Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.
L’audience débute à 9h03. À titre liminaire, le président revient sur la demande des avocats de la défense. À ce propos, la défense souhaitait verser au débat un document le jeudi 16 octobre 2025 à 20h38, à la demande de Sosthène MUNYEMANA. Maitre BOURG précise que c’est pour une raison liée à une question posée par les parties civiles il y a deux jours. Il n’y a pas d’obstacles des parties civiles ni de l’avocat général.
L’interrogatoire de Sosthène MUNYEMANA reprend à 9h11. La parole est aux avocats de la défense.
Il est indiqué à l’accusé qu’il a dit avoir la radio, et qu’il avait pu entendre au moins partiellement certaines émissions et certains discours. Maître BIJU-DUVAL souhaite lire un extrait d’une émission de Radio Rwanda, sur une allocution de SINDIKUBWABO, président intérimaire du 8 avril 1994. Sur questions des avocats de la défense, l’accusé explique avoir entendu ce discours à la radio, qui annonçait la mise en place du gouvernement intérimaire et qui annonçait les objectifs du gouvernement.
Les avocats de la défense parlent ensuite de l’affaire concernant “le major Cyriaque HABYARABATUMA, qui a été présenté comme un héros au côté de Jean-Baptiste HABYARIMANA”. Ils indiquent ensuite que dans cette affaire, les témoins suivants ont déposé à l’encontre du major Cyriaque HABYARABATUMA : Libérata BANKUDYE, Emmanuel NIYITEGEKA alias MY LOVE, Calixte NDAGIJE, Augustin MUNYANEZA.
Sur questions des avocats de la défense, Sosthène MUNYEMANA déclare “ne pas être étonné qu’ils soient les accusateurs de Cyriaque”, et indique “être sûr qu’ils ont inventé des choses”. L’accusé ajoute que dans son dossier “il y avait MY LOVE, reconnu comme professionnel du mensonge” et qu’il a été établi “que les accusations portées étaient fantaisistes”. Il conclut en indiquant “de toute façon, ça a été dit qu’à BUTARE il y avait des accusateurs, même sur demande”.
Les avocats de la défense souhaitent ensuite évoquer “l’intention génocidaire, car au-delà de la matérialité des faits, il faut que l’on comprenne “l’homme derrière les faits”. Il est demandé à l’accusé de raconter son quotidien, chez lui, avec ses enfants, la nounou et sur deux dates, à savoir le 17 avril 1994 et le 24 avril 1994. Il raconte que “le 17 avril, on croyait que BUTARE était relativement calme, même si nous avons entendu que les massacres existaient. Nous voyons arriver des réfugiés, et il y avait des personnes qui fuyaient KIGALI et ceux que je connaissais avaient fui KIGALI. Donc on avait peur. Malgré tout, ce jour-là j’avais continué, et puis on nous avait astreint à domicile avec mes enfants alors j’essayais de les occuper. D’abord, j’avais mon fils qui devait passer l’examen avec l’espoir que c’était passager et que les cours devaient reprendre”. Il ajoute “J’étais avec eux dans les jeux, on jouait souvent ensemble pour enlever la monotonie de ces enfermements. Et j’avais un vidéo projecteur avec un écran. J’étais rentré de France avec beaucoup de jeux et de dessins animés qu’on regardait parfois ensemble pour s’occuper. Je faisais des travaux domestiques, des vidéos, on regardait Olive et Tom, etc”.
L’accusé poursuit “J’ai fait tout ça pour essayer de casser la monotonie. Dans l‘après-midi j’apprends que BWANAKEYE a convoqué une réunion, et vers 16h je suis allé au bureau du secteur participer à cette réunion. Et ça avait changé la suite de la vie. Et c’est à partir de ce jour qu’il fallait faire des rondes”.
Sur ses enfants il déclare “j’ai essayé de les occuper. À partir de ce moment commence la peur, car quand on parle de l’invasion probable de notre secteur, j‘ai commencé à être encore plus inquiet. Et j’apprends clairement que les Tutsi sont tués dans les environs les plus proches. A KIGALI je le savais, mais ça s’est approché de nous, et c’était encore plus effrayant”.
