Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.
- Audition de Stephen SMITH, journaliste et professeur d’Études Africaines à l’Université de DUKE (USA).
- Suite de l’interrogatoire de l’accusé.
L’audience débute à 9h05. Monsieur Stephen W.SMITH, témoin de contexte dont la défense a demandé la présence, n’a pu se présenter avant en raison d’un problème de calendrier.
Il est demandé au témoin de décliner son identité (William SMITH), son âge (30.10.56), son domicile (USA) et sa profession (enseignant retraité). Le témoin étant présent dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du président, il ne prête pas serment.
Audition de monsieur Stephen SMITH, témoin de contexte, journaliste et professeur d’Études Africaines à l’Université de DUKE (USA)

Le témoin déclare spontanément : “Je suis intervenu lors du premier procès et j’interviens comme témoin de circonstances. Je ne connais pas le prévenu, je ne prends pas sa défense et je n’ai rien à dire sur lui. En 1994, j’étais au Rwanda avec le Journal Libération. Au départ, je me trouvais en Afrique du Sud pour l’élection de Nelson Mandela. Le 6 avril 1994, on nous a demandé d’aller rapidement au Rwanda, et j’ai refusé car je voulais assister à l’inauguration de la fin de l’apartheid.”
Sur le contexte du Rwanda, le témoin poursuit : “J’ai pris la relève d’un reporter à la mi-mai et je suis arrivé à BUTARE le 28 mai 1994 avec un autre journaliste. J’étais dans une ville, venant de la frontière Burundaise, j’avais loué une voiture et nous avons avancé. Nous pouvions voir le prochain barrage routier où nous étions arrêtés et fouillés. Et il y avait l’odeur du sang, des gens qui avaient toutes sortes d’instruments, des tournevis ensanglantés, et il y avait des cadavres le long de la route… On me faisait des signes d’amitié, c’était de la part des tueurs, car à cette époque la France était bien vue et il n’était pas évident pour eux de voir que j’étais américain. Nous avons fait cette route, de barrage en barrage jusqu’à BUTARE, jusqu’à la cathédrale où il y avait les derniers Tutsi qui se cachaient. Nous y avons passé la nuit, et dans le faux plafond on avait des Tutsi qui rampaient et on les entendait bouger.”
Le témoin ajoute : “Il y avait les prêtres, qui presque tous étaient Hutu et qui cachaient les Tutsi. Je me souviens de plusieurs d’entre eux, et on a dîné avec eux. La nuit, on était enfermé dans une pièce et il n’y avait pas d’accès aux wc. C’étaient des conditions assez difficiles. Le lendemain, plusieurs des Tutsi qui se cachaient m’imploraient de les prendre dans notre voiture, et en particulier une femme qui s’appelait Grâce. Et d’autres, se rendaient compte que ça n’avait aucun sens de les prendre avec nous. Elle, elle insistait en particulier. On se sentait très mal de partir, et les prêtres étaient pessimistes. Je leur disais “vous risquez votre vie en les cachant ici, mais si le FPR arrive vous allez être sauvé”. Et ils répondaient “Mais non, si le FPR arrive, ils vont nous tuer”. Et c’est ce qui est arrivé après, dans d’autres évêchés. Donc je suis parti sans eux”.
S’agissant de Grâce, le témoin ajoute spontanément : “Plus tard, j’ai eu contact avec elle, et je ne sais par quel miracle elle a survécu”.
Sur le début du génocide, le témoin explique : “Je me suis entretenu avec le prêtre Blaise FORISSIER. J’ai su que le 19 avril 1994, le président intérimaire avait fait un discours demandant de continuer les tueries, à “finir le travail”. Pour savoir à quel moment le génocide a vraiment commencé à BUTARE ce n’était pas facile, car le génocide n’a pas éclaté en même temps dans tout le pays. BUTARE, c’était la capitale intellectuelle du pays, et les gens étaient fiers de leur identité de sudiste. Les Tutsi étaient des citoyens de seconde zone, mais ce n’était pas le clivage principal”.
Le témoin poursuit à ce propos : “Pour savoir ce qui se passait à BUTARE, on nous disait “ça a commencé ici le 13 avril, d’autres nous disent plutôt le 16 ou 17”. Et j’ai bien relu mes carnets de reportage, et il y avait une grande confusion. A cette époque, n’importe quelle personne suspecté d’être Tutsi était tué. Aux barrages on disait “tu as la physionomie d’un Tutsi, tu as les faux papiers”, même avec un papier qui disait “je suis Hutu”. Avec mon confrère – qui avait un nom à consonance Belge, ils étaient très énervés contre les belges – on a essayé d’éviter de prendre les Tutsi avec nous, en raison du rôle joué par les soldats belges. Vous savez, il y avait une grande animosité contre les belges et on les a traqués.”
Sur son périple au Rwanda, le témoin raconte ensuite : “On a donc quitté BUTARE en laissant les gens qui nous semblaient condamnés et à qui on a dit “non, on ne peut rien pour vous”. Je me suis rendu ensuite à KIGALI, où les gens étaient attaqués par l’artillerie, et les gens fuyaient par les collines. Par moment j’ai même dû abandonner la voiture, partir dans les collines, et aller avec les gens qui fuyaient à pied. Je suis allé à GITARAMA à pied. Ensuite, j’ai vu KAMBANDA qui n’avait aucun levier sur ce qu’il se passait. Je lui ai demandé ce qu’il pensait sur ces tueries. Et mon impression pour résumer, c’est que ce premier ministre, assis dans son bureau, était totalement paumé. Il était dans une terrible ambivalence compte tenu de ce qui se passait à l’extérieur, parce qu’il avait professé dehors ces tueries, et il disait ensuite qu’il était contre. Et en même temps, il n’avait aucun levier pour les arrêter. Son seul levier contre le FPR, était de massacrer les Tutsi de l’intérieur”.
Le témoin ajoute: « Après cette rencontre, je suis retourné à KIGALI, j’ai couvert le génocide, et je me suis fait remplacer à un moment donné au mois de juin, jusqu’à l’Opération Turquoise. Je suis resté sur place, j’ai couvert les événements sur la fuite massive des Hutu vers le Zaïre voisin. Je voudrais ajouter que j’ai très bien connu le président KAGAME, puisqu’étant américain anglophone au moment où il était persona non grata en France, j’étais quasiment son seul interlocuteur. Et je l’ai bien connu, j’ai passé des nuits dans le maquis avec lui. Il m’a dit ”t’inquiète pas, c’est moi le chef”.
