Procès en appel de Sosthène MUNYEMANA: mercredi 24 septembre 2025. J 7



L’audience s’ouvre à 09:08. À titre liminaire, le président indique à la cour que certains témoins se trouvent à l’étranger, et que les autorisations nécessaires ont été délivrées pour pouvoir procéder à leur interrogatoire en visio.

Le président fait entrer le prochain témoin, à qui il est demandé de décliner son identité (Patrick GEROLD), son âge (61 ans)  et sa profession (gendarme retraité). Le témoin prête serment de dire la vérité et toute la vérité


Audition de monsieur Patrick GEROLD, ancien enquêteur à l’OCLCH[1]

Le témoin explique avoir quitté l’OCLCH en 2019 et avoir travaillé sur le dossier de Sosthène MUNYEMANA de 2010 à 2013. Il explique avoir travaillé sur plusieurs dossiers sur le Rwanda, dont plusieurs ont déjà été jugés. Il explique que l’équipe se partageait entre juge d’instruction et enquêteur, où le gros du travail consistait à retrouver les témoins de l’époque. Il souligne la difficulté liée à la temporalité, ayant diligenté cette enquête avec 15 ans de retard. Il explique, s’agissant des militaires qui auraient pu être entendus comme témoins dans le cadre de l’enquête, que le gouvernement rwandais ne leur a pas donné accès aux militaires en question. Il indique que selon lui, des témoins clés n’ont pas pu être entendus, et que les investigations étaient incomplètes notamment du fait de cette carence. Il explique ne pas avoir pu entendre le conseiller de secteur BWANAKEYE, ou le couple REMERA. Le témoin conclut en disant “qu’il est difficile de statuer sur la culpabilité de l’accusé car il y a des manques dans la procédure,des trous danslaraquette ”.

Le témoin explique avoir commencé à la section de recherches de Paris en 1991 jusqu’à la création d’un groupe pour les crimes commis hors de France. Il n’a pas reçu de formation particulière en tant qu’enquêteur à la création de l’OCLCH et n’a pas été formé avant de travailler sur le dossier du Rwanda. En revanche, il indique avoir eu une formation sommaire par la suite, dans le cadre d’un dossier sur la Syrie. Il a ensuite cessé de travailler sur ce dossier car celui-ci a été attribué à un autre enquêteur. (NDR. Il aurait été utile de connaître les conditions qui l’ont amené à quitter l’OCLCHcar certaines de ses déclarations laissent entendre qu’il a eu des problèmes avec ses responsables vu les critiques qu’il fait de l’OCLCH, voire de son propre travail)

Avec les autorités judiciaires et policières rwandaises, les enquêteurs travaillaient en établissant une liste de témoins à entendre, et cette liste était transmise aux autorités judiciaires rwandaises afin qu’ils retrouvent ces témoins en amont de leur venue. Le témoin souhaite raconter une anecdote avec le procureur de la République du Rwanda avec qui il a été amené à travailler : Martin NGOGA. Patrick GEROLD souligne que “ça s’est très mal passé car au cours de l’exécution d’une mission,  il (le procureur NGOGA) a fait appeler un enquêteur pour lui indiquer que l’enquête n’avançait pas assez vite”. Il ajoute que le procureur NGOGA leur a interdit de continuer l’enquête et aurait menacé les enquêteurs de ne plus pouvoir obtenir de visas. Il leur aurait dit d’aller directement à l’ambassade de France. Par la suite, cette problématique a été réglée entre l’ambassade et le procureur de la République NGOGA.

Il indique ensuite qu’au niveau politique et étatique, il y aurait eu des pressions pour faire accélérer le procès. Le témoin précise que “les difficultés n’ont rien à voir avec le gouvernement, mais ont plutôt trait à la possibilité d’entendre les témoins, avec à peine 20% des témoins qui auraient pu être entendus”.

Le président demande au témoin comment il explique que les collègues après lui ayant repris le dossier, plusieurs juges d’instruction, une cour d’appel et une cour d’assise n’ont pas le même point de vue que lui (qui indique qu’il n’y a pas assez d’éléments dans ce dossier). Le témoin rétorque que ceux qui ont écrit l’acte d’accusation “ont dû se tirer les cheveux pour trouver quelque chose”. Il explique également qu’à son arrivée, l’accusé était surnommé “le boucher de Tumba”, alors même qu’il n’est pas possible, selon lui, d’attribuer ces faits à Sosthène MUNYEMANA et que, toujours selon lui, “il n’est pas possible de retenir de charges contre l’accusé”.( NDR. Est-ce à lui de porter ce jugement sur des faits qu’on lui demande simplement de recueillir?)

Il déclare que “les gens de TUMBA accusaient Sosthène MUNYEMANA de différents crimes”, mais “qu’en reprenant les auditions, les propos accusatoires étaient absents des auditions”. Il remet en question la fiabilité de l’ONG African Rights, qui avait fourni les témoignages initiaux. Il précise que “c’est le gouvernement rwandais qui a commandité les témoignages d’African Rights et qui a payé pour rédiger le document qui a servi d’appui aux renseignements militaires”. Le témoin déclare ensuite que l’accusé “s’est fait taillé un short par le gouvernement, a été ciblé dès le lendemain du génocide pour lui nuire et l’empêcher de se lier avec d’autres Hutu”. Lé témoin ajoute que “c’était fait pour décrédibiliser une éventuelle position de l’extérieur”, afin de “lui mettre un dossier judiciaire sur le dos”. ( NDR. Là encore des réflexions qui peuvent paraître déplacées.)

Il déclare ensuite à propos de Sosthène MUNYEMANA, qu’il était “très difficile de recouper les évènements, sachant qu’une quinzaine de meurtres lui étaient imputés”. Il ajoute que “des gens racontent n’importe quoi, ils sont prêts à accuser gratuitement car ils estiment que beaucoup de criminels n’ont pas été jugés. Donc traditionnellement, on aime bien raconter des cracks pour impliquer des gens dans le génocide”. ( NDR. Monsieur GEROLD aurait eu intérêt à entendre l’audition de madame Régine WAINTRATER pour comprendre la psychologie des rescapés qui viennent témoigner.)

Le président prend la parole pour expliquer que les juges d’instruction ont prononcé des non-lieux, et indique que les exemples cités par le témoin ont justement fait l’objet de non-lieu. La question est de savoir s’il est possible de considérer que d’autres éléments tiennent, selon les décisions prises par ces mêmes juges d’instruction. Le témoin indique “ne pas vouloir donner son avis personnel” (ce qu’il vient pourtant de faire). Il explique que de son point de vue “ce n’est pas étayé et que c’est source d’interprétation, comme le bureau du secteur qui est interprétable”.

Le président demande ensuite au témoin si pendant les auditions menées au Rwanda,  il était seul avec l’interprète, sans policier rwandais. Le témoin confirme qu’il n‘y avait pas de représentant du parquet, ni une quelconque autorité présente. Il est demandé au témoin s’il a l’impression parfois que les témoins avaient pu être préparés. Le témoin confirme, expliquant que “cette préparation tient au fait d’avoir déjà été entendu par le passé à plusieurs reprises par le Tribunal judiciaire, ou alors dans le cadre des Gacaca[2]”. Il ajoute que “dans ce contexte, ils s’approprient ce que vivent les autres”. Le témoin précise que “des grands criminels qui ont tué femmes, enfants et vieillards se retrouvent dehors et que les gens qui ont refusé de collaborer, qui sont accusés faussement, eux restent en prison”. Il conclut en déclarant que “nous sommes dans un système rwandais vicié par ce procédé, ce qui pollue le témoignage des gens et les procédures”. (NDR. Unpoint de vue très contestable quand on connaît ce qu’ont été les Gacaca et leurs résultats. Même s’il y a pu avoir des erreurs judiciaires, toujours regrettables. Je dis toujours:  » Mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison.)

