- Audition de Laurien NTEZIMANA, théologien.
- Audition d’Evariste NTIRENGANYA.
- Audition de Speratus SIBOMANA, détenu.
- Audition de Jean-Paul HABINEZA.
Audition de monsieur Laurien NTEZIMANA, théologien, cité par la défense. Entendu en première instance le mardi 5 décembre 2023.
L’audience débute à 9h00. Monsieur Laurien NTEZIMANA est appelé à la barre pour témoigner. Il est demandé au témoin de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité.
Le témoin commence par demander l’indulgence de la cour, car celui-ci ne sera pas en mesure de donner des dates précises, eu égard au temps écoulé.
Le concernant, il explique avoir terminé ses études en théologie à Louvain (Belgique), en 1990. Il indique à ce titre que la guerre avait commencé au Rwanda. Il indique être rentré au Rwanda en avril 1990, où il a été nommé au diocèse avec les dénommés Modeste et Innocent, avec qui il a créé “La voie de la Paix”. Il explique qu’à cette époque, l’ancien préfet de Butare Jean-Baptiste HABYALIMANA leur avait demandé d’apprendre “La voie de la Paix” à tous les responsables de la paix publique (bourgmestre, conseillers de secteur, etc..). Chose faite en 1993, où ils ont formé environ 400 personnes.
Il ajoute que le 6 avril 1994, au moment où l’avion présidentiel est abattu, le mot d’ordre donné par les militaires était de ne pas quitter son domicile. Si bien qu’il n’a pas su immédiatement ce qui se passait. Le témoin habitait du côté du secteur de NGOMA, puis est allé vivre du côté de MACYAZO. Il explique y avoir vu de nombreuses personnes Tutsi se cacher, et avoir vu beaucoup d’enfants mourir de faim. Le témoin explique qu’à ce moment-là, il prit la décision d’aller leur acheter des beignets pour tenter de les nourrir.
À ce titre, il explique être allé chercher de la nourriture au Burundi, “vu l’état de famille du pays”. Laurien NTEZIMANA ajoute, s’agissant des religieux Tutsi, que ceux-ci ne travaillaient plus car ils se cachaient : “je ne savais pas encore que ce serait un génocide, mais les Tutsi étaient persécutés”. Il explique avoir organisé une distribution en nourriture à la paroisse de NGOMA, et être allé jusqu’au monastère de SOVU pour apporter du riz aux Tutsi qui s’y étaient réfugiés. Il précise que lorsque les militaires le voyaient faire, ces derniers lui disaient que les Tutsi étaient l’ennemi, et le témoin leur répondait “qu’il s’agit de femmes et d’enfants, ça ne peut pas être des ennemis”. Néanmoins le soir, lorsqu’il déposait le riz, les militaires armés le confisquaient.
Il expose ensuite avoir caché des Tutsi à son domicile, pouvant aller jusqu’à 46 personnes. Il précise que lorsqu’il fallait fuir de chez lui, il les aidait à se cacher dans les fourrés. Il raconte à ce propos que malheureusement, certains d’entre eux ont tout de même été tués.
S’agissant de sa famille, il explique les avoir amené dans la commune de CYANGU (commune de son épouse) pensant qu’ils y seraient en sécurité. Puis il est retourné à BUTARE “aider les gens, les nourrir, les cacher et envoyer les enfants au Burundi dans le camion du Père des hommes”. Il explique que ce qui le faisait tenir debout “c’est la bonne puissance : énergie, stabilité et union”. Il explique que “ça me faisait tenir face aux armes. Parce que l’énergie, c’est la capacité de ne pas se résigner, la stabilité c’est de ne pas fuir le lieu du témoignage et l’union c’est la capacité de considérer tout être humain comme un frère ou une sœur.”
Le témoin continue son récit en expliquant que vers le 10 juin 1994, il a réalisé un prêche à l’église de NGOMA, dans lequel il appelait à la dignité et à la survie des Tutsi. Il raconte qu’à ce moment-là, il venait de “se condamner à mort sans le savoir, parce qu’ils m’ont dit “on a pas besoin de témoin, il vient de prouver qu’il travaille avec l’ennemi”. Ils se sont ensuite rendus chez lui, pour chercher une prétendue radio avec laquelle le témoin communiquerait selon eux, avec le FPR. Néanmoins, le témoin explique qu’il avait de la bière chez lui, de sorte qu’il a fallu leur offrir un verre, le partager avec eux et leur expliquer le sens de son propos pour avoir la vie sauve.
Il explique ensuite avoir été membre d’un des trois conseils de sécurité de son secteur avec un dénommé Théophile. Il explique qu’ils tentaient de stopper les massacres, et que certains ont pu être évités. Le témoin explique qu’à la fin du mois de juin, il est parti dans le sud-ouest à NYARUSHISHI pour appeler les français de la Zone Turquoise[1] au secours, afin qu’ils évacuent toutes les personnes qu’ils avaient réussi à cacher. Une patrouille est intervenue le vendredi 1er juillet 1994, et le témoin est ensuite retourné à BUTARE le 3 Juillet.
À la question du président, le témoin explique que c’est la société rwandaise qui le met du côté hutu. Il explique que lui-même, il se sent d’abord être humain. Sur question du président, le témoin explique ensuite que durant le génocide, il se trouvait à NGOMA. Il précise qu’il connaissait TUMBA mais reconnaît ne pas s’y être rendu durant le génocide.