Sur la politique de KAGAME, le témoin explique : “Assez rapidement, grâce à ma bonne connaissance du FPR – que j’ai connu avant le génocide – je suis devenu très critique du régime KAGAME. Il y a une certitude : le génocide des Tutsi est une réalité indubitable, et personne ne peut mettre en doute ce fait. Mais si l’absence de démocratie a mené au génocide, je ne peux que regretter que malgré le génocide, il y ait eu une transition autoritaire devenue ensuite une dictature, au lieu de passer à une démocratie libérale”.
Le témoin poursuit pour expliquer que selon lui, “KAGAME et son armée ont traqué par autoritarisme. Ce qui n’était pas une bonne transition pour éviter que le travail soit achevé, mais plutôt un réflexe compréhensible fait par une minorité menacée d’extermination. Mais ça reste néanmoins (le régime de KAGAME) une dictature efficace. Parce que se faire élire et réélire systématiquement à 90% ; dans un endroit où vous ne pouvez pas dire que des Hutu ont défendu leurs parents Tutsi parce que ça porte atteinte à la pureté du génocide Tutsi ; et sans remettre en question qui que ce soit qui vient du Rwanda : eh bien, en terme de moralité, la question se pose de savoir si une personne qui est là (devant la cour de justice) dis vraiment la vérité. Est-il possible que les personnes entendues contribuent vraiment à la manifestation de la vérité ?”
Puis d’ajouter sur la justice : “Deux principes me tiennent à coeur : la sanction du génocide, et tirer les conséquences pour les responsables. Mais aussi la justice : comment être par delà un doute possible, quand ce qui est reproché aux uns et aux autres l’est dans le cadre d’une dictature ? C’est une vérité ? Par exemple, on a un envoi de témoins à l’échelle industrielle, qui ne pouvaient pas participer à la manifestation de la vérité au TPIR. C’est dire toute la difficulté pour le TPIR de comprendre les mécanismes, de comprendre ce qui s’est passé, avec le régime de dictature de KAGAME, qui a une vraie efficacité sur le plan intérieur. C’est vraiment un pays qui est tenu, et c’est loin des clichés des Hutu chaotiques et arbitraires. C’est loin d’être le cas, et on a un régime qui a le bras long aussi à l’extérieur. Vous avez dû remarquer à quel point c’est difficile de venir témoigner devant vous. Et si vous prenez les spécialistes du Rwanda, comme GUICHAOUA en Belgique, et bien toutes ces personnes gardent leurs forces pour défendre ce qu’ils publient, mais ne viennent pas devant vous parce que les répercussions sont telles que personne ne veut venir devant vous. Cela reflète le régime de KAGAME de l’intérieur et de son influence. Le vrai danger pour KAGAME ce ne sont pas les Hutu : ce sont ces personnes là.”
Le témoin poursuit sur la politique de KAGAME : “Il y a eu des gens tués en Belgique, et vous êtes dans une situation où dire la vérité est extrêmement difficile. Donc par mon témoignage, je tenais à apporter des réponses à vos questions. Sur le génocide des Tutsi, qui est le fait majeur, mais ensuite sur la difficulté du contexte actuel, sans parler de la politique de la France qui a joué un rôle très particulier. Je suis américain, et du temps du président Obama, j’étais expert et consulté en tant que tel. Et au début, quand ils ont fait appel à moi, je voulais savoir dans quel contexte j’étais et j’ai dit que pour moi la dictature de KAGAME est la plus redoutable du monde parce qu’elle est morbide. Il vaut mieux que je rentre: que va t’on faire politiquement avec ça ?”
Le témoin poursuit sur la France : “La France est dans une situation, et l’opinion publique a l’impression que la France a beaucoup à se faire pardonner. Le président Macron est très sensible aux mémoriels, pour l’Algérie, pour le Rwanda.. c’était la même chose. Et il a cherché à donner des gages, pour éviter qu’il y ait des accusations contre la France. Donc c’est un contexte difficile aussi en France, pour la manifestation de la vérité.”
Le témoin a terminé son récit.
Sur questions du président, le témoin explique avoir été au Rwanda le 22 mai 1994, et être arrivé par le Burundi. Il explique qu’en passant les barrages, il a assisté à des contrôles mais que plus grand monde ne circulait. Il ajoute qu’il “n’a pas vu de personnes être tuées à ce niveau-là. Je me souviens d’un barrage à KIGALI où les gens ont été tués au bord de la route. Les gens sont parfois ivres, parfois pas. Parfois agressifs, parfois pas. Sur la route du Burundi, il n’y avait plus de circulation et je pense que toute personne suspectée d’être Tutsi a été tuée”. A la question de savoir s’il y avait des miliciens qui circulaient, le témoin explique en avoir vu mais pas massivement, et que parfois il a vu des militaires passer. S’agissant des miliciens, il précise que c’était surtout le soir qu’ils patrouillaient et ajoute “les miliciens se doutaient bien que si un bâtiment n’avait pas encore été fouillé par eux, et que c’était des religieux, alors il y avait de fortes chances pour qu’il y ait des gens.”
S’agissant des Tutsi cachés qu’il a rencontrés, le témoin précise: “Les Tutsi qui étaient avec nous étaient comme des spectres et des fantômes. On les voyait, on essayait d’embrayer la conversation avec eux. Mais je n’avais pas pensé à prendre des victuailles ou autre et on avait l’impression de ne servir à rien dans une situation pénible. J’ai le souvenir d’avoir dîné avec eux, et au moment de notre départ, c’était surtout avec Grâce.”
S’agissant de Grâce, le témoin explique ne pas avoir pu la prendre avec eux car “lorsque l’on est sur un barrage, il y a des contraintes. Et j’avais déjà du retard sur les évènements parce que je venais d’Afrique du Sud, et je voulais avancer. Et en arrivant aux barrières, je leur disais qu’on m’avait déjà fouillé et qu’il fallait expédier l’affaire. Mais c’était refusé systématiquement et ils fouillaient quand même les voitures. Ils regardaient sous la banquette, etc. Chaque barrage était un moyen de gagner de l’argent, et chaque personne qui passait, on lui faisait les poches. Donc je savais qu’au-delà, je ne pourrais pas passer avec un clandestin. Et tout le monde le savait. Le faux plafond, c’était le dernier endroit où être en sécurité, donc ils savaient et ils n’insistaient pas davantage. Grâce avait beaucoup insisté, et on a été très touchés. C’était terrible de lui expliquer que ce n’était pas possible”.
