Procès en appel de Sosthène MUNYEMANA: vendredi 3 octobre 2025. J 14

Cette première version de compte-rendu sera revue et complétée, nous vous invitons à revenir sur cette page ultérieurement.



 

L’audience débute à 9h16. À titre liminaire, des condoléances sont présentées à l’accusé et à son épouse, qui ont perdu un proche durant la nuit.


Audition de monsieur Emmanuel UFITEYEZU, partie civile.

Emmanuel UFITEYEZU, partie civile, est appelé à la barre. Il est accompagné d’un interprète. Il lui est demandé de décliner son identité, son âge (né en 1981 à TUMBA), sa profession et son domicile (TUMBA).

Le témoin est présent dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du président.

Le témoin déclare spontanément :

Je vous remercie. Je ne connaissais pas Sosthène MUNYEMANA avant. Mais permettez-moi d’utiliser le nom de MUNYEMANA pour que vous puissiez comprendre mon récit. Je vais commencer mon témoignage à partir du 20 avril 1994. C’était un mercredi, le soir. La raison pour laquelle je me rappelle cette date et que je ne peux pas l’oublier, c’est parce que le soir mon père, qui était veilleur de nuit, est parti au travail. Il travaillait pour un monsieur qui s’appelait docteur KARENZI. Il a commencé à faire ce travail après sa sortie de prison, mais auparavant il travaillait à l’université nationale. Il connaissait le docteur KARENZI, a parlé avec lui et lui a dit que la vie était difficile. Donc le docteur KARENZI lui a donné ce travail.

Ce mercredi 20, mon père est parti au travail mais il n’est jamais arrivé, parce qu’on l’a tué à l’entrée de l’université. C’est la raison pour laquelle je n’oublierai jamais cette date. Le lendemain, le 21, ma mère est partie très tôt de chez elle à TUMBA. Ceux qui venaient de la ville de BUTARE sont venus dire à ma grand-mère qu’on avait tué son gendre à l’entrée de l’université. C’est de cette façon que ma mère l’a su. Elle est revenue rapidement chez nous à RANGO, là où nous vivions. Elle s’était couverte d’un pagne et pleurait beaucoup. Elle nous a appris la nouvelle, comprenez que nous avons eu beaucoup de chagrin. Les gens ont commencé à venir à la maison pour demander ce qui s’était passé et se préparer à aller chercher le corps. Au moment où tout le monde se préparait, elle est montée avec DONATILLA. Elle est partie téléphoner à un petit kiosque, elle a appelé la femme de KARENZI, qui leur a dit que c’était aussi difficile de leur côté car ils s’étaient enfermés dans leur maison.

Ce jour-là, il y avait un marché de bestiaux, et nous avons vu des gens qui couraient; donc nous avons couru aussi en retournant à la maison. Nous sommes allés à la maison pour récupérer quelques affaires, puis à l’école de RANGO. Dans la cour de l’école, c’était rempli de réfugiés qui venaient de MUSANGE et GISHAMVU. Nous sommes arrivés à cet endroit à 13h et nous avons vu beaucoup de gens. Nous nous sommes dit qu’il fallait aller chercher des informations auprès du conseiller de NKUBI. Nous sommes allés chez le conseiller, mais nous ne l’avons pas trouvé chez lui. On nous a dit qu’il n’était pas là, et qu’il s’était rendu à la réunion à BUTARE. Il y avait aussi beaucoup de gens là-bas et vers 21h-22h, c’est là qu’il est arrivé. Il nous a demandé de choisir où nous voulions aller pour assurer notre sécurité : soit retourner dans cette cour d’école à RANGO, soit à KABAKOBWA. Ma mère ainsi que d’autres gens ont choisi pour nous d’aller plutôt à KABAKOBWA. Parce qu’ils ne voulaient pas être tués atrocement par des gens qu’ils connaissaient.

