Audition de monsieur Jean-Marie Vianney GASHUGI, partie civile.
L’audience débute à 9:13. Jean-Marie GASHUGI se présente en visio accompagné d’un interprète depuis le Rwanda. Il est demandé au témoin de décliner son identité (Jean-Marie GASHUGI), son âge (né en 1959), sa profession (chômeur) et son lieu de résidence (secteur de TUMBA). Le témoin est partie civile dans ce dossier.
Interrogatoire de Jean-Marie GASHUGI
Le témoin déclare spontanément “Ce que je peux vous dire c’est que j’ai confiance au Tribunal, que le tribunal va pouvoir rendre justice, et je vous remercie pour votre initiative pour pouvoir poursuivre ce procès”.
Le témoin explique avoir été à TUMBA jusqu’au 18 avril 1994, date à laquelle il s’est enfui vers le Burundi. Il explique avoir habité à 20 mètres du bureau de secteur, de sorte qu’il voyait tout ce qu’il s’y passait. A cette époque, Jean-Marie GASHUGI avait 35 ans et était commerçant. Il travaillait pour le compte de son grand frère, avec qui il vivait. Il explique qu’ils étaient des commerçants considérables dans la ville du Butare. Concernant les partis politiques, le témoin dira avoir adhéré au parti PL.
S’agissant de Sosthène MUNYEMANA, Jean-Marie GASHUGI explique qu’ils étaient voisins et que celui-ci vivait à 300 mètres de son domicile et que, chaque matin, il devait passer devant chez lui pour se rendre en ville. Sur question du président, Il explique qu’il savait également que l’accusé était médecin à l’hôpital CHU de BUTARE. Par ailleurs, il précise avoir vu Sosthène MUNYEMANA participer aux manifestations du MDR-Power.
A ce propos, le témoin explique “qu’une fois, pendant une manifestation, il était debout devant le magasin APROVIA, juste en face d’une station d’essence. Il avait levé son bras: il avait fait une inscription avec un stylo rouge où il avait marqué MDR-POWER pour que tout le monde le voie”.
A la question de savoir si le témoin a déjà vu l’accusé entrer en contact ou échanger avec des responsables politiques, le témoin explique que Sosthène MUNYEMANA était proche du “Premier ministre du gouvernement intérimaire (Jean KAMBANDA). Mais c’était avant qu’il ne soit nommé Premier ministre, quand il travaillait encore à la banque populaire du Rwanda à KIGALI. Je le voyais aller chez Sosthène MUNYEMANA. Moi je ne le fréquentais pas, je voyais tout cela en passant devant chez lui, et à chaque fois qu’il y avait des fêtes, je voyais Jean KAMBANDA chez Sosthène MUNYEMANA.”
Sur question du président, le témoin explique avoir été informé que le génocide avait commencé à Kigali dès le 7 avril 1994 au matin. Il explique que compte tenu de l’interdiction de regroupement de plus de trois personnes dans le quartier, il était difficile d’acquérir des informations. Néanmoins, il y avait le téléphone, et des passants et des réfugiés les en avaient informés. Il précise qu’à la radio, il entendait également parler de la mort du président HABYARIMANA.
Sur question du président, le témoin explique n’avoir jamais entendu les conversations de Sosthène MUNYEMANA durant ses réunions clandestines. En revanche, Il explique l’avoir vu se rendre chez le dénommé RUGANZU pour des réunions, précisant que RUGANZU vendait de la bière. A la question de savoir qui est Joseph RUGANZU et son rôle durant le génocide, le témoin explique que RUGANZU était agronome dans la commune de NGOMA, et qu’il appartenait au parti MDR-Power. Il précise que les réunions se déroulaient à son domicile.
Le président s’adresse à la cour et explique que le dossier comporte notamment une plainte manuscrite en date du 11 août 1995 ainsi qu’une audition du témoin en date du 18 mars 2010. Le président indique que dans la plainte du 11 août 1995, Jean-Marie GASHUGI aurait affirmé avoir vu et entendu Sosthène MUNYEMANA tenir des propos publics dans la rue, appelant la population Hutu à massacrer les Tutsi. Puis dans l’audition de 2010, le témoin aurait finalement affirmé “ce n‘est pas vrai, je ne l’ai pas entendu appeler au génocide des Tutsi”. La question est de savoir si le témoin se souvient d’avoir signé la première plainte. Jean-Marie GASHUGI explique: “Personnellement, je n’ai pas rédigé cette lettre de plainte. Elle est écrite en français et je ne parle pas le français. Je ne peux pas parler des affaires de génocide alors que je n’étais pas présent. J’ai fui le 18 avril 1994”. Précisant sur question du président, “tout ce que je sais sur le génocide, je l’ai appris par les autres quand je suis revenu dans la région le 13 juillet 1994”.
Concernant la réunion du 17 avril 1994 au bureau du secteur, le témoin expliquera qu’elle a bien eu lieu, mais ne pas y avoir participé. Il explique que de chez lui, il voyait tout ce qui se passait au bureau de secteur et indique à la cour avoir vu Sosthène MUNYEMANA y participer. Il conclut en expliquant que “c’est cette réunion qui m’a fait peur et qui a provoqué ma fuite dès le lendemain”.
Sur question du président, le témoin indique avoir perdu 3 membres de sa famille à TUMBA ainsi que plusieurs proches.
La parole est à la cour.
A la question de savoir si le témoin se souvient des circonstances entourant la plainte du 11 août 1995, Jean-Marie GASHUGI explique ne rien savoir de cette plainte. Il explique de nouveau ne savoir ni lire ni écrire français, de sorte qu’il ne peut pas en être l’auteur.