À la question de savoir si le témoin a évoqué avec ses contacts les lieux clos comme les églises ou les bâtiments administratifs comme étant des lieux de refuge, le témoin explique “Oui, il y a eu des lieux, notamment à KIGALI à l’hôtel des Mille Collines, où j’ai connu le manager. On est resté en contact et je l’ai vu l’année dernière. Lui, il a sauvé 1268 personnes, et j’y suis passé régulièrement pour le soutenir moralement car il était constamment sur la brèche. Cachant des Tutsi et traitant avec les gens qui voulaient les tuer pour essayer de les protéger. Ensuite, il est devenu opposant du régime de Paul KAGAME, et mis en cause pour dire qu’il avait traité avec les génocidaires. Finalement, il a été kidnappé, amené au Rwanda, enfermé et c’est seulement sur pression américaine qu’il a été relâché. Je l’ai vu il y a 18 mois au Canada, et il a payé très cher son opposition au régime de KAGAME”. (NDR. Le témoin parle de Paul RUSESABAGINA que le cinéma hollywoodien a transformé en héros!)
Le président revient sur sa question initiale, à savoir si les églises et autres bâtiments administratifs pouvaient être considérés comme des lieux de protection, ce à quoi le témoin répond que “les églises n’étaient pas respectées, et les gens y étaient tués. Mais on ne peut pas dire ça une bonne fois pour toute. Il est important de savoir à quel jour on se situe et à quel moment sur l’axe du temps”. Sur le début du génocide à BUTARE, le témoin explique qu’il a commencé le 16 ou le 17 à BUTARE.
Sur “l’ambiguité” de Jean KAMBANDA, évoqué par le témoin lors de ses déclarations spontanées, celui-ci explique: “Je n’ai pas évoqué ses discours, qui ont choqué avec ses appels à tuer les Tutsi. Des discours qui ne laissent pas de doute sur ce que ce monsieur sollicitait”. Il précise: “J’étais dans une petite voiture au Rwanda, les discours étaient en kinyarwanda, la RTLM était disponible mais je ne comprenais pas. Mais aujourd’hui, quand je dis que c’est ambigu, je n’ai pas besoin d’en dire plus. J’ai vu un homme avec un tournevis qui venait de crever les yeux de quelqu’un, et lui (KAMBANDA) quand je l’ai rencontré me disait qu’il voulait que ça s’arrête. Je n’ai pas besoin d’en dire plus”.
A la question de savoir si le témoin a eu l’occasion d’échanger avec d’autres ministres, le témoin répond par la négative et ajoute: “Le ministre de l’agriculture ne m’intéressait pas et les lecteurs de Libération n’auraient pas lu le journal si j’avais écrit sur lui. J’en avais assez du gouvernement intérimaire. Moi, Jean KAMBANDA m’a paru impuissant mais aussi complètement coupable. Car il ne faisait rien pour arrêter les tueries. Si KAMBANDA donnait un ordre, il était exécuté. Et en ayant été 3h00 avec lui, j’ai rapporté 2-3 phrases et je l’ai trouvé monstrueusement ambiguë”.
Sur la problématique des témoignages dans le cadre de la justice évoqué spontanément, il explique “que le TPIR a essayé d’enquêter sur l’attentat où deux présidents ont été tués. Et ils ont finalement baissé les bras. Donc il a été impossible d’avoir des témoins indépendants. Je ne vois pas la difficulté pour le déduire”. (NDR : Nous sommes donc sur une déduction lui appartenant, et non un fait établi comme cela a été présenté au départ).
Le témoin ajoute “Je n’ai aucune confiance ni aucune assurance que les jugements ont été fondés sur des éléments . Car si on est dans un pays dictatorial, peut-on imaginer que du temps de Staline, on se serait fier aux témoins ? Donc je ne peux pas me fier aux témoignages des Rwandais. Il suffit de regarder les rapports : c’est une dictature, et tellement efficace qu’elle envoie des commandos de la morts dans les pays africains et occidentaux. Je ne peux pas avoir confiance en la capacité de la justice à pouvoir savoir si une victime qui parle de ce qu’elle a vécu, dit la vérité.” (NDR : on notera la décrédibilisation du témoignage d’une victime dans le discours, et non des témoins à décharges, qui pourtant ont été établis par le TPIR – voir audition de Laetitia HUSSON . La crédibilité serait-t-elle à géométrie variable ?)
Le témoin ajoute “Même si je suis convaincu de la bonne volonté du Tribunal, je ne suis pas sûr que sans connaissance de l’Afrique, la cour puisse réellement savoir juger”.
Il est rappelé à l’attention du témoin qu’il s’agit-là de questions juridiques pour lesquelles les personnes ayant à juger sont formées en la matière. D’autant que des principes de droit servent de boussoles aux juges et que le TPIR a largement rempli sa mission, prononçant des condamnations et des acquittements.
La parole est à la cour. A la question de savoir quelles solutions propose le témoin face à son constat, celui-ci n’a pas de réponse à apporter. Il ajoute, s’agissant des discours génocidaires, que tout était en kinyarwanda et qu’il n’a pas eu l’occasion de les étudier ni de les comprendre. Les jurés, par le truchement du président, posent la question de savoir quelle langue utilisait le témoin lorsqu’il était au Rwanda, celui-ci répond qu’il parlait français et qu’il n’avait pas d’interprète. Il ajoute que “ça limitait les possibilités. Et comme ça a changé aujourd’hui avec KAGAME maintenant la langue officielle c’est l’anglais. Vous savez, même au Sénégal, il n’y a pas plus de 20% de la population qui parle français”. (NDR : on ne voit pas bien le rapport avec la question d’origine).
L’audience est suspendue à 10h15 sur demande de l’accusé et reprend à 10h19.
La parole est aux avocats des parties civiles.
Trois extraits du livre écrit par le témoin, intitulé “NÉGROLOGIE : pourquoi l’Afrique se meurt” et publié en 2003 sont lus. Il est souligné qu’un des chapitres s’appelle d’ailleurs “Au paradis de la cruauté”. S.W SMITH y écrit qu’en Afrique, il faut :
p.24 : “appeler le désastre par son nom, “un temps au cours duquel le pouvoir et l’existence se conçoivent et s’exercent dans la texture de l’animalité”. Nous y sommes : des Africains se massacrent en masse, voire – qu’on nous pardonne ! – se bouffent entre eux. Les 3,3 millions de morts au Congo Kinshasa viennent après quelques 800.000 suppliciés à la machette, lors du génocide au Rwanda en 1994, après 200.000 Hutu qui ont trouvés la mort, entre octobre 1996 et mai 1997, dans la jungle de l’ex-Zaïre, après 300.000 victimes d’un génocide rampant au Burundi depuis 1993”.