Nous sommes arrivés à KABAKOBWA vers 1 ou 2h du matin. Normalement en marchant il y a environ 30 à 45 minutes de marche, mais comprenez que le temps que nous avons mis  pour y aller résulte du fait que les militaires et les Interahamwe[1] (qui portaient des feuilles de bananier) étaient là. Donc nous sommes arrivés cette nuit-là, et nous avons passé la nuit sur place. Avant d’arriver, nous avons traversé une barrière dans la vallée, et pour passer, on nous levait la barrière. Le vendredi, les militaires sont arrivés et sont allés vers les sommets des collines. Là, ils ont commencé à nous tirer dessus. J’ai entendu dire qu’ils étaient avec les autorités, mais sachez que je voyais les balles arriver sur nous. Nous sommes restés là et le samedi très tôt le matin est arrivé un véhicule de la commune, conduit par un homme qui s’appelle Mathias. Ce véhicule avait un haut-parleur, et on a entendu : “Les Hutu, sortez de là, vous n’avez rien à vous reprocher”. Effectivement, il y avait des Hutu parmi cette foule, et je les ai vus sortir. Et à ce moment, ils ont commencé à beaucoup tirer sur nous, en lançant aussi des grenades. Toute force de résistance des Tutsi a été cassée, et nous avons couru. Nous avons couru, et je peux affirmer que ma mère est morte à cet endroit-là. Moi je suis revenu à la maison, j’ai emprunté des chemins très difficiles.

Je suis arrivé à la maison le dimanche. J’ai trouvé la maison fermée, il n’y avait personne parce que presque tout le monde avait fui. Je suis allé chez ma grand-mère maternelle, qui habitait à TUMBA, mais là aussi difficilement. Je suis arrivé chez elle, elle m’a accueilli et je lui ai raconté ce qu’il s’était passé. Je précise qu’il y avait d’autres gens chez elle. Sa fille était revenue du Burundi depuis quelques temps avec ses enfants, et il y avait également mon grand frère RUTAYISIRE et ma grande sœur MUJAWAMARIYA. Je suis resté là-bas peu de jours puis une attaque est arrivée. Elle était dirigée par un homme qui s’appelait NTIRENGANYA et il était comme un enfant. La raison pour laquelle on n’a pas été tué tout de suite, c’est parce que NTIRENGANYA, avec d’autres gens avec lui, sont d’abord passés chez Salomon RUBAYIZA qui était mon oncle. Concernant mon oncle, c’est lui qui avait construit une maison en contrebas de chez ma grand-mère qui lui avait donné le terrain. L’attaque est arrivée très tôt le matin à 5h, ils ont dit qu’ils allaient fouiller chez lui et qu’ils cherchaient des Inyenzi[2], dont un jeune garçon de l’âge de NTIRENGANYA.

Quand l’attaque est arrivée chez ma grand-mère, elle a mis du temps à ouvrir parce qu’elle a cherché une robe pour que je la mette et qu’ils pensent que je suis une fille.  Elle a fini par ouvrir et les enfants de ma tante n’ont pas été inquiétés parce qu’ls savaient qu’ils étaient Burundais. On nous a fait sortir, on a fait sortir ma grand-mère, ma tante Marianne et ma sœur MUJAWAMARIYA. Nous sommes remontés chez mon oncle GAKUMBA (qui était le père de RUBAYISA), qui a été arrêté également et on nous a fait monter. Et comme il y avait beaucoup de bruit dans la population – parce que ma grand-mère était très connue et aidait souvent les gens -, on nous a fait monter à travers la bananeraie. Ils voulaient nous tuer sur place, mais on est allé sur la grande route qui relie BUTARE à RANGO. Sur la route, nous y avons trouvé une femme qu’on venait de tuer avec son enfant, qui avait moins de 5 ans. Cet enfant n’était pas encore totalement mort, il agonisait. Cet enfant, sa photo ne m’a jamais quitté, je fais encore des cauchemars à son sujet”. 

 Le témoin est ému et prend le temps de reprendre ses esprits. Il poursuit :

 “On ne nous a pas tué sur place. NTIRENGANYA a dit lui-même à ce moment-là : “Amenons ces gens au secteur de TUMBA”. Nous sommes remontés jusqu’au bureau de secteur de TUMBA, et dans la cour il y avait beaucoup de gens assis à cet endroit et nous nous sommes assis également. On est arrivés sur place vers 13h00. De chez ma grand-mère au bureau de secteur, il y a une distance d’environ 800 m. Nous nous sommes assis sur place avec ces autres personnes qui s’y trouvaient. Mais ils avaient laissé ma grand-mère repartir : ils ont eu pitié d’elle, parce qu’elle avait plus de 70 ans et marchait péniblement à l’aide d’un bâton, donc elle est retournée à la maison. Elle leur avait dit: “Puisque vous tuez mes enfants, pourquoi vous me laissez, moi ?”

