les lui apprendra quand ils seront en Tanzanie!

Au tour de l’avocat général de malmener le témoin. Entendue le 3 février 2014 par le juge, madame KAMPIRE avait dit être restée chez NGENZI du 10 au 13 avril, tout en donnant des détails très précis sur son séjour: elle voyait le bourgmestre « régulièrement« . Mensonges? Monsieur COURROYE d’insister: « Le 13 avril il y a près de 3000 morts à l’église; quand vous partez vers 11 heures, les victimes sont déjà nombreuses, et vous, vous n’avez rien entendu? » Le témoin confirme et rajoute que son mari est venu la chercher pour partir en direction de Kayonza. L’avocat général lui rappelle les propos de son mari qui aurait été averti par des militaires, à la station d’essence, qu’ils s’apprêtaient à attaquer l’église. « C’est crédible? » Poursuivant son questionnement: « Votre mari, poursuivi par le TPIR, donne un emploi du temps précis, sans dire qu’il est venu vous chercher le 12! » Le témoin ne peut répondre. « Je vais vous aider, poursuit l’avocat général. N’est-ce pas parce qu’en 2006 NGENZI n’était pas poursuivi? Quelle est la bonne vérité, celle du 3 février 2014 devant le juge ou celle du 20 juin 2016 devant dette Cour? » Et de conclure: « La vérité de la famille est à géométrie variable« , faisant allusion aux mensonges de monsieur MPAMBARA devant la Cour d’assise.

Pour donner plus de poids aux déclarations du témoin concernant son départ de chez NGENZI le 13 avril avec son mari, maître MATHE prend la parole à son tour:  » Dans le contexte du Rwanda, est-il possible que vous empruntiez un véhicule au bourgmestre et que vous repartiez au volant? » Réponse de madame KAMPIRE qui saisit la perche que lui tend la défense: « Je n’avais même pas le permis de conduire. Et puis, il était impossible que j’emprunte un véhicule à NGENZI. »

L’audience se terminera par deux dernières questions: « Votre mari vous a dit qu’il avait été mis en difficulté devant cette Cour? » Ils en ont à peine parlé! « Vous avez de la famille au Rwanda? » Il ne lui reste qu’une sœur qui s’était réfugiée au Zaïre, les autres sont morts dont sa mère, tuée par le FPR. Maître MATHE, une nouvelle fois, a eu la réponse qu’elle attendait sur les massacres du FPR!

L’audience est suspendue peu après midi.

Alain GAUTHIER

  1. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  2. Pseudonyme sous lequel Octavien NGENZI avait masqué sa véritable identité à Mayotte. Il s’était d’abord fait appelé OMAR au camp de Benako, à l’occasion d’une conversion à l’islam (voir les témoignages de Madame ROSSINES, enquêtrice de personnalité et Jean MPAMBARA qui confirme, ainsi que la présentation d’Octavien Ngenzi dans la rubrique « Les personnes poursuivies« )
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