“Au regard de ce bilan, peut-on continuer de se mentir ? A t-on le droit de s’interroger sur les “capacités institutionnelles de l’Etat postcolonial”, alors qu’il n’y a guère un pays en Afrique qui soit convenablement administré, plus de services postaux qui fonctionnent, que la distribution d’eau et d’électricité a dû être confiée, presque partout, à des groupes étrangers, toujours les mêmes, ces nouvelles “compagnies cessionnaires” ? Enfin, sur un continent qui n’a inventé ni la roue ni la charrue, qui ignorait la traction animale et tarde toujours à pratiquer la culture irriguée, même dans les bassins fluviaux(..)”.
p.230 : “N’est-ce pas la raison profonde pour laquelle l’Afrique, au lieu d’avancer, recule ? Ou, plus précisément, n’avance que sous la contrainte extérieure, hier coloniale, aujourd’hui tutélaire ? Le développement, l’Etat, le rang du continent dans le monde, même la santé publique ou l’éducation nationale ne sont pas, en Afrique, le souci du plus grand nombre. C’est “une affaire de Blancs”, comme on dit couramment en Afrique francophone. En somme, ce serait la suite logique d’une erreur historique d’aiguillage ayant mis le continent sur une voie de garage. Au lieu de s’épuiser à vouloir rattraper les “Maitres de la Terre”, hier les colons, aujourd’hui les “mondialisateurs”, les Africains se sont enfermés dans un passé réinventé et idéalisé, une “conscience noire” hermétiquement scellée. Aussi longtemps que persistera ce refus d’entrer dans la modernité, autrement qu’en passager clandestin ou en consommateur vivant aux crochets du reste du monde, il faudra aviver la blessure, plonger la plume dans les plaies ouvertes de l’Afrique”.
A la suite de cette lecture, il est indiqué qu’au regard de la plume acerbe de l’auteur et des idées qui sont les siennes, aucune partie civile ne débattra avec lui.
En réponse, le témoin tente d’expliquer les propos racistes figurant dans son livre et pour lequel il se défend d’avoir reçu un prix. Il ajoute par ailleurs que l’Afrique est “le seul territoire où il y a eu des violences sur fond politique ou religieux”, que “c’est une critique honnête” et confirme que le continent africain devrait prendre exemple sur l’Occident. Il termine en se posant en victime, à qui il serait fait “un procès d’intention”.
(NDR : le témoin omet sciemment d’énoncer les nombreuses critiques académiques sur son livre. Voir par exemple l’article de Julien BRACHET, la Vie des idées)
La parole est à l’avocat général. Ce dernier commence par rappeler au témoin que “l’Europe n’est pas en reste sur les violences politiques et religieuses ayant eu pour effet de tuer des civils et que nous sommes tous à égalité sur le terrain des violences. Ce qui ne nous empêche pas de les juger”. Il exprime également sa surprise quant au fait qu’il ne devrait y avoir, s’agissant notamment du contexte, que des témoins, et non pas des témoins qui semblent acquis à la défense. Il est ensuite demandé à S.W SMITH, si l’ambiguïté du discours de Jean KAMBANDA qu’il a évoqué pouvait s’apparenter à de la stratégie.
Le témoin souhaite rebondir sur les observations de l’avocat général, en expliquant “il y a de la corruption partout, mais ce n’est pas la même partout. De toute façon, il faut toujours faire attention de dire qu’il y a des violences partout. Je suis victime d’être américain et blanc, donc je suis un monstre”. Puis d’ajouter à la question posée “il n’avait qu’à prendre ses responsabilités. Et comme vous l’avez souligné à juste titre, il pensait qu’en jouant sur les nuances, condamnant à moitié, que la colère du peuple pouvait se comprendre. C’était son discours politique”.
L’avocat général indique ensuite que le Français et le Kinyarwanda étaient les langues officielles à l’époque des faits ainsi que dans les discours politiques. L’avocat général lit une pièce versée par la défense, qui est un communiqué des Forces Armées Rwandaises en date du 15 avril 1994. A la question de savoir s’il est possible de considérer qu’il s’agit justement d’un exemple d’ambiguïté officielle portée par les autorités civiles et militaires, le témoin répond “quelques jours après le 6 avril 1994, on ne savait pas que c’était un génocide. On ne voit pas que c’est un génocide sinon j’aurais laissé Mandela. Pour moi, à ce moment, ils sont encore respectables et dans ce communiqué ils regrettent la mort des soldats belges. Donc oui, c’est un discours politique qui mérite d’être interrogé. Mais aussi d’être pris au sérieux à la surface des mots, et il faut arrêter de les discréditer”.
(NDR : L’avocat général a pourtant bien spécifié que le communiqué était daté du 15 avril 1994, et non du 6…)
Sur les églises, le témoin explique que selon lui, au 16 avril 1994, il n’était pas possible de savoir si elles étaient un lieu de protection et ajoute “mais peut-on dire raisonnablement que le 16 avril on ignorait que les Tutsi pouvaient se faire massacrer ?”, n’apportant donc aucune réponse à la question posée.
À la question de savoir s’il y avait des barrières au Burundi, le témoin répond par la négative. Il précise également qu’à ce moment-là, il n’a vu personne sur les routes et qu’il était impossible d’avoir un taxi. Raison pour laquelle il a loué un véhicule à BUJUMBURA.
La parole est aux avocats de la défense. Les avocats de la défense relisent le communiqué déjà lu par l’avocat général. Il est demandé au témoin de préciser son appréciation de celui-ci et indiquent qu’il date davantage du 12 avril 1994. Lé témoin répond que la date n’a aucune importance et explique que “c’est l’armée qui est en train de perdre et qui propose de reprendre les pourparlers avec le FPR qui avance, mais qui ne prend pas ses responsabilités sur ce qui se passe” et ajoute: “J’aurai vécu cet appel comme un appel pour que les combats s’arrêtent et mettre fin à ces tueries intercommunautaires”.
Les avocats de la défense posent des questions hors de propos, et le témoin répond qu’en tout état de cause, il ne détient pas les informations demandées. Les avocats de la défense citent – une nouvelle fois – l’auteur GUICHAOUA, pour qui “la majorité des officiers des États majors tentent des choses pour faire cesser les tueries”. Le témoin fait l’éloge de cet auteur et explique avoir travaillé avec lui à plusieurs reprises. (NDR : ce qui ne fait toujours pas avancer le débat à propos de Sosthène MUNYEMANA).
Un autre extrait du livre de GUICHAOUA est lu, pour finalement que le témoin explique ne pas pouvoir répondre aux questions qui lui sont posées. Il ajoute sur questions “J’aurai du mal à vous dire ce qu’est un président en Afrique, par rapport à ce qu’est un président chez nous”.