Nous nous sommes assis dans cette cour, et vers 14h est arrivé un homme qui tenait des papiers dans les mains. Il était accompagné d’autres personnes. Cet homme, c’était Sosthène MUNYEMANA. Il s’est mis sur le côté avec les hommes qui étaient avec lui et d’autres Interahamwe qui gardaient les gens que nous avions trouvés à cet endroit. Sosthène MUNYEMANA est revenu et a commencé à lire la liste sur les papiers qu’il avait dans la main. Et les personnes, les noms qu’il lisait sur cette liste, étaient essentiellement des hommes et ils devaient se mettre sur le côté. C’est Sosthène MUNYEMANA lui-même qui a ouvert le bureau de secteur avec les clefs. Les gens qu’il n’a pas appelés sont entrés et je faisais partie de ceux-là. Il s’est adressé à ceux qui étaient avec lui, mais il y en avait  sur le côté qui étaient restés à la porte. Et moi, je ne sais pas si c’est vraiment la chance, j’avais attrapé une forte diarrhée et j’ai commencé à faire sur moi. Les gens qui étaient là ont crié et on m’ont fait sortir. Les toilettes du bureau de secteur se trouvaient du côté gauche, derrière le bureau, donc j’ai tourné et je suis allé vers les toilettes. Au moment où je sortais, Sosthène MUNYEMANA, qui s’adressait aux personnes qui restaient, leur a dit de rentrer dans le bureau du secteur. Donc ces hommes sont rentrés à l’intérieur, il a refermé et je suis allé vers les toilettes. J’ai croisé une dame qui était une bonne âme, elle m’a aidé et m’a indiqué la route pour rentrer. Cette dame m’a fait passer par une autre route, la grande route qui partait de RANGO à BUTARE et je suis parti chez ma grand-mère.

J’ai trouvé ma grand-mère, je lui ai dit qu’on avait fait rentrer les gens dans le bureau de secteur et cette nuit-même, toutes ces personnes ont été tuées, et je ne suis pas sûr qu’il y en ai un qui y ait réchappé. On les avait tués en les jetant dans la fosse derrière, la fosse de KARANGANWA.

Après trois ou quatre jours – ça s’approchait peut-être du début mai – NTIRENGANYA est revenu accompagné d’autres gens, mais ce Salomon (son oncle) dont je vous ai parlé n’a pas été tué. Salomon est revenu avec une autre attaque, ils nous ont encore arrêtés et emmenés avec ma grand-mère. Nous sommes encore allés au secteur, mais avant d’y arriver, ils avaient déjà érigé une barrière chez KAVUBUMTSI, devant la statue de la Vierge.

Nous y avons trouvé MUNYEMANA, un homme également qui s’appelle Pascal de chez Jonathan, et le fils de KUBWIMANA qui avait un fusil neuf (Faustin). Ce fils était à peu près du même âge que NTIRENGANYA. Je connaissais très bien ce Faustin, il gardait la boutique de son père, qui avait une boutique, un dépôt de pommes de terre – et tout TUMBA s’approvisionnait chez son père – et il a quitté la boutique quand il n’ était plus conseiller. Quand on nous amenait à la barrière, il s’est adressé à NTIRENGANYA et il lui a dit : “Où tu emmènes ces gens, c’est plein”. NTIRENGANYA nous a donc fait asseoir à cette barrière qui était destinée à arrêter les gens qui provenaient de AGAHORA et qui venaient de MUSANGE. Quand on montait, Sosthène MUNYEMANA a dit: “Nous venons de vous donner des armes”, et je pense qu’il parlait du fusil de Faustin. Il est possible que lui-même l’avait déjà reçu mais je pense qu’il a accompagné Faustin pour recevoir ce fusil.