Le président demande au témoin s’il se souvient des éléments recueillis sur l’appartenance de l’accusé à des partis politiques. Le témoin indique ne plus avoir de souvenir à ce propos, mais se rappeler uniquement de la CDR[3] et du couple REMERA. Il explique que ce couple est retrouvé dans beaucoup d’auditions, et que ceux-ci font partie du  “noyau dur de TUMBA au cours du génocide et qu’ils ont beaucoup influencé les tueurs en les encourageant à commettre des traques et le meurtre des “fuyards tutsi”. Il explique que ce couple a “une grande influence sans avoir commis directement les crimes”. (???)

Le témoin explique ensuite que Sosthène MUNYEMANA a écrit une motion de soutien au gouvernement intérimaire, et qu’il s’agit d’une initiative locale. Il explique qu’il est co-signataire de ce document mais qu’il manque des éléments pour incriminer l’accusé, car “les autres témoins et co-signataires n’ont pas été entendus”. (NDR. Là encore un jugement contestable et une déclaration dont il aurait pu se passer. Est-il toujours dans son rôle?)

Le président souhaite réaliser une parenthèse car le témoin a mentionné des personnes qui n’ont pas été entendues. La question est de savoir si c’est le témoin qui s’est restreint ou bien si, toujours selon le témoin, c’est le juge d’instruction qui n’avait pas voulu qu’ils soient entendus. Rappelant que Patrick GEROLD a déclaré plus tôt “qu’il y a des trous dans la raquette” s’agissant de l’enquête qui a été menée.  Le président donne l’exemple des dépositions qui ont été prises, notamment devant le parquet de BUTARE. Le témoin répond en expliquant qu’il aurait voulu entendre ces témoins mais qu’il n’a pas pu, supposant un empêchement extérieur. Le président souligne qu’au contraire, c’est le témoin qui avait refusé d’être entendu.

Sur question du président, le témoin explique qu’historiquement la destitution du préfet était “un message codé pour que la population se soulève pour conduire le génocide[4] mais admet confondre les dates et la chronologie des évènements du 17 au 20 avril 1994. Le président souhaite revenir au 17 avril 1994, mais le témoin insiste : la destitution du préfet n’a, pour lui, pas eu lieu à cette date. Il explique que BUTARE était calme jusqu’à l’arrivée du gouvernement intérimaire. Il indique que l’on nomme des responsables par groupe et l’accusé se retrouve chargé du centre de TUMBA et du bureau de secteur. Il ajoute que Sosthène MUNYEMANA a été nommé chef de la sécurité. Il indique par ailleurs qu’il n’y a pas eu de procès s’agissant de François BWANAKEYE (NDR : alors que ce dernier a été condamné par une Gacaca).

Le président indique que d’autres réunions ont pu avoir lieu avec les responsables politiques, ou responsables de partis politiques et des administratifs. Il est demandé au témoin s’il se souvient d’autres réunions. Ce dernier indique que ses souvenirs sont flous à ce sujet. Il explique que “certains témoins racontent qu’au cours de ces réunions des listes étaient préparées, d’autres disent autre chose”. Il ajoute spontanément “que le génocide est un détournement de ces réunions et que tout le monde avait l’initiative de traquer les Tutsi à la demande des militaires. Mais ça n’a rien à voir avec les réunions qui ont lieu au même moment”.

Il est ensuite demandé au témoin ce qu’il pense des réunions post 21 avril 1994, ce à quoi il répond ne pas s’en souvenir. Le président indique au témoin que l’accusé ne nie pas ces réunions, ni sa présence à celles-ci. Le témoin répond “que les personnes qui participaient à ces réunions ne sont pas toutes impliquées dans le génocide” et que “ces réunions sont à l’initiative du couple REMERA”. (NDR : réunions dont le témoin n’avait pourtant pas le souvenir d’après ses propres déclarations).

Le président demande au témoin s’il pense que les participants à cette réunion, avec le génocide qui démarre, peuvent ignorer ce qui se passe ou s’ils tentent de freiner les évènements. Le témoin explique qu’il y a “des tueurs qui sillonnent les rues et qui sont prêts à tuer les personnes qui ressemblent à des Tutsi, et que des Hutu modérés ont tenté de s’interposer”. Le témoin ajoute qu’il aurait “aimé que ces réunions fassent l’objet de comptes-rendus”.

À la question du président, le témoin déclare que la première réunion est celle du lendemain de l’attentat présidentiel le 7 avril 1994. Il est décidé de faire des rondes et de commencer à “sécuriser les lieux”. Il ajoute que pour ce faire, des responsables sont nommés au niveau des barrières de sécurité. Il précise qu’il “ne sait pas si ces barrières étaient mises en place pour perpétrer le génocide ou pour sécuriser les lieux”, ajoutant “qu’il pense que ces barrières étaient là pour la sécurité, et que c’est après que cet instrument a été détourné de sa mission initiale”.

Le président explique que selon d’autres témoins, au contraire, ces barrières ont été mises en place pour perpétrer le génocide. La question est de savoir si pour Patrick GEROLD il y avait une frontière étanche entre BUTARE et le reste du pays. Le témoin répond par la négative, expliquant que le téléphone fonctionnait et que tout le monde a cherché à connaître quelle est la situation du moment. Il ajoute que “tout le monde avait compris qu’un génocide avait commencé à Kigali”.

Le président demande si le témoin se souvient de ce que les témoins ont dit sur ce qu’aurait fait ou non l’accusé. Patrick GEROLD explique que l’accusé a participé aux rondes et qu’il était responsable de son quartier à TUMBA : “je pense qu’il devait superviser ces rondes et je pense qu’il devait aussi y participer car il ne travaillait plus à l’hôpital jusqu’au 9 mai 1994”.

Le président demande ensuite à Patrick GEROLD s’il se souvient de ce que les témoins disaient de l’accusé. Patrick GEROLD explique que les témoins lui ont déclaré “qu’il avait une feuille  à la main et qu’il avait établi une liste”, mais souligne “que lesdits témoins n’ont pas vu ce qu’il y avait sur le papier… Les témoins disent que l’accusé est intervenu dans des exactions mais ils ne se rappellent pas s’il était un meneur de bande”.

Patrick GEROLD indique se souvenir d’un témoignage selon lequel un professeur remontait la rue avec des miliciens, qu’ils étaient passés devant le domicile de Sosthène MUNYEMANA, qui serait sorti voir ce qui se passait. Selon ce témoignage, le professeur avait imploré l’accusé de ne pas être emmené dans la fosse pour être exécuté, et Sosthène MUNYEMANA aurait dit “je ne peux rien faire pour toi”. Le témoin s’interroge à haute voix, et se demande “si c’est un silence complice” de cet assassinat de la part de l’accusé, ajoutant que selon lui, “il manque tout de même des témoignages”.

Il ajoute spontanément “qu’à part cette anecdote”, il n’a pas “en mémoire d’autres preuves à charge contre l’accusé”.

Le président reprend la parole pour expliquer qu’il n’est pas reproché à Sosthène MUNYEMANA d’avoir activement tué une personne. Il lui est reproché d’avoir mis en place ces barrières et d’avoir pu participer, même en retrait, aux évènements qui auraient permis la mise à mort d’un certain nombre de personnes.

