Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.
- Audition de Patrice NZEYIMANA.
- Audition de Marie-Josée MUKANKURANGA, partie civile.
- Audition de Vestine NYIRAMINANI, partie civile.
- Audition de Celse GASANA.
- Audition de Philippe LAROCHELLE, avocat au barreau du Québec.
L’audience débute à 9h30 en raison d’un retard du témoin à KIGALI.
À titre liminaire, le président indique à l’assemblée que l’un des témoins cité par la défense n’a pas pu prendre l’avion la veille, pour un problème de visa suite à une erreur des services consulaires français.
Audition de monsieur Patrice NZEYIMANA. En visioconférence de Kigali.
Monsieur Patrice NZEYIAMANA se présente en visioconférence, accompagné par un interprète. Le témoin est détenu à la prison de MPANGA. Il lui est demandé de décliner son identité (Patrice NZEYIAMANA), son âge (1963) et sa profession.
Le témoin déclare ne pas avoir de lien de parenté ni d’alliance avec les parties civiles, ni Sosthène MUNYEMANA. Il ajoute “sauf que pour Sosthène MUNYEMANA, nous habitions dans le même secteur”. Le témoin prête serment de parler sans haine et sans crainte, de dire la vérité, toute la vérité.
Le témoin déclare spontanément : “Ce que je vais dire de MUNYEMANA concerne d’abord sa profession. Il était docteur à l’hôpital universitaire de BUTARE. Et je précise que je connais MUNYEMANA depuis l’époque où il était étudiant à l’université. Concernant le génocide, quand nous étions voisin, MUNYEMANA est apparu dans différentes attaques des tueurs. Avec les militaires, il a mené la population de Tumba pour toutes sortes de meurtres”.
À la question du président, le témoin déclare que sa mère était Tutsi et son père Hutu. Condamné à 30 ans de prison en première instance pour meurtres durant le génocide, il explique que “pour le moment, je suis condamné à perpétuité” et déclare avoir reconnu les faits.
Le président indique que le témoin a omis de préciser qu’il a été condamné à la perpétuité pour des faits de viols, faits que le témoin ne reconnaît pas. Le témoin rétorque qu’il “n’a pas commis les viols, mais ce sont mes co-participants qui m’ont faussement chargé de viols”.
Le président poursuit en indiquant que lorsque le témoin a été entendu en 2010, il a déclaré avoir été condamné à perpétuité pour viols. Il est demandé si cette condamnation à perpétuité est bien en lien avec les faits de viols qui lui sont reprochés. Le témoin confirme que sa condamnation est bien en lien avec le viol, mais il conteste fermement les avoir commis. Il explique que son co-participant (MAMBO) l’a accusé à tort.
Patrice NZEYIMANA est natif de TUMBA. Il ajoute qu’avant le génocide, il était aide-commercant pour KAYIRANGA. Il habitait environ à 100 mètres du domicile de MUNYEMANA. Il ajoute qu’il était “membre du PSD[1] et que MUNYEMANA et les autres avaient aussi leur partis. MUNYEMANA était membre de la CDR[2]”. Sur question du président, il confirme que “MUNYEMANA était CDR, qui œuvrait sous le parapluie du MRND[3]”.
Le témoin était membre de l’Abakonbozi (Interahamwe[4] du PSD) “qui rassemble”, ou “les sauveurs”.
Le président indique ensuite que le témoin avait déclaré dans ses précédentes auditions: “nous étions tous Abakonbozi puis nous sommes tous devenus Interahamwe”. Le témoin explique que “lors du multipartisme, chaque parti politique avait sa milice et sa jeunesse. Il y avait des interahamwe du MRND. Mais après la chute de l’avion de HABYARIMANA, toute cette jeunesse des partis politiques ont été regroupés avec les Interahamwe au sein du parti MRND”. Il est ensuite demandé au témoin s’il est d’accord avec ceux qui disent que les Interahamwe ne pouvaient être que les jeunes du MRND de KIGALI. Celui-ci répond par la négative et déclare au contraire “que c’était toute la jeunesse”.
À la question de savoir à quelle occasion il a été amené à connaître MUNYEMANA, le témoin explique “d’abord, je vous ai dit que j’ai connu MUNYEMANA quand il était encore étudiant à l’université. Il est devenu docteur et ensuite il est venu habiter à TUMBA. Pendant le génocide, MUNYEMANA s’est rangé du côté des tueurs. Finalement, il a fait parti des dirigeants du secteur. Cela a commencé quand les Inyenzi venaient de capturer le pays”.
Le président indique au témoin qu’il avait dit devant la juge d’instruction qu’il avait connu Sosthène MUNYEMANA quand il venait chercher des sacs de pomme de terre à KUBWIMANA et non à l’université. Ce à quoi le témoin répond “oui j’ai répondu ainsi au juge d’instruction. Tout dépendait de la façon dont j’étais interrogé. Au fur et à mesure on répond aux questions. Mais je répète encore une fois que j’ai connu MUNYEMANA quand il était encore à l’université parce que j’y allais pour faire la lessive des étudiants”.
À la question de savoir si le témoin est sûr de lui lorsqu’il avance que MUNYEMANA était membre de la CDR (dirigé par REMERA), le témoin explique que l’accusé “se promenait tout le temps avec REMERA Siméon et avaient des pistolets et chaque fois qu’ils venaient là où nous faisions l’animation du parti. Ils disaient qu’ils allaient faire quelque chose contre nous car nous disions de mauvaises choses contre le MRND. Il nous disait cela lors des meetings de nos partis”.
Le président indique aux jurés que c’est la première fois que le témoin donne ces éléments.
