Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.
Comme prévu, la journée commence par la parole donnée à l’accusé.
» Il y aurait beaucoup à dire. Ce n’est pas simple pour moi de parler après une semaine. » Et de citer les témoignages qui l’ont marqué.
D’abord celui de Laurien NTEZIMANA, « bâtisseur de la paix. » « J’ai toujours été de cette mouvance. L’important n’est pas d’être Hutu, Tutsi ou Twa. » Puis, en substance, « jamais il n’y a eu de haine dans nos familles. Laurien a enfermé des enfants dans son orphelinat en connaissant le risque qu’il prenait, en attendant Terre des Hommes. J’allais ouvrir pour les réfugiés: j’avais la même intention: les sauver. »
Le second témoin qui l’a beaucoup marqué, celui de Josepha MUJAWAYEZU. » Nous parlions des réfugiés du bureau de secteur et nous nous demandions ce qu’on pourrait faire pour eux. Devant cette horreur, je ne sais pas comment vous auriez réagi. J’ai enfermé les réfugiés au bureau de secteur en attendant que BWANAKEYE trouve une solution. S’agissant de cette période, on ne pouvait pas détourner notre regard. Que pouvais-je faire? Josepha a parlé de mon héroïsme. Un héros est quelqu’un qui reste sur les lieux. Moi, j’ai eu peur et j’ai fui deux fois. Je ne revendique aucun héroïsme. Je suis un homme tout à fait ordinaire.
Enfin, « le témoignage d’Elvanie m’a beaucoup touché car elle est restée avec mes enfants. Sans elle, je n’aurais pas pu m’en sortir. Elle a dit que je l’avais aidée en la cachant. J’aurais voulu lui dire que c’est moi qui voulais la remercier. Elle a fait preuve d’une grande marque de courage pour être venue témoigner. Elle a montré que pendant le génocide, Hutu et Tutsi pouvaient vivre ensemble. Je vous remercie, je m’arrête là. »
NDR. Il est à souligner que monsieur MUNYEMANA n’a été touché que par le témoignage des gens que la défense a fait citer. Pas de mots pour les victimes du génocide ni pour les témoins rescapés qui ont défilé à la barre.
Audition de madame Gloriose NTAKIRUTIMANA, partie civile.
» Quand le génocide a commencé, j’habitais à RANGO B. Nous nous sommes réfugiés à KABAKOBWA pendant une nuit. . De retour chez nous, nous avons vu que notre maison avait été pillée. Mon mari se cachait à l’intérieur. Il a été rapidement arrêté et transféré à la Maison 60 puis emmené au bureau du secteur de Tumba. Après y avoir passé une nuit, on l’a transporté à la préfecture. »
Alors qu’elle se rend à la préfecture pour voir son mari, un certain SHINANI lui dit que son mari est bien présent. Elle le rencontre mais il a été tellement battu qu’il ne pouvait pas prendre la nourriture qu’elle lui avait apportée. De retour chez elle, elle s’entretient avec Rose NIKUZE. Lorsqu’elle revient à la préfecture, le même SHINANI lui révèle que son mari, comme les autres hommes, ont été emmenés à KINANIRA où on a jeté leurs corps dans une fosse.
Par RURANGWA, elle apprend que les hommes ont bien été tués et qu’elle doit donner de l’argent pour payer les fossoyeurs. C’est alors, dit-elle, qu’ils ont commencé à la violer. N’ayant pas l’agent que les tueurs lui réclament, elle remet un vélo à RURANGWA, « ce grand Interahamwe. »
Sur questions de monsieur le président, elle dit que son père était Tutsi et sa mère Hutu (ce n’est pas ce qu’elle avait dit lors de son audition). Son mari s’appelait Innocent RUTAYISIRE. N’arrivant pas à donner l’âge véritable de ses enfants, elle dit qu’elle ne sait ni lire ni écrire. Elle donne aussi des précisions sur l’arrestation de son mari: caché dans le faux plafond, il avait fini par quitter sa cachette, ne supportant pas que sa femme se fasse violer. C’est lors des Gacaca qu’elle en apprendra davantage sur le sort réservé à son mari.
KARANGWA, présent lors de l’arrestation de son mari, donnera plus de précisions en Gacaca avant de s’évader dans la nature. Parmi les tueurs présents lors de l’arrestation de son mari, elle cite les noms de KAREMEREYE, de Japonais, de RUGIRA et de MANIRAHO.
La témoin confirme, comme elle l’a dit lors de son audition, que RURANGWA lui a dit que beaucoup d’Interahamwe sont allés chercher la clé du secteur chez MUNYEMANA, que les grands tueurs avaient transporté leurs mari dans une camionnette Toyota. Si on a transporté les corps à la préfecture c’est parce que les fosses plus proches étaient pleines. Les gens enfermés dans le bureau de secteur tapaient aux fenêtres pour qu’on les libère. Mais personne ne les a aidés.
Le témoin précise ce que RURANGWA lui a dit: » Sosthène MUNYEMANA fermait et ouvrait la porte du bureau de secteur pour qu’on aille tuer les Tutsi ailleurs. Si a pu passer des barrières sans problème, c’est parce qu’un certain Emile MUSAFIRI lui avait remis une carte d’identité avec mention Hutu.
Elle n’a pas retrouvé le corps de son mari et a perdu une quarantaine de personnes de sa famille. Par contre, ses enfants ont survécu. Quant à ses violeurs, ils n’ont pu être jugés car ils ont pris la fuite. C’est d’ailleurs « grâce à eux« , finit-elle par dire, qu’elle a eu la vie sauve.