Sur le 24, il explique “on était déjà en plein génocide, des tueries avaient été lancées, on était encore plus enfermés que jamais, sans oser sortir. Nous n’osions plus nous présenter dans les rondes. C’était très inquiétant avec les premières tueries des Tutsi que j’avais appris au bureau de secteur. Et c’était la première fois que j’avais ouvert le bureau de secteur et ça me préoccupait”. Il poursuit “j’ai passé la matinée en attendant avec les enfants et Elevanie, les locataires et les gens déplacés chez eux. Et KAMANZI est arrivé chez moi le 17, les époux BONAVENTURE, tout en sachant que chez moi derrière, des réfugiés de KIGALI étaient chez le locataire. Et je devais voir si tout le monde était bien installé et s‘ils n’avaient besoin de rien. J’ai fait des courses pour amener de quoi manger, et c’est dans l’après-midi que BWANAKEYE est venu au bureau du secteur”. Il ajoute “j’ai essayé de nous occuper le plus possible”.
Il est demandé à l’accusé comment se déroulent concrètement les rondes. Il explique que du 21 au 24 il n’y avait pas de rondes et qu’elles ont repris le 24 au soir. “Depuis le 24 et juste après, nous avions notre circuit. Si je partais de chez moi, ma maison n’était pas vraiment le centre de notre circuit de ronde mais incluse dans ce circuit. Nous avions un périmètre que je représente entre 150 et 200 m”. Pour faciliter ses explications, Sosthène MUNYEMANA demande de projeter le schéma qu’il a réalisé.
L’accusé explique ensuite que la ronde n’était pas statique “et qu’à un moment, on a intercepté des miliciens depuis le bas de chez moi. Ils avaient pénétré pendant que nous faisions le tour. Ils sont apparus entre chez moi et le bureau de secteur. C’est comme ça qu’on arrivait à intercepter les malfaiteurs. Et parfois nous entendions les appels au secours donc nous courons pour porter secours à la personne qui criait, comme la dame qui s’appelait Marguerite”. Il ajoute “nous tournions toute la nuit sur ce trajet-là, c’était notre système. Nous n‘avions pas suffisamment d’armes mais notre nombre et les personnes regroupées c’est plus dissuasif qu’une personne isolée. Ce que j’ai constaté, c’est que dans la réalité à partir du 24, il y a eu les rondes qui se sont mises à être statiques, ce qui a pu faire dire que c’était des barrières. Et les rondes sont devenues manifestement tueuses du côté de RANGO ou alors rejointes par des tueurs qui avaient été contrecarrés. Car dans notre groupe, il y avait Tharcisse dont j’ai parlé, qui aurait dû être avec nous. Quand on a vu ces velléités d’aller attaquer les gens, on l’a empêché. Et en se voyant empêché, il est parti ailleurs et il voulait inciter ses copains tueurs à venir nous attaquer”.
Sur la clé du bureau de secteur, l’accusé parle de confiance et explique “si je l’avais pas appelé, BWANAKEYE, il ne m’aurait pas donné la clé. Il se préoccupe des gens, et ayant manifesté cette préoccupation, je pense que BWANAKEYE a réagi en fonction d’une personne qui a manifesté une préoccupation. Et il a pu réagir dans ce sens là et il me connaissait comme quelqu’un d’honnête. Et je pense que dans ce sens là aussi il en a pris compte. Si on avait discuté de la proximité, RUGANZU était plus près, mais on en a jamais discuté donc je suis resté avec la clé”.
A la question de savoir si, lorsque la camionnette arrivait, il y avait des gardes, Sosthène MUNYEMANA répond par la négative et ajoute “c’était juste un chauffeur et un policier”. Sur les réfugiés qui montent dans la camionnette communale, l’accusé explique “quand BWANAKEYE parlait avec eux, il y a un départ auquel j’ai assisté, je n’ai pas vu de manifestation de dire “je ne veux pas partir”. Les personnes étaient désespérées car l’issu donné par KANYABASHI apparaissait comme salutaire pour tout le monde car il n’y avait pas d’autres issues. Ils étaient dans l’espoir d’être protégés, mais je n’ai pas trop insisté sur leur état d’esprit depuis le départ du bureau de secteur. Mais au moins au début, pour le groupe que j’ai pu voir au départ, ils étaient plutôt enthousiastes, en tout cas plus détendus”.
Sur Jean KAMBANDA, il est demandé si l’accusé est d’accord avec le fait qu’il est un criminel ayant participé au génocide, ce qu’il confirme. Il ajoute “il a participé effectivement au génocide et a été condamné pour ca. Mais la personne que j’ai connu avant et à qui j’ai parlé dans ce sens-là, je le distinguais de l’homme politique surtout à ce moment-là. Même si j’ai pu entendre quelques-uns de ses discours, j’ignorais à quel point il était volontaire la dedans. Ensuite, je me suis rendu compte qu’il avait un langage que je n’avais pas connu avant. Donc c’est vraiment un criminel dans le cadre du génocie, même s’il a été mon ami. Je distingue toujours l’ami et le criminel. S’il avait été emprisonné ici en France, je lui aurais apporté des provisions parce qu’on a été amis. Parce que c’est un homme aussi”.