Emplacement de l’ancien bureau du secteur de Tumba. Photo Alain GAUTHIER

S’agissant de la clé du bureau de secteur, le président demande si le témoin se souvient si Sosthène MUNYEMANA a pu être détenteur de la clé, et s’il se souvient de ce qu’il s’est passé. Patrick GEROLD explique que “cette histoire d’enfermement des Tutsi dans le bureau du secteur” débute le 21 avril 1994. Très vite survient ce problème et cela s’explique par deux choses: d’abord par le fait que des Tutsi se sont réfugiés dans la « maison 60 » (avec 4 ou 5 personnes enfermées qui ne veulent pas en sortir), et qu’un responsable de cellule ou adjoint ne veut pas qu’on s’en prenne à eux. (NDR. Déclaration qui ne semble pas correspondre à la vérité des faits concernant la « maison 60 »)

« Maison 60 » où étaient enfermés les Tutsi avant d’être conduits au bureau de secteur.. Photo Alain GAUTHIER

Il fallait donc trouver une solution, de sorte qu’ils se sont rapprochés du conseiller de secteur de TUMBA. Selon le témoin, ils trouvent la solution de déplacer ces réfugiés vers le bureau du secteur qui a des barreaux aux fenêtres et qui est donc sécurisé. Il conclut cette hypothèse en disant que “c’est une façon de voir les choses”. Ensuite, il explique que la seconde est différente, “car il semblerait que des Tutsi se soient rapprochés du bureau de secteur et auraient cherché à trouver refuge à l’intérieur. François BWANAKEYE est au départ détenteur de cette clé, et c’est lui qui entérine cette décision de refuge pour les Tutsi en détresse”. Il ajoute que “le docteur MUNYEMANA n’habite pas loin, donc ça lui a été confié dans un but pratique. Il aurait été décidé de donner la clé au docteur MUNYEMANA pour qu’il ouvre les portes aux Tutsi”. Il conclut en précisant que ”d’autres versions disent qu’il a voulu s’emparer de clefs du bureau pour s’assurer que les gens ne s’échappaient pas et qu’ensuite ils seraient déplacés pour être exécutés ailleurs, parce qu’on ne voulait plus qu’ils le soient près des fosses communes”.

Le président indique que deux périodes sont mélangées et explique qu’un des épisodes est au mois de mai et s’agissant de Sosthène MUNYEMANA, cela serait davantage au mois d’avril 1994 entre le 23 et le 24. Il est demandé au témoin ce qu’il pense du principe même d’avoir la clé du bureau de secteur et s’il s’agit d’un élément important. Le témoin confirme, disant “que c’est un élément à charge déterminant si les personnes étaient enfermées pour être exécutées ailleurs”. Le président reprend sa question et le témoin répond que la détention de cette clé donne de l’importance à l’accusé, qui est un notable et ami de Jean KAMBANDA[5]. Ce qui confirme sa position et le fait qu’il ait une influence certaine. Patrick GEROLD conclut en expliquant que l’accusé “a la clé car il est une personne de confiance, écoutée et responsable de son quartier, et que le bureau se trouvait à 200 mètres de son domicile”.

L’audience est suspendue à 10h35 et reprend à 10h50.

S’agissant de la date de destitution du préfet, l’avocat général tient à préciser que la destitution date du 16 et que la nomination du nouveau préfet intervient le 17. La défense n’est pas d’accord, de sorte que le président annonce que cette question sera reprise ultérieurement.

Le président fait projeter la photographie représentant la distance du domicile de l’accusé et du bureau de secteur. Sur présentation de la photographie, il est demandé à l’accusé si cela paraît correspondre à la distance entre chez lui et le bureau de secteur. L’accusé indique qu’il ne peut pas répondre, parce qu’on ne voit pas bien. Une autre photographie est projetée et l’accusé ne semble pas reconnaitre sa maison indiquant que ça a changé, et que le portail n’était pas de couleur bleue. Une autre photo est montrée, et le témoin reconnaît la maison principale mais ne reconnaît pas les dépendances, indiquant “qu’il y a peut-être eu des travaux de faits depuis”.

Au fond, le bureau de secteur. Photo prise à partir de la maison de Sosthène MUNYEMANA. ©Alain GAUTHIER

Le président précise qu’il y avait 275 mètres entre son domicile et le bureau du secteur, l’accusé répond que c’est possible. Le président indique que d’autres notables étaient plus proches du bureau de secteur, ce que confirme Patrick GEROLD citant notamment RUGANZU, qui était ingénieur agronome. Le témoin se souvient du “café bar”, lieu où les Interahamwe[6] allaient boire. Le témoin explique que cette question de clef est  à poser à François BWANAKEYE pour savoir pourquoi elle a été donnée à l’accusé et non à une personne plus proche. C’est peut-être parce que “le 17 avril 1994 il aurait été nommé responsable de sa rue pour les surveillances, que le bureau du secteur se retrouve dans sa rue”, de sorte que c’est devenu “un homme de confiance de François BWANAKEYE”. Néanmoins, il ne se souvient pas des circonstances de la remise des clefs à l’accusé. Il explique qu’on remet cette clef à “une personne qui n’a pas de responsabilité administrative, mais qu’on lui remet car il est une personne de confiance”.

À la question de savoir si la clef pouvait être remise à une personne qui n’a pas été adoubée ou bien également à des personnes qui avaient des liens entre elles, le témoin indique ne pas savoir.  Il est ensuite demandé si le témoin a le souvenir que le frère de MAMBO aurait fait savoir que l’accusé souhaitait récupérer cette clé. Le témoin indique ne pas s’en souvenir.

Il est demandé au témoin s’il se souvient si l’accusé est allé voir si MAMBO avait la clef du bureau du secteur, et que MAMBO lui aurait dit ne pas l’avoir, sachant que l’accusé lui-même reconnaît y être allé. Le témoin indique ne pas s’en souvenir et précise que MAMBO “c’est un grand tueur, qui a exécuté beaucoup de monde”.

Il est demandé si le fait que l’accusé soit allé voir MAMBO a une importance.  Le témoin indique ne pas s’en souvenir. Il ajoute que l’accusé “devait savoir qu’il était un tueur puisque MAMBO ne s’en cachait pas”, pour finir par déclarer  “que cela était peut-être étrange”.

La défense intervient pour préciser que MAMBO était responsable de cellule. Le président répond que cette précision a déjà été donnée à deux reprises durant l’audience.

Le président demande ensuite au témoin pourquoi utiliser le mot “emprisonné”, qui est utilisé par un certain nombre de personnes, y compris l’accusé qui parle aussi “de mise à l’abri” (à propos des Tutsi enfermés dans le bureau du secteur). Le nombre a été difficilement déterminé (entre 30 et 40 personnes), de sorte qu’il est demandé au témoin s’il se souvient de ce qu’il est advenu de ces personnes enfermées. Le témoin répond que ces personnes n’ont pas été identifiées, de sorte “qu’on ne sait pas qui est mort et qui a survécu”.

Le président tempère, en expliquant qu’un certain nombre a été identifié par les proches. Le témoin répond que selon lui, “il n‘y avait qu’une femme qui avait survécu”. Le président explique qu’au contraire, il y a eu plusieurs personnes qui ont donné les noms de leurs proches, expliquant que certes, certaines n’ont pas été identifiées, mais que d’autres oui. Le témoin répond alors “c’est ça, on a pas réussi à identifier toutes les personnes séquestrées, il me semble qu’il y a  eu des survivants, une dame est venue à la gendarmerie”. Patrick GEROLD ajoute “qu’il n’y a pas de liste complète des victimes et on ne sait pas. La plupart des gens qui ont été enfermés ont été transférés après coup soit à la gendarmerie, soit au bureau préfectoral, d’autres ne sont jamais revenus”.