Le président intervient en expliquant que le témoin a été entendu sur cette attestation par un juge d’instruction, et que Jean-Marie GASHUGI a déclaré ne pas avoir rédigé ce document qui avait été rédigé en français. Le témoin précise “à cette époque, nous n’étions pas stables au Rwanda. Il y avait des interviews par-ci par là, et j’ai dû signer sans comprendre, c’est tout”.
Sur question de la cour, le témoin explique ensuite que le 17 avril 1994, il a vu Sosthène MUNYEMANA rassembler la population à Tumba au bureau de secteur. Il explique l’y avoir vu “avec des personnes impliquées dans le génocide comme le conseiller François BWANAKEYE, Félix KUBWIMANA et un certain nombre de personnes de la population Hutu.” Le témoin précise que certaines personnes présentes, tel que Vincent MUREKEZI, ont été condamnées pour leur implication dans le génocide.
Sur question des avocats des parties civiles, le témoin explique ensuite avoir fui au Burundi dans un véhicule, avec la femme de son grand frère et ses deux enfants, âgés de 3 et 1 an. Il précise que son frère s’appelait Laurent KABERANYA – surnommé Somalie – et qu’il a été tué lors du génocide ainsi que sa soeur. Il précise que ce qui l’a poussé à partir, c’est la somme des informations recueillies, notamment de la part des Tutsi qui avaient commencé à fuir parce qu’ils se faisaient tuer. Il précise que les Tutsi avaient commencé à affluer en provenance des communes voisines. A cela s’étant ajouté la réunion du 17 avril, il a décidé qu’il fallait fuir vers le Burundi. Concernant la mort de son frère, le témoin explique avoir appris sa mort à son retour. Il explique ne pas connaître la date de sa mort, en revanche il est en mesure de dire que c’était après le 20 avril. Il explique que lorsque les attaquants ont envahi leur domicile, son frère est allé se cacher dans les buissons. Lorsqu’il a été débusqué, “ses bourreaux sont venus le tuer”.
A la question de savoir s’il était possible de douter du positionnement du gouvernement intérimaire et des autorités le 7 avril 1994, le témoin répond par la négative.
A la question de Maître FOREMAN, avocat du CPCR, le témoin confirme ses précédentes déclarations selon lesquelles “les réunions préparatoires au génocide se tenaient chez Joseph RUGANZU et se sont intensifiées fin 1993, début 1994”. Il ajoute que RUGANZU vendant de la bière, il était possible pour les Tutsi d’en acheter, mais pas de participer aux réunions. Le témoin ajoute avoir vu Sosthène MUNYEMANA se rendre chez RUGANZU à pied. Le témoin conclut, sur question de Maître FOREMAN, en expliquant que le jour où il a vu Sosthène MUNYEMANA avec son inscription sur le bras, celui-ci était habillé aux couleurs du MDR, en rouge et noir.
Sur question de l’avocat général, le témoin confirme avoir vu Sosthène MUNYEMANA avec une inscription rouge sur le bras “MDR-POWER”. Il ajoute que ce jour-là, Sosthène MUNYEMANA était vêtu d’une chemise à manches courtes, de sorte que l’inscription était parfaitement visible.
A la question de savoir pour quelle raison, lors de son audition, il a été dit que cette inscription était faite au stylo noir, le témoin explique: “J’ai toujours dit que c’était rouge, donc c’est eux qui ont noté noir”. Confirmant de nouveau: “C’était sur le bras en rouge, et c’était écrit MDR-POWER”.
L’audience est suspendue à 10h47. Elle reprend à 11h08.
La parole est à la défense.
Les avocats de la défense reviennent sur la plainte en date du 11 août 1995 afin de savoir si le témoin est en mesure de se souvenir des personnes qui auraient pu solliciter sa signature. Ils citent à ce titre Adélaïde MUKANTABANA, Jean-Francois DUPAQUIER et Calixte KALINDA. Néanmoins, le témoin indique ne pas se rappeler de ces personnes. Il explique que “à cette époque-là nous étions occupés à retrouver les corps des nôtres et les inhumer. Leurs biens avaient été pillés, les maisons démolies. Nous ne savions pas où loger et n’avions pas d’emplois fixes pour avoir des revenus”, précisant ainsi ce qu’il entendait par “à cette époque, ce n’était pas stable”.
A la question des avocats de la défense, le témoin explique que la manifestation du Power était impressionnante par son nombre, et y avoir vu des personnes comme François BWANAKEYE et Vincent MUREKEZI. Sur question des avocats de la défense, le témoin expliquera également que parmi les Hutus tués au début du génocide, il a entendu parlé de la Première ministre Agathe UWILINGIYIMANA.
S’agissant de Sosthène MUNYEMANA, il précisera avoir appris ce qu’il sait notamment d’Emmanuel NDAGIJAMANA (un de ses voisins aujourd’hui décédé), Monique AHEZANAHO (durant la juridiction de gacaca) d’un dénommé Lambert, ainsi que d’Alfred MAGEZA (NDR. Alfred MAGEZA est un tueur qui a opéré durant le génocide, aujourd’hui décédé). Le témoin conclut en expliquant que sa belle-soeur Marie Goretti UMUHOZA, avec qui il a fuit au Burundi, est décédée en 2004 ou 2005 d’une maladie à l’hôpital CHU.
L’interrogatoire se termine à 11h45.
Le président fait ensuite appeler Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU (partie civile) à la barre. Il lui est demandé de décliner son identité, son âge et sa profession. Le président lui laisse un temps pour s’exprimer librement.
Audition de madame Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU, partie civile.