Il est ensuite demandé au témoin de situer Dismas NSENGIYAREMYE au sein du MDR. Le témoin explique “qu’il était premier ministre et qu’il était sur la ligne dure, pour ne pas dire génocidaire.” Sur la scission du MDR avec la naissance de mouvement Hutu power, le témoin explique “qu’il y a un clivage dont Dismas va faire les frais. Power n’avait pas la connotation d’aujourd’hui au début. Le jeu s’ouvre par son allié, la France et HABYARIMANA qui dessert le carcan de la dictature. Dismas va voir sa stratégie supplantée alors que Power au départ, ça signale juste son positionnement entre les deux. C’est-à-dire que l’opposition veut se ménager une place. Et ceux qui sont in fine pour la dictature, que j’hésite à appeler Hutu, mais qui s’allient au régime HABYARIMANA et les autres sont plus ouverts à un dialogue avec le FPR. Donc Dismas fait les frais d’une scission dans ce mouvement.”
La défense cite encore un passage du livre de GICHAOUA. Les avocats de la défense tentent ensuite de faire dire au témoin que “pour le Rwandais lambda” soutenir le gouvernement génocidaire n’est pas nécessairement y souscrire. Ce à quoi le témoin répond qu’il était “acté dans la tête des personnes qu’il fallait tuer les Tutsi”.
L’audience est suspendue à 11h30 et reprend à 11h40.

La défense donne connaissance d’un extrait de Radio Rwanda, dans lequel un journaliste diffuse une lettre du Cercle des intellectuels du MDR résidant à BUTARE, avec trois signataires, dont l’accusé.
Le témoin explique que “le document dit qu’un gouvernement intérimaire a été mis en place avec l’aide de l’armée gouvernementale. Il incrimine des milliers de victimes du FPR, des massacres à l’aveugle et je pense d’ailleurs que c’est la seule référence dans les textes”. Il ajoute: “Il apporte son soutien au gouvernement intérimaire mis en place avec l’aide de l’armée gouvernementale, avec la mission de rétablir la paix dans le pays. Il y a un dérapage dans ce papier, à savoir la partialité de la MINUAR, qui est unilatérale sans aucun doute. Car il est reproché aux Belges d’être responsables de l’attentat contre le président”.
La défense cite ensuite la face du livre de Mme WRONG Michaela et interroge le témoin sur la responsabilité de la communauté internationale dans le génocide. Le témoin explique que “la France et l’Allemagne sont coupables de non assistance à personne en danger, et la responsabilité de la France est plus grande car ils se sont engagés en premier”. (NDR : Ces questions n’ont aucun rapport avec le procès en appel de Sosthène MUNYEMANA. Il ne s’agit pas ici du procès du génocide et encore moins celui de la communauté internationale)
La défense fait de nouveau intervenir le témoin sur le régime de KAGAME, ce qui n’a, encore une fois, aucun rapport avec le procès qui nous concerne. La défense pose ensuite des questions sur des évènements postérieurs aux faits qui nous intéressent, et parle notamment des problèmes actuels entre le Congo et le Rwanda et du championnat du monde cycliste.
Sur “l’exception de l’Hôtel des 1000 collines” selon les mots de la défense, le témoin explique que le responsable a réussi “à force de compromis, en cajolant les génocidaires, à gagner du temps et cacher à l’hôtel plus de 1200 Tutsi qui ont été ensuite sauvés par l’ONU”. A la question de savoir s’il était possible d’utiliser les génocidaires pour sauver les Tutsi, le témoin cite Charles Quint et explique qu’il n’est pas sûr que tout le monde en soit capable. Sur Grâce, le témoin explique que c’était impossible pour lui de la sauver. A la question de savoir si la justice rwandaise existe dans un régime de dictature, le témoin répond: “Je ne voudrais pas me substituer à d’autres, et le président a raison : je ne suis pas juriste et ce n’est pas mon rôle. Je pense que tout le monde a compris ce que je voulais dire”.
Maitre BOURG souhaite ensuite “crever l’abcès sur le livre” écrit par le témoin et indique qu’elle trouve ”important qu’il n’ait fait l’objet d’aucune poursuite”. De sorte que selon elle, il n’y aurait rien à y redire. (NDR : la défense souscrit-elle ou légitime t-elle les propos tenus par l’auteur de NÉGROLOGIE ?)
La défense parle ensuite des “lois liberticides sur la liberté d’expression au Rwanda”, et le témoin se perd dans des explications sur les statistiques ethniques qui, selon lui, devraient exister en France au même titre qu’aux USA. Le témoin conclut en indiquant qu’il est “un révisionniste permanent, et aime mettre ses convictions à l’épreuve des faits”.
L’interrogatoire du témoin se termine à 12h38. L’audience reprend à 14h19.
Suite des questions des parties civiles à l’accusé.
L’après-midi sera consacrée à la suite de l’interrogatoire de l’accusé. Les photographies versées par maître TAPIE sont diffusées à l’écran, et la parole est aux avocats des parties civiles.
Sur questions des avocats des parties civiles, il est demandé à l’accusé de s’exprimer sur une photographie où figure Dismas NSENGIYAREMYE, et légendée : “le trio Hutu power du MDR : de gauche à droite Donate MUREGO, Dismas NSENGIYAREMYE, Froduald KARAMIRA, second vice-président du MDR”.
L’accusé explique que “tout est une question de temps et d’époque”, et souhaite avoir la datation de la photographie (NDR : Il est curieux que l’accusé ignore que la photographie représentant KARAMIRA date de 1993).
Le président intervient pour demander de répondre à la question en partant du principe qu’il n’y a pas de date à communiquer. Sosthène MUNYEMANA répond à la cour que “les personnes sur la photo sont tous membres du MDR depuis sa création” et ajoute “donc ces personnes étaient sûrement ensemble avant que le MDR soit scindé en faction”.
Il est ensuite demandé à l’accusé la raison pour laquelle il à préféré prendre la fuite en empruntant une route difficile en longeant le lac KIVU pour rejoindre NGOMA, plutôt que d’emprunter le chemin sécurisé jusqu’au Zaïre, exempt de barrières. Sosthène MUNYEMANA répond que “c’est un trajet choisi par le chauffeur, et c’est lui qui savait pourquoi il prenait plutôt côté rwandais que Zaïre. On disait à l’époque que la réputation du Congo, c’était de demander des bakchichs.”
Il est ensuite indiqué à l’accusé à quel endroit il allait faire ses courses, ce à quoi il répond que “C’était à RANGO. Le jeudi, il y avait un magasin qui ouvrait parfois, et il y avait des boutiques à côté de TUMBA”. Sur question, il ajoute que près de chez lui il n’y avait pas de barrières et que “non loin de chez moi, il y a avait un petit kiosque près du bureau du secteur, et il y avait une barrière près de TUMBA et CYARWA. Et au moment où je suis passé, je n’ai pas vu de blessé. Je montrais ma carte d’identité et on me laissait passer”.