À la question de savoir si la hiérarchie bien organisée a été bousculée durant le génocide, l’accusé repond par l’affirmative et dit “dans les détails on ne savait pas quelle personnalité était intervenue dans la mise en place de ce gouvernement. Tout cela bousculait la hiérarchie. C’est pour ça que j’ai toujours pensé, et je crois que SMITH en a parlé hier, les militaires avaient pratiquement un pouvoir qui égalait ou dépassait celui des civils et on le vivait comme ça”.
Sur la planification, il est indiqué à l’accusé qu’elle s’est fait dans la nuit du 6 au 7 avril, mais qu’il n’y en avait pas antérieurement. Il lui est s’il est d’accord avec la thèse selon laquelle il y a eu une planification, mais pas avant le 6 avril. L’accusé explique “avoir vu des tueries, des massacres de Tutsi et opposants”, et ne pas avoir compris “que c’était planifié. Et c’est vraiment le 19 avril, en prenant position pour les tueries à BUTARE, que j’ai compris que l’Etat est bien impliqué dedans sans aucun doute. Avant, j’aurais pensé à un dérapage mais après j’ai vu que tout l’état était impliqué”.
Sur le bureau du secteur, les avocats de la défense indiquent à l’accusé qu’il en parlait comme d’un abri temporaire. A la question de savoir s’il y avait eu des policiers qui pouvaient garder les Tutsi contre les miliciens, l’accusé répond qu’il n’a ”jamais eu de pouvoir dans ce secteur et si j’en avais eu, j’aurai essayé d’endoctriner des policiers sur place. C’est toujours difficile a posteriori de faire une hypothèse. Je retiens qu’on n’avait pas la capacité, ni l’autorité pour faire ces démarches. On en a référé au responsable qui a fait avec les moyens qu’il avait, mais il n’avait aucune autorité là-dedans”.
Sur ses blessures personnelles, Sosthène MUNYEMANA explique qu’il en parle très peu, et que sa plus grande inquiétude réside en ses enfants.
Maître BOURG prend la parole. Elle commence par rappeler que cette affaire dure depuis 30 ans et que l’accusé connaît son dossier sur le bout des doigts. Elle fait dire à l’accusé que celui-ci est attiré par la démocratie occidental, et que c’est dans cet état d’esprit qu’il retourne au Rwanda en 1990. A plusieurs reprises, elle lui pose des questions puis le coupe dans sa réponse, jusqu’à obtenir la réponse suivante: “je suis un intellectuel venu de France, qui s’intéresse à l’explosion de la politique dans son pays”.
A la question de savoir si l’accusé peut expliquer le choix de constituer un gouvernement intérimaire de personnalités du sud, Sosthène MUNYEMANA commence par répondre “mon analyse, c’est qu’ils ont voulu refilé la patate chaude”. Puis son avocat le coupe de nouveau et repose sa question, ce à quoi l’accusé répond “les choses sont graves, il fallait gérer des choses difficiles. Je ne savais pas comment par la suite cela allait être maintenu, mais je n’avais pas conscience que c’était un gouvernement du sud”. L’avocat lui coupe encore sèchement la parole et demande plus franchement “est-ce que le fait de mettre des personnalités du sud comme KAMBANDA et STRATON, ce n’était pas pour tordre le bras à cette résistance ? Parce que GUICHAOUA a dit qu’ils étaient résistants..”. Sosthène MUNYEMANA répond alors “je ne suis pas sûr et je crois que s’ils sont partis prenant, ce qui est encore plus grave, ou s’ils ont été utilisés même peut être à leur insu, alors il y a une stratégie derrière qui leur a fait peur”.
À la question de savoir s’il a été demandé à l’accusé d’entrer au sein du gouvernement intérimaire, l’accusé répond par la négative et ajoute “Je n’ai jamais voulu faire de la politique ni participer.” Puis son avocat lui recoupe la parole et dirige sa question “parce que vous n’étiez pas extrémiste?”, ce à quoi l’accusé répond par l’affirmative.
Une succession de questions sont ensuite posées à l’accusé sur le bar de RUGANZU, telle que “chez RUGANZU il n’y avait que des gens qui avaient les moyens?” où la seule réponse apportée est “oui”.