S’agissant de ses liens familiaux, il explique que le bourgmestre Joseph KANYABASHI, était son cousin. Il explique que durant la période du génocide, Joseph KANYABASHI était surnommé KANYABATUTSI. A son propos, il explique qu’ “il était le bourgmestre de NGOMA et je pense qu’il a dû exécuter les ordres qu’on lui donnait. Je pense qu’il aurait pu mieux faire s’il n’avait pas été terrorisé. C’est à lui que je m’adressais quand je voulais des permissions de sortie”. Il conclut en expliquant que Jospeh KANYABASHI a été condamné pour sa participation au génocide.
Sur question du président, Laurien NTEZIMANA explique que lorsque le président SINDIKUBWABO est venu lancer les tueries le 19 avril 1994 à BUTARE, ce dernier s’est adressé à Joseph KANYABASHI “pour faire le travail”. A la question de savoir depuis quand le témoin connaît Sosthène MUNYEMANA, il explique que c’est depuis 1994, au travers des récits qu’il a pu lire.
S’agissant du devenir des personnes enfermées dans le bureau le secteur de TUMBA puis transféré dans les locaux communaux à partir du 23 avril 1994, le témoin explique ne pas avoir su qu’ils avaient été transportés. Il explique en revanche, avoir vu des gens arriver à la préfecture de BUTARE, que ces derniers étaient gardés, et que “de temps en temps on venait puiser dans le tas pour les tuer”. Il précise que des Tutsi étaient enfermés au secteur de NGOMA et au centre de SANTÉ. Il ajoute qu’ à un certain moment, le comité de sécurité de la préfecture a voulu que je les conduise à KARAMA (12 km de la ville). J’y suis d’abord allé seul, j’ai vu qu’on brûlait les maisons et que des Tutsis étaient en train de se faire tuer. Je suis donc revenu et j’ai refusé”. Il précise que “ceux qui lui ont donné cet ordre sont les responsables du comité de préfecture, dont mon cousin”. Il explique qu’ensuite, “on m’a dit de les envoyer à SIMBI J’ai fait la même chose et j’ai d’abord vérifié ce qu’il s’y passait avant de les y conduire. Ensuite on est parti à travers champs et j’ai demandé au curé de NGOMA d’aller voir. Il est revenu me dire que les Tutsis sont en train de se faire tuer. Donc on les a ramenés en ville et les militaires m’ont dit “tu es un imbécile, il fallait les emmener. Tu ne comprends pas ce que l’on est en train de faire”. J’ai refusé d’amener des gens se faire tuer et le 30 ils les ont amenés à NGOMA. Et ils se sont fait tuer.” Et le témoin de conclure “Donc vous savez, quand on mettait les gens ensemble, ce n’était pas pour les mettre en sécurité, c’était pour les tuer”.
S’agissant des rondes et des barrières, le président demande au témoin ce qu’il pense de ceux qui disent qu’elles auraient été mises en place le premier jour pour la sécurité. Le témoin explique ”qu’à chaque accès d’un secteur, il y avait des barrières pour la sécurité du secteur et qu’elles devaient veiller à contrer l’ennemi. Mais comme l’ennemi était devenu le Tutsi, on tuait donc les Tutsis aux barrières”.
S’agissant du bureau du secteur, il est demandé au témoin ce qu’il pense des déclarations selon lesquelles si des Tutsi y étaient enfermées, c’est que c’était pour leur protection même temporaire. Laurien NTEZIMANA botte en touche en expliquant que cela dépend des intentions de la personne. Il explique cependant que lui-même a caché des enfants dans un orphelinat qui existait avant le génocide, et dont il s’occupait en tant que responsable de la KARITAS. Il lui est alors posé la question de savoir si lui-même aurait mis des enfants dans un local administratif comme le bureau de secteur pour les protéger. Ce à quoi le témoin répond que “les mettre dans un bureau administratif aurait été une façon de les condamner à mort, car ils auraient été mis sous le nez de tout le monde”.
La parole est à la cour, qui n’a pas de question à poser au témoin.
Sur question des avocats des parties civiles, le témoin explique que c’est le peuple qui élit les membres du conseil de sécurité. Il précise que sa désignation est le fruit “de sa notabilité et des formations dispensées aux représentants de la chose publique”. Il précise sur question des avocats des parties civiles que “lorsque les intellectuels se mettent en mouvement et qu’ils mettent la population en mouvement, il est alors difficile à la population de ne pas suivre le mouvement qui vient d’en haut”.
A la question de savoir si Sosthène MUNYEMANA, qui faisait partie des notables en tant que médecin, pouvait rester anonyme, le témoin indique notamment qu’il est impossible que l’accusé soit resté un anonyme.
Sur question des avocats de la partie civile, le témoin confirme que le regroupement de personnes dans les bâtiments administratifs et les Églises était destiné “à faciliter les choses aux tueurs”. Il ajoute, sur questions des avocats des parties civiles, qu’avant le 19 avril 1994, les réfugiés attaqués venaient de MARABA et se réfugiaient à Butare et que le 16 avril 1994 a eu une réunion à GIKONGORO avec le préfet de BUCYIBARUTA.