“Je suis née en 1955 au Rwanda. Et j’ai commencé l’école à 5 ans. Après ce que l’on appelle en France le CP, il y a eu des problèmes contre les Tutsi au Rwanda. Donc je n’ai pas pu faire ma deuxième année dans la même école. A cette époque, notre famille était composée de nos parents et nous étions trois enfants, le troisième étant encore un bébé. Nous nous sommes réfugiés à Butare, où mon père était enseignant à l’école primaire. Avant de fuir lorsque j’étais âgée de 6 ans, j’ai vu – et je m’en rappelle très bien – des maisons brûler et des voisins qui formaient tout un groupe. Ils étaient habillés avec des feuilles de bananier et portaient des lances et des gourdins. Sur la colline, j’ai entendu des personnes chanter une chanson dans laquelle ils se félicitaient de la mort d’un certain MUTEMBE.
Nous voilà ensuite arrivés à BUTARE en ville, où on transitait par les salles de classes dans les écoles. Nous sommes ensuite allés nous établir à NGOMA, qui est la localité la plus proche de BUTARE. Nous étions beaucoup de voisins dans la même situation, on se retrouvait et on faisait connaissance. Même si nous venions d’horizons et de lieux différents, nous avions presque tous fui les exactions qui étaient commises contre les Tutsi. A cette époque, des personnes étaient parties à l’étranger, et d’autres étaient cantonnées dans les églises. Un matin, quand on est passé devant la paroisse de KANSI, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de réfugiés : des hommes, des femmes et des enfants qui pleuraient, et des vaches qui meuglaient. C’était traumatisant.
On s’est donc installé à NGOMA, où on est retourné à l’école. En 1973, nous étions 8 enfants. Il faut savoir qu’en 1973, tous les problèmes qu’ont vécus les Tutsis au Rwanda, je les ai subis, au même titre que tous ceux que vous avez déjà entendu ici. Et nous n’avons pas eu la chance d’aller à l’université, contrairement à certains.
Donc à 17 ans j’ai commencé à travailler, et à cette époque il me fallait l’autorisation écrite de mon père parce que j’étais encore mineure. J’ai commencé à BUTARE ville, et pour ceux qui connaissent, c’était situé en face de l’hôtel Ibis. J’ai travaillé dans un magasin qui vendait du matériel scolaire et de bureau. C’est un lieu assez centralisé, où tous les étudiants, que ce soit à l’université ou à l’école, venaient acheter du matériel.
En 1973, il y a encore eu des troubles contre les Tutsi. Les étudiants d’université avaient mis en place le Comité du salut, qui consistait à chasser les Tutsi des écoles et du travail. Ils ont établi des listes d’élèves et étudiants d’université à chasser, ainsi que des employés de l’université. Et cette liste était affichée à la librairie universitaire, à proximité de mon lieu de travail. Certains étudiants Tutsi ont réussi à se réfugier à l‘étranger. Concernant les employés de l’université, certains se sont réfugiés tandis que d’autres ont été chassés. Ils ont dû rester chez eux longtemps, et c’est seulement après le coup d’état qu’ils sont revenus.
Moi je travaillais dans le privé et je pensais que j’avais peut-être une chance de ne pas être chassée. Sauf qu’un matin, j’ai vu un groupe composé d’étudiants de l’université et de l’IPN (Institut Pédagogique National), des employés Hutu qui travaillaient à la douane et d’autres qui travaillaient à la Régie des eaux qui arrivaient du fond d’un rond point, puis qui se sont scindés en deux groupes. L’un est passé par la droite et l’autre à gauche. Ils nous ont tous chassés : ils entraient et nous disaient: “Sortez, vous êtes Tutsi!”. Je suis rentrée chez moi à NGOMA, et mon père est arrivé presque en même temps. D’autres Tutsi étaient aussi chassés des écoles. Mon petit frère Charles, qui était au petit séminaire à Butare, est arrivé à la maison dix minutes après moi. Il est arrivé en courant et il m’a dit qu’il s’était caché avant de pouvoir rentrer, et que c’était des étudiants Hutu qui avaient chassé les étudiants Tutsi des écoles.
Au bout de quelques jours, le président HABYARIMANA a pris le pouvoir, et la vie a repris son cours. Nous sommes retournés au travail, et certains élèves ont pu retourner à l’école à l’exception des étudiants de l’IPN et des universités. Puis du jour au lendemain, les voisins se sont mis à nous regarder de travers, et des enfants disaient à d’autres: “Vous êtes des Tutsi, on ne joue plus avec vous”. Et puis cette situation a fini par se normaliser”.
Le témoin poursuit en évoquant la période pré-génocide (1977-1993) :
“En 1977, j’ai fait la connaissance de mon futur mari. Quand on a voulu se marier en 1979, j’ai appris qu’on n’avait pas le droit à la double nationalité. De ce fait, je devais renoncer à la nationalité rwandaise, ce qui m’a mené à un tribunal de grande instance. Comme je n’avais pas encore la nationalité française, pendant un moment j’ai été apatride. Toujours est-il que j’ai acquis la nationalité française, que nous avons pu nous marier. En 1980, mon mari était chef de projet, et en 1981 son contrat se terminait. Si bien qu’il a fallu qu’on parte définitivement du Rwanda, mais on avait le droit de revenir parce que j’avais un passeport français. Il faut savoir qu’à l’époque, avoir un passeport au Rwanda était très compliqué, surtout pour les Tutsi.