À la question de savoir si l’accusé a des amis intellectuels Tutsi, il répond par l’affirmative et cite notamment : Joseph NSENGIMANA, Jean MUREZEKI, et NKUZI.
Sur questions, il explique ensuite que pour trouver une cachette à proximité du bureau du secteur, il fallait courir à minima 150 mètres pour trouver le premier champ.
Sur les miliciens, Sosthène MUNYEMANA explique “les miliciens que j’ai vu qui rodaient parfois autour du bureau du secteur, quand il y avait des réfugiés. C’était pour la plupart des jeunes de TUMBA dont je connaissais les visages, mais pas le nom. Ils étaient armés et j’ai vu des miliciens armés de masse, massue, parfois de machette mais c’était des armes traditionnelles qu’ils avaient pris chez eux.. et ils venaient rôder autour du bureau de secteur.” Il ajoute “ils sont tous jeunes, je n’ai pas vu quelqu’un qui pouvait être âgé de plus de 35 ans”. Il précise sur question “c’est possible qu’il y ait eu des gamins de 16 ans, mais ca depend aussi de la croissance, oui c’est possible”. Il explique également “je n’ai jamais vu quelqu’un autour du bureau du secteur portant une grenade ou armé d’un fusil. Le seul que j’ai vu à TUMBA, c’était pas au bureau du secteur. C’était Faustin et il avait une arme aussi mais c’est le seul que j’ai vu quand j’ai passé la barrière entre TUMBA et CYARWA. Il y avait aussi GASHUDI Augustin je crois, lui aussi avait une arme”.
De nouveau, l’avocat de la défense coupe la parole à l’accusé, qui finira par répondre que ces miliciens “flânaient par bande de 5”.
L’audience est suspendue à 10h38 et reprend à 11h00.
Sur les rondes, l’accusé explique qu’il y en a eu à partir du 17 dans le secteur “À l’époque, c’était sur le modèle qui avait été défini dans la réunion du 17. Après le 24, quand elles ont été reprises comme les tueries étaient en cours et que certains avaient glissé, notre ronde est restée sur le modèle défini le 17. C’est-à-dire moi et ceux avec moi sur la liste que j’ai dressé quand j’en avais encore le souvenir en 95.” Son avocate semble agacée et lui coupe la parole “Y avait-il d‘autres personnes bien intentionnées comme c’était votre cas ?”, ce à quoi Sosthène MUNYEMANA répond simplement par l’affirmative et tente d’amorcer une réponse. Son avocat le coupe encore et l’accusé finit par dire “on avait tous la même intention”, de nouveau elle le coupe et il dit alors “je sais que d’autres en faisaient (ndlr : des rondes) à partir d’avril, je ne peux pas vraiment en parler”.
Visiblement agacée, Maître BOURG lui dit alors “Je vais vous rafraîchir la mémoire en disant que dans le dossier il y a quelqu’un qui parle de la même chose que vous, et il ne parle pas de rondes. Souvenez-vous, c’est monsieur SIBOMANA?” Ce à quoi Sosthène MUNYEMANA répond “Claude! C’est ce qu’il appelle la veillée. Claude était dans le même groupe que moi, il est sur la liste que j’ai dressé”. Son avocat le coupe en riant et indique “vous ne connaissez pas par coeur votre dossier, des éléments à décharge vous échappent. Ce témoin a dit “Durant mes veillées, il n’y avait jamais eu de problèmes, et j’ajoute que nous n’étions jamais armés. C’était des armes psychologiques face aux jeunes miliciens”.
Sosthène MUNYEMANA répond alors ”Quand je dis ronde, ça comprend le mouvement alors que le mot veillée ne fait pas comprendre automatiquement que c’est un mouvement la nuit”. Maître BOURG reprend la parole sans laisser l’accusé terminé et déclare “c’est important, car on s’imagine que sans arme, c’est impossible de faire des rondes psychologiques. Mais c’est confirmé par le témoin”.
Il est ensuite donné lecture du procès-verbal d’audition de Marie NYIARAROMBA. Sur questions, l’accusé confirme “oui, c’était des rondes protectrices”.
Sur les réfugiés que Sosthène MUNYEMANA déclare avoir recueilli, il explique que ceux-ci sont arrivés chez lui à partir du 17 avril 1994, et qu’au total il aurait hébergé une trentaine de personnes, dont 16 à 17 adultes et 15 ou 16 enfants. Il explique que “6 enfants ont été massacrés par les miliciens”. A la question de savoir si dans ces personnes il y avait des Tutsi, il dit que sont concernés “Marie Goretti, la femme de Bonaventure, les enfants de François et Elevanie”.
