- Audition de Rose NIKUZE, partie civile.
- Audition de Marie DUSABE, partie civile
- Audition d’Anne-Marie KAMANZI, partie civile.
L’audience débute à 9h. À titre liminaire le président indique qu’un attaché de justice est présent à l’audience.
Audition de madame Rose NIKUZE, en visioconférence de Kigali, partie civile.
Le témoin se présente à 9h25, en visioconférence depuis le Rwanda. Il est accompagné d’un interprète. Il est demandé au témoin de décliner son identité (Rose NIKUZE), son âge (né en 1953), sa profession (femme de ménage) et son domicile (TUMBA).
Le témoin est entendu dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du président, de sorte qu’il ne prête pas serment. Il lui est demandé de parler en toute franchise, sans haine et sans crainte.
Le témoin déclare spontanément :
“Pendant le génocide, mon mari a été arrêté et enfermé dans la « Maison 60 ».

Dans cette maison, il y a passé une journée, après on l’a sorti pour aller l’enfermer dans le bureau de secteur qui était dirigé par Sosthène MUNYEMANA. Je précise qu’à ce moment-là, c’est MUNYEMANA Sosthène qui avait remplacé BWANAKEYE et qui gardait les clefs du bureau. Après, ils ont fait venir le véhicule de la commune, qu’on surnommait “RUHUMBANGEGERA”. Ils ont été conduits alors au parquet, qui était chapeauté par le procureur SEBUSHISHI. Du parquet, ils ont été conduits à la brigade de la gendarmerie. De là, ils ont été enfermés dans un cachot où ils se sont fait tabasser. Après quelques temps, on les a conduits quelque part pour les tuer, mais je ne sais pas où. Sur ce point, je demanderai que ce monsieur MUNYEMANA nous dise où ils ont déposé les corps des nôtres pour les inhumer avec dignité”.
Le témoin est ému et poursuit :
“Je suis certaine qu’il sait où se trouve le corps des nôtres car partout où ils ont été tués, il jouait un rôle prépondérant”.
Le témoin a terminé son récit.
Sur questions du président, le témoin explique être rwandaise mais indique qu’il était inscrit Hutu sur sa carte d’identité. Le président précise que le 15 octobre 2011, madame NIKUZE a déclaré que son père était Hutu et sa mère Tutsi. S’agissant de son mari, elle indique qu’il s’appelait Vénuste GASIBO et qu’ils ont eu 8 enfants ensemble, dont un est décédé après le génocide. Sur les partis politiques, le témoin confirme n’avoir adhéré à aucun, ni son mari.
Elle explique ensuite qu’elle habitait à RANGO, et que de son domicile au bureau de secteur, il y avait environ une heure à pied avec la démarche lente “d’une vieille personne”.
S’agissant de la Maison 60 , le témoin explique qu’elle ne se souvient pas de la date à laquelle son mari y a été enfermé, car “à cette époque-là, on ne suivait plus la succession des jours”. Le président rappelle que le témoin avait indiqué la date du 23 mai puis; lors d’une confrontation, elle a indiqué qu’il s’agissait plutôt du 20 mai 1994. Le témoin explique ne plus se souvenir de la date et promet de répondre aux questions selon ses souvenirs. Elle confirme que de la Maison 60, ils ont été conduits au bureau de secteur.
À la question de savoir si le témoin était présent à la « maison 60 », le témoin explique que lorsque son mari a été capturé, elle était présente et connaît les gens qui ont procédé à sa capture. Elle précise que certains ont été libérés, d’autres sont aujourd’hui en exil et que d’autres sont morts. Elle explique qu’ils ont été enfermés dans cette maison car elle était à proximité des lieux de capture et n’était pas habitée.