Il a dit que ce fusil devait être utilisé à tour de rôle par les gens qui avaient été entraînés. Peu de temps après, nous sommes remontés vers le bureau de secteur, et quand on était assis à cette barrière, on voyait le bureau de secteur. Nous y sommes allés et on a vu le chef des tueurs de chez nous à RANGO. Et MUNYEMANA a demandé qu’on amène leurs gens. Moi, ainsi qu’une autre fille (que je ne connaissais pas avant et avec qui on s’est caché ensemble ensuite) MACUMBERI, nous avons été emmenés dans un lieu qui s’appelait lieu-dit GASENYI, où ils effectuaient les rondes. Sur ces rondes, c’était des lieux autour du feu où ils grillaient la viande des vaches qu’ils avaient découpées, et nous y avons trouvé un homme très mauvais qui s’appelait KALINDA. Et nous avons trouvé d’autres gens à GASENYI. J’y ai trouvé un autre homme qui était notre voisin très proche et il avait eu un enfant avec ma demi-sœur. Et il leur a dit: “Permettez-moi d’amener cet enfant pour que je puisse le sauver”. C’était difficile et c’était par temps de fortes pluies, et ils voulaient aller nous tuer à GASENYI. Donc ils ont dit à ce monsieur: “Amène-le de toute façon, quand on voudra venir le chercher, on viendra le chercher”. Et cette fille a eu de la chance également, parce qu’ils ont dit: “Amène aussi cette fille”. Cette fille est restée ensuite cachée avec moi pendant un long moment, jusqu’au moment où les Inkotanyi sont arrivés. Pendant ce périple, j’ai croisé des Français à GIKONGORO, ce sont eux qui m’ont fait fuir avec d’autres enfants et nous ont conduits au Congo”.

Le témoin a terminé son récit.

Sur questions du président, le témoin explique que ses parents étaient Tutsi, qu’il est né dans le secteur de TUMBA et qu’ils vivaient dans la cellule de KIGARAMA. S’agissant du meurtre de son père, il explique qu’il est possible qu’il ait été tué par les militaires devant l’université. Il précise néanmoins qu’à ce jour, il n’a toujours pas trouvé le corps de son père.

Il explique également qu’avant d’avoir été au bureau de secteur, il ne connaissait pas Sosthène MUNYEMANA. Il ajoute que celui qui commandait les attaques qui ont eu lieu chez sa grand-mère durant lesquels il a été raflé s’appelle NTIRENGANYA. Il est demandé au témoin de regarder l’accusé afin de savoir s’il reconnaît cet homme comme ayant été au bureau de secteur. Le témoin confirme qu’il s’agit bien de l’accusé. Il précise qu’à l’époque des faits, il avait 13 ans.

S’agissant du bureau de secteur, le témoin explique y avoir été aux alentours du 25 au 27 avril 1994. Sur la liste que détenait Sosthène MUNYEMANA, le témoin explique qu’il n’était pas sur cette liste, raison pour laquelle il faisait partie des gens qui devaient entrer au sein du bureau de secteur. Il confirme ses précédentes déclarations, à savoir que c’est bien Sosthène MUNYEMANA qui ouvrait la porte du bureau de secteur. S’agissant des personnes tuées dans la nuit, il indique qu’il s’agissait à la fois de réfugiés de MUSANGE et de Tutsi de TUMBA.  S’agissant des barrières et de la discussion sur les armes, il confirme avoir entendu Sosthène MUNYEMANA tenir ces propos.

Il indique ensuite que durant le génocide, il a perdu sa sœur, son frère, une autre sœur du nom de MUKAKALISA, et ses parents. Il conclut en expliquant avoir perdu beaucoup de monde.

Le témoin s’arrête quelques minutes, en raison de son émotion qui est palpable.

A la question de savoir comment le témoin a pu se reconstruire, il explique: “Ma vie, c’est ce qui est le plus compliqué pour moi, plus que le génocide lui-même. A mon âge, on m’appelle grand-père. Je suis devenu le père de mes propres frères, alors que ce n’est pas ce qui était censé se faire normalement. Je suis devenu le grand-père de tous ces enfants. Pour certains, je les ai vu émerger, et je suis sur le point d’avoir des petits enfants et des arrières petits enfants”.

Sur questions de la cour, le témoin explique n’avoir jamais témoigné avant cela, même si auparavant il a assisté aux Gacaca, qui avaient lieu le mercredi. Il explique avoir “une dette sur le coeur, parce que je n’avais encore rien dit à ce sujet”.