On quitte le Rwanda en 1981, mais de 1982 à 1889, je revenais tous les ans pour rendre visite à ma famille. Pendant ces années, nous avons eu deux filles, une qui naît en 1985 et l’autre en 1988. En 1990, je n’ai pas pu retourner au Rwanda parce que comme expliqué, il y avait le FPR qui avait attaqué et j’ai eu peur de l’insécurité. Je précise donc que c’est la seule année où je n’ai pas vu mes parents. En revanche, j’y suis allée en 1991, et j’ai constaté l’insécurité au Rwanda en général. De KIGALI à BUTARE il y a environ 130 kilomètres, et sur ces 130 kilomètres il y avait pas moins d’une quarantaine de barrières si ce n’est plus. Il fallait s’arrêter systématiquement pour que les gardes regardent les bagages, il fallait montrer les pièces d’identité, puis ils remettaient les bagages et on continuait notre route. Et cela, à 40 reprises sur 130 kilomètres. Quand j’ai vu ces barrières, j’ai pensé à la première République, où il y avait déjà des barrières pour lesquelles il fallait montrer un laisser-passer. Quand ils ont retiré ces laisser-passer, il y avait une chanson qui passait à la radio pour dire qu’enfin les barrières n’existaient plus. Je crois que cette année-là, il y a eu des massacres à KABAKOBWA quand je me trouvais au Rwanda.
En 1992, j’y suis retournée seule, alors que d’habitude je venais avec mes enfants ou mon mari. Après avoir écouté le discours de Léon MUGESERA à la radio avec mes parents, ils m’ont interdit de revenir. Ils m’ont dit d’attendre de savoir quelle était la situation avant de revenir. D’ailleurs beaucoup de gens à BUTARE avaient peur, et beaucoup de mes amis m’ont dit: “Qu’est-ce que tu viens te jeter dans la gueule du loup, ils vont tous nous tuer. Je t’en supplie ne reviens pas. Au moins il restera quelqu’un pour raconter notre histoire”.
Je n’arrivais pas à intégrer qu’on pouvait tuer tout le monde. Et avant de partir, avec mes parents, on a mis en place un système pour pouvoir communiquer et avoir des nouvelles. Et lorsque je recevais leurs courriers, je pouvais savoir si la situation s’arrangeait ou pas.
Et ça ne s’est pas arrangé. C’était la dernière fois que je les voyais. Vous savez, je croyais avoir tout vécu au Rwanda. Mais en fait, je ne savais pas que le pire était à venir”.
Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU poursuit (1994-1995) :
“Il faut savoir qu’en 1993, mes parents avaient acheté une parcelle à TUMBA et avaient fait construire. En 1994, j’habitais en Guinée avec mon mari et mes enfants. Quant à mon frère Charles, son épouse et leurs enfants ainsi que mon frère Eugène, sa femme et ses deux enfants habitaient à KIGALI. Les célibataires de ma fratrie habitaient quant à eux avec mes parents. Donc à TUMBA y vivaient 7 de mes frères et sœurs ainsi que mes parents.
A cette époque, mon mari a entendu le crash de l’avion du président HABYARIMANA et me l’a dit. Ensuite j’ai entendu à la radio madame Agathe UWINLIGIYIMANA qui appelait au secours, elle avait peur, et ensuite j’ai entendu SINDIKUBWABO, qui est devenu le président intérimaire. Après son discours, nous avons assisté impuissants au génocide. Le génocide se passait devant tout le monde, et à l’étranger, nous assistions en direct à la mort des nôtres avec la télévision et les journaux. On avait tous peur de voir des images de quelqu’un de sa famille ou que l’on connaît. On a vécu des moments que je ne pourrais pas vous décrire. De temps en temps, je recevais une lettre des expatriés, qui passaient par l’ambassade de France à KONAKRY. Ils me disaient être tristes de ne même pas avoir une ligne concernant ma famille. Ils me disaient qu’il fallait attendre, et que si tout cela s’arrête, peut-être que l’on saurait si quelqu’un a survécu. On me donnait les noms des personnes déjà tuées, mais rien sur ma famille : alors on regarde les journaux, on regarde la télévision.. et on survit.
Finalement à un moment, à la fin du génocide, j’apprends qu’il ne me reste qu’un frère. J’allais à la poste tous les jours. J’ai reçu un courrier d’un prêtre de RANGO, qui avait d’abord écrit à ma sœur. Il nous dit qu’il a pris le temps pour ne pas nous donner de faux espoirs, et qu’il cherchait quelqu’un qui lui donnerait des informations sûres. Il a demandé à une voisine de l’époque, qui lui a dit que seul Eugène avait survécu. Tandis que tous ceux qui habitaient à TUMBA ont été tués, y compris mon frère Charles. En 1994 on rentre en France, et j’essaie de prendre contact avec mon frère pour le faire sortir du Rwanda. J’avais l’impression que si j’y mettais les pieds, j’aurais été engloutie. Finalement j’y suis allée : j’étais la grande sœur et je ne pouvais pas le laisser, même quelques jours. J’y ai retrouvé mon frère, seul. Il avait perdu sa femme et ses deux enfants, une fillette de trois ans et un bébé de deux mois et quelques jours.
Ma maison à TUMBA était criblée de balles. On reconnaissait les endroits où avaient habité les Tutsi parce que les maisons étaient rasées. On n’ avait plus d’endroit pour loger donc on a fait l’aller retour à KIGALI. Je suis revenu plusieurs fois après le génocide au Rwanda, et j’ai commencé à parler aux gens qui étaient encore sur place. En 1995, il y avait encore une odeur de mort.
Les rescapés nous ont parlé pour nous expliquer ce qui était arrivé chez nous. Ils étaient au courant parce que nous étions une grande famille. Et ceux qui avaient survécu avaient souvent des amis parmi mes frères et sœurs.
Tout le monde nous racontait que tout convergeait vers le docteur Sosthène, qui détenait la clé du bureau de secteur. Il ouvrait pour y faire entrer les Tutsi, on les sortait, puis on allait les tuer.
S’agissant du docteur Sosthène, avant, il avait une très bonne réputation. Parce qu’avant lui à Butare, il y avait un gynécologue de la vieille école, pour qui il n’était pas question de donner une pilule à une femme. Quand Sosthène MUNYEMANA est arrivé, on était enfin fiers et heureux qu’il soit arrivé en tant que médecin. Et on parle ici de la même personne. Ce qu’il a fait ne m’a pas étonnée, même si je le connaissais de réputation. Parce qu’avant que le président intérimaire SINDIKUBWABO fasse son discours, il était lui-même médecin gynécologue. Si bien que pour moi, dès cet instant, même un médecin était capable de ce genre de choses.