Le président fait lecture d’un extrait de ses précédentes déclarations :
“Mon mari a été enlevé par le groupe dit de “tueurs japonais et Athanase UWAYEZU”. Ils étaient nombreux, c’était pendant la journée. Je ne me rappelle pas de la date mais je crois que c’était vers le 20 mai. Il avait passé la nuit dans la brousse pour se cacher. Il s’était mis au lit pour se reposer un peu et j’étais à la maison. Il était tellement fatigué, tellement faible. Je lui préparais un café, et il est même parti sans prendre son café (NDR : comprendre le lendemain). Ils l’ont pris et l’ont emmené. Ils l’ont enfermé dans la cuisine de la Maison 60. Je l’ai su parce qu’après l’avoir enfermé les tueurs sont revenus chez moi pour me dire de lui préparer à manger et de lui apporter à la Maison 60. (…)
Alors Athanase UWAYEZU et les Japonais m’ont dit de les suivre. C’est Athanase qui a ouvert la porte de la cuisine de cette maison. On a fait sortir mon mari, et quand je lui ai donné à manger, il a refusé, et il m’a dit de donner aux enfants. J’ai passé quelques minutes avec lui, et après je suis rentrée chez nous”.
Le témoin confirme ce témoignage et précise qu’on a fait passer son mari devant leur maison pour le conduire ailleurs. Le témoin explique ensuite que la « Maison 60 » était gardée par le nommé NSENGA et un autre enfant, Innocent GAKUBA. Le témoin précise que dans cette maison, son mari n’avait pas été violenté ni maltraité, mais qu’il l’avait été ailleurs. Le témoin explique ensuite que son mari a été arrêté avec ses amis, mais que ses amis avaient été capturés la veille dans la nuit et enfermés dans la « Maison 60 ». Elle précise que son mari s’était échappé à ce moment-là et a été capturé le lendemain quand il est sorti de sa cachette, sachant que son mari était Tutsi. Elle explique que son mari a été enfermé seul dans la cuisine de la « Maison 60 » aux environs de 14h, tandis que les autres avaient été emmenés le matin au bureau de secteur.
À la question de savoir si le témoin a constaté la présence de son mari au sein du bureau de secteur, elle explique s’être rendu au bureau de secteur le lendemain pour le voir, et “qu’à mi-chemin sur la route au niveau de la paroisse, j’ai rencontré une dame qui s’appelle MUTETERI, qui m’a dit qu’ils ont enfermé mon mari et qu’il venait d’être embarqué à bord du véhicule à la brigade de gendarmerie. Elle ajoute : “À la suite, nous avons su qu’ils avaient été conduits à la brigade, et j’y suis allée pour le voir, et là je l’ai bien vu. Il avait été sérieusement tabassé”.
Le président indique que le témoin avait déclaré avoir appris lors des Gacaca[1] l’ensemble des détails de l’histoire de son mari. Madame NIKUZE explique à ce propos que lors de la Gacaca, cela a été évoqué “mais le même jour, j’ai su que de la Maison 60 ils ont été conduits au bureau de secteur”. Elle précise qu’elle le sait car ce sont ses voisins qui y ont conduit son mari.
S’agissant de l’accusé, le témoin explique qu’elle ne le connaissait pas antérieurement au génocide. Elle explique qu’elle savait qu’il habitait dans cette région, mais explique avoir connu Sosthène MUNYEMANA lors de l’intervention de BWANAKEYE durant la Gacaca. Elle précise que lors de cette Gacaca, BWANAKEYE avait indiqué avoir été remplacé par Sosthène MUNYEMANA, et que c’est ce dernier qui détenait les clefs du bureau.
Le président indique que le témoin avait déclaré: “Jean-Pierre RURANGWA a dit que c’était MUNYEMANA qui avait les clefs du secteur de TUMBA où on avait enfermé nos hommes”. Concernant RURANGWA, le témoin explique que ce dernier était une personne emprisonnée pour des crimes de génocide, et qu’il est libre aujourd’hui. Le président indique que Rose MUKAMUNISA (NDR : un autre témoin) ne se souvenait pas que RURANGWA avait tenu ces propos en Gacaca. Elle précise cependant que Rose NIKUZE (le témoin entendu) avait confirmé lors d’une confrontation le rôle joué par Sosthène MUNYEMANA.
Le témoin ajoute avoir entendu les voisins de l’accusé parler du rôle de Sosthène MUNYEMANA durant le génocide. Elle cite notamment Monique, Immaculé et KAMANZI. À la question de savoir si elle connaît un dénommé Vincent KAGERUKA, le témoin indique que celui-ci faisait partie des hommes enfermés par les tueurs, mais qu’elle ne sait pas ce qu’il est advenu de lui.