Sur questions des avocats des parties civiles, le témoin explique que son nom signifie “habité par Jésus”. Il explique que sa grand-mère a élevé les enfants de ses voisins, et que les gens comme NTIRANGANYA (le dirigeant des attaques qu’il a subies) venaient parfois dormir chez sa grand-mère quand il était plus jeune.

Sur le contexte ayant conduit son père à être tué, le témoin explique qu’un jour ils ont mis un corps devant leur domicile pendant que son père travaillait la nuit à l’université. Il précise que le lendemain au moment de l’enquête, ils ont embarqué son père et conclut qu’il était responsable de la mort de la personne car “ça s’est passé devant chez nous”. Il conclut en expliquant que depuis, ceux qui ont tué cet homme ont été identifiés, mais que ceux-ci n’ont pas été inquiétés.

S’agissant du docteur KARENZI, le témoin confirme qu’il a également été tué à cette période. Il explique que son meurtre a eu lieu devant l’hôtel FAUCON, autour du 20 avril 1994, où sa dépouille est restée longtemps.

S’agissant de la pacification, le témoin explique qu’à cette période, “c’était difficile pour les Tutsi qui se sont cachés”. Il précise que ceux qui s’étaient cachés pensaient qu’ils allaient être épargnés ; mais que lorsqu’ils sont sortis, ils ont été tués.

Il explique  la suite de sa vie: “En peu de mots, personne ne m’a aidé. Et je sais que j’ai besoin de soins. Les enfants que j’ai pris sous mon aile ont été perturbés. Je ne voulais pas refaire ma vie mais je devais montrer l’exemple. Ces enfants vivaient avec beaucoup de larmes, mais moi je devais rester fort. C’était difficile et même aujourd’hui quand l’école reprend ils me disent de leur donner des cahiers mais c’est difficile car je n’ai pas de travail. Ma femme m’aide avec ces enfants. Je remercie cette cour de la population parisienne. Je sais que vous allez rendre justice, à nous, les rescapés du génocide.”

L’audience est suspendue à 11h15. Elle reprend à 11h34.

Le président indique que les questions au témoin reprendront après le prochain témoignage, qui va se dérouler en visioconférence depuis l’Afrique du Sud.

L’audition d’Emmanuel UFITEYEZU reprend.

Sur questions de l’avocat général, il explique qu’au bureau de secteur, les personnes étaient entre 120 et 200. Il ajoute que les Interahamwe avaient des armes traditionnelles, des machettes, des gourdins et des lances. Il explique à l’attention de la cour que personne ne se sentait en sécurité au bureau de secteur. S’agissant des documents tenus par l’accusé avec des noms, le témoin confirme que Sosthène MUNYEMANA avait des papiers sur lesquels il y avait les noms des Tutsi qui devaient être tués, et qu’il s’agissait surtout des hommes.

La parole est aux avocats de la défense. Il y a plusieurs questions sur le fait de savoir comment il a pu connaître l’identité de Sosthène MUNYEMANA s’il ne le connaissait pas avant. Le témoin explique qu’il a connu le nom de Sosthène MUNYEMANA après le génocide, quand il est rentré du Zaïre en 1996. Il explique avoir refait le périple qui a été le sien, pour comprendre ce qui lui était arrivé. A ce propos il précise :  “L’homme qui nous ouvrait et qui nous fermait, j’ai retenu son visage, et son visage je l’ai toujours en tête. Je vous ai dit également que je vais vous donner mon témoignage sur ce que j’ai vu, que j’ai entendu et que j’ai vérifié moi-même sur ce qui est arrivé”.

L’avocat de la défense demande au témoin si c’est la première fois qu’il voit Sosthène MUNYEMANA, et le témoin répond par la négative. Les avocats de la défense suggèrent au témoin qu’il n’a pas en mémoire le visage de l’accusé. Ce à quoi il répond: “Vous effacez également la photo que j’ai de lui dans ma tête ?