Et quand le génocide s’est terminé je n’avais plus personne, et ils ne sont pas morts tout seuls. D’informations en informations, j’ai appris que mon frère et mon père s’étaient cachés dans le faux plafond. On a vu les murs de ma maison criblés de balles. Et j’ai su que c’était les militaires qui étaient venus. On m’a raconté comment mon père et mon frère ont été tués. Il y avait un Suisse qui habitait pas loin de chez nous et qui était marié à une femme rwandaise. Les miliciens y sont allés et ont essayé d’entrer pour leur faire peur. Il paraît que le Suisse a tiré en l’air, et les militaires ont décrété que c’était mon père qui leur avait tiré dessus avec une arme que son gendre lui aurait donnée. Ils ont donc décidé que personne de chez moi ne devait survivre. Ils l’ont concrétisé puisque effectivement, personne n’avait survécu. Les militaires les ont donc criblés de balles, et ils sont tombés du plafond. J’y ai vu du sang séché, ce qui me fait dire que c’est vrai.
Quant à ma mère, elle aurait été trouvée ailleurs, elle s’était cachée chez une amie. A cette période, il ne fallait plus tuer dans la rue à cause des satellites (c’est ce que m’ont raconté les rescapés), ils l’ont accompagnée jusqu’à une fosse commune. Mais jusqu’à ce jour, je n’ai pas retrouvé le corps de ma mère. Je dirais que ce qui est bien, c’est qu’elle est là où est le mémorial des rescapés aujourd’hui.
Quant à mon frère Gilles, il a essayé de se cacher derrière l’église à côté de chez nous. Ils lui ont donné un coup de lance et il s’est caché chez MIHIGO. Sauf que ce monsieur à un moment donné paraît-il, est allé au bureau de secteur lors d’une réunion pour dire qu’il y avait des gens cachés chez lui et a demandé ce qu’il fallait en faire. Il est allé demander l’avis des responsables, qui ont envoyé deux gendarmes qui sont allés les sortir de chez lui puis sont partis les tuer. Les gens qui les ont vus, et qui ont vu mon frère, m’ont dit qu’à cause du coup de lance, il ne pouvait plus tourner la tête. Ils sont allés le chercher et ils l’ont tué.
Je reproche plus spécialement à monsieur MUNYEMANA, la mort de mon frère Laurent. Un témoin est venu devant la cour pour expliquer que mon frère Laurent était parti se cacher chez lui, et lui a demandé de le cacher. Ce témoin a dit que Sosthène MUNYEMANA l’a caché un temps, et que mon frère a nourri sa famille. Au bout d’un moment, les responsables ont décrété que c’était pacifié, et qu’il fallait ramener les gens cachés au bureau du secteur. Plusieurs personnes m’ont décrit l’arrivée de mon frère au bureau : Il avait les bras liés derrière le dos, il était blessé et avait du sang sur lui, il était quasiment nu, ne portant plus qu’un short sans autre vêtement. Au tribunal, j’ai su qu’en fait on lui avait coupé l’oreille.
Il est arrivé avec d’autres au bureau du secteur et le docteur MUNYEMANA lui a demandé où sont les autres. Encore une fois un témoin a raconté cette scène devant la cour, où Sosthène a demandé à mon frère où sont les autres et qu’il aurait répondu qu’il ne savait pas On lui aurait dit: “Tu es un intellectuel, tu peux nous aider pour qu’on aille plus vite”. Mon frère n’a plus répondu, et a été emmené près de la fosse et a été exécuté.
Quand on a exhumé les corps, on a reconnu mon frère. Et aujourd’hui il repose au mémorial. Comme responsable, j’estime que monsieur MUNYEMANA, en tenant compte de tout ce que j’ai entendu, a une grande responsabilité dans ce qui est arrivé à ma famille. Je suis là pour témoigner pour eux, parce que s’il y en avait eu un seul encore en vie, c’est lui qui aurait été ici.
Je viens témoigner aussi parce que depuis tout le temps où les Tutsi subissent toutes ces violences, jamais aucun n’avait encore été puni. J’imagine que ça doit les étonner qu’on ose déposer plainte aujourd’hui. Les Hutu avaient le droit de tuer les Tutsi et de récupérer leurs biens, quand derrière on devait tout reconstruire.
Je suppose que monsieur MUNYEMANA a pu vendre sa maison. Mais la nôtre a dû être rasée, et on a dû tout reconstruire, comme avaient fait nos parents avant nous. Tout recommencer à zéro. Il paraît qu’à un moment donné, les responsables ont dit aux tueurs d’habiter ces grandes maisons plutôt que de les détruire. Il y en a un qui s’appelait Patrick – il est en prison – et avec un autre, ils ont construit un mur dans notre maison. Pendant toute la durée du génocide, ils ont habité chez nos parents et avaient détruit toutes les dépendances. Il y a un tueur qui est venu, maçon de son état mais tueur quand même, pour nous expliquer où ils avaient mis le corps d’une petite sœur à nous. Ce tueur m’a dit: “Je suis désolé, je n’ai rien volé chez vous, je suis venu parce qu’ils m’ont dit d’arranger les fenêtres”. Car lorsque ces tueurs se sont partagé notre maison, les fenêtres avaient été arrachées. Et ils ont fait faire de la maçonnerie pour poser de petites fenêtres à la place. Et ce tueur, qui avait refait les fenêtres, c’était un de nos voisins”.
Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU a terminé son récit.