S’agissant des réunions chez Siméon, le témoin avait déclaré dans ses précédentes auditions que l’accusé y participait. Elle confirme et précise que la veille des arrestations, une réunion s’était tenue à TUMBA. Elle explique qu’elle déduit la présence de Sosthène MUNYEMANA à ces réunions “car c’est lui qui ouvrait le bureau de secteur”. Le témoin précise que les personnes enfermées au bureau de secteur y ont passé une journée et une nuit. Elle explique que les “conditions de détention devaient être désastreuses car j’ai appris que les voisins du bureau de secteur frappaient les fenêtres et les portes en criant sur eux qu’il fallait les abattre”.
S’agissant du parquet de BUTARE et de la brigade de gendarmerie de BUTARE, le témoin donne les noms des personnes dont elle se souvient. « À ce moment-là, quand je suis allé voir mon mari, il était enfermé”. Elle précise que la liste des hommes qui vient d’être donnée est celle de ceux qui étaient enfermés dans les locaux et précise qu’il y avait du monde autour. Le témoin déclare que les derniers mots de son mari ont été: “Prend soin des enfants et ne quitte jamais la maison”.
Le témoin souhaite ajouter que lorsqu’elle lui a apporté à manger, elle ne l’avait pas trouvé. Les gendarmes lui auraient dit qu’il était à KARUBANDA (NDR : cynisme de l’expression déjà relevée dans les déclarations des autres témoins).
Le témoin souhaite déclarer spontanément: “Mon mari aurait pu s’échapper, si on n’avait pas ouvert les portes du bureau pour l’y enfermer. Il jouait un rôle principal dans ma vie”.
La cour n’a pas de question à poser au témoin, ni les avocats des parties civiles.
La parole est à l’avocat général. Il est demandé au témoin s’il confirme avoir vu son mari être emmené et conduit à la « Maison 60 ». Le témoin répond par l’affirmative. Elle confirme également avoir vu son mari dans les locaux de la gendarmerie de BUTARE. Elle ajoute que pour s’y rendre, elle y est allée à pied, et “chemin faisant, je passais à côté des barrières sans inquiétude”, étant donné qu’elle avait une carte d’identité Hutu. Elle explique qu’il y avait une barrière à TUMBA ainsi qu’à MUKONI. Elle explique qu’elle ne passait plus devant la résidence de SINDIKUBWABO[2], et qu’elle devait passer par CYARWA, où il y avait également une barrière. Elle explique s’être rendue à la brigade de gendarmerie à deux reprises et y avoir vu son mari, mais que la troisième fois, celui-ci était déjà parti. Elle explique que lorsqu’elle a vu son mari, “sa santé s’était détériorée, il avait été frappé, blessé et même son bras était cassé”. Le témoin confirme que son mari avait les côtes cassées et qu’il respirait à peine. Elle précise que d’autres personnes étaient dans le même état.
Il est demandé au témoin si son mari lui a dit où il a subi ces maltraitances. Elle explique que son mari lui a indiqué que cela s’était déroulé à la gendarmerie. S’agissant de ses enfants, elle explique que leur vie a été sauvée car ils ont été cachés, que des amis sont venus à son secours, et que Vincent NGENDO (son fils) se trouvait à NGOMA.
La parole est aux avocats de la défense. Sur questions de ces derniers, le témoin explique qu’elle n’était pas tranquille s’agissant de ses enfants, raison pour laquelle elle les a cachés. La défense repose les questions posées par le président, et le témoin confirme de nouveau toutes ses déclarations. Madame NIKUZE précise que durant le génocide elle avait déjà entendu parler de Sosthène MUNYEMANA, et avait appris qui il était durant les Gacaca.
L’interrogatoire de Rose NIKUZE prend fin à 11h15.
On pourra également se reporter à l’audition de madame Rose NIKUZE lors du procès en première instance, le 4 décembre 2023.
L’audience est suspendue. Elle reprend à 11h25.