La défense poursuit en demandant si, pour reconnaître Sosthène MUNYEMANA, il lui a été montré une photographie. Le témoin répond: “La photo que j’ai dans ma tête, c’est le visage de Sosthène MUNYEMANA. Je ne pourrai jamais l’oublier, je l’ai gardé en moi. »

Sur NTIRENGANYA, la défense indique que celui-ci n’a jamais fait état de ce dialogue à la barrière, et aurait indiqué n’avoir jamais emmené des gens au bureau de secteur mais les avoir exécutés dans les fosses. Le témoin répond: “Alors il tuait ceux qu’ils avaient raflés où ? C’est son droit de le dire ou de ne pas le dire, mais je ne peux pas vous confirmer si tout ce qu’il vous a dit est véridique”.

L’interrogatoire d’Emmanuel UFITEYEZU prend fin à 15h10.


Audition de monsieur Eraste NYILIMANA, cité par la défense, en visioconférence de Prétoria, Afrique du Sud.

L’interprète présent dans la salle (en anglais) prête serment puis le témoin se présente en visioconférence d’Afrique du Sud. Il est accompagné par le procureur de la République d’Afrique du sud, qui quitte la pièce.

Il est demandé au témoin de décliner son identité (Eraste NYILIMANA), son âge (68 ans), sa profession (professeur au séminaire, et dirige une Eglise en tant que pasteur) et son domicile (Afrique du sud). Il demande à ce qu’un interprète en Kinyarwanda puisse prendre la suite. De sorte que l’interprète (en anglais) quitte la salle d’audience pour céder sa place aux interprètes présents dans la salle.

Le témoin a été appelé dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du président, de sorte qu’il ne prête pas serment. Il lui est demandé de s’exprimer avec franchise, sans haine et sans crainte.

 Le témoin déclare spontanément :

“J’ai connu MUNYEMANA quand il était médecin à l’hôpital de BUTARE. Moi aussi j’habitais la région, même si j’ai déménagé et que je suis parti travailler à KIGALI. Et quand le génocide a commencé, j’étais présentement à BUTARE. Quand le génocide a commencé, il y a eu des consignes selon lesquelles les gens ne devaient pas quitter l’endroit où ils se trouvaient. J’étais à BUTARE, tout comme ma femme, qui était venue dans le cadre du travail. Nous avions donc passé une semaine au Guest House, car nous avions la consigne de ne pas aller à l’extérieur. Après une semaine, une fois autorisés à sortir, mon épouse et moi sommes allés à TUMBA, là où habitait un médecin qui était mon beau-frère (Callixte GASANA). Et quand nous logions chez mon beau-frère, c’est à ce moment-là que nous avons connu Sosthène MUNYEMANA. MUNYEMANA était un collègue de mon beau-frère et tous deux étaient médecins à l’hôpital de BUTARE. Ils étaient voisins et là où ils habitaient il n’y avait pas plus de 100 mètres entre leurs deux domiciles. Ils se rendaient donc fréquemment visite.

Peu de jours après, les meurtres ont commencé dans la région de BUTARE. Mon beau-frère est décédé subitement. A cette occasion, beaucoup de gens sont venus rendre visite à la famille et ont causé. De toute façon, quand les gens parlaient, ils abordaient les événements en cours et les massacres qui avaient lieu dans la région. C’est à ce moment que j’ai pu entendre MUNYEMANA s’exprimer sur les faits qui avaient lieu dans la région et même dans tout le pays. Je ne me rappelle pas de tout, c’était il y a longtemps mais il y a une chose qui m’a marqué. C’est qu’il s’adressait à la jeunesse en leur disant de se garder de s’impliquer dans les tueries. Il leur donnait comme exemple ce qui s’était passé en France du temps de la Révolution française où les gens en tuaient d’autres et qui ont été tués ensuite.

C’est ce message que je garde en mémoire, où il demandait aux gens de ne pas s’impliquer dans les tueries. Dans les jours qui ont suivi, il y a une famille dont un homme d’origine de KIGEMBE, et toute sa famille avait été décimée mais lui était à BUTARE. Il est venu chez Sosthène et c’est Sosthène qui l’a hébergé. J’ai parlé de sa famille décimée, mais ils ne sont pas tous morts, il restait lui, son fils et une fille. En ce moment, le garçon qui est un rescapé, – et d’ailleurs lui et sa sœur étaient étudiants à BUTARE – est chez mon beau-père. Pour la fille, je ne me souviens pas bien, mais la fille était chez mon beau-frère également. Comme Sosthène cachait le papa, et que le fils était chez mon beau-frère, cela faisait que nous nous rencontrions souvent avec Sosthène pour échanger.