Monsieur l’avocat général se demande pourquoi en mai 1994 les femmes ont été épargnées. « Il fallait les garder pour mettre au monde de beaux enfants. » (NDR. Hutu, bien sûr.)
Maître BOURG intervient pour la défense. SHINANI était un grand Interahamwe qui travaillait à la préfecture, explique la témoin. C’est lui qui adonné beaucoup de renseignements sur la façon dont son mari est mort. Il était bien placé puisqu’il travaillait à la préfecture. Par contre, il n’a jamais dit où était le corps de son mari.
Sur question de maître LURQUIN, RURANGWA avait été condamné à une courte peine avant les Gacaca, avait reconnu les faits et rendu ce qu’il avait pillé.
Audition de madame Claire UWABABYEYI, partie civile.
Le témoin va raconter longuement ce qu’elle a vécu lors du génocide des Tutsi, de SAHELA où elle habitait, jusqu’au quartier arabe de Butare où elle a fini par se rendre, en passant par TUMBA;
A deux reprises, monsieur le président insiste auprès d’elle pour savoir si elle va parler de monsieur Sosthène MUNYEMANA. Finalement, c’est près d’une heure après le début de son récit, très émouvant vu ce qu’elle a subi de la part des Interahamwe (en particulier de nombreux viols), qu’elle va évoquer la seule rencontre avec Sosthène MUNYEMANA.
C’est arrivée à la hauteur de la barrière de chez SINDIKUBWABO qu’elle dit avoir vu arriver une voiture au volant de laquelle se trouvait quelqu’un qu’on va lui désigner comme étant Sosthène MUNYEMANA. C’est suite à cette rencontre que son frère et son cousin seront tués. Elle n’avait jamais vu l’accusé avant ce jour-là mais elle dit le reconnaître tout en précisant qu’il a vieilli.
Monsieur le président s’inquiète auprès du témoin pour savoir si elle a pu bénéficier de soins. Madame UWABABYEYI répond par l’affirmative mais elle signale qu’elle a eu deux enfants dont elle ne connaît pas le père, suite aux viols qu’elle a subis. « C’est pour moi une honte » finit-elle par dire.
Sur question de madame l’assesseure, la témoin affirme que MUNYEMANA était encore là lorsque ses « frères » ont été tués.
Maître LURQUIN, pour la défense, pense clôturer l’interrogatoire. Toutefois, les questions qu’il pose au témoin ne présentent pas un intérêt capital. Il s’étonne que madame UWABABYEYI reconnaisse quelqu’un qu’elle n’a jamais vu et s’étonne tout autant du fait qu’elle ait pu passer les nombreuses barrières qu’elle a rencontrées avant d’arriver à la mosquée, son dernier lieu d’asile.
Maître LEVY intervient pour préciser que ce témoin n’a jamais été entendu. Il souhaite savoir si avant de venir témoigner devant la cour d’assises on lui aurait montré une photo de l’accusé et si une réunion a été organisée pour la préparer à son audition.
Audition de monsieur Onesphore KAMANZI, témoin.
Monsieur KAMANZI est invité à se présenter. Il commence sa déposition en précisant qu’il connaît Sosthène MUNYEMANA en tant que médecin. Il travaillait avec son grand frère. L’accusé était « un leader d’opinion« , précise-t-il.
Le témoin confirme que lors du génocide il a quitté NYANZA où il était magistrat pour se réfugier chez Sosthène MUNYEMANA. Il va séjourner là du 17/18 avril 1994 à fin mai. On va très vite se rendre compte que ce témoin, qui a été entendu en première instance, perd la mémoire et monsieur le président se demande si on va pouvoir continuer cette audition.
Maître BIJI-DUVAL intervient: » Ce monsieur est un témoin important pour tout le monde, et surtout pour la défense, mais son témoignage n’aura pas une grande valeur, il ne se souvient de rien. » Et de proposer qu’on lise ses déclarations antérieures.
Après avoir consulté la cour, monsieur le président déclare qu’il va se contenter de deux questions, exercice peu concluant puisque monsieur KAMANZI déclare qu’il était caché et qu’il n’a rien vu.
Maître FOREMAN tente toutefois de poser à son tour une question. Il voudrait savoir ce que le témoin peut dire concernant Bonaventure NKUNDABAKURA, le chauffeur qui conduisait le véhicule. Monsieur KAMANZI de répondre: » Ce Bonaventure était à la tête des massacres. » Tout ce que l’avocat du CPCR voulait entendre.
Maître BIJU-DUVAL s’insurge: » Je souhaiterais qu’on ne lui pose pas des questions grossièrement orientées. »
Maître BOURG intervient à son tour: » Nous avons respecté les personnes âgées, dont Marie NYIRAROMBA. Je suis étonnée que Simon FOREMAN s’acharne sur ce vieux monsieur. » Invité par le président à réagir, maître FOREMAN se contente d’un mot: » Dérisoire! » (NDR. Madame NYIRAROMBA est une vieille dame, 87 ans, partie civile que la défense tenait absolument à entendre alors qu’elle est très âgée et qu’un certificat médical, versé au dossier, attestait qu’elle était dans l’incapacité de se déplacer jusqu’à Kigali.)
L’audition est suspendue. On prendra connaissance des déclarations du témoin.
Avant de séparer, monsieur le président veut faire le point sur le planning. Demain matin seront entendus madame Sandra ATTONATY, enquêtrice de personnalité et madame Rose UWASE, partie civile. L’après-midi commencera par l’audition de Francine MUKARUTESI. C’est monsieur GRIFOUL, membre de l’OCLCH, qui clôturera la journée.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page