Les avocats de la défense indiquent ensuite qu’à côté du génocide “il y a une guerre qu’on oublie”. L’accusé confirme, commence à parler du FPR puis il est une nouvelle fois coupé par son avocat.
Les avocats de la défense font ensuite de longues observations, sans poser de questions à l’accusé.
À la question de savoir chez qui l’accusé a déposé Elevanie au moment de sa fuite, il explique “au moment de partir, Elevanie était toujours à la maison et je ne pouvais pas la laisser seule. Elle était en grand risque, je le savais, et je partais quasi définitivement. J’avais des billets mais Elevanie n’avait pas de billets. Donc je me suis posé la question. J’ai contacté la personne chez qui elle avait travaillé avant. Il était gérant de la banque commerciale du Rwanda à BUTARE et je l’ai contacté en lui demandant si je pouvais la déposer et on s’est mis d’accord. Il habitait sur la route BUTARE-GIKONGORO. Je suis descendu avec STRATON, on était prêt à partir et on est partis tous ensemble. Nous étions sur le départ, et on l’a déposé là-bas. On l’a déposé dans cette famille qu’elle connaissait. Parce qu’elle y avait travaillé avant et que c’était sa région d’origine”.
Les avocats de la défense font des observations, lisent l’attestation de Fulgrence, mais ne posent aucune question à l’accusé. Les avocats de la défense reprennent leurs observations sur de “faux témoignages”, et terminent par “Les témoins sont des menteurs”. Là encore, aucune question n’est posée à l’accusé.
Sur James VUNINGOMA, Sosthène MUNYEMANA confirme avoir déposé plainte à son encontre pour diffamation. Les avocats de la défense poursuivent leurs observations, sans poser de questions à l’accusé. Il est ensuite donné lecture par les avocats de la défense d’un tract du collectif Girondins, tout en réalisant des observations. Les avocats des parties civiles interviennent et font remarquer à la cour que les avocats de la défense sont en train de plaider, et non de procéder à l’interrogatoire de l’accusé, et ce depuis 20 minutes. Maître BOURG pose finalement une question à la suite de sa lecture “Quelle a été votre réaction ?”, ce à quoi Sosthène MUNYEMANA répond qu’il a essayé de résister mais que son contrat n’a pas été renouvelé. Il termine en disant “les conséquences, je les vis au quotidien”.
Maître BOURG n’a finalement plus de questions. Maitre LEVY souhaite revenir sur la lettre du 16 avril 1994, et l’accusé explique ne pas avoir voulu la cacher. Sur le bureau de secteur, l’accusé confirme avoir fait les courses au kiosque d’Epimaque. Sur les feuilles de bananiers évoquées par les témoins, l’accusé indique qu’il est ridicule de penser qu’il ait pu en porter et que c’est “la présentation en bon sauvage”.
Il est ensuite donné lecture d’un extrait de la confrontation de Sosthène MUNYEMANA avec KAGERUKA, et il est demandé à l’accusé d’expliquer ce qu’il a ressenti face aux accusations de KAGEKUKA. Ce dernier indique “très rapidement, j’ai été déçue. (…) Le même KAGERUKA, qui au cours d’une autre audition dit qu’il a dit qu’il avait été sauvé d’un coup d’épée d’un milicien.. ca aurait pu l’amener à faire une déclaration plus valable à ce moment-là.” Après la lecture d’un autre extrait, il explique “ce jour- là, j’ai été un peu déçu de voir qu’il était à la limite de dire la vérité et d’exprimer son vrai sentiment. Et puis après il se rétractait au dernier moment, comme s’il avait peur de révéler la vrai vérité”.
Les avocats de la défense n’ont plus de questions à poser à Sosthène MUNYEMANA.
Il est demandé à l’accusé s’il souhaite s’exprimer. Il indique vouloir le faire à la fin du procès. Il est ensuite question de l’organisation de la dernière semaine de procès.
L’audience est suspendue à 12h35.
À 14h, tout le monde est en place. Sosthène MUNYEMANA se penche hors du box pour échanger quelques mots avec son avocat, Maître LÉVY.
L’audience reprend à 14h14.
Projet de questions soumises à la cour.