S’agissant de sa sœur, le témoin explique qu’elle s’appelait Félicitée NYETEGEK et était responsable d’un centre de retraite dans le nord du pays. Il explique que beaucoup de gens avaient fuis vers elle. Il raconte qu’elle a été surprise chez elle, et que leur frère, le lieutenant colonel MUVUNYI lui avait envoyé des émissaires pour la sortir (sauver la vie), ce qu’elle aurait refusé. Elle leur a dit à cette époque “Je sais que tu ne peux pas nous sortir tous, donc je préfère mourir avec ceux que Dieu m’a confié. Si nous survivons nous nous reverrons demain. Et si nous mourons, nous prierons pour vous”. Le témoin poursuit en expliquant que Félicitée NYETEGEKA les a accompagnés jusqu’au lieu où les gens étaient massacrés et que les militaires qui la connaissait ne voulaient pas la tuer.
Le témoin raconte que sa sœur a pris la parole en ces termes “vous voulez tuer tous mes enfants, alors à quoi ça sert de vivre ?”. Avant de conclure “Et ils l’ont tué.”
La parole est à l’avocat général.
Sur sa question, le témoin explique avoir été désigné au comité de sécurité de NGOMA le 19 avril 1994, après le discours du président SINDIKUBWABO. A la question de savoir à combien de réunions le témoin a participé, celui-ci explique qu’il y avait des réunions formelles une fois par semaine et chaque fois qu’il y avait besoin.
A la question de savoir s’il y a eu un basculement à l’ordre du jour du comité, c’est-à-dire mettre sur la table l’organisation de la tuerie des Tutsi, le témoin répond par la négative. Il précise sur question s’être interposé aux Interahamwe lorsqu’ils sont venus chercher sa voisine pour la tuer.
A la question de savoir comment les massacres n’ont pas pu être organisés dans son secteur et que cela l’a été à TUMBA, le témoin indique ne pas connaître la dynamique de TUMBA. Le témoin explique ensuite sur question de l’avocat général, “qu’il était possible de sauver les Tutsis mais qu’on se faisait tuer. A moins de le faire discrètement, et surtout pas publiquement”.
Sur question de l’avocat général, le témoin explique “avoir réussi à tenir tête aux militaires car il avait un frère colonel, qu’il lui ressemblait et que la plupart des militaires le connaissaient, ce qui servait à le protéger”.
La parole est à la défense. Ils posent une multitude de questions sur Joseph KANYABASHI, bourgmestre et cousin du témoin, jugé par le TPIR et condamné pour sa participation au génocide. La défense lit des extraits du jugement et demandent au témoin de s’exprimer sur la réputation de son cousin durant de très longues minutes. Il précisera sur question des avocats de la défense ne pas avoir été dans la confidence des décisions prises par Joseph KANYABASHI durant le génocide. Il précise néanmoins qu’il “aurait aimé qu’il aille dans le sens contraire, même s’il avait peur”.
A la question de savoir si les locaux administratifs étaient des lieux où les réfugiés Tutsi pouvaient se rendre spontanément, le témoin explique qu’il “y avait des personnes qui y allaient spontanément car ils espéraient une protection, et d’autres qui y étaient emmenés”, précisant “ils ont très vite compris que c’était plutôt des endroits à éviter”.
Les avocats de la défense citent le documentaire “La marche du siècle” où apparaît le témoin, et demandent ce que ce dernier qui y était interviewé entendait par l’expression “le pouvoir parallèle”. Laurien NTEZIMANA explique qu’il parle des Interahamwe.
Enfin, s’agissant des rondes, le témoin explique sur question des avocats de la défense qu’il était presque impossible de s’opposer aux tueurs. Il raconte toutefois une anecdote selon laquelle Joseph KANYABASHI avait donné 50.000 francs pour sauver l’abbé Jérôme, curé de NGOMA, et que cette transaction avait porté ses fruits.
L’interrogatoire du témoin prend fin à 11h05. L’audience est suspendue et reprend à 11h22.
Audition de monsieur Evariste NTIRENGANYA, en visioconférence. Entendu en première instance le vendredi 1 décembre 2023.
Evariste NTIRENGANYA se présente en visioconférence depuis le Rwanda, accompagné d’un interprète. Cité comme témoin, ce dernier est actuellement détenu à la prison de KARUBANDA (Butare). Il a été condamné par une juridiction de Gacaca à une peine de 30 ans de prison pour sa participation au génocide.
A titre liminaire, le président explique que pour davantage de fluidité, il sera changé d’interprète toutes les demi-heures (3 interprètes sont présents à l’audience, en plus de celui qui assiste le témoin).
Le témoin indique à la cour ne pas avoir de lien de parenté avec Sosthène MUNYEMANA, et ne pas connaître non plus les parties civiles. Il prête ensuite serment de parler sans haine et sans crainte et de dire la vérité, toute la vérité.
Le témoin déclare spontanément : “Ce que je sais de Sosthène MUNYEMANA, c’est que lorsque le génocide a commencé chez nous à TUMBA, nous venions de faire quelques jours avec lui dans les rondes nocturnes. Et quand les massacres ont commencé, on a continué à en faire avec lui, même si ce n’était pas toutes les nuits. Et à la fin des massacres, nous avons fui, mais je précise que je n’ai pas fui avec lui. Autre chose le concernant, c’est que dans notre voisinage il y a eu des victimes tuées et ils ont été tués en sa présence et en ma présence. C’est pour cela, comme je suis au courant, que je suis venu témoigner”.