À la question de savoir si le témoin a vu Sosthène MUNYEMANA participer à des réunions politiques ou administratives, le témoin répond que “durant le génocide, quand nous procédions aux attaques pour tuer, nous étions avec les autres et nous recevions des instructions et ordres de la part de MUNYEMANA. Ce sont eux qui donnaient les instructions pour les barrières, et les armes que nous utilisons aux barrières. Ils étaient devenus des dirigeants du secteur”. Le témoin ajoute que l’accusé “faisait partie de l’équipe de crise. Tous ces intellectuels de la localité se réunissaient au bureau de secteur”. À la question de savoir si le témoin a déjà vu l’accusé aller dans des bars près de TUMBA, le témoin répond par l’affirmative et ajoute que l’accusé était “en compagnie de certains notables comme Faustin, Vincent MUREKEZI et d’autres notables comme Siméon, un agronome important de TUMBA qui s’appelle RUGANZU. Et un autre docteur de TUMBA. Je précise que certains sont en prison, et qu’ils se retrouvaient dans ces bars pour boire.” Il précise qu’il s’agit “du bar de RUGANZU, et un autre à côté de chez MUREKEZI.”
Il poursuit en expliquant “vu que pendant le génocide certains Tutsi avaient été tués et d’autres avaient fuis, ces bars n’étaient fréquentés que par des Hutu”.
Il explique ensuite sur question du président et s’agissant des réunions au bureau de secteur, que “lors d’une réunion, je suis arrivé à la fin. Il fallait traquer 8 Tutsis à l’église de KIGARAMA”. Il précise “qu’à notre arrivée, la réunion s’est terminée. Il y avait beaucoup de Tutsis capturés, on les avait chargés dans le véhicule pour les conduire à BUTARE pour les tuer. Il y avait beaucoup de notables dont Simeon”.
Le président indique que dans ses auditions précédentes, le témoin a déclaré qu’à la réunion de TUMBA en mai 1994, l’accusé n’avait pas pris la parole mais qu’ils s’agissait en réalité de Cyriaque HABYARABATUMA “pour dire qu’il fallait tuer des Tutsi ». Le témoin confirme et ajoute qu’il a “donné la liste des personnes que nous venions de traquer”. Il ajoute que “MUNYEMANA était présent à cette réunion, avec ses amis. Personne ne manquait cette réunion car la situation était très difficile à l’époque”.
À la question de savoir ce que sont devenus les Tutsi qui ont été traqués, le témoin explique que “les 8 Tutsi que nous avions arrêtés ont été conduits à KABUTARE pour se faire tuer. Mais c’était la monnaie courante pour tous les Tutsi que nous arrêtions. Ils étaient tués par les militaires, les gendarmes, soit à KABUTARE ou au laboratoire de BUTARE”. Le président précise que le témoin a ajouté à propos de cette réunion dans ses précédentes déclarations que : “je précise que d’autres personnes sont venues comme nous de RANGO et de MUKONI avec des prisonniers Tutsi ce jour-là. De la même façon, HABYARABATUMA et un autre ont donné l’ordre de les conduire à BUTARE où ils ont été tués. Sosthène MUNYEMANA était présent mais n’a rien dit. Il ne prenait pas la parole car il y avait des autorités plus haut placé que lui dans la réunion, deux majors et deux conseillers, dont Félicien KUBWIMANA”.
Le témoin confirme ses précédentes déclarations.
À la question de savoir si le témoin connaît le rôle de l’accusé s’agissant des rondes et des barrières à TUMBA durant la période du génocide, le témoin explique “concernant les barrières, MUNYEMANA était tout le temps à la barrière qui avait été érigé devant MUREKEZI et KUBWIMANA. Il y était tout le temps avec Faustin”. S’agissant des rondes, il explique qu’elles se déroulaient la nuit et qu’il ne pouvait pas savoir où elles se localisaient. Le président explique que dans ses précédentes déclarations, le témoin a indiqué que l’accusé a participé aux rondes. A la question de savoir pourquoi le témoin change de version s’agissant des rondes, il explique que “participer aux rondes était un ordre. Tout le monde devait y participer, même aux barrières c’était la même chose”.
Le président indique que le juge a demandé au témoin dans le cadre de son audition, le nombre de fois où celui-ci a vu Sosthène MUNYEANA à la barrière de FORO. Ce à quoi Patrice NZEYIAMANA avait déclaré “l’avoir vu plusieurs fois, et vérifier l’appartenance éthnique des personnes arrivant aux barrages, demander les cartes d’identité, il faisait comme tout le monde pour respecter les instructions données par KUBWIMANA… C’est comme ça que j’ai donné ce témoignage, mais je dois rectifier. Les instructions et ordres étaient donnés par KUBWIMANA, mais il n’était pas le seul, ils étaient donnés principalement par les responsables politiques, responsables des gendarmes”. Le président relève que l’accusé conteste avoir participé aux barrières, alors s’agit-il de choses qui lui ont été racontée ou il a vu personnellement l’accusé à ces barrières? Le témoin confirme “ne pas l’avoir appris de quelqu’un d’autre, mais l’avoir vu de ses propres yeux. Il était tout le temps avec Faustin, MUREKEZI et KUBWIMANA”.
À la question de savoir qui détenait la clef de secteur durant le génocide, le témoin répond qu’elle était détenue par le fils de KUBWIMANA. “je précise que durant le génocide, c’est BWANAKEYE et le fils de KUBWIMANA qui étaient les dirigeants du secteur”. À la question de savoir s’il paraît possible au témoin que l’accusé ait détenu la clef du secteur, le témoin répond “non, cela ne pouvait pas être possible car il n’était pas parmi les dirigeants du secteur. Je précise que MUNYEMANA faisait partie de ce groupe de représentants politiques qui donnaient un renfort au dirigeant du secteur pour l’exécution des ordres”. À la question de savoir si à sa connaissance, des personnes enfermées au bureau de secteur ont pu être sauvées, le témoin répond “non, toutes ces personnes arrêtées étaient chargées à bord des véhicules”, ajoutant “on a perquisitionné chez SOMALIA et il y avait des voitures dans lesquelles ont chargeait les personnes pour les tuer et plus précisément à KABUTARE. Peut-être qu’il y a des rescapés sauvés par les Inkotanyi[5] en juillet”.
Les avocats des parties civiles demandent au témoin comment se fait-il que l’accusé indique détenir les clefs du secteur à ce moment-là. Le témoin répond “moi je ne pourrais pas dire qu’il détenait la clef du secteur car elles étaient détenues par le fils de KUBWIMANA et François BWANAKEYE. Je dirais plutôt qu’il faisait partie des réunions de crise et aidait les dirigeants.” Il ajoute que “la clef était détenue par ces deux personnes qui étaient dirigeants du secteur, on les appelle conseiller. Quant à MUNYEMANA, Simeon et les autres, c’était plutôt des gens dans les partis politiques, et faisaient partie des réunions qui donnaient des instructions pour les barrières, tueries et autres”.