Il est demandé si le témoin se souvient des conditions dans lesquelles étaient enfermées ces personnes. Le témoin parle de “conditions spartiates” mais indique ne pas se souvenir de tout. Il dit ne plus savoir s’ il y avait des toilettes mais “que ce qui est caractéristique, c’est qu’il y avait des portes et barreaux aux fenêtres qui empêchaient les intrusions par l’extérieur”. Le témoin confirme que “certains Interahamwe avaient des armes à feu”, et sur question du président, le témoin explique que “ce qui les a empêchés d’attaquer, c’était le fait d’avoir des responsables”. Au niveau des conditions de vie, le témoin “pense qu’ils avaient un sentiment de sécurité, et qu’ensuite il y eu une polémique où les gens se sont plaints de n’avoir ni à boire ni à manger”.

S’agissant de l’ouverture à plusieurs reprises de ce local, il a été indiqué qu’il y avait des réunions organisées au bureau pour déterminer la suite, et notamment des lieux par lesquels les personnes devaient transiter. Le témoin indique n’avoir aucun souvenir de ces réunions. Le président demande au témoin d’expliquer l’utilisation du mot “polémique” (évoqué supra). Le témoin explique qu’il parle de polémique car “au cours de l’instruction, des témoins ont évoqué ne pas avoir été nourris”, et qu’“on a parlé de conditions inhumaines”. Le témoin précise avoir peut-être mal choisi ses mots, qu’il s’agissait davantage “d’éléments d’informations”.

À la question de savoir dans quels lieux les gens ont été transférés, le témoin explique que certains ont parlé de la gendarmerie, d’autres parlaient de la préfecture. Il indique que ce sont des lieux étatiques et s’étonne “qu’on ait fait transiter les Tutsi dans ces endroits”. Il ajoute qu’il “y a interprétation, parce qu’on se retrouve avec les Tutsi, et qu’est-ce qu’on doit en faire ?” (parlant des responsables de l’époque).

Le président demande au témoin quelle aurait été la solution pour protéger les Tutsi, et si celui-ci s’était personnellement interrogé, précisant que les veuves du groupe MAMBO disaient qu’il fallait plutôt sortir et se cacher que de rester enfermés dans ces endroits. Patrick GEROLD explique que selon lui, “c’est de la malchance, et que les hordes d’interahamwe les ont pris en chasse, donc se cacher dans une maison c’est non”. Le témoin déclare que des personnes avaient survécu en se cachant dans les champs, et qu’en tout état de cause, il fallait éviter le stade de TUMBA.

Le président demande au témoin si selon lui à cette période (notamment à partir du 23 avril 1994), le fait que les Tutsi aillent se réfugier dans des églises ou bureaux administratifs aurait pu les sauver. Le témoin répond “visiblement non, parce qu’ils s’y sont retrouvés et ont été tués”. Le président explique que ce n’est pas la question et la repose. Le témoin indique que c’était “une mauvaise option”. Il est demandé ensuite au témoin si d’après lui, l’accusé pouvait avoir un doute sur le fait que c’était une mauvaise option. Patrick GEROLD déclare “je ne suis pas dans sa tête, je ne sais pas”.

Il ajoute qu’il comprend la confusion qui devait régner à l’époque, et que cela devait paraître être une solution. Il déclare également que “le bureau du secteur était sécurisant (pour les Tutsi) puisqu’il y avait des barreaux”. Avant d’ajouter “les interahamwe ont  indiqué ne pas connaître le bureau de secteur, ils traquaient les Tutsi ailleurs. Ils ne comprennent pas pourquoi les Tutsi ont été mis là, car il y avait une fosse pour les exécuter”. Il souligne néanmoins que “c’est vrai, ça les a sauvés quelques temps mais ça ne  leur a pas sauvé la vie.

La parole est donnée à la cour.

À la question de savoir si, après s’être aperçu que les allégations de l’ONG African Rights aient été jugées peu crédibles, les enquêteurs s’étaient rapprochés d’autres ONG pour avoir des informations, le témoin déclare ne pas se souvenir de s’être adressé à d’autres organisations, si ce n’est les Gacaca[2].

À la question de savoir si les événements sanglants de Kigali pouvaient être connus à Butare, le témoin répond qu’il semble difficile de les ignorer.  À la question de savoir si le témoin peut dater (même approximativement) le moment où les exactions commises à Kigali auraient pu être connues à Butare, le témoin répond qu’il ne sait pas.

À la question de savoir ce que le témoin peut dire au sujet de la radio RTLM[7], Patrick GEROLD explique qu’il y avait “des journalistes qui diffusaient des messages explicites qui encourageaient à commettre le génocide”.

Les avocats des parties civiles n’ont pas de questions  à poser au témoin.

L’avocat général demande au témoin comment se déroulait la désignation d’un enquêteur dans un dossier de génocide. Le témoin explique qu’il y avait un chef de service qui transmettait les dossiers au chef de groupe qui désignait lui-même les enquêteurs en fonction de leur charge de travail. À la question de savoir s’il était possible d’avoir plusieurs enquêteurs sur un dossier, le témoin répond qu’en France, il n’y a qu’un enquêteur qui s’occupe de son dossier, et que c’est à l’étranger qu’on lui assigne d’autres enquêteurs pour répartir la charge de travail sur place.

À la question de savoir si c’était KERMOAL le directeur d’enquête et Patrick GEROLD une aide pour réaliser des actes à l’étranger, le témoin explique que c’est KERMOAL qui a conclu le dossier, de sorte que c’était lui le directeur d’enquête. Il ajoute toutefois avoir réalisé certains actes comme la liste des témoins à entendre, des résumés d’audition à transmettre au juge “pour lui mâcher le travail”, et des pièces de renseignements.

À la question de savoir si le témoin a réalisé un procès-verbal de synthèse, le témoin reste d’abord silencieux. L’avocat général lui demande s’il n’a pas été marqué par ce dossier, le témoin répond qu’il a travaillé sur plusieurs dossiers, et que lorsqu’il y a un directeur d’enquête, c’est lui qui s’occupe de la majorité des procès-verbaux à réaliser à Paris.

Lorsque l’avocat général demande quelles missions lui ont été données dans le cadre de ce dossier par les juges, le témoin répond “vous me posez une colle. Lorsqu’on m’adresse une commission rogatoire (CR), la mission est dessus. Donc au moment où il fallait faire le point, je reçois une CR pour me demander d’apporter une certaine analyse en plusieurs points, je mets en avant les éléments contradictoires, et notamment les meurtres qu’on reprochait au docteur MUNYEMANA et pour lesquels on s’est aperçu que ça tenait pas debout”.

L’avocat général lui fait remarquer que l’accusé n‘est pas poursuivi pour ce qu’exprime le témoin. Il est demandé au témoin si à son avis, son opinion a été suivie ou a donné lieu à des investigations complémentaires. Le témoin répond “l’enquêteur n’a pas d’opinion”. L’avocat général lui fait remarquer qu’il a pourtant donné son opinion tout au long de la matinée, ce à quoi le témoin semble se braquer et s’emporte “Il ne faut pas sortir de St-Cyr pour se rendre compte que les gens ont énormément fabulé ; et dans ce procès-verbal il est écrit que de nombreux témoins ont menti. Les gens racontent des cracks ! J’ai des anecdotes parce que je suis allé au Rwanda, et vous non!