A la question de savoir quelle était l’ethnie des parents du témoin, celui répond qu’ils sont Hutus. Il précise, sur question du président, ne jamais avoir bénéficié de réduction de peine pour sa condamnation. Le témoin explique ne pas avoir plaidé coupable au sein de cette procédure, tout en n’étant pas innocent de ce dont on l’accuse. Il explique qu’au tribunal, il n’a pas plaidé coupable mais qu’avec le temps ”il s’est réconcilié avec dieu et fini par assumer”. Sur question du président, le témoin explique avoir été condamné plus précisément pour avoir commis des massacres à Tumba, et ce sont ces massacres qu’il indique avoir reconnu.
Sur question du président, le témoin explique être né à Tumba. Le témoin confirme avoir habité secteur de GITUWA dans le secteur de TUMBA durant le génocide. Il explique qu’à cette époque, le bourgmestre s’appelait Joseph KAYABASHI, que le responsable de cellule s’appelait Gérard MAMBO Gérard et que le conseiller de secteur était François BWANAKEYE plus tard remplacé par Félicien KUBWINANA. Sur question du président, il explique avoir été membre du MRND.
S’agissant du génocide, le témoin explique que celui-ci débute à TUMBA le 21 avril 1994 à 9h00. Il précise qu’avant le démarrage du génocide et juste après l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA, il y a eu des réunions administratives à TUMBA. Le témoin confirme qu’aux alentours du 17 avril 1994, il a été décidé de créer un comité de crise. Il explique que ce comité a été créé dans une réunion qui s’est tenue pendant la nuit chez RUGANZU, et que la population ordinaire n’ayant pas été conviée, n’a pas su qui en était membre.
Le président indique que le témoin avait parlé d’une réunion en date du 20 avril à l’hôtel flocon à Butare. Le témoin explique se souvenir de l’avoir évoqué mais indique ne pas y avoir participé. Il explique avoir appris que ce soir-là un avion avait atterri à l’aérodrome de Butare., et que le lendemain, le génocide avait commencé.
Le président lit un extrait de l’audition du témoin en date du 29 septembre 2010, interrogé à cette époque par Patrick GEROLD sur le déroulement des évènements du 21 avril 1994 à TUMBA :
“les éléments commencent déjà la veille le 20 avril à 19h00, quand des militaires de la garde présidentielle (une trentaine), arrivent par l’aéroport de Butare. Ils se sont rendus à l’hôtel flocon, d’où ils ont convoqué les autorités administratives de Butare et des environs. HAKIZIMANA Faustin (chef du PSD), REMERA Siméon (chef du CRD), BWANAKEYE François le conseiller de secteur, KUBWMANA Félicien et MUNYEMANA Sosthène y sont allé pour représenter notre secteur. Un militaire a pris la parole pour dire qu’il fallait agir en premier avant les Tutsis, sinon on allait se faire tuer par eux. Des listes de Hutus avaient été établies, et ceux qui y étaient allaient se faire tuer par les Tutsis. Il était demandé que les Hutus se défendent”.
Le témoin reconnaît avoir déposé ce témoignage, mais indique à la cour qu’il a dit “qu’à bord de cet avion il y avait des autorités, pas des militaires, et que ce sont ces autorités-là qui ont tenu cette réunion”.
Sur question du président, le témoin indique ne pas se souvenir avoir déclaré qu’une autre réunion s’est tenue le lendemain matin le 21. En revanche, il indique que c’est Faustin qui lui a dit que s’il ne commençait pas à tuer, ils se feraient tuer par les Tutsis.
Le président explique que le témoin a déclaré avoir été convoqué le lendemain à 6h00 du matin chez REMERA, et qu’au cours du chemin il lui avait parlé de la réunion de la veille à l’hôtel faucon. Le témoin indique que chez Siméon REMERA il y avait plusieurs personnes dont Sosthène MUNYEMANA. Il explique que REMERA Siméon était considéré “comme un demi dieu, le représentant du CDR et que c’est chez lui que tous les Hutus se rassemblaient”.
Le président indique que le témoin a dit dans ses déclarations “REMERA était un peu notre roi et quand il donnait un ordre, il fallait que cela soit exécuté”. Ce que le témoin confirme. A la question de savoir quelle était la position de REMERA vis-à-vis des Tutsi et du génocide, le témoin explique que ”tous les intellectuels Hutu étaient chez REMERA Siméon, et après les réunions ils communiquaient des instructions aux responsables, qui a leur tour” communiquaient à la population. A la question de savoir quel rôle Siméon REMERA a joué dans le génocide des Tutsi, le témoin déclare que “celui-ci est responsable de tous les maux à TUMBA : Il supervisait le génocide”.
Il précise que la population de TUMBA “a résisté aux massacres jusqu’au 20 avril, et d’un coup, il y a eu un véhicule à bord duquel se trouvait des jeunes gens supposément venus de NGOMA. C’était un véhicule tout terrain qui appartenait à ONAPO. Et ce sont ces jeunes qui ont tué quelqu’un en contrebas de chez François BWANAKEYE. C’est cet incident qui a débuté le génocide, et ensuite le véhicule a sillonné les rues, tout en tuant et visant la population et en disant “on vous donne l’exemple, vous avez vu comment il faut faire”.
A 12h00, a lieu le changement d’interprète.
Sur question du président, le témoin explique que si François BWANAKEYE a été remplacé, c’est parce qu’il était vieux et qu’il n’était pas capable de gérer la situation.