À la question de savoir si, dans le contexte de cette aide apportée par l’accusé, il est possible d’envisager que la clef puisse être remise à Sosthène MUNYEMANA, le témoin répond “non, je pense que MUNYEMANA ne se préoccupait pas de cette clé. Je pense qu’ils étaient tous ensemble et avaient un même but : combattre les Tutsi. Ils étaient tous dans le MRND donc il n’y avait plus de partis politiques”.
À la question de savoir si c’est parce qu’il le voit souvent avec REMERA que le témoin a déduit que l’accusé était membre de la CDR, le témoin répond par l’affirmative. Sur question, il précise que sur les barrières, “les Tutsi étaient tués, mais que parfois ils étaient emmenés au bureau du secteur”. À la question de savoir ce qu’il est arrivé à la mère du témoin, qui était Tutsi, le témoin répond “quand l’avion a été abattu, nous sommes devenus comme fou, et l’ennemi est devenu le Tutsi”, et ajoute “quand les Interyani sont arrivés, ils ont tués mon père, ma mère, et je suis le seul qui reste”.
L’audience est suspendue à 10h53. L’audience est reprise à 10h57.
Les avocats de la partie civile demandent au témoin où il vivait durant le génocide, ce à quoi il répond “avant, personne ne sortait de sa maison. Ensuite quand le génocide a commencé, nous sommes sortis et nous avons trempé dans les massacres et je passais mes nuits sur les barrières. Nous passions les nuits sur les barrières et nous avons reçus de la part des autorités, des ordres et instructions à suivre. Donc certains tuaient, d’autres pillaient et d’autres étaient aux barrières… Nous avons accaparé les maisons des Tutsi et nous les occupions en avril, mai et juin”. Il est demandé s’il a occupé la maison de MUSHOTANYI, et le témoin répond par l’affirmative.
La parole est à l’avocat général.
À la question de savoir si le témoin a tué des personnes, le témoin répond “de mes mains, je n’ai tué personne avec la machette. À part le fait d’aller dans ces attaques avec les assaillants, et je criais”. S’agissant de la réunion évoquée précédemment, la question est de savoir si le témoin a été invité ou a participé à de précédentes réunions. Le témoin répond “nous, le bas peuple, n’étions pas invités. Par contre les gens qui sortaient de là nous donnaient des ordres et instructions à suivre. Les tueries étaient arrêtées, donc on devait conduire les gens au bureau de secteur”. Il précise que les ordres étaient donnés par “les personnes qui faisaient partie de ces réunions de crise, les politiciens, conseillers, responsables de cellule et les gendarmes”. Faustin en faisait partie, il avait remplacé son père “qui se faisait vieux”. Le témoin précise ensuite avoir connu Evariste NTIRENGANYA durant le génocide[6], et explique qu’il “avait une arme à feu, un fusil et avait appris le maniement des armes”. Il précise qu’il avait une arme car “il a été entrainé avant le génocide” et confirme ce qu’a dit Evariste la veille.
À la question de savoir pourquoi en mai 1994, il n’a pas tué les Tutsi sur place mais les a conduit au bureau de secteur, le témoin explique “à ce moment, on avait arrêté les massacres et on avait dit qu’on avait fait une pause pendant les tueries. Ces gens-là avaient trouvé refuge dans l’église, et on les a débusqués. On les a conduit dans la nuit pour les emmener au bureau de secteur sur ordre donné”. À la question de savoir si cela correspond à la pacification, le témoin répond par l’affirmative. À la question de savoir pourquoi les Tutsi conduit à KABUTARE au bureau de secteur n’ont pas été tués sur place comme au début du génocide, le témoin explique : “c’était pour montrer qu’on ne tuait plus personne. Mais on les conduisait au laboratoire ou à KABUTARE discrètement. Pourquoi ? Parce que c’était là-bas que travaillait Simeon”. À la question de savoir ce que faisait le témoin durant le génocide, entre le 21 avril et le jour où il a livré les 8 Tutsi au bureau de secteur, il répond ”nous passions nos journées sur les barrières et c’était notre travail à ce moment-là, ou à piller. Nous traquions les Tutsi dans la forêt ou dans les champs et il fallait les tuer sur place avant la pacification”.
La parole est à la défense. Ils souhaitent indiquer que Sosthène MUNYEMANA a bénéficié d’un non-lieu s’agissant des barrières, et que rien n’y établissait sa participation.
S’agissant des clefs du bureau de secteur, les avocats de la défense indiquent que Sosthène MUNYEMANA a toujours spontanément indiqué qu’on les lui avait remises le 23 avril 1994 et restituées le 14 mai 1994. D’autant que de nombreux témoignages disent que tout le monde était au courant qu’il avait les clefs. À la question de savoir pourquoi le témoin dit le contraire, il répond “Pour moi la raison est explicable parce que cette affaire de clefs, je ne m’en occupais pas, ce n’était pas mon rôle. Nous on venait au bureau de secteur où se trouvaient tous ces responsables des partis qui nous dirigeaient”. Il ajoute que “pour moi, que la clef soit en possession de Faustin (fils de Félicien), ou en possession de l’accusé ou de tout autre, moi je ne m’en chargeais pas. Je considérais tous ces dirigeants qui nous donnaient des ordres”.
À la question de savoir pour quelle raison le témoin a affirmé que la clef était détenue par le fils de Félicien, le témoin explique “je dois rappeler que Faustin était très actif et était au poste de conseiller. C’est donc lui qui s’occupait activement des affaires du secteur, en collaboration avec tous ces dirigeants de partis politiques, Sosthène MUNYEMANA et les autres. Moi je me chargeais plutôt de ceux qui devaient être tués”.