L’avocat général indique au témoin ne pas voir l’intérêt de cette remarque. Le témoin lui coupe la parole et déclare “qu’il y a des cracks qui sont racontés dans ce dossier, donc attention aux témoignages! Un jour, dans un dossier, j’entends une personne à BUTARE et la personne me dit “la personne que vous poursuivez en France était connue pour être un anti-Tutsi, il prônait le génocide, il participait à des messes avec un prêtre blanc et disait devant l’assemblée “il faut tuer les Tutsi”. J’ai repris cette personne en lui disant que la personne dont il parle n’était pas au Rwanda, donc il mentait.” Avant d’ajouter “ce témoin est allé voir le procureur de la République qui m’a demandé de réaliser son audition, mais j’ai refusé parce que c’est grave de dire des choses fausses donc ces gens, moi, je les entends pas!”

Le président rappelle le témoin à l’ordre, et lui demande de s’adresser à la cour et de cesser sa confrontation avec l’avocat général.

L’avocat général demande au témoin, s’agissant des témoins qui n’auraient pas été entendus dans ce dossier, si ce sont les juges qui lui ont dit de ne pas l’entendre ou bien s’il n’avait pas été en mesure de le faire. Le témoin répond que “les juges ont été exposés au même problème : les gens n’étaient pas là. Ce n’est pas le juge qui m’a demandé d’entendre telle ou telle personne, c’est qu’on ne la retrouve pas ou qu’elle est décédée”.

À la question de savoir si c’est le cas de François BWANAKEYE, le témoin répond par l’affirmative.

Le président intervient de nouveau pour que le témoin s’adresse à la cour.

À la question selon laquelle des témoins ont déclaré, s’agissant par exemple de KAMBANDA, que celui-ci ne souhaitait pas déposer, notamment en raison d’une procédure du plaider coupable, le témoin répond que selon lui “cet argument n’est pas valable. D’autres personnes ont été entendues alors qu’elles étaient condamnées. Est-ce que le juge a délivré une CRI pour l’entendre au moins ?” se confrontant de nouveau à l’avocat général.

Le président intervient de nouveau et reprend le témoin, en lui rappelant que c’est le rôle de l’avocat général de poser des questions.

L’avocat général indique ensuite que le témoin a déclaré plus tôt déplorer qu’il n’y avait pas de compte-rendu des réunions qui se tenaient au bureau du secteur. À la question de savoir si dans le contentieux du génocide, il était courant d’avoir des comptes-rendus, Patrick GEROLD répond par la négative, expliquant qu’il déplore cette absence car “on devait se contenter de témoignages et on ne pouvait pas faire d’enquête sérieuse”.

À la question de savoir si dans sa pratique d’enquêteur, la commission de ces crimes figuraient par écrit, le témoin répond par la négative.

A la question de savoir, au moment du 17 avril 1994, quelles informations nationales importantes étaient disponibles à BUTARE, le témoin répond que les choses se savent grâce au téléphone, parce que les personnes vivaient dans les lieux où étaient perpétrés le génocide et que le gouvernement intérimaire ainsi que des interahamwe s’étaient déplacées à BUTARE.

À la question de savoir si il y avait des informations particulières disponibles sur le thème politique ou administratif et présentant un intérêt pour organiser la réunion du 17 avril 1994, le témoin explique que le gouvernement intérimaire (considéré comme génocidaire) avait peur de rester à Kigali alors que le FPR[8] arrivait et qu’une pression était ainsi exercée sur celui-ci, de sorte que les habitants de Butare devaient connaître la situation. Il précise qu’il y avait également la RTLM[7].

L’avocat général lui demande s’il savait que la nomination du nouveau préfet était dans le domaine public. Le témoin répond qu’il ne sait pas et qu’en tout état de cause, pour lui, la destitution du préfet s’est déroulée le 19 et non le 17 avril 1994.

L’avocat général indique au témoin que la destitution de l’ancien préfet est intervenue le 16 avril 1994, et que la nomination du nouveau est intervenue le 17 avril 1994. Il demande au témoin s’il ne lui paraît pas logique, dans un état régalien, qu’une nomination suive une destitution et non l’inverse. Le témoin répond “vous en discuterez entre vous, mais pour moi les dates ne correspondent pas. Pour moi c’est la difficulté du dossier, il est très dur de dire si un événement est arrivé tel jour. Mon point fixe c’est la nomination du nouveau préfet qui vient au lendemain de l’assassinat de l’ancien préfet, donc le 20 avril 1994, quand débute les premiers heurts à Butare-ville. Ce qui correspond au discours où on intronise le nouveau préfet, et ce jour-là, vous avez l’enlèvement de la reine Tutsi”.

L’avocat général commence une phrase lorsque le témoin lui coupe la parole et déclare “je connais le dossier et le dossier est mal fait. J’ai mon point de repère, vous avez les vôtres, on est pas d’accord!”.

Après intervention du président, l’avocat général demande si c’était la place d’un simple civil de participer ainsi à une réunion de conseil de secteur alors que l’accusé n’avait pas de fonctions. Le témoin répond qu’il “pense que cette réunion intéressait surtout les notables et responsables administratifs, des gens un peu influents”.

L’avocat général demande au témoin ce que cela suggère pour lui, qu’une personne sans fonction administrative détienne les clefs d’un bâtiment administratif. Le témoin répond “si  le docteur MUNYEMANA détient cette clef, c’est qu’il s’est impliqué dans la vie locale de TUMBA et s’y est intéressé. Vous avez raison, c’est un citoyen lambda, il vient s’impliquer mais au même titre que d’autres”.

À la question de savoir ce qui, selon le témoin, était la façon la plus simple d’aider des Tutsi, le témoin répond que c’est difficile car “TUMBA était à feu et à sang, ca tuait à tout va, à coup de machette et de gourdins, de la façon la plus odieuse qui soit. C’était abominable ! Donc aider des Tutsi ciblés par des fous furieux, c’est difficile et il faut beaucoup de courage pour intervenir. Je pense qu’ils restaient chez eux”.

Sur question de l’avocat général, le témoin précise qu’à partir du moment où “ils sont invisibles, les interahamwe ne viennent pas leur chercher des noises” (à propos des Hutu qui auraient pu aider les Tutsi).

À la question de savoir si à son échelle, le témoin aurait des informations qui peuvent établir que Sosthène MUNYEMANA a aidé les Tutsi, le témoin répond ne plus s’en souvenir.

La parole est laissée à la défense. À titre liminaire, les avocats de la défense remercient Patrick GEROLD pour son témoignage et “son excellente mémoire”. (NDR. Ces remerciements sont un peu suspects!)

À la question de savoir si la réunion du 17 avril 1994, où il est décidé de mettre en place barrières et rondes, tout un chacun était convié, le témoin répond qu’il ne s’en souvient plus.

À la question de savoir, s’agissant d’un communiqué en date du 16 avril 1994 du préfet HABYARIMANA dénonçant les massacres en cours, s’il est possible d’imaginer que la réunion du 17 avril 1994 soit simplement l’exécution des instructions de mise à l’abri figurant sur ce communiqué, le témoin répond par l’affirmative.

À la question de savoir si le témoin a rédigé un rapport à propos des personnes ayant déposé devant les autorités rwandaises et qui n’ont pas pu être entendues par les enquêteurs, le témoin répond qu’il ne s’en souvient pas. Il explique avoir repris les témoignages des personnes entendues par les autorités locales et qu’il n’avait pas les mêmes informations.