Ce que je peux dire par rapport à son comportement, c’est que c’est un homme raisonnable, qui aidait les gens.   Après le décès de mon beau-frère, j’étais le seul homme à la maison avec ma sœur, et c’est Sosthène et moi qui nous occupions de ces réfugiés. Quand nous étions encore à TUMBA, j’ai en mémoire un autre incident. Un homme a été poursuivi et a couru en faisant beaucoup de bruit. Il s’est réfugié chez Sosthène, et à cause du bruit on est tous allés voir. Arrivés à la maison, cet homme était déjà à l’intérieur, et Sosthène MUNYEMANA a dû sortir pour parler aux poursuivants qu’on n’a  pas pu identifier car ils s’étaient mêlés à la foule qui était venue pour voir ce qu’il se passait. Et Sosthène MUNYEMANA a réussi à les convaincre et ils sont repartis. L’endroit où habitait Sosthène et mon beau-frère n’était pas très loin du bureau du secteur. Beaucoup de gens sont arrivés et s’y sont réfugiés, mais le bureau de secteur était fermé. Ils ont donc passé la nuit à l’extérieur du bureau de secteur.

Le lendemain, en échangeant avec Sosthène MUNYEMANA, il a manifesté un souci par rapport à ces gens qui étaient exposés derrière le bureau de secteur. Il a donc été le premier à s’inquiéter d’aller chercher la clef pour qu’on ouvre et qu’ils puissent aller à l’intérieur. Je pense qu’avant qu’on ouvre, certains avaient déjà été attaqués. Et entre temps, les informations disaient que peut-être certains avaient été tués cette nuit-là mais je ne sais pas qui c’est. Ce n’était pas étonnant, car les gens qui s’étaient réfugiés étaient poursuivis et les tueries continuaient, donc c’est pas étonnant que certains aient pu être tués. Après qu’ils soient entrés dans ce bureau de secteur, ils avaient quand même une certaine paix relative, car personne ne les a fait entrer pour les tuer, ni ne les a fait sortir pour leur réserver le même sort. Après cet évènement, les esprits commençaient à s’échauffer, et donc la sécurité de ces gens, même à l’intérieur, n’était pas garantie. Certaines personnes ont commencé à se concerter, dont Sosthène MUNYEMANA, pour savoir s’il était possible de les envoyer au bureau de la préfecture pour qu’ils bénéficient d’une plus grande protection. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’on les a escortés jusqu’au bureau de la préfecture. Malheureusement, les nouvelles disent que des gens sont morts, pas au bureau de TUMBA mais en arrivant au bureau de la préfecture.

Ce que je peux encore dire, c’est que Sosthène MUNYEMANA, vers le mois de mai, sachant que les tueries avaient commencé au mois d’avril, Sosthène MUNYEMANA a protégé quelqu’un qui est parti à BUTARE, mais qui n‘est plus jamais revenu. Sosthène MUNYEMANA a essayé de retracer son parcours pour savoir ce qu’il est devenu et savoir ce qui lui était arrivé. Sosthène me disait qu’il se pourrait que les gens qui ont tué cet homme l’ont fait parce qu’ils savaient que Sosthène MUNYEMANA était en train de le rechercher. Et Sosthène MUNYEMANA a dit que le fait que ces gens ont appris que Sosthène le recherchait, a fait qu’ils ont commencé à suspecter Sosthène. Quand il l’a dit, il nous a dit que sa sécurité n’était plus garantie, et qu’il avait donc le projet de quitter le pays. Sa femme n’était pas là, elle était à l’extérieur . Effectivement, peu de temps après, au mois de Juin, il est parti. Le peu que je connais de Sosthène MUNYEMANA quand je l’ai vu au Rwanda, c’était quelqu’un qui ne soutenait pas les faits de génocide. Non seulement ce n’était pas dans les idées, mais dans les faits, il a fait beaucoup pour protéger ceux qui étaient en danger”.

Le témoin a terminé son récit.