Les questions soumises à la Cour portent sur le génocide et la complicité de génocide. Elles sont formulées comme suit :
Question 1. — Est-il constant que, sur le territoire, entre avril et juin 1994, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe ethnique, racial, religieux, ou déterminé par un autre critère, des atteintes à la vie ont été commises envers les Tutsis ?
Question 2. — L’accusé, Sosthène MUNYEMANA, est-il coupable des actes spécifiés à la question 1 ?
Question 3. — L’accusé est-il coupable d’avoir fait commettre les actes mentionnés dans la question 1 ?
Question 4. — Sur le territoire du Rwanda et sur celui de la préfecture de BUTARE, entre avril et juin 1994, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou déterminé à partir d’un autre critère, des atteintes à l’intégrité physique ou psychique ont-elles été commises envers le groupe tutsi ?
Question 5. — L’accusé est-il coupable des actes visés à la question 4 ?
Question 6. — L’accusé est-il coupable d’avoir fait commettre les actes mentionnés à la question 4 ?
Question 7. — L’accusé est-il coupable d’avoir sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation des actes mentionnés à la question 1 ?
Question 8. — L’accusé est-il coupable d’avoir sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation des actes mentionnés à la question 4 ?
Les questions suivantes concernent cette fois les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité :
Question 9. — Sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de BUTARE, entre avril et juin 1994, en exécution d’un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique de torture ou d’actes inhumains ont-ils été commis à l’encontre d’un groupe civil, en l’occurrence les Tutsis ?
Question 10. — L’accusé, Sosthène MUNYEMANA, est-il coupable des actes visés à la question 9 ?
Question 11. — L’accusé est-il coupable d’avoir sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation des actes mentionnés à la question 9 ?
Question 12. — Sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de BUTARE, entre avril et juin 1994, en exécution d’un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes et de disparitions ont-ils été commis envers un groupe de population civile, en l’occurrence les Tutsi ?
Question 13. — L’accusé est-il coupable d’avoir sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation des actes mentionnés à la question 12 ?
Les dernières questions portent sur la participation à un groupe de malfaiteurs :
Question 14. — L’accusé, Sosthène MUNYEMANA, est-il coupable d’avoir, sur le territoire du Rwanda et dans la préfecture de BUTARE, entre avril et juin 1994, participé à un groupement ou à une entente ayant commis des crimes visés à l’article 211-1 du Code pénal, tendant à la destruction totale ou partielle du groupe de population tutsi ?
Question 15. — L’accusé est-il coupable d’avoir, sur le territoire du Rwanda et dans la préfecture de Butare, entre avril et juin 1994, participé à un groupement ou à une entente ayant commis des crimes visés à l’article 212-1 du Code pénal, inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, à l’encontre d’un groupe de population civile, en l’occurrence les Tutsi ?
Lectures de pièces à la demande des parties civiles et de monsieur l’avocat général.
Le reste de l’après-midi sera consacré à une longue série de lecture à la demande des parties civiles et de monsieur l’avocat général, celles demandées par la défense étant prévue pour le lendemain matin.
En voici une liste non exhaustive, à commencer par de nombreux extraits de livres :
– « Aucun témoin ne doit survivre » d’Alison DES FORGES[1].
– “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE[2].
– « Rwanda le piège de l’histoire » de Jordane BERTRAND[3].
– « Butare, la préfecture rebelle », d’André GUICHAOUA[4].
– « Rwanda : le génocide » de Gérard PRUNIER[5].
Dans la presse : une dépêche de l’AFP/ Le Monde du 27/7/93 (archivée sur francegenocidetutsi.fr): « Rwanda : le nouveau premier ministre séquestrée par des membres de son propre parti« .
Et dans le journal Kangura (février 93?) : Le MDR s’empare du Hutu-Power.
Parmi les dépositions enregistrées au cours de l’instruction :
– Confrontation d’Onesphore KAMANZI (qui a été entendu le 6 décembre) avec Marie Goretti MUKARUSHEMA
Voir la lecture des témoignages de Marie Goretti MUKARUSHEMA en première instance. Elle est la femme de Bonaventure NKUNDABAKWA, condamné à perpétuité par une Gacaca pour avoir fait partie d’une bande de tueurs (Il dénonce ces accusations).
– Confrontation Marie Goretti MUKARUSHEMA / KARENZI le 19/10/2011 devant le juge Fabienne POUS.
– Dépositions de Marie GAFARAZI, décédée des suites d’une longue maladie pendant ce procès. On pourra se reporter à son audition en premère instance.