Le président explique que le témoin a accusé Sosthène MUNYEMANA d’être soit présent, soit d‘avoir accompli certaines choses durant le génocide. De sorte qu’il lui est demandé de préciser. Le témoin explique que “Sosthène MUNYEMANA était parmi les attaques, il était avec nous lors des attaques. La première fois, ils ont débusqué un enfant qui était le fils de son voisin. Il avait sauté au-dessus de la clôture et s’était réfugié chez Sosthène MUNYEMANA. Nous avons lancé l’attaque et je signale que le portail était fermé. Nous avons grimpé sur la clôture en brique qui est tombée. Nous sommes allés au salon, nous avons demandé à Sosthène MUNYEMANA de nous livrer l’enfant. Il a d’abord refusé puis finalement il nous l’a livré. Mais s’il avait donné de l’argent, on serait sans doute reparti”.
Il est indiqué aux jurés que ces éléments ne sont pas dans le dossier. Il est demandé si cette scène avait été évoquée auparavant à des policiers, et le témoin répond l’avoir pourtant dit à l’enquêteur qui l’a interrogé.
A la question de savoir ce qu’il s’est passé le 23 avril avec le meurtre des deux fils de KAMANA, le témoin explique que “ces deux personnes ont été tuées en contre-bas de chez Sosthène MUNYEMANA, tués par Faustin”. Le président explique qu’à l’époque, le témoin a déclaré qu’ils avaient été tués par Melchior et non Faustin. Le témoin explique que “Faustin a donné des instructions et demandé à Melchior de le faire, et Melchior vivait chez Félicien”. Il confirme ensuite que Sosthène MUNYEMANA a vu la scène.
Il est ensuite demandé au témoin s’il se souvient d’un autre sujet qui se serait déroulé dans la nuit du 23 avril 1994, avec un professeur qui aurait été tué, en lien avec Sosthène MUNYEMANA. Le témoin explique que ce professeur “habitait au niveau de l’antenne de l’ONATRACOM, et qu’il habitait à côté de chez KAMANA”. Il explique qu’il n’était pas présent, “mais on m’a rapporté qu’on l’a tué. On m’a raconté qu’on avait aussi tué le fils Ignace”.
Le président lit un autre extrait de ses déclarations selon lequel un professeur de BUTARE aurait connu Sosthène MUNYEMANA :
“La nuit du 23 avril, je n’en suis plus certain, on a eu un renseignement pour localiser le professeur. Vers 19h30 on l’a capturé à son domicile, qu’il avait réintégré depuis. En chemin pour la fosse de RUGANZU, on a croisé Sosthène MUNYEMANA près de chez lui. Il nous a accompagnés, a discuté avec le professeur qui le suppliait, et Sosthène MUNYEMANA a rétorqué que ce n’était pas possible de le libérer et on a continué jusqu’à la fosse où il a été exécuté à la machette par NYIRINKA”. Il est demandé au témoin s’il confirme les précédentes déclarations mais le témoin déclare ne pas s’en souvenir. Le président fait remarquer qu’il avait pourtant confirmé ce point dans ses auditions suivantes.
Sur question du président, le témoin explique avoir vu Sosthène MUNYEMANA ”avec un grand bâton long, qui portait un chapeau de vieux, et portait souvent le soir un long manteau noir”. Le témoin ajoute avoir vu l’accusé avec ce bâton se balader la nuit. Sur question du président, il précise que “Sosthène MUNYEMANA participait lors des rondes, et une fois ils ont tué un homme, à côté de l’ONATRACOM,” et ajoute que “Sosthène MUNYEMANA n’a rien fait, mais tout le monde était présent. Cet homme a été sorti de force, et on l’a tué”.
S’agissant des barrières, le témoin explique que celle sur laquelle il se rendait souvent était celle la plus proche de chez lui. S’agissant de Sosthène MUNYEMANA, il explique que ce dernier “circulait sur ces barrières mais je ne l’ai jamais vu tuer quelqu’un”. Sur le bureau du secteur, le témoin explique “avoir vu deux hommes enfermés au bureau de secteur de TUMBA. L‘un d’eux n’était pas de TUMBA et a été relâché et l’autre a été conduit à la préfecture”.
Néanmoins sur question du président, le témoin indique ne pas se souvenir que Sosthène MUNYEMANA ait enfermé des personnes au sein du bureau de secteur. Il explique que les clefs “étaient détenues par KUBWIMANA”, confirmant ses précédentes déclarations.
A la question de savoir si Sosthène MUNYEMANA a joué un rôle actif dans le génocide des Tutsis, le témoin répond “qu’il est difficile de répondre mais je confirme qu’il était avec nous partout. Il circulait avec nous, quand ses voisins ont été tués, il était là. Il ne me connait pas mais moi je le connais”.
La parole est à la cour. A 12h30, a lieu le changement d’interprète.
Néanmoins, il nous est impossible de terminer ce compte-rendu. En effet, des problématiques liées à la traduction des questions posées et des réponses émises par le témoin ne permettent pas de retranscrire cet échange.
L’audience est suspendue à 13h04.
Il est demandé aux jurés de sortir de la salle et aux avocats de s’approcher. Les avocats des parties civiles feront part des nombreuses erreurs de traduction constatées. Sosthène MUNYEMANA, interrogé également à ce sujet en présence de ses avocats, expliquera que la traduction réalisée par le troisième interprète ne semblait pas correspondre aux questions posées, ni aux réponses formulées par le témoin.