Audition de madame Marie DUSABE, en visioconférence de Kigali, partie civile.
La témoin se présente à 11h25, en visioconférence depuis le Rwanda. Elle est accompagné d’un interprète. Il est demandé au témoin de décliner son identité (Marie DUSABE) son âge (né en 1961), sa profession (agricultrice) et son domicile (TUMBA).
La témoin est entendu dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du président, de sorte qu’elle ne prête pas serment. Il lui est demandé de parler en toute franchise, sans haine et sans crainte.
La témoin déclare spontanément :
“Pendant la période du génocide, MUNYEMANA Sosthène habitait à TUMBA. Et à ce moment-là, il gardait les clefs du bureau de secteur de TUMBA. C’est dans le bureau-même que l’on enfermait des Tutsi. Après, il a fait sortir ces détenus du bureau de secteur, les a chargés à bord d’un véhicule et les a fait conduire à la brigade à BUTARE. Je précise que MUNYEMANA a suivi ce convoi par la suite, ces Tutsi ont été tués”.
Le témoin a terminé son récit.
Sur questions du président, le témoin indique que ses parents étaient Tutsi. Elle confirme qu’elle est veuve, que son mari s’appelait Claude NKUBITO et qu’il faisait partie des Tutsi sortis du bureau de secteur de TUMBA et qui ont été chargés à bord du véhicule. S’agissant de son mari, le témoin explique que “tout au début, nous habitions dans le village de NDANGA RUGERO (quartier RANGO-B). Dans la nuit, les génocidaires l’ont capturé et sont allés l’enfermer dans une maison qui portait le numéro 60. Avec les autres, il y a passé une nuit et le lendemain, ils ont été conduits au bureau de secteur de TUMBA, où MUNYEMANA les a enfermés à l’intérieur”.
Le président indique que dans ses précédentes déclarations, la témoin avait indiqué que son mari s’était rendu volontairement à un lieu de rendez-vous où se déroulaient des rondes. Elle explique que “pour se rendre au lieu de rendez-vous pour la ronde nocturne, il n’y est pas allé de son propre gré. Les hommes de notre village sont venus le chercher à la maison pour le conduire au lieu de rendez-vous. Mais ils voulaient les rassembler dans un même lieu”. Le témoin indique ne pas avoir dit qu’il s’y est rendu librement puisque le génocide avait déjà commencé.
À la question de savoir si madame DUSABE a assisté à l’arrestation de son mari puis à son enfermement au sein de la « Maison 60 », le témoin répond par la négative.
Le président lit un extrait de ses précédentes déclarations devant le juge d’instruction :
“Mon mari Claude NKUBITO a ensuite été escorté par SHINANI, François MANIRAHO, Innocent HABARUGIRA, NSENGA Emile, le responsable de cellule, RUTAYISIRE Norbert et d’autres jusqu’à la maison 60. (..) Le groupe des Tutsi capturés comptait 5 hommes ou jeunes hommes, dont GASIRABO, RAMASANI, et deux prénommés Innocent. Cette arrestation a eu lieu la nuit. Cette maison 60 n’était pas habitée. Ils sont restés dans cette maison 60 jusqu’au lendemain. Le lendemain matin? ils ont été escortés jusqu’au bureau de secteur de TUMBA”.
Le témoin confirme ses déclarations. Elle explique qu’elle a appris tous ces détails de Généreuse, aujourd’hui décédée, de Rose et de Gaudiose. Elle précise qu’ils habitaient le même village et ajoute “le lendemain de leur arrestation, je l’ai appris de Généreuse”. Elle explique n’avoir jamais été au bureau de secteur, confirmant ainsi ses précédentes déclarations.
Elle confirme ne pas y être allée “car étant Tutsi c’était trop risqué”, mais explique que d’autres femmes y sont allées pour nourrir les prisonniers. Le témoin confirme ses précédentes déclarations selon lesquelles lors d’une Gacaca, RURANGWA a déclaré que c’est Sosthène MUNYEMANA qui détenait les clefs du bureau de secteur.