À la question des avocats de la défense, qui est de savoir si cela complique les choses pour la fiabilité des témoignages, le témoin répond “exactement, il n’y a aucune fiabilité dans ces témoignages, il faut les refaire. C’est pas possible de les prendre en compte dans un dossier judiciaire un peu sérieux. Ma façon de voir les choses, c’est que toutes les personnes entendues dans les Gacaca, par les autorités ou devant les juridictions, il faut systématiquement les reprendre”.

À la question de savoir si la mission d’intervention du témoin a bien duré de 2010 à 2013, le témoin répond par l’affirmative et ajoute spontanément “C’est la période où j’avais d’autres dossiers. C’est le problème, on avait trop de dossiers et ça devenait impossible d’enquêter. C’était un casse-tête pour les juges”.

À la question de savoir combien de témoins ont été entendus, Patrick GEROLD répond environ 200. Il ajoute que “cela peut paraître beaucoup, mais dans ce dossier ce n’était pas le cas, surtout avec tous les témoignages discordants”.

À la question de savoir si le témoin a eu connaissance d’assassinats dans le bureau du secteur, le témoin répond “je ne crois pas”. À la question de savoir si le bureau du secteur pouvait être considéré comme un lieu sécurisant grâce aux barreaux aux fenêtres, et si les Tutsi avaient plus de chance de vie à l’intérieur qu’à l‘extérieur, le témoin répond “je crois que ça a été dit par un témoin, ils étaient rassurés car dehors les Interahamwe étaient à leurs trousses, et donc ils devaient se sentir plus en sécurité à l’intérieur c’est sûr. Rétrospectivement, les champs auraient été mieux pour eux, car le bureau du secteur était un lieu confiné et gardé par les gendarmes”. Il ajoute “que ça provient sans doute d’une des nombreuses personnes entendues”.

Le président intervient pour indiquer au témoin de s’en tenir à ce qu’il sait. Les avocats interviennent également pour indiquer qu’aucun gendarme ne gardait le bureau du secteur.

À la question de savoir si le bureau du secteur pouvait être un refuge temporaire pour les Tutsi, le témoin répond par l’affirmative, précisant “les miliciens n’ont pas cherché les Tutsi à l’intérieur pour les tuer donc il y avait une forme de sécurité de ce bureau qui a été mise en place”.

Fin de l’interrogatoire à 12h08. L’audience est suspendue et reprendra à 14h00.


Audition de monsieur Anaclet DUFITUMUKIZA, gendarme et chauffeur.

« Je vous remercie de m’avoir invité à ce procès de Sosthène MUNTEMANA. À 21 ans, je suis devenu gendarme. Je vais parler de la période de 1992 quand je me suis installé à TUMBA. J’habitais près de chez Sosthène MUNYEMANA, encore plus près du bureau de secteur où Sosthène MUNYEMANA enfermait les Tutsi. Quand il a quitté BUTARE, j’étais présent. » C’est ainsi que le témoin commence sa déclaration spontanée.

En 1992, il y avait une situation de guerre de libération suite à l’attaque du FPR. Il y avait à TUMBA une ambiance de racisme :  un enseignant d’université avait dit : « Nous n’avons pas besoin de la paix qui vient d’Arusha. Nous devons tuer tous les Tutsi. »

À propos de Sosthène MUNYEMANA: « au début du génocide, celui qui ne voulait pas tuer les Tutsi était démis de ses fonctions ou tué. BWANAKEYE, le conseiller de secteur, qui était peu actif, a été remplacé par une équipe plus zélée dont monsieur MUNYEMANA faisait partie, à
l’exemple de celui qui était mon supérieur à la gendarmerie: Cyriaque. Il est en prison. Certains prétendent qu’il est innocent mais il a envoyé des gens tuer à CYAHINDA. C’est moi qui suis allé les rechercher après 4 jours de tuerie.

On dit que Sosthène MUNYEMANA est intelligent. Il n’est pas innocent car il a envoyé des gens tuer. Comme j’étais militaire, les gens ne se méfiaient pas de moi. Peu savaient que je pouvais sauver des gens. J’ai sauvé une femme qui est toujours en vie. Le génocide a été bien préparé par des gens intelligents et instruits. Les gens pouvaient venir chez moi. Au moment de la pacification,  la femme que je cachais a quitté sa cachette et elle est allée demander la protection de Sosthène MUNYEMANA qui ne l’a pas sauvée. Il avait le pouvoir de sauver ou de tuer. Il avait enfermé des gens dans le bureau de secteur dont le cousin de ma femme (NDR. Le témoin, à cette évocation, pleure). Nous étions militaires et armés mais le pouvoir était aux mains des tueurs. Les Interahamwe étaient plus puissants que nous[6].  Pour sauver des gens il fallait être rusé. Nous apportions à manger aux personnes enfermées dans le bureau de secteur.

Sosthène MUNYEMANA dit qu’il a sauvé des gens. Il faudra qu’il dise comment il a fait. J’ai vu beaucoup de femmes violées, et de personnes tuées. Difficile de dire les choses de manière chronologique. Nous partagions la bière chez RUGANZU. Je ne sais pas comment il a fait pour basculer dans le MDR Pawa[9]. J’imagine que vous connaissez le contexte.

Pour finir, je vais parler du départ de Sosthène MUNYEMANA de TUMBA. J’ai croisé chez lui des gendarmes qui avaient tué. Ce sont ces gendarmes qui chargeaient ses bagages dans le véhicule. C’est lui qui dirigeait les tueries à TUMBA. »

Monsieur le président pose des questions au témoin et l’interroge sur les ethnies.

« C’est difficile de parler des ethnies. J’avais une carte d’identité hutu. Ma mère était Tutsi du clan des Abakono. Mon père avait aussi une carte d’identité hutu. Il est possible qu’en 1959 ou en 1963, il ait été rescapé. En 2011 mes deux parents étaient Tutsi mais pour pouvoir entrer dans la gendarmerie, j’ai dû dissimuler que j’étais Tutsi. »

Le témoin confirme qu’il était chauffeur dans la gendarmerie, à BUTARE depuis 1992.
Il était marié et avait deux enfants. Sa femme, Tutsi, était enceinte. Ils habitaient à 50 mètres du bureau de secteur, une maison qu’ils louaient située à environ 100 mètres de chez MUNYEMANA.

De poursuivre. « Je n’adhérais à aucun parti politique J’étais membre de l’Emmanuel de Cyprien RUGAMBA [10]. On ne pouvait pas faire de politique. J’ai été poursuivi par des Gacaca mais n’ai pas été condamné.

Les relations entre les personnes avant 1994 étaient bonnes. Les choses ont changé avec l’arrivée des Interahamwe à BUTARE. Il y avait de la haine entre les gens du Nord et les gens du Sud. Pendant le génocide, la force était détenue par MUNYEMANA et les gens comme lui.

Dès le 8/9 avril, il y a eu des tueries à GIKONGORO. Il fallait assoiffer et affamer les Tutsi avant de les tuer. À TUMBA, on savait ce qui se passait à KIGALI. Beaucoup de réfugiés étaient venus de KIGALI. On pouvait capter la RTLM[7].  Nous écoutions aussi Radio Rwanda qui avait changé et diffusait la haine. Les habitants captaient les deux radios sans problème. »

Le génocide TUMBA: «Les tueries ont commencé le 20 au soir. KARANGANWA a été tué le 21. On m’a conseillé de ne pas rentrer à TUMBA. Les Gardes Présidentiels du président avaient commencé à tuer. Pourquoi le génocide s’est étendu rapidement ? On avait appris à haïr le Tutsi depuis la petite enfance. Ce sont les gens instruits qui ont incité les gens à tuer.  Le génocide a été planifié. Il y avait beaucoup de militaires du Nord. Avant ARUSHA, les enseignants disaient qu’on ne pouvait pas vivre avec les Tutsi. À cause de la méchanceté avec laquelle le génocide avait été préparé, on pouvait te tuer à petit feu. C’était un choix pour faire souffrir. »

Tous les militaires et gendarmes n’ont pas participé au génocide: « Il y avait trois catégories de gens : les gens toujours méchants qui tuaient, ceux qui s’en fichaient. et ceux qui avaient de la compassion. On trouvait ces trois catégories chez les militaires.