Après avoir remercié le témoin, le président lui demande si elle connaît les noms des personnes qui ont donné les informations dont elle a fait part. Le témoin cite notamment Alfred MAGEZA, qui vivait à TUMBA et a parlé de son frère Laurent. Elle cite également Anne-Marie KAMANZI, qui lui a rapporté le dialogue entre Sosthène MUNYEMANA et son frère. S’agissant de ceux qui lui ont parlé du bureau du secteur, le témoin explique “ Tous les rescapés. VEREDIANA c’était une voisine. J’ai aussi une cousine, qui habitait à TUMBA, qui m’a parlé aussi du bureau de secteur et de la réunion du 17 avril. Elle s’appelle Rosetta MALIFAYE. D’ailleurs, tous les rescapés et la plupart des bourreaux m’en ont parlé. Il y avait aussi Celse GASANA, sa maman Grazia et tous les voisins.” Le témoin précisera sur question du président que Celse GASANA et sa mère lui ont parlé plus spécifiquement “de la réunion du 17 et du fait que Sosthène MUNYEMANA détenait la clef et enfermait les gens.” Elle expliquera, s’agissant, d’Alfred MAGEZA, qu’elle a entendu son témoignage devant la cour en première instance.
A la question de savoir ce que le témoin pense de la position de l’accusé, qui consiste à dire qu’il a voulu protéger les gens, même temporairement, Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU répond: “Je pense que sur toutes les personnes enfermées, il n’ y en a pas beaucoup qui ont survécu. D’autant que pour ceux qui étaient blessés, comme mon frère qui avait les bras liés et qui saignait – tout le monde avait vu son sang – il ne les a pas soulagés, au moins soigné les blessures, alors qu’il était médecin. Et c’est étonnant que quelqu’un qui habitait aussi près puisse expliquer qu’il n’a pas réalisé que les personnes enfermées étaient destinées à être tuées, alors même qu’il avait cette clé durant tout ce temps.”
La parole est laissée à la cour, qui n’a pas de questions à poser au témoin.
A la question des avocats de la partie civile, qui est de savoir comment se sont déroulés ces récits depuis 1994 avec les rescapés, le témoin explique: “On cherche, ca nous fait du bien déjà. Par exemple, pour nous qui n’étions pas là, c’était très difficile de réaliser que toute sa famille avait été exterminée et qu’on ne verrait plus jamais aucun d’entre eux. Donc on va chercher des détails auprès de personnes qui étaient là et qui les connaissaient. Même si je n’étais pas là, il y avait les images à la télévision, je sais comment ça s’est passé. On a envie de retrouver les corps et de les enterrer décemment. Il y a une solidarité pour les retrouver et ça fait du bien. Y compris aux rescapés, de parler à des gens qui comprennent. Ça fait du bien. Et d’ailleurs, on a eu la chance de trouver quelques corps, pas tous. Vous savez, il y a des personnes de ma famille dont on ne sait toujours pas où sont leurs corps. Alors ceux qu’on a trouvés, on les a enterrés décemment. C’est ce qui nous intéresse.”
Le témoin souhaitant montrer des photos à la cour, les avocats des parties civiles lui demandent pour quelle(s) raison(s) il est important pour elle d’en avoir la possibilité. Elle explique avoir “beaucoup de chance de les avoir, car j’étais à l’étranger. Il se trouve que mes parents avaient beaucoup de photos, mais on n’a pas trouvé la moindre photo chez eux.. qu’ont-ils fait avec ? Si bien que les rescapés les plus jeunes, ont oublié qui sont leurs parents. “
Le président décide que ces photos de famille seront diffusées et laisse au témoin la possibilité de nommer à haute voix les personnes qui s’y trouvent. Les photographies défilent, et le témoin désigne les membres de sa famille.
S’agissant de la dernière photographie, il est demandé au témoin pour quelle raison il y a autant de photographies de personnes qui ne sont pas de sa famille. (Il s’agit d’une page où sont collées plusieurs photos d’identités de personnes différentes).
Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU explique avoir rassemblé les photos d’identité des personnes qui ont été retrouvées dans les fosses, “et que ces personnes-là n’avaient plus aucune personne en vie pour raconter leur histoire et parler d’eux.” Elle explique qu’elle “ne voulait pas qu’ils soient oubliés”, et a pris le parti de porter leur mémoire.
Elle poursuit en expliquant: “Parfois, quand on parle du génocide, on a l’impression que les victimes ne sont qu’un chiffre. Qu’il ne s’agit que d’un fait, emprisonné dans un mot. Alors c’est ma façon à moi d’humaniser les personnes qu’elles étaient, et de rappeler qu’elles ont toutes une histoire.”
L’avocat général demande s’il y avait d’autres fosses, autres que celle de KARANGANWA. Le témoin répond par l’affirmative et explique que la fosse présente sur les photographies montrées à la cour “il y avait une fosse sceptique qui n’avait pas été utilisée, et qu’ils ont utilisée pour y mettre les corps”. Elle précise: “Il y avait 11 corps, dont mon père et mon frère. On nous avait donné les noms, et quand on les faisait sortir, on les comptait pour voir si ça concordait avec les informations qu’on avait recueillies.”
Sur question de l’avocat général, le témoin précisera notamment qu’en 1973, le mot “travailler” existait déjà pour dire “tuer”.
La parole est à la défense.
Sur question des avocats de la défense, le témoin indiquera à la cour que son frère s’appelait Laurent NSANZUMUHIRE. Elle expliquera avoir été au procès en première instance et avoir entendu Alfred MAGEZA et une autre personne évoquer la scène. Elle précise qu’elle n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi il n’y a pas eu de prises de notes à ce moment-là, et réaffirme que MAGEZA l’a bien dit devant la cour.
Il est mis fin à l’interrogatoire d’Espérance GAHONGAYIRE PATUREAU à 13h07.