L’audience est reprise à 14h15.
Les avocats des parties civiles n’ont pas de questions à poser.
Questions de l’avocat général. A la question de savoir s’il était normal que Sosthène MUNYEMANA participe aux réunions alors qu’il était médecin ,le témoin répond qu’il n’était pas le seul. Et de donner quelques noms.
L’avocat s’étonne que le témoin ait pu participer à la réunion du 21 avril, à 5 heures du matin! Le témoin dit avoir été averti par un ami, le fils du conseiller Félicien. Il confirme qu’il n’était pas présent à l’Hôtel Faucon le 20 février à l’arrivée des GP. Monsieur l’avocat général lui fait remarquer qu’il a parlé de BWANAKEYE alors que ce dernier avait été remplacé par Faustin KUBWIMANA.
Toujours sur question de l’avocat général, le témoin déclare que pratiquement tous les Hutu de TUMBA ont participé à des rondes, que c’était obligatoire.
La parole est à la défense. Sur questions de maître BOURG, le témoin déclare qu’il n’a pas participé à la réunion chez REMERA. C’est MAMBO qui lui en a parlé. Par contre, il était présent chez RUGANZU.
Concernant la mort d’Igance GAKUBA, les Gacaca ne citent pas MUNYEMANA comme présent sur les lieux. L’avocat s’étonne que le témoin ait dit le contraire. Ce dernier explique qu’il y avait deux Ignace, un fils de RUSHONDA. C’est lors du meurtre de ce dernier qu’était MUNYEMANA.
Maître BOURG passe alors en revue tous les meurtres évoqués dans les Gacaca pour faire remarquer que son client n’était jamais présent.
Et MUNYEMANA aurait été présent lors de l’attaque chez Laurence KANAYIRE? Le témoin répond que tout le monde participait aux attaques pour piller. Il lui semble bien que l’accusé était là. L’avocate s’étonne que le témoin n’ait jamais mis en cause MUNYEMANA auparavant dans les Gacaca. Le témoin de répondre: » Beaucoup de temps s’est écoulé. Nous étions partout avec Sosthène MUNYEMANA. En Gacaca, je n’ai été questionné que sur mes crimes.
Maître LEVY et mettre LURQUIN interviendront rapidement sur un point ou l’autre sans vraiment d’importance. Le témoin ne savait pas que la femme de BWANAKEYE était Tutsi. Si lui a quitté TUMBA en juillet 1994 pour revenir en 1997, il n’en sait rien pour MUNYEMANA.
Audition de monsieur Speratus SIBOMANA, détenu à la prison de KARUBANDA/NUYE, en visioconférence. Cité par la défense.
Le seul fait que le témoin soit capable de raconter, c’est lorsqu’un Tutsi, poursuivi par un groupe de tueurs, a sauté la clôture de chez Sosthène MUNYEMANA, pour y être accueilli. L’accusé aurait dit: « Quelqu’un qui rentre chez moi ne dois pas mourir. » Le responsable du groupe des assaillants s’est exprimé: « Respectons les paroles de notre médecin. » Chez MUNYEMANA il y avait aussi un de ses voisins tutsi, Evariste SENKWARE.
Sur questions de monsieur le président, le témoin poursuit.
« Mes parents étaient Hutu. J’ai été accusé de participation aux attaques à TUMBA. J’habitais là depuis peu et j’ai dû participer aux attaques pour ne pas être considéré comme complice. J’ai plaidé coupable mais pas pour le meurtre dont on m’accusait. J’ai été condamné à trente ans de prison.
J’ai adhéré au MDR modéré lors du multipartisme. Agathe UWILINGIYIMANA appartenait à la branche modérée du parti et était originaire de NYARUHENGERI, un endroit proche de ma commune. Sosthène MUNYEMANA était aussi du MDR mais je ne sais pas de quelle tendance il était. Tous portaient le même chapeau. Personnellement, je n’ai jamais participé à des manifestations. MUNYEMANA, je le voyais rarement car il ne fréquentait que peu les bars« .
Monsieur le président lui rappelle les propos qu’il a tenus devant la juge française, madame GANASCIA, le 25 juin 2010 et lui demande s’il les confirme: » Je connaissais Sosthène MUNYEMANA, médecin en gynécologie. Il a aidé ma femme à accoucher. Il aidait toutes les mères. Je le voyais de temps en temps chez RUGANZU. » Le témoin d’ajouter: » Il n’aimait pas fréquenter les cabarets. Il achetait de la bière chez RUGANZU et venait pour payer ses dettes. »
Le président le questionne sur la réunion du 17 avril 1994: » J’ai vu MUNYEMANA en mai lors d’une réunion convoquée par BWANAKEYE, réunion au cours de laquelle on l’a remplacé par KUBWIMANA. J’étais présent. Je maintiens que c’était en mai et que le médecin n’a pris la parole. »
Il ne sait rien de la réunion qui s’est tenue le 17 avril 1994 au bureau de secteur. Pas davantage des réunions qui se seraient tenues chez REMERA ou RUGANZU. Il se dit étonné que SENKWARE ait pu témoigner contre MUNYEMANA alors que ce dernier le cachait. Affirmer que le médecin est un grand tueur, c’est un mensonge.