Il est demandé au témoin ce qu’il pense du fait que s’il ne savait pas que c’était Sosthène MUNYEMANA qui avait la clef du bureau de secteur, c’est peut-être que lui-même n’était pas sur place. Le témoin répond “Si vous le dites, vous seriez dans l’erreur. Le secteur de TUMBA était assez grand, composé de 5 cellules. Moi je n’habitais pas à côté du bureau, j’étais dans KIGARAMA et je ne pouvais pas savoir qui avait la clef au jour le jour. Ce qui nous occupait c’était les gens à tuer, et ce qui était important , c’est qui dirigeait le secteur et pour nous c’était Faustin”.
Il s’ensuivra un certain nombre de questions relatives à Cyriaque HABYARABATUMA ainsi que sur le major RUZIGARIYE. Après six questions dont deux sur la mutation du major RUZIGARIYE, il est donné lecture de l’ordonnance du juge d’instruction. À la question de savoir pour quelle raison le témoin les présentent aujourd’hui comme “des sauveurs de Tutsi”, alors qu’il soutient l’inverse dans ses déclarations en date du 30 Juin 2010, Patrice NZEYIAMANA répond “quand nous avons été auditionnés nous étions déjà en prison. Et les blancs qui nous interrogeaient nous posaient des questions sur les faits durant le génocide. Nous répondions que les Tutsi avaient été tués sous la responsabilité des militaires, des gendarmes, et c’est eux qui les dirigeaient”.
Sur question des avocats de la défense, le témoin explique “à propos des armes, c’est vrai que les armes au début étaient distribuées par HABYARABATUMA et KANYABASHI. Elles ont été données aux Interahamwe, qui étaient entraînés par les gendarmes”. Il ajoute “à propos de HABYARABATUMA qui a sauvé les Tutsis dès le milieu du génocide, le major a pris sept gendarmes pour évacuer les Tutsi vers le Burundi. Quand ils passaient à nos barrières on savait que ca venait d’en haut, donc on s’écartait”. À la question de savoir pour quelle raison dans ses déclarations, il indique que le major a donné l’ordre de les envoyer à BUTARE pour être tué, le témoin explique “ce que je veux dire c’est que nous, on était chargés d’emmener les gens au bureau de secteur. Maintenant ce que je sais de ce jour là, c’est que j’ai vu. Nous on a amené les gens au bureau de secteur”.
Les avocats de la défense indiquent que le témoin a donné des fausses informations (selon eux) devant le juge d’instruction sur des personnes aujourd’hui emprisonnées. La question est de savoir si son témoignage du jour concernant Sosthène MUNYEMANA était d’obtenir des remises de peine de la part de l’administration pénitentiaire. Ce à quoi le témoin répond “Dans un premier temps, j’étais en prison. Nous étions sollicités pour donner des informations, avouer ce que nous avions fait. Durant la phase de collecte d’informations, on se regroupait cellule par cellule, puis secteur par secteur et donc nous racontions ce qui s’était passé. Ces gens qui sont venus nous auditionner, ce n’est pas nous qui sommes allés les chercher. Le gouvernement leur a donné la ligne maîtresse pour nous auditionner, et nous, nous avons dit ce que nous avons vu et ce que nous avons vécu. Si aujourd’hui vous demandez ce qu’ils ont fait, je vous réponds. Ce n’est pas moi qui les ai mis en cause et je n’ai obtenu aucune faveur”.
La défense demande si le témoin espère encore obtenir la grâce présidentielle, ce à quoi le témoin répond “Maintenant que la Gacaca[7] nous a inculpé et a statué sur mon cas, il est très difficile d’espérer autre chose. Même si il y a eu ce faux témoignage à propos du viol, mon sort est déjà scellé”.
L’interrogatoire est terminé à 12h06. L’audience est suspendue à 12h08.
On pourra également se reporter à l’audition de monsieur Patrice NZEYIMANA lors du procès en première instance, le 28 novembre 2023.
Audition de madame Marie-Josée MUKANKURANGA, partie civile.
Marie-José MUKANKURANGA est appelée à la barre pour témoigner. Marie-José MUKANKURANGA est partie civile dans le cadre de cette affaire. Il lui est demandé de décliner son identité (Marie-José MUKANKURANGA), son âge (62 ans), sa profession (retraité) et son domicile (KIGALI). Elle est accompagnée d’un interprète.
Marie-José MUKANKURANGA est invitée à faire des déclarations spontanées :
“ Le génocide a commencé longtemps après à BUTARE (le 21 avril) par rapport aux autres régions. C’est le 19 avril que celui qui était président de la République SINDIKUBWABO a prononcé un discours pour tuer les Tutsis. Le 20 avril à BUTARE nous avions très peur. J’ai eu tellement peur, que je me suis dit que j’irais à TUMBA pour aller en ville chez une amie qui s’appelle Laetitia. Je me disais qu’à cet endroit là, on allait pas savoir facilement quelle était mon ethnie. J’ai traversé la ville de BUTARE au moment où beaucoup de gens affluaient et se réfugiaient en venant de KIGALI et ailleurs. Et d’autres partaient vers le BURUNDI, beaucoup de véhicules allaient vers le BURUNDI.
À ce moment-là, la mission onusienne et son personnel fuyait en passant par l’aérodrome de BUTARE. Laetitia habitait à proximité. Quand le dernier avion les a fait partir, on a commencé à entendre les bruits de balle qui venaient du camp de NGOMA. Cela a fait que j’ai eu encore plus peur, parce que cette nuit-là, on a passé la nuit sous le lit. J’ai eu tellement peur, que j’ai pris la décision de retourner chez nous à TUMBA. Nous sommes partis avec Laetitia le matin, et nous avions des sacs dans les mains. Quand nous sommes arrivés sur la route, nous avons croisé des militaires armés et qui étaient très furieux. Ils nous ont demandé nos cartes d’identité et où on allait. Quand ils ont vu que nous étions Tutsi, ils nous ont demandé “où allez-vous ?”. Nous avons menti en disant que nous allions à l’hôpital pour apporter à manger aux malades. Un militaire nous a répondu “vous également vous serez malades dans peu de temps”. Chemin faisant, nous avons croisé un véhicule de la commune de NGOMA, conduit par le chauffeur du nom de Mathias. Nous l’avons arrêté, et nous lui avons demandé de nous amener à TUMBA parce qu’on rentrait à NKUBI. Quand nous sommes arrivés à l’hôtel Faucon, nous avons trouvé des Tutsi qui avaient été tués la veille et qui étaient pendus.