L’audience est suspendue.
Audition de monsieur Mathias NSANZABAHIZI, en visioconférence, détenu à la prison de KARUBANDA/HUYE.
Après s’être excusé pour sa voix éraillée (grippe), le témoin souhaite témoigner du rôle de Sosthène MUNYEMANA » dans les tueries qui ont eu lieu derrière le bureau de secteur de TUMBA. »
» En avril 1994, a été perpétré le génocide contre les Tutsi. Si MUNYEMANA avoue ses crimes, je lui demanderai de demander pardon à Dieu et à la société car il a commis le génocide. »
La déclaration du témoin s’arrête là. Monsieur le président précise que le témoin a été entendu à de nombreuses reprises par différentes autorités judiciaires. Il redonne la parole à monsieur NSANZABAHIZI.
» En 1994, j’habitais la commune de NGOMA et j’étais chauffeur de la commune pendant sept ans. En 1989, j’ai été démobilisé des Forces Armées Rwandaises (FAR) et embauché par le bourgmestre KANYABASHI comme chauffeur en tant que policier. »
Monsieur le président intervient et évoque le témoignage d’un certain GAHAMANYI qui a dit qu’on ne pouvait pas être policier et chauffeur. Pour monsieur NSANZABAHIZI, ce témoin ment car il a bien lui-même exercé les deux fonctions, de novembre 1987 à 1994. Entretemps, il conduisait un camion. Il ajoute, à la demande du président, que ses deux parents étaient Hutu, qu’il a été condamné pour crime de génocide Il a reconnu les faits et a d’abord été condamné à une peine allégée, puis condamné à perpétuité pour viol: ce qu’il continue à nier. Au Rwanda, la perpétuité ne prévoit pas de remise de peine. Il ne pourra sortir de prison que par grâce du président de la République.
Concernant Sosthène MUNYEMANA, toujours sur question de monsieur le président, le témoin reprend la parole. » En 1994, j’étais en déplacement avec le bourgmestre KANYABASHI et Jean-Baptiste GAHAMANYI plus un journaliste. » Arrivés près du bureau de secteur de TUMBA, il a rencontré MUNYEMANA, Siméon REMERA, Speratus KABILIGI et beaucoup d’autres personnes. A côté d’eux, il y avait beaucoup de cadavres allongés sur la route devant chez Joseph HITIMANA, alias RUGANZU. En face, se trouvait le domicile de Charles, un tueur qui a été libéré. Les corps saignaient encore. » J’ai dû arrêter mon véhicule pour ne pas rouler sur les cadavres. Le bourgmestre est sorti de la voiture et s’est adressé au groupe pour lui reprocher d’avoir laissé ces corps sur la route, craignant la présence de satellites qui pouvaient montrer les photos au monde entier. » Sur question du bourgmestre, l’un a répondu qu’il y avait une fosse dans laquelle KARANGANWA avait été jeté le matin-même. Le bourgmestre a ensuite demandé à Sosthène MUNYEMANA de l’accompagnerjusqu’à son domicile.
Ils sont entrés au domicile du docteur avec le journaliste Cyprien. Après 20 minutes, ils sont ressortis et MUNYEMANA est retourné au bureau de secteur.
» Nous sommes repartis à BUTARE et j’ai demandé à KANYABASHI pourquoi il n’avait pas fait arrêter les tueurs. Le bourgmestre a répondu qu’il ne » pouvait pas le faire. Arrivés au bureau de la commune, j’ai repris mon vélo et je suis rentré chez moi. C’était le 21 avril vers 15 heures. »
Le président: » Vous avez toujours dit que c’était entre le 21 et le 24 avril. Pourquoi affirmer aujourd’hui que c’était le 21? »
Le témoin: » Je me suis renseigné auprès de Thomas BAVAKURE. Le lendemain 22 il ya eu des attaques à KABAKOBWA auxquelles j’ai participé.
Le président: « La date de la mort de KARANGANWA, on vous l’a dite aussi ou vous la connaissiez? »
Le témoin: » C’est ce jour-là que je l’ai apprise de la part de RUGANZU. »
Le président: » Le directeur de la prison, François MUNYERAGWE aurait été sollicité par le bourgmestre pour envoyer des prisonniers enterrer les morts de KABUTARE. Vous n’avezpas parlé alors de la présence de MUNYERAGWE dans la voiture! »
Le témoin: » Je n’ai pas parlé de lui parce qu’il est bien monté dans la voiture avec nous jusqu’à KABUTARE et il a quitté le véhicule pour retourner à la prison. Et nous sommes allés chercher le journaliste Cyprien pour prendre des images. C’est Jean-Baptiste GAHAMANYI qui m’a rappelé que le directeur de la prison nous avait quitté en route. »
Le président: » Ce n’est pas ce qu’il a dit en confrontation. Vous, pour la première fois, vous dites que MUNYERAGWE est sorti avant. Ce dernier n’a pas la même version des faits. Il n’a pas vu de cadavres sur la route. Ils avaient déjà été dans la fosse. Il ne connaissait pas Sosthène MUNYEMANA. »
Le témoin s’étonne. Il précise que le directeur de la prison a dit être allé à TUMBA le matin. Et d’affirmer qu’il connaissait Sosthène MUNYEMANA, qu’il travaillait à l’hôpital comme gynécologue et qu’il savait où il habitait. Il ne lui a parlé qu’une fois, le 25 avril, pour lui demander de venir accoucher la femme du comptable de la commune. Et que tout au long du chemin, ils ont parlé des massacres. Il disait que la fin des Tutsi était déjà arrivée. Le président lui fait remarquer qu’il dit cela pour la première fois. Et le témoin d’ajouter enfin: « Il était vraiment chaud concernant les massacres. Après, j’ai continué à le voir avec le major qui dirigeait les tueries à TUMBA. »
Sur questions du président, le témoin précise que les corps qui gisaient à TUMBA saignaient encore et qu’ils avaient été tués sur place. Contrairement à ce qu’il avait dit, il affirme que les corps avaient déplacés de chez RUGANZU. Quant à MUNYEMANA, il avait un couteau qui ressemblait à une épée (40 cm environ) et qu’il portait à la ceinture. Il portait un chapeau en feuilles de bananier. Ce couteau était dans un fourreau. Il a dit alors qu’il répondait à l’appel du bourgmestre et qu’il revenait continuer les opérations.