Les avocats des parties civiles lui demandent ensuite l’identité de l’autre personne qui faisait les courses, selon les termes de ses précédentes déclarations. Sosthène MUNYEMANA indique ne pas se souvenir de ces déclarations. Il ajoute ensuite à propos du téléphone, que celui-ci fonctionnait à l’international “au moins jusqu’au 18 avril, ou jusqu’au 17”. Il précise qu’il fonctionnait en local “avec des coupures au moins jusqu’au mois de mai”.
Sur le bureau de secteur, Sosthène MUNYEMANA explique avoir vu un flux de réfugiés de 7 ou 8 personnes et ajoute avoir “appris après le génocide ce qui se passait réellement, qui était à l’intérieur et qui était à l’extérieur. Enfin tout ce qui s’est passé”.
À la question de savoir si l’accusé était au courant que le 21 avril 1994 des étudiants ont été tués à l’université, l’accusé répond “Non je n’avais pas les détails. Je savais juste qu’il y avait des tueries partout à BUTARE, mais pas les détails d’où ça a pu se passer”. Les avocats des parties civiles demandent alors à Sosthène MUNYEMANA “Est-ce qu’à posteriori, vous n’avez pas une idée sur la raison des flux de réfugiés vers le bureau de secteur ?”. Ce à quoi l’accusé répond par la négative et ajoute “il y a eu des épisodes où effectivement, à un certain moment, ils ont eu le besoin de se mettre devant un bâtiment où ils pouvaient trouver plus de sécurité. Mais je trouve qu’ils étaient exposés à des miliciens qui les menaçaient devant le bureau de secteur… et je ne sais pas pourquoi à ce moment-là il n’y avait plus de flux”.
(NDR : Il ne s’agit pourtant pas d’une question piège : il n’y avait plus de flux de réfugiés parce qu’ils ont tous été tués.)
Les avocats des parties civiles insistent et demandent à l’accusé s’il est d’accord sur le fait qu’entre le 21 et le 30 avril 1994, à BUTARE, à l’université, à CYARWA, à TUMBA, à KABUTARE, au groupe scolaire KABAKOBWA, à KOVU et à NGOMA, l’absence de flux de réfugiés pouvait s’expliquer par les assassinats. Sosthène MUNYEMANA répond “moi je parle de ceux qui pouvaient chercher refuge. Mais je n’ai pas contesté ceux qui ont trouvé la mort. Je dis juste que pour ceux qui ont pu venir, je n’ai pas vu de flux.”
Il est demandé à l’accusé de confirmer que les localités mentionnées ci-avant sont bien situées autour de TUMBA. Ce dernier répond “Maître, il y a une nuance entre savoir maintenant que ces personnes dans ces localités sont à peu près à 10 km, mais l’hôpital et l’université c’est à plus ou moins 2-3 ou 5 km. Mais même à cette distance, il y a eu des tueries dans les environs, et vous pouvez ne pas savoir dans quelle localité cela s’est passé. Là vous faites un travail rétrospectif de gens qui ont recueilli des témoignages. Mais à TUMBA, il pouvait arriver que vous ne sachiez même pas ce qu’il se passait à KOVU. J’ai témoigné sur Évariste mon voisin, qui a rapporté l’épisode ou il a été attaché avec quelqu’un et je l’ai appris dans le dossier. Mais je ne l’ai pas vu sur place parce que c’est le moment où KIRUSHA a cherché refuge chez moi. Les gendarmes sont sortis avec les personnes sortis dans ma concession et c’est les gendarmes qui ont trouvé SENKWARE et qui l’ont liberé. Même les gendarmes ne m’ont pas dit “on vient de détacher quelqu’un. Ou alors les assaillants l’ont libéré à la vue de gendarmes et je l’ai appris dans le dossier, alors que ça s’est passé à 20 mètres de ma maison et je ne le savais pas. Donc des choses se passaient et vous ne pouviez pas savoir”.
Il est ensuite demandé à l’accusé s’il est d’accord avec le fait que les gens ne considéraient plus le bureau de secteur comme un lieu de refuge, ce à quoi Sosthène MUNYEMANA répond “je ne leur ai jamais dit ca. Mais que si les gens venaient, c’est parce qu’ils pensaient que c’était un lieu de refuge. Moi, je ne vois que les gens qui arrivent devant le bâtiment et je me disais “celui-là c’est un gros risque”.
À la question de savoir quelle est l’identité de la personne chez qui l’accusé a déposé Elevanie lors de sa fuite, l’accusé répond “Ma femme de ménage s’est trompé de lieu, elle ne connaît pas BUTARE. Elle aurait dû dire BUTARE et pas KABUTARE, parce qu’elle ne connaît pas. Je l’ai déposée dans la famille où elle travaillait avant, chez Fulgurance MIGABO, qui par chance, était de la même origine qu’elle. C’est pour ça qu’il est resté avec elle et a pu l’aider à retourner dans sa famille au Congo ensuite”.
Sur questions des avocats des parties civiles, Sosthène MUNYEMANA que Dismas NSENGIYAREMYE et sa femme font partie de son comité de soutien (en précisant pour celle-ci que c’est davantage parce qu’elle est son épouse mais qu’elle n’est pas inscrite comme membre actif).
Les avocats des parties civiles font lecture de trois éléments tirés de la motivation du jugement en première instance de Sosthène MUNYEMANA. L’accusé réagit en expliquant “j’ai fait appel de cette décision que je conteste, parce qu’ils parlent de liens avec Jean KAMBANDA. Quand j’ai dit qu’on était ami, ça ne permet pas d’extrapoler sur le géonocide et cette cour appréciera la nuance entre l’amitié antérieure que je n’ai jamais contesté, et la participation éventuelle.”
L’accusé conclut en expliquant que s’agissant de ses amitiés avec des génocidaires, il sépare “l’ami de ce qu’il a fait” et que s’ils étaient “emprisonnés, j’irais les voir pour les soutenir en tant qu’ami”.
Sur la motion de soutien au gouvernement intérimaire signée par l’accusé, Sosthène MUNYEMANA explique qu’il demandait une enquête sur l’attentat survenu à l’aéroport et gardée par le contingent belge, avoir été “informé de la partisanerie au sein de DALLAIRE à la MINUAR” et se défend d’y avoir accusé les Belges, qu’il considère comme “des personnes neutres qui ne sont ni du FPR ni du gouvernement”. L’accusé conclut en expliquant que ce document “est le résultat d’un compromis”.
Questions de monsieur l’avocat général
La parole est à l’avocat général. Il est demandé à l’accusé de s’expliquer sur la profondeur et l’ancienneté de son engagement en politique. Sosthène MUNYEMANA confirme avoir soutenu Dismas NSENGIYAREMYE “depuis le début du MDR”.