Nous avons continué jusqu’à la barrière de NIHIRA. À ce moment-là, il y avait les barrières des militaires, avant que les Interahamwe érigent leurs propres barrières. Les militaires nous ont encore demandé les papiers, et ils ont vu qu’on était Tutsi. Ils nous ont dit “continuez devant, c’est là que vous allez tomber”. On est allé jusqu’à la barrière devant l’école des sous-officiers. Ces militaires nous ont également dit la même chose. Nous avons continué jusqu’à la barrière de SINDIKUBWABO mais ils nous ont laissé.
Nous sommes arrivés à la maison à 11h. Quand nous sommes arrivés sur place, nous avons vu que tout le monde était mort de peur, et à midi on a entendu le premier bruit de balle. On venait de tuer KARANGANWA, et c’était le signal du début du génocide. On a commencé à courir partout. Chez moi, je vivais avec ma mère, une domestique et sa petite sœur. Nous avons couru vers un voisin qui s’appelait RUBAYIZA et nous étions nombreux à s’être réfugiés chez lui. Quand nous avons couru, nous étions avec la petite soeur de la domestique. Ils étaient Hutu. La petite sœur ne savait pas ce qui se passait, et elle a couru avec nous parce qu’elle nous a vu courir. Et quand je l’ai remarqué, je lui ai dit ”retourne à la maison, avec toi il n’y aura pas de problèmes”. J’avais une amie, j’étais la marraine de leur enfants, dont le fils (Pascal) est descendu sur la route à côté de chez nous. Il a croisé une personne qui s’appelait MILISINGUE, et qui transportait des choses sur la brouette (c’était son travail : il transportait des choses moyennant argent). Il (MILISINGUE) venait de chez nous, et il transportait tout ce qui était dans notre salon. Et quand Pascal l’a vu, il s’est demandé ce qui était en train de se passer chez nous. Quand il est allé voir, il a trouvé cet enfant qui avait fui avec nous. Et cette enfant la conduit vers là où nous nous trouvions. Je lui ai demandé de nous aider à nous échapper, et de l’emmener chez lui, c’est-à-dire à environ 500 mètres de chez moi. Ils nous a cachés dans une chambre, où nous étions deux.
Pascal a continué à circuler et le soir quand il est rentré, il a dit “je suis allé au bureau de secteur et j’ai trouvé Sosthène qui avait une lance et il a dit “allons attaquer les Tutsi se sont nos ennemis”. Aux derniers jours du mois d’avril, c’est là que j’ai regardé à travers les carreaux de la petite fenêtre de cette chambre qui donnait sur la route. Là où j’étais caché, il n’y avait pas d’électricité, tandis qu’il y en avait dans la maison d’en face ainsi qu’une lampe qui éclairait la route. C’est là que j’ai vu des gens, des assaillants. Et dans cette attaque il y avait Sosthène et son fils Gustave. Ils avaient de longs manteaux et ils sont allés jusque là où nous étions cachés.
Après cela, des attaquants sont venus nous chercher pour nous tuer,et c’est moi qu’ils ont trouvés. Cette attaque était conduite par les gendarmes de TUMBA, et si je me rappelle bien ils devaient être deux ou trois. Quand ils nous ont débusqués, ils nous ont dit “nous allons te tuer”. Alors je leur ai demandé de me laisser prier avant. Les gendarmes ont fait sortir Jean-Pierre (le petit frère de Pascal) et Pascal, et ils ont demandé de l’argent.Ils ont d’abord demandé 50 000 et ils ont dit qu’ils n’avaient pas cette somme. Alors les attaquants ont demandé 30 000, mais ils n’avaient pas cet argent. Ils ont continué jusqu’à la somme de 3000, les ont pris et ils sont partis avec les assaillants. Nous avons changé de cachette et nous sommes allés nous cacher dans une étable avec les vaches. Nous étions sur les poutres du plafond et on ne pouvait pas nous voir. Nous avons survécu après ça, parce que les Inkotanyi sont arrivés”.
Le témoin a terminé son récit.
Sur question du président, le témoin confirme que ses parents sont Tutsi. À la question de savoir où le témoin habitait précisément, elle répond “j’habitais à TUMBA, plus ou moins 500 mètres du secteur et plus ou moins 1km de chez Sosthène”. Elle précise ne pas avoir été adhérente d’un parti politique. Le président fait remarquer que lorsque le témoin a été entendue, elle était simple membre MRND. Marie-José MUKANKURANGA explique que tous les rwandais était dans le MRND avant le multipartisme, et elle ne l’a simplement jamais quitté”.
À la question de savoir quand et comment elle a été amenée à connaître Sosthène MUNYEMANA, le témoin explique “en 1980 ou plus, j’étais voisine de son grand frère Anatole. Il rendait visite à son grand frère Anatole, qui était étudiant. À KIGEMBE, là où il travaillait, j’habitais aussi et je travaillais avec son épouse dans la même école. Elle s’appelait Emma et c’était mon amie”. Le témoin poursuit en expliquant qu’elle enseignait aux deux enfants de Sosthène MUNYEMANA. Elle explique avoir donné des cours à ses enfants pendant l’année scolaire 91 (Gustave et Liliane).
Le président demande s’ils étaient amis, ce à quoi le témoin répond qu’il s’agissait davantage de rapport de bon voisinage. Sur question du président, le témoin explique que Sosthène MUNYEMANA et son épouse étaient au MDR durant le multipartisme, sans savoir s’ils étaient Power ou modérés. Elle explique les avoir vu dans une manifestation devant l’hôtel Faucon. Elle explique qu’après les avoir entendu, elle avait décidé de ne plus les fréquenter.
À la question de savoir si elle a déjà vu ou entendu Sosthène MUNYEMANA lors de réunions publiques ou de rondes, le témoin répond par la négative. En revanche, elle précise que lorsqu’elle a vu Sosthène MUNYEMANA par la fenêtre, celui-ci avait une lance.