Le témoin rapporte qu’en confrontation tous les témoins avaient dit la même chose que lui. Ce que le président conteste. Le témoin de poursuivre: » Devant Dieu tout-puissant, je confirme la présence de Spératus. En confrontation, BAVAKURE a confirmé mon témoignage. Il a parlé de la fosse près du bureau de secteur. Moi je ne connaissais pas l’existence de cette fosse. MUNYEMANA est bien monté avec nous pour se rendre à son domicile. Quant à lui, il supervisait, il faisait partie des tueurs les plus virulents. Si je dis cela, c’est parce qu’il était dans le groupe des tueurs. »
Les avocats des parties civiles n’ont pas de questions à poser au témoin.
C’est au tour de l’avocat général d’interroger le témoin. Il évoque les contradictions des différents témoins. En particulier concernant la date des faits rapportés. Mathias NSANZABAHIZI rétorque: « Pour moi, les massacres ont eu lieu le 21 avril et non le 23. BAVAKURE ment. C’est RUGANZU qui aurait appelé le bourgmestre KANAYABASHI de son téléphone à son domicile. Au TPIR, BAVAKURE a été jugé « non crédible« .
Sur question de monsieur BERNARDO, le témoin rappelle les peines à auxquelles il a été condamné. I lit ensuite un rapport du directeur de la prison qui dit que le témoin était chargé de collecter les informations en vue de préparer les Gacaca. Ce dernier encourageait les prisonniers à plaider coupable.
Fin de l’audition de monsieur Mathias NSANZABAHIZI
Audition de madame Marie-Claire DUSABE, partie civile en visioconférence.
Il semblerait que ce témoin aurait été convoquée par erreur, ayant été confondue avec un autre témoin du nom de Marie DUSABE qui sera entendue le lundi 6 octobre.
Au cours de son témoignage, le témoin, qui avait 8 ans en 1994, raconte avec force détails toutes ses pérégrinations autour de TUMBA et de BUTARE, la façon dont elle a erré pendant plusieurs jours, les différentes cachettes où elle s’est réfugiée, la famille qui l’accueillie dont la père était un militaire, famille dans laquelle elle était astreinte aux travaux de la maison: le statut de militaire du père de famille lui accordait une certaine protection lorsqu’elle devait aller faire les courses. Elle raconte son départ au ZAÏRE avec sa « famille d’accueil« , les menaces de Clémentine, la mère, de la jeter dans le lac si elle refusait d’aller quémander, son passage par le camp de KASHUSHA (NDR. Un célèbre camp de réfugiés où se trouvaient beaucoup de génocidaires, dont des militaires des FAR qui avaient pu franchir la frontière avec leurs armes grâce aux Français de l’Opération Turquoise qui occupaient toute la frontière avec le ZAÏRE. Cette population de tueurs côtoyait les nombreux refugiés entraînés hors du Rwanda comme bouclier humain.) Enfin, son retour au Rwanda grâce à la Croix Rouge qui est venue la récupérer dans le camp de réfugiés. Elle rejoindra sa grande soeur qui l’a accueillie chez elle.
Dans ce témoignage empreint d’émotion, à aucun moment il n’est question de monsieur Sosthène MUNYEMANA. Sur questions de monsieur le président, qui la remercie pour son courageux témoignage, madame DUSABE précise que ses soeurs sont mortes au bureau de secteur de TUMBA. Elle ajoute qu’elle a trouvé de l’aide au sein d’une association de rescapés, l’AERG, l’Association des Etudiants Rescapés du Génocide. (NDR. Cette association continue de soutenir les rescapés en les réunissant au sein d’une « famille » de vingt à trente personnes. C’est un lieu d’échanges, de solidarité et de partage qui rassemble des rescapés de tout âge.)
La parole est donnée à monsieur MUNYEMANA, comme chaque vendredi soir.
» Ce dernier témoignage, le récit de cette enfant, m’a ému. Je ne connaissais pas son histoire. Je voudrais exprimer ma sincère compassion. Je suis sensible à ce que les victimes ont enduré. Je n’ai jamais appartenu à la mouvance MDR PAWA. Je suis du côté de NGURUNZIZA et de Dismas NSENGIYAREMYE. Enfin, je me refuse d’être assimilé aux criminels de TUMBA et je regrette cette tendance à la globalisation. On n’a pas pu les combattre. Des choses horribles se sont passées. »
La journée se termine par un appel du président pour les parties donnent la liste des documents qu’elles souhaitent qu’on lisent, et ce au plus tard lundi soir. Un délai supplémentaire est accordé à la défense pour qu’elle prendre connaissance de la liste des autres parties.
Maître BOURG regrette que son collègue maître LURQUIN soit reparti. Il aurait pu expliquer comment se déroule un procès d’assises en Belgique. Elle insiste sur le fait que la défense ne puisse pas contre-interroger les personnes dont on lit la déposition.
NDR. La défense oublie de signaler qu’en BELGIQUE, en cours d’assises, IL N’Y A PAS DE PROCEDURE D’APPEL. Les condamnés ne peuvent pas bénéficier d’un nouveau procès.
Jade KOTTO EKAMBI, bénévole
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page