Le président indique que le témoin n’avait jamais parlé précédemment, du rôle actif de l’accusé entre la sortie des personnes enfermées au bureau de secteur et leur déplacement à BUTARE. À la question de savoir comment la témoin l’a appris, elle explique l’avoir appris “des femmes qui étaient mes compagnons de misère et qui sont allées au bureau de secteur”. S’agissant des locaux de BUTARE, le témoin explique “avoir toujours dit que du bureau de secteur à la préfecture, c’est Sosthène qui a assuré l’escorte”. À la question de savoir si la témoin a pu s’y rendre, elle répond par la négative, pour les mêmes raisons évoquées pour le bureau de secteur de TUMBA.
S’agissant des violences subies par son mari, comme le fait que les personnes étaient torturées et affamées, le témoin explique l’avoir appris de “ces dames, qui étaient mes compagnes de misères, et qui elles s’y rendaient pour aller voir”. Le témoin précise n’avoir jamais retrouvé le corps de son mari : “c’est ça le chagrin et les blessures que nous portons dans nos cœurs. Parce qu’on n’ a jamais su où les corps ont été jetés”. Le témoin ajoute avoir perdu une vingtaine de personnes de sa famille durant le génocide.
À la question de savoir de quelle façon la témoin a réussi à survivre ainsi que ses deux enfants, elle explique avoir survécu “suite au miracle opéré par le Seigneur”. Le témoin ajoute: “Mes enfants étaient encore petits et je suis restée avec eux dans la maison”. A la question de savoir si des miliciens ont tenté de pénétrer au sien de son domicile, le témoin explique: “Ces miliciens nous ont attaqués à la maison, même avant que mon mari soit arrêté. Et ils repartaient”. Elle précise ne pas être restée dans la maison durant tout le génocide, et avoir fui jusqu’à GIKONGORO aux environs du mois de juillet.
Le président indique que dans ses précédentes déclarations, à la question de savoir si la témoin connaissait l’accusé avant le génocide, celle-ci avait déclaré en avoir entendu parler après le génocide. Le témoin confirme ses précédentes déclarations.
La cour n’a pas de questions, ni les avocats des parties civiles.
La parole est à l’avocat général.
Sur questions de l’avocat général, le témoin explique que lorsque l’on est venu chercher son mari, elle savait que ce n’était pas pour une ronde à laquelle il se serait joint de son plein gré comme cela a été prétendu à l’époque, mais bel et bien un lieu de rendez-vous destiné à rassembler les personnes dans le but de les enfermer ensuite. Elle explique à cet égard l’avoir déduit du fait que son mari n’en est jamais revenu. À la question de savoir si habituellement son mari participait à des rondes, le témoin explique que cela s’est en effet produit et que les rondes durant le génocide n’étaient pas mixtes.
La parole est aux avocats de la défense. Ils indiquent que le témoin a apporté son témoignage dans le dossier du procureur de BUTARE SEBUSHISHI. Le témoin explique que cela s’est déroulé à la préfecture de BUTARE, où les Tutsi ont ensuite été emmenés à la brigade. Il est demandé au témoin si SEBUSHISHI a été poursuivi pour ses crimes, ce à quoi le témoin répond; “Je ne m’occupe pas de son cas. Je n’y pense pas car aujourd’hui, je parle de Sosthène MUNYEMANA”. (NDR : Il aurait pris la fuite en Belgique et serait aujourd’hui visé par une plainte.)
Maître FOREMAN prend la parole concernant madame Marie NYIRAROMBA: elle est alitée et dans l’impossibilité de se rendre à KIGALI. En sachant que les avocats de la défense ont antérieurement insisté pour que cette dernière puisse comparaître malgré son état physique incompatible avec une audition et un déplacement (88 ans, crises d’épilepsie, surdité avancée, impossibilité de marcher).
L’interrogatoire de Marie DUSABE prend fin à 12h25.
On pourra également se reporter à l’audition de madame Marie DUSABE lors du procès en première instance, le 5 décembre 2023.
L’audience est suspendue à 12h32.
Audition de madame Anne-Marie KAMANZI, partie civile.