Elle ajoute, sur question du président, avoir “bien vu Sosthène MUNYEMANA et son fils avec de longs manteaux noirs, et il disait qu’il y avait des Tutsis à tuer”. À la question de savoir comment le témoin arrive à la conclusion qu’il s’agissait d’une ronde à but meurtrier et non de sécurité, le témoin explique “ils étaient avec les tueurs, je connaissais des gens qui y étaient et les rondes étaient destinées à tuer”.
S’agissant du bureau de secteur, elle explique ne pas avoir vu Sosthène MUNYEMANA enfermer des gens à l’intérieur. En revanche, elle indique qu’elle détient cette information du dénommé Pascal. Elle précise sur question du président, “Pascal m’a dit que les enfants de RWAKAYONZA étaient enfermés dans le bureau du secteur”. Elle confirme qu’on lui a fait part que ces filles enfermées au bureau de secteur avaient eu la vie sauve : “J’ai entendu Pascal me le dire, mais je n’ai pas demandé à cadette comment cela s’était passé.”
Quant au rôle de Sosthène MUNYEMANA durant le génocide, le témoin explique “je pense que s’il a dit à pascal d’aller traquer les Tutsi et de les tuer, j’imagine qu’il l’a dit aux autres et qu’il a démarré le génocide”. Durant cette période, elle a perdu sa mère, son demi-frère, sa demi-sœur et une partie de sa famille. Elle conclut: “le génocide n’est pas un sujet dont on parle dans la famille, sauf dans le temps des commémorations”.
La parole est à la cour. Il est demandé au témoin, si la scène de l’attaque dans laquelle elle a vu Sosthène MUNYEMANA avec des lampes torches, est une scène qu’elle a vu ou qui lui a été rapportée. Elle répond que c’est une scène qu’elle a vu. Elle a vu Sosthène MUNYEMANA dans un groupe composé d’environ une dizaine de personnes.
À la question de savoir pour quelle raison le témoin les qualifient de tueur à ce moment-là, elle répond “ils avaient des machettes et des gourdins”. À la question de savoir si selon elle, ils faisaient bien une ronde ou s’ils étaient là pour autre chose, le témoin répond “C’était des rondes pour nous tuer”.
La parole est aux avocats des parties civiles. Ils font remarquer que les déclarations du témoin de ce jour sont en tout point conformes à ses déclarations précédentes.
À la question de savoir ce qu’elle pense des déclarations de Sosthène MUNYEMANA sur son témoignage, à savoir “c’est une menteuse pour trois raison : la ronde est mal interprétée, c’est impossible que Gustave soit avec moi sur cette ronde, et j’avais un imperméable et pas un manteau long”, le témoin répond “Moi je dis ce que j’ai vu. S’il dit le contraire ça ne me regarde pas”.
Sur question de l’avocat général, le témoin explique avoir dit que Sosthène MUNYEMANA avait donné le coup d’envoi du génocide sans avoir plus de détail car c’est ce que Pascal lui a rapporté. Avant le 21 avril 1994, il y avait des rondes dans les communes frontalières, mais pas à TUMBA. Différentes ethnies étaient mélangées et se rendaient à la frontière communale pour arrêter les tueurs qui venaient d’ailleurs. Elle ajoute que ces rondes étaient différentes de celles qui suivirent car ces dernières étaient composées uniquement de Hutu, et que ceux-ci tuaient des Tutsi. Elle n’en sais pas plus sur leur organisation et la sélection de ses membres, vivant elle-même avec sa mère, sa domestique et sa petite sœur.
La parole est aux avocats de la défense. La défense indique au témoin que c’est la première fois que celle-ci évoque son amie Laetitia. Le témoin confirme sur leur question que Laëtitia est bien Tutsi. Les avocats de la défense semblent s’étonner que le témoin aient pu passer ces barrières (ESSO et SINDIKUBWABO), et demandent au témoin si c’est bien Laetitia qui a regardé par la fenêtre lors de la scène où Sosthène MUNYEMANA était présent en compagnie d’autres personnes. Le témoin indique l’avoir déjà expliqué plusieurs fois et répondu à cette question, et confirme de nouveau que c’est elle et non Laetita qui a vu Sosthène MUNYEMANA avec une lance et un long manteau noir. De sorte qu’elle reste catégorique sur ce qu’elle a vu ce soir-là.
Le président intervient pour indiquer qu’effectivement, le témoin avait déjà répondu à cette question, posée par un membre de la cour et que la réponse était la même.
À la question de savoir si le témoin a connu des tueurs, celle-ci citera notamment Claude SIBOMANA et Tharcisse. Elle ne sait pas s’il est courant qu’il y ait eu des enfants durant ces rondes, rappelant qu’elle se cachait pour ne pas être tuée et qu’elle avait à ce titre, regardé qu’une seule fois par la fenêtre.
À la question de savoir si le témoin a témoigné en faveur de Pascal devant de la juridiction de Gacaca, elle explique : “ce que j’ai dit en sa faveur, c’est qu’en tant que Hutu, il a dû prendre sa machette pour pouvoir suivre les tueurs. C’était pour nous protéger et ne pas être soupçonné. Moi, je leur ai dit (devant la Gacaca) que je n’ai jamais entendu dire que Pascal avait tué quelqu’un”.
Les avocats des parties civiles font observer que “la défense dit que c’est la première fois qu’elle parle de son périple, alors que le témoin avait déjà donné ces informations dans ses déclarations antérieures”. Lecture est donnée d’un extrait de l’audition, qui confirme en tout point ce que le témoin a déclaré spontanément. La défense répond que “ça lui avait échappé”.
.Il est mis fin à l’interrogatoire de Marie-José MUKANKURANGA à 14h41. L’audience est suspendue.
On pourra également se reporter à l’audition de madame Marie-Josée MUKANKURANG lors du procès en première instance, le 28 novembre 2023.
Audition de madame Vestine NYIRAMINANI, partie civile.
« Au moment du génocide, je vivais chez mes parents. À l’époque nous étions pourchassés, nous étions des Inyenzi. Le mercredi 20 avril, ma grande sœur KAGAJU a été tuée à son retour du travail. Le lendemain vers 11 heures, nous avons vu des gens arriver du haut du secteur en courant: on les a suivis. On venait de tuer KARANGANWA qui habitait derrière le bureau de secteur. Nous avons traversé CYARWA jusqu’au sommet d’une colline d’où nous pouvions voir ce qui se passait à RANGO, en face.