À la question de savoir pourquoi Dismas NSENGIYAREMYE est parti en exil, l’accusé répond “d’après ce que j’ai entendu a posteriori, il a été menacé ou prévenu qu’il risquait d’être tué par les extrémistes, et a continué à travailler. Et au moment où nous écrivons cette lettre au président HABYARIMANA? il a fait une conférence au Sénat Belge.”
L’avocat général demande ensuite à Sosthène MUNYEMANA si c’est bien au mois d’octobre dans le courier officiel du MDR que l’on voit que ce n’est pas Dismas NSENGIYAREMYE qui est nommé mais Jean KAMBANDA, l’accusé répond : “oui j’ai expliqué ici que c’est Dismas lui même, qui, au moment où le congrès a eu lieu – puisqu’il y avait eu un différent -, et pour montrer sa bonne disposition, qu’il ne voulait pas bloquer le parti. Il avait retiré sa candidature au poste de Premier ministre. Je sais aussi qu’à l’époque où il était à l’exil, il restait en contact avec KAMBANDA, qui lui rendait compte de comment ça fonctionnait jusqu’au moment où KAMBANDA a dévié”.
À la question de savoir s’il y avait un accord entre KAMBANDA et Dismas NSENGIYAREMYE, l’accusé répond “Non, j’ai dit au congrès du MDR qui a eu lieu le 22-23 juillet 93, Dismas avait été présenté par le bureau politique comme candidat futur du gouvernement à base élargie. Pour éviter le blocage, il a dit qu’il retirait sa candidature. Une fois qu’il n’était plus candidat, il se trouve menacé, il part en exil mais il continue à travailler comme premier vice -président du MDR même étant à l’étranger. Et nous, notre lettre de septembre va dans la ligne de dire que Faustin TWAGIRAMUNGU a trahi le parti, et qu’il ne faut donc pas qu’il soit présenté comme Premier ministre.”
L’accusé continuera à répondre en détail aux questions sur la politique et les rouages internes du MDR, montrant ainsi sa grande connaissance de la question.
L’avocat général questionne ensuite Sosthène MUNYEMANA sur la lettre de SWINNEN, qui montre que l’accusé est au fait de la matière politique et des débats au niveau local et national. Sur la violence du texte qui est soumis, sachant que c’est adressé à un président de la République, l’accusé explique “nous avons parlé comme un groupe informel de citoyen, donc c’était pas un document officiel. Je l’ai signé et je ne sais même pas qui en est l’auteur. J’ai vu les idées, et c’est une lettre où je m’intéresse plus à l’objet qu’à la forme”.
L’accusé ajoute “On a pas besoin d’être un homme politique pour parler de politique? Nous étions en phase avec les idées du bureau politique du MDR”. Sur question il précise “en tant que membre, je sais ce qui ne va pas dans le parti. Donc quand Faustin a eu accès à la radio, nous avons réagi à ça. Et c’est pour ça que dans ce courrier, nous citons le nom du ministre de l’information : parce qu’on voulait au moins un débat contradictoire à la radio”.
Sur la mouvance Hutu Power, Sosthène MUNYEMANA explique ne pas pouvoir daté son apparition, et ajoute avoir “entendu KAREMERA pendant un meeting et c’est à partir de là que j’apprends qu’il y a une chose qui s’appelle MDR-Power”. Il précise que le mouvement a, selon lui, dû naître deux jours après la mort du président NDADAYE, et que c’est d’abord apparu comme un slogan avant d’ajouter “ce qui m’a choqué, ce n’était même pas MDR-Power s’ils l’avaient dit dans un meeting strictement MDR. Ce qui m’a choqué, c’est qu’il le fasse dans un meeting commun MDR-MRND. C’est après que ça a évolué, c’est devenu un mouvement et ça a écrasé tout le reste”.
L’avocat général lit un extrait du livre de GUICHAOUA. Il fait remarquer à l’accusé que si en octobre 1993, il y a déjà des négociations avec le MDR-Power, c’est qu’alors le président HABYARIMANA l’avait déjà identifié en amont. De sorte que le mouvement n’est pas apparu deux jours après le décès du Président du Burundi.
Sur la motion du 16 avril 1994, l’accusé expliqué parler “brièvement du contexte” et ajoute que “les massacres venant du FPR nous en parlons, mais aussi venant de l’autre côté”.
L’avocat général lui demande si la lecture qu’il en fait, à savoir que le FPR est désigné comme responsable de la situation est juste, l’accusé répond “nous équilibrons par la suite de la lettre” et ajoute que “la présentation d’une lettre écrite par quatre personnes c’est toujours difficile.” Sur les remerciements “des forces armées rwandaises qui ont aidé le gouvernement de Jean KAMBANDA a être mis en place au 16 avril”, l’accusé explique que “c’était pour le début”. Il ajoute “à ce moment-là, je ne sais pas ce qui se passe partout. Mais j’ai entendu dire qu’il y avait peut-être des tueries à GIKONGORO, mais sans être bien informé parce que c’était très difficile d’avoir des infos. Mais je savais pour KIGALI. A ce stade, nous ne savions pas que ce serait vraiment quelque chose d’irréductible. Ça aurait pu s’arrêter là, comme les autres massacres. Et la vie au Rwanda aurait pu suivre son cours et c’est ce que nous souhaitions. Nous étions dans une crise passagère, que nous espérions passagère”.
Toujours sur le passage concernant le soutien de l’accusé à Jean KAMBANDA, Sosthène MUNYEMANA déclare “je ne sais pas si ça a été dit devant cette cour, mais le FPR avait repris le combat dès le 7 avril. Donc quand nous écrivons, nous savons que le FPR a repris les combats”. Sur le fond de la lettre, l’accusé dit qu’il n’y a pas d’ambiguïté et conclut en indiquant que “nous sommes des opposants, nous avions peur et nous n’avons pas cité le côté MRND ou la garde présidentielle comme le FPR. Mais nous savions qui était responsable de ces massacres. Et notre peur nous interdisait de dire à haute voix ce que nous savions”. (NDR : il semblerait qu’il y ait une contradiction : l’accusé a déclaré auparavant qu’il ne savait pas ce qu’il se passait, et finalement il termine son récit en expliquant qu’il avait peur et ne pouvait pas en parler)
À la question de savoir de quelles informations disposait les intellectuels du MDR au 16 avril 1994, Sosthène MUNYEMANA répond, s’agissant de la MINUAR qui est évoqué dans le document que “la principale motivation a été l’annonce du retrait de la MINUAR. Nous avons écrit à l‘ONU qui ne devait pas connaître la situation au Rwanda. Et nous voulions les interpeller sur ce sujet”. Sur questions de l’avocat général, il indique ensuite que “le 14 avril, le départ de la MINUAR a été annoncé. C’est pour ça qu’on en fait référence dans le courrier. Ce courrier, c’est un compromis”. (NDR : Encore une contradiction : Soit le 14 la MINUAR a annoncé son départ, soit le 16, personne n’en avait encore été informé).