– Dépositions de François BWANAKEYE
Monsieur BWANAKEYE est aujourd’hui décédé, mais il a auparavant été entendu à plusieurs reprises sur les évènements qui se sont déroulés à Tumba pendant le génocide.
Il était à l’époque le conseiller du secteur de Tumba jusqu’à ce qu’il soit écarté de ce poste par Siméon REMERA lors de la réunion du 17 avril qu’il avait convoquée. Cette réunion avait pour but de faire en sorte que la violence ne s’étende pas à Tumba, mais que REMERA, MUNYEMANA, MABOMBOGORO et d’autres l’ont dessaisi. Il rapporte dans son témoignage que MUNYEMANA a pris la parole pour parler de réfugiés fuyant les Inkotanyi et pour appeler la population à « travailler », à faire ce qui se faisait dans d’autres communes à savoir des tueries. Son intervention aurait galvanisé la population et les massacres ont ainsi commencé le 21 avril. Après cela, BWANAKEYE se serait cloîtré chez lui.
Ce témoin rapporte que l’accusé enfermait des gens dans le bureau de secteur dont il avait pris la clé chez RUGANZU.
(résumé publié lors de sa lecture en première instance)
– Dépositions de Vincent KAGERUKA, le seul rescapé du bureau de secteur de Tumba, réfugié en Norvège, décédé en 2023.
Nous reprenons ici le résumé que nous en avions publié lors du procès en première instance:
Le premier document est celui établi par la gendarmerie de BUTARE, non daté. Est évoquée la réunion du 17 avril 1994 au cours de laquelle est prise la décision d’installer des barrières pour contenir les attaques éventuelles de l’ennemi. On désigne des chefs de rondes: Sosthène MUNYEMANA est nommé chef de la cellule de AMAYAMBERE. Lors de cette réunion, l’accusé va créer la panique dans la population en annonçant qu’il a accueilli chez lui des Hutu venus de la région dont sa femme est originaire et que les Inkotanyi[6] ont commencé à tuer les Hutu.
Le témoin, caché jusqu’au 14 mai, Vincent KAGERUKA va être arrêté et conduit au bureau de secteur. Appelé, Sosthène MUNYEMANA serait arrivé avec les clés: « il était très content » précise le témoin. Pendant la nuit, d’autres Tutsi vont être amenés au bureau de secteur. Le 17 mai, Sosthène MUNYEMANA est revenu au bureau avec REMERA, RUGANZU et BWANAKEYE. On demande aux prisonniers de nettoyer la salle dans laquelle les Tutsi sont enfermés. C’est le 19 mai qu’ils seront transférés à la brigade de gendarmerie de BUTARE.
Un second document qui précise que l’accusé a été nommé responsable de son quartier est remis par maître William BOURDON, alors avocat des parties civiles dans cette affaire. On y évoque trois clés du bureau de secteur remises à Sosthène MUNYEMANA.
Selon le troisième document, le dossier établi par l’association African Rights, il est dit que Vincent KAGERUKA part se cacher le 21 avril alors qu’à l’aide d’un haut-parleur on incite les Tutsi à quitter leur cachette. (NDR. A noter que la plupart des témoins cités par ce document n’auraient pas reconnus les propos qu’on leur attribue et les juges français ont décidé de l’écarter. Par contre, à aucun moment on ne donne le titre de ce dossier: « Sosthène MUNYEMANA, le boucher de Tumba. »[7]) Le témoin part se cacher près de l’église pentecôtiste. Une personne lui promet de lui fournir à boire et à manger mais elle envoie trois tueurs à qui le témoin promet de l’argent qu’il doit aller chercher chez lui. Il est arrêté et conduit au bureau de secteur le 14 mai, comme rapporté dans le premier document. Sosthène MUNYEMANA serait arrivé et se serait réjoui de son arrestation. À 21 heures, l’accusé serait revenu pour enfermer d’autres Tutsi. Trois jours plus tard, l’accusé revient avec « ses amis », fait sortir tout le monde et oblige les Tutsi à nettoyer le local (NDR. Comme dit précédemment.) Transférés à la brigade de BUTARE, les Tutsi y sont enfermés jusqu’au 25 mai. Au moment où on demande aux Tutsi de monter dans le camion qui va les transporter sur le lieu de leur exécution, Vincent KAGERUKA se glisse sous le véhicule et s’évade. Caché dans une forêt, il survivra là jusqu’à l’arrivée des soldats du FPR.