Après avoir décliné son identité, la témoin va se lancer dans le récit de son témoignage de TUMBA à RANGO puis au secteur de MUKURA jusqu’à celui de NKUBI. Avec force détails, elle raconte les différentes attaques que les Tutsi qui l’accompagnent vont subir. Elle évoque la mort de son père, le viol de l’Interahamwe[3] qui veut l’installer chez lui. Sur son chemin, toujours avec son enfant au dos, elle va rencontrer beaucoup de morts: c’était des gens qu’elle connaissait. Lors des massacres, elle souligne que quelques Interahamwe vont faire preuve d’humanité en tentant de soigner les blessés.
Voici une heure que madame KAMANZI raconte son périple et monsieur le président s’impatiente quelque peu: il souhaiterait qu’elle évoque ce qui s’est passé au bureau de secteur.
C’est alors qu’elle va raconter assez longuement ce qu’elle sait sur Sosthène MUNYEMANA et les principaux responsables du secteur de TUMBA. Monsieur le président commence par s’étonner. Entendue le 21 juin 2010, la témoin avait déclaré ne pas connaître MUNYEMANA. Comment se fait-il qu’aujourd’hui elle puisse donner autant de détails sur le rôle de l’accusé: « Vous aviez dit ne l’avoir jamais dit! » (NDR. Je pense que cet étonnement, à ce stade, était largement partagé par l’ensemble des parties et par l’auditoire. Les choses s’éclaireront un peu par la suite).
Monsieur le président revient à la charge. « Le 19 avril 2006, vous aviez déjà été entendue par des OPJ[4] rwandais et vous n’aviez jamais parlé de Sosthène MUNYEMANA! Aujourd’hui, répète-t-il, vous donnez une abondance de détails! »
Madame KAMANZI finit par donner une explication qu’elle ne cessera de répéter jusqu’à la fin de son audition: « J’avais peur de la belle-sœur de Sosthène MUNYEMANA. »
Par leurs questions, les avocates du témoin, maîtres AUBLE et LINDON tentent de rétablir une vérité qui n’avait pu être dite jusque-là, sans obtenir l’identité de la belle-soeur en question.
Monsieur l’avocat général questionne madame KAMANZI sur la façon dont les gens étaient disposés au bureau de secteur et sur l’emplacement de son lieu de résidence à TUMBA.
Maître LEVY, pour la défense, lui fait remarquer qu’en 2010 elle a prêté serment de dire toute la vérité: « Et vous avez menti? »
Madame KAMANZI: « Oui, j’ai menti mais par peur. »
Maître LEVY: « Et aujourd’hui vous dites la vérité? On doit vous croire? »
Madame KAMANZI: « Oui, je n’ai plus peur. »
Maître LEVY: » En 2010, vous aviez peur de quoi? (NDR. Il ne dit pas de qui?)
Madame KAMANZI: « Peur de cette femme » répète-t-elle.
Maître LEVY: « Vous êtes la seule à dire que vous avez menti par peur de la belle-soeur! »
Maître LURQUIN, selon son habitude, revient à la charge: « Vous aviez dit que vous ne connaissiez pas MUNYEMANA. Que vous ne l’aviez jamais vu! » (NDR. Une question qui restera sans réponse dans la mesure où elle avait été posée avant. Par contre, il pourrait être opportun de s’intéresser au rôle joué par cette belle-sœur dont le prénom, au moins, se trouve dans le dossier. Il semblerait qu’on la retrouve au contact d’autres parties civiles. Ne serait-il pas temps de faire toute la lumière à son sujet?)
On pourra également se reporter à l’audition de madame Anne-Marie KAMANZI lors du procès en première instance, le 5 décembre 2023. Elle y évoquait déjà être menacée par une personne de la famille de MUNYEMANA, celle qui gérait ses biens à TUMBA.
L’audience est suspendue exceptionnellement à 16 heures et ne reprendra que demain mardi à 13h30. Monsieur le président a invoqué des raisons personnelles. Quant à monsieur MUNYEMANA à qui on avait promis de donner la parole en fin de journée, il accepte de n’intervenir que demain à 13h30.
Jade KOTTO EKAMBI, bénévole
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑] - Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA, désignation souvent étendue aux milices d’autres partis. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- OPJ : officier de police judiciaire.[↑]