Je n’avais aucun problème avec MUNYEMANA.  Avant le génocide, il était adhérent du MDR, il était bien. Devenu Power, il n’était pas différent des autres CDR[3]. Les gens savaient qui étaient Hutu ou Tutsi.. Les membres du MDR étaient du Sud. Ceux du Nord étaient du MRND[11].  90% des gens du Sud étaient du MDR. »

Le président: « Vous avez assisté à des réunions où était MUNYEMANA ? »

Le témoin: « Je n’allais pas à des réunions mais Sosthène MUNYEMANA se vantait. En avril,. il a invité gendarmes et des voisins pour boire. Il a dit qu’il avait organisé un comité de crise. « Nous les civils, nous combattons les Inyenzi[12] » avait-il dit. Il nous  a ensuite demandé d’être prêts à intervenir si on avait besoin de nous. Il savait que nous portions toujours notre arme. »

Le témoin confirme que souvent les réunions du comité de crise se tenaient chez lui. Il avait un rôle de leader. Il était un superviseur des barrières. « Je l’ai vu vérifier leur fonctionnement.  Il patrouillait avec des gendarmes ou des gens de son comité de crise. » Le témoin n’a pas entendu MUNYEMANA donner des ordres pour tuer. Comme chef du comité de crise, Il avait la clé du bureau de secteur. BWANAKEYE  était faible. C’est MUNYEMANA qui l’a remplacé. Il enfermait les Tutsi pour qu’ils soient tués. « Ma femme faisait la cuisine et deux enfants leur apportait de la nourriture. Des Interahamwe circulaient.  On n’a pas revu le corps du cousin de mon épouse. Je n’ai revu aucune des personnes enfermées. »

Monsieur le président demande si, dans le Rwanda actuel, le génocide est toujours présent.

Le témoin répond que « Sosthène MUNYEMANA devrait une punition exemplaire.
Aujourd’hui, des gens voudraient encore faire le génocide, même si le président plaide aujourd’hui pour « un seul Rwandais ».

Avec les FDLR[13] dans un pays voisin, le génocide se poursuit. »

Revenant sur Sosthène MUNYEMANA à l’époque du génocide, il poursuit : « Je l’ai vu patrouiller sur les barrières avec des gendarmes. Je sais qu’il a souvent donné des ordres pour tuer !

Monsieur le président : « Comment le savez-vous ? Vous l’avez vu, entendu dire ou déduit ?»
Le témoin répond en citant l’exemple de « Gaspard qui s’était pendu pour échapper à ses tueurs. C’est Sosthène MUNYEMANA qui les avait envoyés.»

Sur question de monsieur le président, le témoin répond que la « pacification » était un piège. Les Tutsi qui s’étaient cachés jusque là sont sortis et ont été tués. « C’était une ruse! »

La parole est à l’avocat général:
« Le courant Pawa qui a divisé tous les partis[14], vous l’avez su comment ? »
Le témoin : « C’était diffusé sur la radio. Le MDR n’était pas anti-Tutsi[15]. Mais après, il est devenu comme la CDR[3] ».

L’avocat général:  « Qui écoutait la radio ? »
Le témoin répond que la RTLM propageait  « la haine du Tutsi, Radio Rwanda fera pareil après. On disait que les Tutsi étaient mauvais. »

Le discours du gouvernement sur les radios ? La RTLM a été mise en place pour préparer le génocide. Il y avait aussi le journal KANGURA[16]. Radio Rwanda et la RTLM partageaient la même antenne mais n’émettaient pas sur la même fréquence.

« À Tumba, il y avait des bars mais je parle du bar de RUGANZU. Je n’allais pas dans les bars pendant le génocide. C’est les tueurs qui fréquentaient les bars, pour se réjouir. »

La parole à la défense.

Maître LEVI: « Vous avez dit: « Je passais mon temps à me cacher car on me prenait pour un Tutsi.»
Le témoin : Je n’ai pas dit cela.
Maître LEVI: que faisiez-vous ?
Le témoin: J’étais chauffeur, je continuais mon travail. Je ravitaillais les gen­darmes. Je rentrais à midi et le soir.
Maître LEVI: Vous n’aviez  pas d’inquiétudes pour votre femme tutsi ?
Le témoin: Nous nous attendions à être tués. La mort ne nous a pas atteints. Si on avait tué ma femme et mes enfants, j’aurais décidé de prendre mon fusil.
Maître LEVI: Vous savez tout sur ce qui se passe à TUMBA : c’est mon impression. Vous avez vu tout cela ?
Le témoin: . Tout se passait à côté de chez moi. On me donnait des informations.
Maître LEVI: Concernant la réunion du 23 avril chez Sosthène MUNYEMANA, pourquoi avoir dit aux enquêteurs que vous aviez vu la femme de MUNYEMANA?
Le témoin: J’ai dit ce que j’ai vu.
Maître LEVI: Vous avez accusé Cyriaque avec Laurence KANAYIRE, alors que Cyriaque a été muté le 16! »

Fin de l’audition à 18h26.

 


Audition d’une partie civile qui souhaite garder l’anonymat.

« Je vais vous dire ce qui m’est arrivé mais je ne veux pas qu’on en parle dans la
presse. Je ne veux pas que mon mari et mes enfants apprennent ce que je vais dire.

En 94, j’étais mariée depuis 5 ans. Mon histoire a commencé en 90 avec l’arrestation des complices. Cela a continué jusqu’en 94 » avec le 21 avril, la mort de François KARANGANWA KARANGANWA.

« Quand on a érigé les barrières, les Tutsi étaient pourchassés Nous nous sommes cachés, surtout les hommes et les garçons. Moi, j’ai été violée. J’habitais prés du bureau de secteur et de la fosse de chez KARANGANWA.

Des réunions se déroulaient chez Joseph HITIMANA, alias RUGANZU », d’autres réunions ailleurs aussi. « Les femmes Tutsi devaient être violées. J’avais 25 ans, deux enfants. Mon mari n’était plus là. On a demandé qui avait donné l’ordre de nous violer. Dans cette
réunion, il y avait MAMBO, RUGANZU et Sosthène MUNYEMANA. » La réunion a duré jusqu’au soir et l’ordre a été donné que les femmes Tutsi soient violées.

« J’ai été violée avec mon bébé sur le dos. Ils ont même violé des cadavres. Nous avons été violées par nos propres domestiques. Un jour, en passant devant che­z Sosthène MUNYEMANA, je l’ai vu avec KAMBANDA[5]. Je croyais qu’il allait m’aider. Dans la
voiture, il y avait beaucoup de machettes. Je me suis montré à KAMBANDA pour qu’il me secoure. MUNYEMANA et KAMBANDA n’ont rien fait pour moi. SEKWARE était assis devant chez MUNYEMANA.