Un certain Anasthase est venu et nous a conseillé de retourner chez nous. Il pensait qu’on ne tuait que les riches, pas les Tutsi. Nous sommes arrivés dans une maison vide: tout avait été pillé. Ma mère et les autres membres de la famille sont partis mais mes neveux et moi nous sommes installés dans la maison en construction d’uncousin. J’étais avec mon frère Mathias qui est allé se cacher dans le champ de sorgho. C’est là que nous avons passé la nuit.
À un moment donné on a entendu quelqu’un qui nous demandait de retourner chez nous: c’était la « pacification ». Nous sommes retournés à la maison mais nous n’avions pas encore compris que c’était un piège. On a même demandé à mes frères de participer aux rondes, façon de mieux les surveiller. Mon frère est parti et des assaillants nous ont conduits en direction du bureau de secteur. Avant d’y arriver, quelqu’un a dit: « Allons chez Sosthène MUNYEMANA, il a les clés. » Arrivés là, au niveau de la statue de la Vierge, il y avait une barrière. « Pourquoi amener les femmes et les filles? Il faut amener les hommes et les jeunes gens » aurait dit le médecin.
Nous ne savions pas où aller. J’ai été violée par trois Interahamwe. L’un m’a emmenée et nous avons passé trois jours chez lui. Les Inkotanyi sont arrivés et mes assaillants ont fui. Je suis restée seule dans l’arrière-cour avant de me diriger vers la grand route pour voir si les Inkotanyi arrivaient. Ils venaient de RANGO avec les rescapés qu’ils avaient trouvés chez les Frères. C’est en voyant des Tutsi de RANGO, de SAHELA que je me suis montrée. Quelqu’un a dit: « Voilà l’enfant de chez SENDASHONGA, tu peux te montrer. Rassure-toi, ce sont les Inkotanyi pour lesquels on nous tuait. »
Ma mère, ma grande sœur, mes frères, mes neveux, mes nièces, tous ont été tués. Je suis la seule survivante.
Monsieur le président demande au témoin si elle a bénéficié d’un suivi psychologique. Cette dernière répond par la négative, tout en précisant: « Après le génocide, les autorités se sont occupé de nous. Je peux me procurer des médicaments qui sont onéreux, et puis, je n’étais pas vraiment malade. Je n’avais pas besoin d’aide. Je confiais mes problèmes à Dieu. Je travaillais beaucoup. »
Sur question de monsieur le président, le témoin dit qu’elle est sûre que c’était bien MUNYEMANA qu’elle à rencontré à la barrière près de chez lui. « Les propos que je tiens, ce sont bien ceux que j’ai entendus. Je ne dis que ce que j’ai vu. »
Maître AUBLE, son avocate, lui permet de dire qu’elle avait alors deux enfants qu’elle ne retrouvera qu’au bout d’un an. C’est quelqu’un qui est venu de GIKONGORO qui lui a signalé l’existence de ses enfants. L’un avait été blessé au genou, il est handicapé. Ils ne vont pas bien, ont eu une scolarité perturbée.
Maître LEVY, s’il ne conteste pas ses souffrances, lui fait remarquer que les enquêteurs ont répertorié toutes les barrières du secteur et n’en ont identifié que trois. De toutes façons, MUNYEMANA n’est pas poursuivi pour les barrières. L’avocat s’étonne que le témoin n’ait jamais été entendu lors de l’information judiciaire. Elle ne savait pas que Sosthène MUNYEMANA était en France, raison pour laquelle elle ne s’est jamais manifestée auprès des enquêteurs. Ce sont des gens qui venaient voir leurs proches qui l’ont informée peu à peu. L’administration les a orientés vers elle.
Maître BIJU-DUVAL s’étonne à son tour qu’elle n’ait jamais entendu parler de MUNYEMANA lors des commémorations.
On pourra également se reporter à l’audition de madame Vestine NYIRAMINANI lors du procès en première instance, le 29 novembre 2023.
Audition de monsieur Celse GASANA, partie civile
Je n’ai pas pu prendre des notes lors de l’audition de monsieur Celse GASANA.
On pourra utilement se reporter à l’audition de monsieur Celse GASANA lors du procès en première instance, le 29 novembre 2023
À la fin de son témoignage toutefois, monsieur GASANA revient sur la remarque de maître LEVY suite à l’audition de madame Vestine NYIRAMINANI. L’avocat de la défense contestait l’existence d’une barrière près de chez monsieur MUNYEMANA. Le témoin précise qu’il a mis une semaine pour aller jusqu’à RANGO. Il y avait des barrières partout. Il les a vues. Dans la fosse, lors de l’exhumation des corps, il a pu reconnaître son père qui avait gardé sa carte d’identité. Sur les corps, on a trouvé des seringues, certaines encores piquées dans la chair des cadavres. Resté du début à la fin de l’exhumation, il a pu dénombrer 250 corps. Il rappelle la responsabilité de monsieur MUNYEMANA.
Questions posées au témoin :
Sur questions de monsieur le président, le témoin précise que ses parents étaient Tutsi, qu’il habitait TUMBA depuis de nombreuses années, il avait eu l’accusé comme collègue mais il n’a jamais parlé avec lui qui n’entrait jamais dans la salle des professeurs. Il avait alors 25 ans, son père travaillait comme météorologue à l’aéroport de KIGALI. C’est bien le 21 avril que le génocide a commencé à BUTARE.
Dans la réunion du 17 avril, c’est bien Sosthène MUNYEMANA qui a parlé du Tutsi comme « l’ennemi ». Il était le coordinateur. Revenant sur la présence de seringues, monsieur GASANA signale qu’il y a des photos dans le dossier. Il en attribue la présence à l’accusé, dans la mesure où c’était du matériel médical. Il y avait aussi des flacons contenant un produit qui ne sera malheureusement jamais analysé. Tout ce matériel remis à l’administration a mystérieusement disparu.
Dans la famille de son père, personne n’a survécu. Il reste quelques survivants du côté de sa mère. Il n’a pas bénéficié d’un suivi psychologique après le génocide.