En 2011, il avait dit, lors d’une confrontation avec MY LOVE et un autre tueur qui accusaient %UNYEMANA d’avoir été un planificateur et qui organisaient les réunions chez RUGANZU, qu’il était impossible qu’un docteur ait pu participer au génocide: il était toujours au travail! Comme il n’était pas proche voisin de l’accusé, il ne pouvait pas savoir s’il a participé aux rondes. Il connaissait le bureau de secteur et quand BAVAKURE y a enfermé des Tutsi au moment de la pacification, il pensait que c’étéait pour les épargner. Il prétend que c’est KUBWIMANA qui avait les clés et non MUNYEMANA.
« MUNYEMANA était tout le temps au travail« ? questionne maître EPOMA. Au témoin qui dit le voir rentrer à la maison dans la voiture de l’hôpital, l’avocat lui fait savoir que le médecin était en congé. Le témoin va même jusqu’à évoquer la présence de la femme de l’accusé à TUMBA alors que tout le monde sait qu’elle était en France. « MUNYEMANA a reconnu avoir participé à des réunions et à des rondes. Mais il nie avoir été sur les barrières » précise monsieur le président.
Maître FOREMAN intervient à son tour: » Vous êtes là pour témoigner à décharge, raison pour laquelle la défense vous a fait citer. En confrontation, vous avez dit à propos de SENKWARE: » Il a toujours été aidé par Sosthène MUNYEMANA. Dans la logique, il ne devrait pas témoigner contre lui. Dans la culture rwandaise, si on te demande de témoigner contre un ami, on doit garder le secret. » Vous partagez des secrets avec MUNYEMANA? » Le témoin répond par la négative. Et maître FOREMAN de conclure: « Je n’en attendais pas moins de vous! »
Sur question de l’avocat général, le témoin dit connaître Mathias NSANZABAHIZI, entendu la veille. « Je l’ai vu pendant le génocide. Au début du génocide, un véhicule est arrivé au bureau du secteur. Nous avons entendu des cris. Mathias est arrivé avec KANYABASHI. J’ai vu Sosthène MUNYEMANA aller chez lui avec le bourgmestre. » C’est la première fois qu’il raconte cette anecdote.
« KARANGANWA a été tué le 21 avril par les militaires et les Interahamwe venus dans le camion. Sosthène MUNYEMANA ne pouvait pas avoir un téléphone mobile qui n’existait pas encore ». S’engage alors une discussion sur le téléphone portable, le téléphone sans fil, d’une portée de 300 mètres, précise l’avocat général. BAVAKURE dit que MUNYEMANA avait un téléphone portable. Ce qui provoque des éclats de rire du côté de la défense, peu appréciés par monsieur BERNARDO.
C’est maître BIJU-DUVAL qui prend la parole pour la défense. Il s’étonne que l’avocat général s’appuie sur BAVAKURE dont la cour de Paris a dit qu’on devait écarter son témoignage. Il fait remarquer au témoin qu’il n’avait jamais parlé de la venue de KANYABASHI au bureau de secteur, ne de la présence de l’accusé. Serait-ce qu’il aurait rencontré récemment NSANZABAHIZI ou un autre témoin qui lui aurait parlé de son témoignage?
Le témoin dit qu’il vit avec MATHIAS. Il y a longtemps qu’ils ont parlé de cela.
« Et vous reprenez sa déposition à votre compte aujourd’hui? Vous aviez bien dit que vous n’en saviez rien? Le témoin dit que ces événements datent de longtemps mais qu’un souvenir peut revenir à la mémoire si quelqu’un vous en parle. Pour lui, BAVAKURE ment: au début du génocide, il était encore chez lui à RANGO.
N’étant ni voisin ni ami de l’accusé, l’avocat lui fait remarquer qu’il n’avait aucune raison d’être témoin à décharge. Le témoin a entendu dire que MUNYEMANA a protégé SENKWARE. Quant à savoir si l’accusé appartenait à la branche modérée du MDR, il ne peut pas le savoir. Il confirme ce qu’il a dit en audition: « MUNYEMANA avait peur et ne sortait pas de chez lui. On disait que sa femme était Tutsi. C’est pour cela qu’il avait peur. »
« MY LOVE? Il a témoigné contre moi. Je le connais bien. Il a été libéré pour avoir témoigné à charge contre des personnes qui sont à l’étranger » lui rappelle l’avocat. Le témoin ne souvient pas avoir dit cela.
Il aurait dit aussi: « Je pense que MY LOVE témoigne contre des gens riches pour récupérer une partie de leurs biens. Il a témoigné contre moi et mes biens ont été vendus! » (NDR. Au profit de qui? Lorsque des biens de génocidaires ont été vendus, c’était pour dédommager les rescapés! C’est semble-t-il ce qui a été fait de la maison de l’accusé à TUMBA.)
Le témoin n’est pas au courant de ce qu’a pu dire MUNYANEZA sur la mort de Déo : MUNYEMANA aurait abattu son ouvrier et son chien. Ce qui étonne beaucoup le témoin qui ne pense pas que l’accusé ait été porteur d’une arme.(NDR. L’épouse de Déo, SYMPHROSE, est une de nos amies. Elle a réussi à fuir au BURUNDI à la dernière minute.)
Et Laurence KANAYIRE? « Elle a dit que j’aurais participé à des réunions avec Sosthène MUNYEMANA chez RUGANZU. Je la connais, elle met en cause tous les hommes. »
Audition de monsieur Jean-Paul HABINEZA, en visioconférence, détenu à la prison de RWAMAGANA Entendu en première instance le mardi 28 novembre 2023.