Sur la destitution du préfet le 17 avril 1994, Sosthène MUNYEMANA explique qu’il n’en avait pas été informé et en avoir entendu parlé plus tard. L’avocat général lui fait remarquer qu’il s’agissait d’une décision importante, et que si le Cercle des intellectuels de BUTARE était capable de s’informer sur le départ de la MINUAR, il devait également être capable de s’informer sur cette destitution. Sosthène MUNYEMANA répond l’avoir appris le 19 avril. Il ajoute “le 17 avril j’étais à la réunion de BWANAKEYE. Je suis allé pour ma première ronde et donc je ne l’ai pas su tout de suite. Mais même si ça a été dit, je ne l’ai pas entendu. Les choses n’étaient pas débattues, ce ne faisait pas l’objet de débat, de répétitions et l’information pouvait passer”.
L’avocat général indique à l’accusé que celui-ci avait pourtant évoqué l’existence de propos mettant en cause l’inaction ou l’inefficacité du préfet avant le 16 ou le 17 avril. Ce à quoi Sosthène MUNYEMANA répond “non, j’ai dit qu’il y avait eu une rumeur, qu’il serait destitué mais il n’y avait pas de date ni rien. C’était une rumeur autour du 13 ou du 14”. À la question de savoir si l’accusé n’était pas curieux ou s’il n’en avait pas parlé avec François BWANAKEYE, Sosthène MUNYEMANA répond “on ne se voyait pas tous les jours vous savez. Je vivais chez moi et lui chez lui. On s’est vus mais on ne se voyait pas tous les jours. Je n’ai même pas entendu tout le discours de SINDIKUBWABO, mais juste des extraits. Je n’ai pas tout suivi mais par les extraits j’ai senti l’ampleur de ce qui se passait. Je ne sais plus si c’était le 19 ou le 20 mai.”
L’avocat général insiste afin de savoir si cette information ne lui serait pas parvenue par téléphone ou par le biais du cercle des intellectuels de BUTARE. Ce à quoi Sosthène MUNYEMANA répond par la négative et ajoute “Je n’ai jamais communiqué avec mes collègues de ce cercle. Je ne suis jamais allé chez eux, ni eux chez moi. On avait des réunions informelles et on était membre du MDR. On a pas communiqué les uns et les autres sur ce sujet là. Dès le lendemain, les tueries commencent, et chacun est enfermé sur son lieu de vie. Eux habitaient au centre ville, et je ne suis jamais allé chez ces personnes ni avant, ni pendant.”
Sur le voyage du gouvernement intérimaire à BUTARE et des ministres, l‘accusé explique ne pas avoir été informé en amont et que François BWANAKEYE ne l’en avait pas informé non plus.
L’audience est suspendue à 17h00.
L’avocat général revient ensuite sur la réunion du 17 avril convoquée par BWANAKEYE et l’organisation des rondes les jours suivant :
« Que répondez-vous aux témoins qui disent que vous n’êtes pas un sage mais représentez l’autorité à la réunion du 17 avril en tenant des propos anti-Tutsi “ennemis” ? »
Sosthène MUNYEMANA répond que ce sont des « témoignages mensongers, car il n’y a que 4 personnes sur 150 à l’avoir dit.
– Ce ne sont pas des preuves mais vos déclarations, lui rétorque l’avocat général.
– Les rondes étaient mixtes depuis le 17, soutient l’accusé.
– Ce n’est pas une preuve.
– Comme vous voulez. Du 17 au 21, les rondes étaient mixtes et se sont bien passées.
– Concernant les rondes, c’est la première fois que j’entends que des barrières protégeaient des Tutsi. Répondez.
– Les Tutsi ont pu passer grâce aux barrières.
– Parmi les rescapés des barrières, aucun ne signale ça. Au contraire, un témoin disait que les hommes qui tenaient les barrières n’étaient pas vigilants car il aurait été interpellé après.
– Les barrières ont été récupérées par des tueurs après le 21 et leurs fonctions ont changé.
– Très original comme explication. Qu’aviez-vous comme arme pour vous protéger ?
– Je n’étais pas aux barrières.
À partir du moment où « les militaires on lancé les tueries » Sosthène MUNYEMANA ajoute que « les tueurs prennent le dessus et leur contrôle, des rondes de tueurs se sont formées. » Beaucoup de gens de la population « des jeunes de TUMBA devenus du jour au lendemain des tueurs, transformés en miliciens menaçant. »
– Ces rondes identifiaient les domiciles tutsis, même les couples mixtes, indique l’avocat général. Comment savaient-ils où aller?
– C’étaient des locaux, donc ils savaient où aller.
– C’est quoi un milicien pour vous?
– Tous ceux qui sont devenus tueurs. Pas forcément des gens formés.
– Ne fallait-il pas avoir plus d’infos pour déterminer où les Tutsis étaient ?
– Ils agissaient en groupe.
– Vous avez eu une réunion secrète chez REMERA à 5h du matin ?
– Je n’ai jamais fréquenté REMERA. »
– Pourquoi le disent-ils?
– Une femme a changé de version : d’abord, elle a dit qu’il ne l’avait jamais vue, puis qu’elle l’a vu enlever des enfants.
– Vous rejetez les accusations de réunions secrètes?
– Oui, elles sont fausses.
– C’est Évariste qui le dit, des tueurs et des victimes. Pourquoi?
Sosthène MUNYEMANA s’insurge. Il y voit « des tentatives de me rattacher à RWAMUCYO, puis à REMERA, un extrémiste ». Il n’a jamais fréquenté MAMBO.
– Jean-Damascène MUNYANEZA dit que vous avez été à une réunion chez SINDIKUBWABO.
– Je ne l’ai jamais fréquenté, c’est faux.
Quant à Jean KAMBANDA, l’accusé dit ne l’avoir vu que 3 fois seulement : en août 93, le 14 mai à la faculté de médecine et en juin lors de son départ. L’avocat général poursuit:
– On vous décrit comme ayant reçu une commande d’armes par Jean KAMBANDA.
– C’est complètement faux, il n’est jamais venu chez moi.
– Avez-vous distribué des armes aux miliciens?
– Je n’ai jamais tenu une arme en main. Ça fait 30 ans qu’on ment sur moi.
La suite des questions de l’avocat général sera publiée ici ultérieurement.
Jade KETTO EKAMBI, bénévole
Lorenz UBERTI et Illaria, bénévoles
Jacques BIGOT, compléments, notes et mise en page.
Alain GAUTHIER, président du CPCR, pour les relectures et les NDR.