De retour chez moi, j’ai été de nouveau violée. Une réunion a eu lieu chez REMERA Siméon avec Sosthène MUNYEMANA et Xavier, celui qui m’avait pris comme femme (NDR. c’est-à-dire violée). Il avait été décidé aussi que les femmes Hutu qui avaient épousé des Tutsi devaient être mises à mort.

Monsieur le président: « Vous avez payé un très lourd tribu : mari, père, frères… Tués. »

Le témoin :  « Sosthène MUNYEMANA était le donneur d’ordre ». il y a eu une remise d’arme chez lui par KAMBANDA,  il  avait « la clé du secteur dans les mains ».

Monsieur le président demande si elle a seulement entendu ou vu elle-même Sosthène MUNYEMANA donner l’ordre de violer. Elle répond : « J’ai moi-même entendu Sosthène MUNYEMANA le dire.
Question : Vous avez dit que vous vous cachiez dans un champ de sorgho. Comment pouvez-vous avoir assisté à une réunion?
Réponse:  Je ne sortais qu’avec mon violeur.
Question : Vous avez vu KAMBANDA mais vous n’aviez jamais parlé de livraison d’armes à feu.
Vous n’aviez jamais dit non plus que vous aviez parlé à KAMBANDA. À la question de savoir qui détenait la clé du secteur, vous répondiez F. BWANAKEYE! Et les seringues?
Réponse: REMERA et GEMMA, sa femme, étaient  dans le milieu médical.
Question: Et Xavier, qui était-il ?
Réponse: HITIMANA Xavier, c’était un tueur, un homme fort, choisi pour tuer, un civil., mon violeur.

Sosthène MUNYEMANA était connu comme homme influent. L’annonce de la « pacification » a été faite pour faire sortir les Tutsi de leurs cachette. Sosthène et Xavier se connaissaient. J’allais aux réunions avec mon violeur pour être protégé par lui.

L’avocate du témoin, maître Mathilde HUBLE essaie de rétablir une certaine chronologie. Son mari tué le 20 mai au moment de la « pacification ». Vous vous souvenez de l’ouverture de la fosse de chez KARANGANWA?, interroge l’avocate.
Réponse: Bien sûr. C’est moi qui ai vu les seringues sur ma belle-mère.»
Et de citer les personnes qui ont participé à l’ouverture de la fosse .

Maître Lindon: « Vous vous souvenez quand vous avez été entendue ? » C’était Le 19 avril 2006, le témoin ne s’en souvient pas.
L’avocate: Vous avez été juge en Gacaca ? 
Le témoin:  Oui. On choisis­sait les personnes intègres.
Elle ne se souvient pas avoir été entendue par des gendarmes français en 2010 ?
Le témoin évoque la destruction de sa maison, à laquelle Xavier HITIMANA a participé. Des photos des siens, elle n’a que celles qu’elle garde dans son cœur. Depuis 1994 « je dois vivre. Mes enfants aussi. En 2001, j’ai épousé un autre homme. Nous avons eu 3 garçons. Mon mari est au Burundi. Nous ne racontons pas tout cela par haine. »
Et d’ajouter: « Quand les Inkotanyi[17] sont arrivés, nous avons eu peur. Nous avons fui. Les tueries avaient commencé le 20 avril en ville. On a commencé à se cacher le 21. Ce fut le début des viols. je suis restée en vie parce que j’ai été violée. Je pouvais sortir en plein jour car accompagnée de mon violeur. » C’est ainsi qu’elle a pu voir son violeur « travailler », exécuter les ordres de personnes influentes. Elle a assisté au déchargement des armes par KAMBANDA chez MUNYEMANA. C’était une voiture rouge. Son violeur est allé chercher une machette. C’était à la mi-avril environ. Elle connaissait Sosthène MUNYEMANA comme médecin de l’hôpital. Son beau-père livrait du lait chez lui. Elle l’a vu aussi chez REMERA. Il a encouragé le viol des femmes.

De poursuivre: « La « pacification »? C’est ce jour-là que j’ai revu mon mari. Il a été tué le lendemain. Il avait été réquisitionné pour enlever la « saleté », les corps des Tutsi. »

Maître BOURG demande au témoin si elle a vu l’accusé dans des réunions où elle était. Elle confirme. « C’est lui qui commandait J’étais présente à certaines réunions. » L’avocate lui fait remarquer que ce n’est pas ce qu’elle avait dit aux enquêteurs. « Vous aviez dit que c’est Xavier qui me le disait quand il revenait. » Le témoin confirme avoir entendu l’accusé appeler à violer les femmes.

« Pourquoi ne l’avoir jamais dit avant?, questionne l’avocate. Je ne remets pas en doute que vous ayez été violée. »

Maître BOURG. « L’avez-vous personnellement entendu donner ordre de tuer?  Vous avez dit : « Non jamais ».

Sur question de l’avocate, le témoin énumère les noms des personnes présentes aux réunions. Elle n’était pas la seule femme tutsi présente. Les femmes tutsi qui avaient des maris hutu étaient là aussi. Maître BOURG lui fait remarquer qu’elle donne aujourd’hui une version différente de la rencontre de KAMBANDA chez MUNYEMANA. Le témoin confirme que la bonne version est celle qu’elle donne aujourd’hui.

Sur question de maître BOURG, le témoin dit ne pas se souvenir de la date de l’exhumation des corps. « Nous étions comme des fous, nous étions hors de nous-mêmes. Elle confirme que des seringues étaient plantées dans des corps et que certaines victimes étaient ligotées.»  Xavier, son violeur, lui avait expliqué comment sa belle-mère avait été piquée.

L’audience est suspendue à 20h37.

Jade KOTTO EKAMBI, bénévole

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

 

  1. OCLCH : Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine. C’est un service de police judiciaire spécialisé rattaché à la direction générale de la gendarmerie nationale ou de la police nationale. La mission principale est l’enquête qui est conduite seule ou en liaison avec des unités de la police nationale. Il y a aussi des missions d’appui et de soutien, de coordination de l’action des différents services. Ce service a été créé en 2013 pour répondre à la signature du Statut de Rome qui institue la Cour pénale internationale. Les magistrats font des demandes qui sont examinées par les autorités de ces pays relatives à des actes précis comme par exemple la demande de procéder à des investigations sur place en interrogeant des témoins. Les équipes de l’OCLCH se rendent en général 2 à 3 fois par an au Rwanda.[]
  2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[][]
  3. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[][][]
  4. Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA, à ne pas confondre avec Juvénal HABYARIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné, selon  Butare, la préfecture rebelle, rapport d’expertise d’André GUICHAOUA, la date exacte étant sujette à caution.[]
  5. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[][]
  6. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[][]
  7. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[][][]
  8. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  9. MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » ou «Pawa »(ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. []
  10. Communauté de l’Emmanuel : communauté religieuse fondée par Cyprien et Daphrose RUGAMBA, tués le premier jour du génocide avec 6 de leurs enfants. cf. https://emmanuel.info/categorie/cyprien-et-daphrose-rugamba/[]
  11. MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[]
  12. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]
  13. FDLR: Forces démocratiques de libération du Rwanda, groupe armé formé en république démocratique du Congo (RDC) en 2000. Il défend les intérêts des Hutus rwandais réfugiés en RDC et opposé à la présidence de Paul Kagame, cf. Wikipedia.[]
  14. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[]
  15. MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. []
  16. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[]
  17. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[]

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Auditions de Florent PITON (enseignant chercheur), Diana KOLNIKOFF (psychologue clinicienne et psychanalyste), Jean-Philippe REILAND (enquêteur de l’OCLCH) et Alain GAUTHIER (président et co-fondateur du CPCR).