Compte-rendu de l’audition du témoin entendu pendant trois jours par des enquêteurs norvégiens. On apprend que ses parents ont été tués le 23 avril, son frère ayant été exécuté le 19, « jour où (il) aurait dû mourir aussi. » On épouse va se réfugier avec leur enfant dans le quartier de MACYAZO. Vincent KAGERUKA sera pasteur et sous-préfet de 1994 à 1998. Il créera un bureau d’étude dont il s’occupera jusqu’en 2000. C’est alors qu’il se réfugie en Norvège suite à des démêlés avec un militaire de haut rang à qui il aurait refusé un prêt. Il avait fini par se créer beaucoup d’ennemis au sein du FPR. Il avait été démis de ses fonctions de sous-préfet le 31 décembre 1998. « Avant la réconciliation avec les bourreaux, il voulait la justice » est-il précisé dans ce rapport. Il aurait eu ensuite des problèmes psychologiques et psychiatriques suite à des ennuis avec la police norvégienne.
On apprend quelques détails supplémentaires sur ce qu’il a vécu pendant le génocide. Le 21 avril, il voulait fuir vers le Burundi mais arrivé à NDORA il doit renoncer à son projet. Il veut alors se réfugier chez les religieuses Abizeramarya à Gisagara (NDR. Une congrégation religieuse locale moins importante que les Benebikira) mais elles refusent de l’accueillir. Il repart vers la commune de SHYANDA et arrivé à l’église de Save (NDR. La première paroisse du Rwanda créée en 1990) mais se fait tabasser par des Hutu. Arrivé à CYARWA, près de Tumba, il se cache dans des champs de sorgho. Le 27 juin, on le trouve caché dans un cimetière autour duquel des Interahamwe[8] coupent les broussailles (NDR. La méthode utilisée par monsieur le président oblige à des « redites » tout en complétant les autres documents).
Sur Sosthène MUNYEMANA. C’était une connaissance mais pas un ami. Il existait entre eux une méfiance réciproque. Où il est dit aussi que les femmes tutsi se plaignaient du comportement de leur gynécologue. Certaines préféraient aller consulter à Kigali. Il était vu comme un extrémiste, considérait les Tutsi de l’intérieur comme complices du FPR. Lors de la réunion du 17 avril, il aurait joué un rôle important.
Sur Jean KAMBANDA[9]. Ce dernier serait venu trois fois en avril chez l’accusé mais personne ne peut témoigner des propos qu’ils ont échangés. Jean KAMBANDA et Sosthène MUNYEMANA étaient connus comme des extrémistes hutu.
Le 17 avril, l’accusé s’est distingué par son intervention concernant la mise en place de « la sécurité », ce mot désignant la préparation du génocide. Cette réunion n’aurait duré qu’une demi-heure.
Son témoignage paru dans le document d’African Rights aurait été donné à Alison DES FORGES.
À la date du 6 mai, alors qu’il était caché dans un champ de sorgho, le témoin aurait reconnu MUNYEMANA à sa voix alors que ce dernier recherchait les Tutsi dans des maisons
Le 14 mai, jour de son arrestation, on voulait l’emmener vivant chez REMERA. Vincent KAGERUKA voit Sosthène MUNYEMANA en possession des clés du bureau de secteur. D’abord conduit au bar de RUGANZU, REMERA chante l’arrestation « du roi de Tumba ». L’accusé est présent. Alors que ce dernier prétend avoir mis KAGERUKA à l’abri, ce dernier parle du bureau de secteur comme d’un « lieu de transit vers la mort ». Il est dit aussi que 8 Tutsi avaient d’abord été enfermés dans la maison appelée « numéro 60 » avant d’être enfermés dans le bureau. 400 Tutsi auraient transité par le bureau de secteur. Le témoin conteste les propos qu’on lui prête dans le dossier d’African Rights.
Jade KETTO EKAMBI, bénévole
Jacques BIGOT, CPCR.
Alain GAUTHIER, président du CPCR, pour les relectures et les NDR.
- Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[↑]
- “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[↑]
- Rwanda – le piège de l’histoire, Jordane BERTRAND, Éd. Karthala, 2000[↑]
- Voir la présentation du rapport d’André GUICHAOUA, « Butare, la préfecture rebelle » lors du procès en première instance, le 20 novembre 2023.[↑]
- Rwanda : le génocide, Gérard PRUNIER, Éd. Dagorno, 1998[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
- « Sosthène Munyemana – Le boucher de Tumba : en liberté en France », African Rights, avril 1996 – document archivé sur « francegenocidetutsi.org »[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
CPCR – Collectif des parties civiles pour le Rwanda Pour que justice soit faite