Le témoin a travaillé comme aide-maçon chez l’accusé qui habitait non loin de chez lui, à200 mètres environ, près de chez RUGANZU. Il l’a vu pendant le génocide, lors du même épisode que le témoin précédent: un certain HAVUGIMANA poursuivi par des assaillants dont CYAVURE, et qui se réfugie chez MUNYEMANA.
Sur questions de monsieur le président, monsieur HABINEZA raconte. « Mes parents étaient HUTU. J’ai été condamné à trente ans de prison après appel par la Gacaca de TUMBA pour crime de génocide. Je n’ai bénéficier d’aucune remise de peine. J’ai plaidé non coupable. Je n’ai adhéré à aucun parti, j’étais cultivateur et parfois aide-maçon. J’ai été arrêté en mars 1998 à mon retour au Rwanda. J’ai connu Sosthène MUNYEMANA quand je travaillais sur un chantier de construction, avant le génocide. »
Les réunions? Il n’y a jamais assisté, ni n’a jamais entendu parler de réunions au bureau de secteur. Même s’il habitait tout prés, il dit avoir été souvent absent pour être allé chercher du travail. Il était pauvre, n’avait pas d’argent, raison pour laquelle il ne pouvait pas fréquenter le bar de RUGANZU.
Les barrières? Elles ont été mises en place pour contrôler et identifier les personnes inconnues dans la région. Il reconnaît y avoir participé (il avait dit le contraire lors de son audition du 20 novembre 2021. Il était sur une barrière proche de chez lui, sous la responsabilité du responsable de cellule, Gérard MAMBO;
Les rondes? A la question de savoir ce qui s. passait s’ils rencontraient un étranger ou un Tutsi, il avait répondu, lors de son audition: « Il était traqué et il devait montrer sa carte d’identité. On le conduisait alors au bureau de secteur et on le remettait aux responsables. Puis on allait chercher la clé chez François BWANAKEYE. » Il confirme ses propos. Et d’ajouter: » Nous n’allions pas chercher la clé chez MUNYEMANA car il était avec nous. Il était vac nous. Ce dernier n’était pas vraiment actif. Il n’avait même pas la clé. On ne pouvait pas lui donner ce pouvoir. La clé ne pouvait être détenue que par le conseiller ou le responsable. »
» Et si MUNYEMANA vous disait qu’il avait eu cette clé pour protéger les gens enfermés au bureau » demande monsieur le président.
Le témoin: « S’il a eu cette clé, il doit être responsable de tout ce qui s’est passé là-bas, de tout ce qui est arrivé aux personnes, aux Tutsi enfermés au bureau de secteur. Il y a eu des morts. »
Le président: » Vous aviez dit que les personnes enfermées étaient tuées par les gendarmes vous semblait-il, et que les Tutsi étaient considérés comme des complices du FPR. Qu’ils étaient interrogés et torturés. » Et le témoin d’accuser le gendarme Cyriaque HABYABARATUMA d’avoir incité les gens à tuer. (NDR. Un avocat de la défense lui fera remarquer que ce gendarme avait été muté depuis le 19 avril. Cela rappelle une autre affaire, celle de BIGUMA!) Quant à lui, un paysan, il ne pouvait pas approcher du bureau de secteur.
Et pourtant, le président lui rappelle ses déclarations: » J’ai vu une fois des gens interrogés par BWANAKEYE au bureau. J’ai appris que ces gens venaient de GISHAMVU. Le conseiller les bousculait et leur crachait dessus. J’ai vu cela par la porte du bureau entrouverte. » Le témoin dit avoir vu cela de loin mais qu’il ne pouvait pas entendre les paroles qui avaient été prononcées.
Il n’a jamais vu MUNYEMANA sur des rondes ou des barrières. Pourquoi affirme-t-il cela? » Je sais par un voisin de Sosthène MUNYEMANA que ce dernier ne voulait pas faire les rondes et qu’il avait donné de l’argent. Il cachait un Tutsi chez lui, HAVUGIMANA.
Le témoin avait pourtant dit qu’il n’avaaitjamais vu Sosthène MUNYEMANA pendant le génocide et qu’il n’avait joué aucun rôle.
Une assesseure s’étonne que le témoin n’ai pratiquement rien dit sur l’accusé pendant sa déclaration spontanée et que lors des questions il apporte beaucoup de détails. Elle aimerait connaître les raisons de cette contradiction.
Une seconde assesseure lui fait remarquer qu’il a dit que Sosthène n’avait joué aucun rôle dans les crimes commis, qu’il ne voyait pas son influence. Le témoin n’a pas d’explication à donner. Sosthène MUNYEMANA était médecin, un paysan ne pouvait pas avoir de relations avec lui. Il précise avoir vu MUNYEMANA un soir qu’il rentrait de la ville en passant devant chez lui, « sur la grand route où passaient beaucoup de gens et de voitures. (NDR. Il aurait été utile de montrer un plan car MUNYEMANA n’habitait pas au bord de la grand route. Pour aller chez lui, il fallait quitter cette grand route qui monte vers RANGO et prendre une petite route à droite en direction du bureau de secteur. Cette route n’était pas fréquentée comme le prétend le témoin.)
Les rares questions de la défense n’apporteront rien de plus aux déclarations du témoin.
L’audience est levée vers 19h40.
Jade KOTTO EKAMBI, bénévole
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
- Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[↑]