Sur question d’une assesseure, le témoin rappelle que lors de la réunion du 17 avril, MUNYEMANA était à la table d’honneur, avec REMERA et RUGANZU. À partir de ce moment, les rondes n’étaient plus « mixtes », seuls les Hutu y participaient.
Maître EPOMA s’étonne que, n’ayant aucune fonction officielle sur le secteur, le docteur MUNYEMANA ait pu prendre la parole lors de la réunion du 17 avril. « C’est grâce à sa position sociale, son statut de médecin« , précise le témoin qui revient sur le déroulement des exhumations. Quant aux barrières, c’était parfois de simples branches disposées au milieu de la route, parfois des pierres.
Maître LINDON , son avocate, lui demande ce qu’il espère de ce procès. « D’abord la justice, répond le témoin, la vérité, écrire l’histoire du génocide à TUMBA. Que notre statut de rescapé soit reconnu dans le monde entier. »
Monsieur l’avocat demande au témoin qu’il explique ce qu’est l’Umuganda dont il a parlé dans son témoignage. En quelques mots, il dit que ce sont des travaux communautaires qui permettent de tracer des chemins, de réparer des ponts. (NDR. L’Umuganda existe encore aujourd’hui. Les gens sont invités à se retrouver pour faire quelques travaux mais aussi pour parler des problèmes du quartier. L’Umuganda se déroule la matinée du troisième samedi du mois.)
Maître BOURG fait préciser au témoin qu’il n’a pas toujours travaillé dans le privé. Effectivement, monsieur GASANA a exercé la fonction de sous-préfet à GIKONGORO, il a été coordinateur pour l’accueil des réfugiés et secrétaire exécutif d’un district.
L’avocate s’étonne que ce soit monsieur MUNYEMANA qui ait pu désigner le Tutsi comme ennemi. Le témoin est amené à préciser que sans le préfet HABYARIMANA[8] le génocide aurait commencé bien plus tôt à BUTARE.
Il était caché et il a dit avoir été témoin oculaire de nombreux fait: « étonnant », dit encore l’avocate. Monsieur GASANA précise que, du milieu des broussailles, on peut voir beaucoup de choses. Maître BOURG s’étonne que le témoin ait pu attribuer la mort du professeur Népomucène à son client. Le prisonnier Evariste avait donné une autre témoignage[6].
Maître BOURG rappelle que la plupart des prisonniers qui ont participé à l’exhumation des corps en ont dénombrés 72. On est loin du chiffre de 250 donné par le témoin qui rappelle qu’il est resté tout le temps sur place alors que les prisonniers se relayaient. L’avocate s’étonne enfin, détail un peu macabre reconnaît-elle, que des seringues aient pu être trouvées plantées dans la chair près de dix ans plus tard (selon la nature du terrain, les corps se conservent plus ou moins).
Audition de monsieur Philippe LAROCHELLE, avocat au barreau du Québec, cité par la défense, entendu sur pouvoir discrétionnaire du président.
Auditionner un avocat canadien, cité par la défense, qui a plaidé pour la défense au TPIR dans plusieurs affaires, il ne fallait pas s’attendre à entendre à autre chose que ce qu’on a entendu (NDR. Pardon pour la formulation).
Appelé à défendre Jérôme BICAMUMPAKA à Arusha, il avait lu attentivement le dossier de l’ancien ministre des Affaires Etrangères accusé des crimes les plus atroces. Il s’attendait à rencontrer « un monstre ». Or, il n’était pas au Rwanda en 1994 pendant le génocide. Après avoir passé deux mois au Rwanda, où il dira plus tard qu’il n’a pas pu enquêter librement (NDR. Ceci en totale contradiction avec le témoignage du général REILAND de l’OCLCH), il se rend compte que beaucoup de témoins niaient la participation de son client au génocide.
Pire, le témoin GFA écrit au TPIR pour dire avoir menti dans les cinq procès dans lesquels il a été amené à témoigner. Rencontré dans son pays d’exil, le témoin explique que les procureurs rwandais se déplacent dans les prisons pour faire accuser des autorités. On regroupe les prisonniers pour qu’ils disent tous la même chose. Ce sont les procureurs qui coordonnent les témoins. Dans des prisons surpeuplées, ce qu’il n’a jamais vu ni au Canada, ni aux Pays-Bas (NDR. Il n’est pas venu en France!), les prisonniers vont jusqu’à s’accuser de crimes qu’ils n’ont pas commis.
Le témoin développe ensuite longuement le cas qu’il a eu à traiter au Canada, accusant une association de rescapés de Windsor d’avoir inventé de faux témoignages à KIBUYE; des « rescapés vétérans » sévissent au Rwanda. Le principal accusateur finira par retourner sa veste. Son client sera acquitté en 2013.
Monsieur le président tente de modérer les propos du témoin. Des avocats des parties civiles s’en prennent alors au témoin pour ses propos excessifs. Monsieur le président intervient pour demander à ce que chacun soit respecté. (NDR. En présence d’un tel témoin, j’estime que les parties civiles devraient se dispenser de poser des questions, comme elles l’ont fait dans le cas de l’audition de deux prisonniers. C’est donner au témoin l’occasion d’enfoncer le clou, de donner encore plus d’importance à sa déposition.)
Le témoin ne manquera pas de répéter qu’au Rwanda « tout est contrôlé », que « le problème de la fabrication des preuves est soutenue par le régime. » Cette instrumentalisation se manifeste par des gens qui veulent s’emparer des biens de leurs voisins, instrumentalisation qui vise à « neutraliser des opposants« . Et de donner l’exemple de Paul RUSESABAGINA, ce « héros« , accusé injustement de « terrorisme ».
Pour finir, avant que je ne quitte la salle: « Au Rwanda, tout est instrumentalisé du haut en bas » (de la société).
Jade KOTTO EKAMBI, bénévole
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page.
- PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
- MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA, désignation souvent étendue aux milices d’autres partis. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
- Voir l’audition de monsieur Evariste NTIRENGANYA le 29 septembre 2025[↑][↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑] - Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA, à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné, selon Butare, la préfecture rebelle, rapport d’expertise d’André GUICHAOUA, la date exacte étant sujette à caution.[↑]