Le président explique que la seule chose que la cour a dans le dossier concernant le témoin, c’est un courrier qui fait un certain nombre de pages en date du 9 Juillet 1996 à NAIROBI, écrit en français intégralement. A la question de savoir si c’est le témoin qui l’a rédigé, ce dernier explique que lorsqu’il était à NAIROBI, il a vu un article dans un journal qui parlait de Sosthène MUNYEMANA comme étant “le boucher de TUMBA” et déclare : “J’étais choqué, donc j’ai décidé d’écrire à ce journal ce que j’en pensais”.

Sur questions du président, le témoin explique que son beau-frère était médecin et qu’il est décédé à la suite  d’une mort subite, mais n’a pas été tué dans le cadre du génocide . Il explique ensuite qu’il est Hutu, au même titre que son beau-frère. Il explique qu’il est allé chez son beau-frère vers le 10 avril 1994, car ils pouvaient avoir accès au téléphone pour communiquer avec leurs enfants qui étaient restés seuls à KIGALI. Sur la réunion du 17 avril 1994 au bureau de secteur, il explique ne pas s’en souvenir mais l’avoir mentionné dans son courrier. Sur les barrières, il explique ne pas se souvenir s’il y avait une barrière à proximité du domicile de Sosthène MUNYEMANA, puis affirme qu’il n’y en avait pas.

Sur le bureau de secteur, le témoin indique que lorsque les gens étaient rassemblés là, il était présent, y compris lorsqu’il fallait les transporter à la préfecture. Il explique qu’il y avait environ 20 personnes enfermées, et qu’il n’a pas vu de blessés. Il explique avoir eu la curiosité d’y aller car des amis à lui y étaient enfermés. Il précise qu’il ne pensait pas qu’ils avaient à manger et ne s’est jamais demandé s’ils étaient nourris ou s’ils avaient pu aller aux toilettes. Il explique avoir été plus préoccupé par la recherche d’un moyen de les mettre en sécurité que sur leurs conditions de vie.

S’agissant de Sosthène MUNYEMANA, il indique qu’il n’a jamais entendu l’accusé tenir des propos anti-tutsi. Il explique n’avoir plus jamais revu l’accusé depuis son départ, mais avoir revu une de ses sœurs avant son décès. Il explique être parti du Rwanda au mois de Juin 1994. Il ajoute être revenu au Rwanda deux fois, la première en 2000 et la seconde en 2004.

Sur questions des parties civiles, le témoin explique que les gens chassés n’avaient de sécurité nulle part, y compris dans le bureau de secteur. Il ajoute qu’il fallait choisir entre deux maux, et confirme qu’il n’y avait pas nécessairement de sécurité au bureau de secteur.

S’agissant du discours du président SINDIKUBWABO, le témoin indique ne pas y être allé. Il ajoute que “les propos qu’il a  tenus ont été mal compris, car quand il disait aux gens qu’ils n’étaient pas concernés c’était pour dire aux gens qu’ils étaient passifs dans l’implication de la sécurité du pays, mais les gens ont dû comprendre qu’il fallait s’impliquer dans les tueries”. Il explique qu’il “ne veut pas juger mais il est clair que ces paroles n’ont pas été comprises comme de bonnes paroles. Mais je laisse le bénéfice du doute et puis tout est en fonction du contexte. Ce qui est sûr, c’est que les gens ont compris que c’était une incitation à tremper dans les massacres”.

S’agissant des autorités préfectorales de BUTARE, il explique qu’il n’a pas vu une seule autorité participer aux tueries “mais comme elles ont continué, ils n’ont pas fait leur possible pour l’arrêter”. Il ajoute: « Je ne peux pas dire officiellement que les autorités auraient reconnu qu’ils étaient d’accord avec les massacres, mais plutôt qu’il fallait trouver un moyen de sauver la population. C’est la police qui avait les moyens logistiques, c’est la raison pour laquelle nous remettions des gens à ces autorités.  On pensait que lorsqu’ils arrivaient dans leur main, il y avait plus de sécurité”.

S’agissant du choix de Sosthène MUNYEMANA en tant que personne responsable pour organiser les rondes, le témoin botte en touche. Il précise néanmoins que l’accusé aurait été choisi parce ”qu’il était raisonnable et avait une bonne réputation”.

Sur question de Maître FOREMAN, le témoin confirme la cause de la fuite de Sosthène MUNYEMANA. S’agissant du discours du SINDIKUBWABO et des réponses qu’il a données antérieurement, il explique qu’il “n’a pas voulu banaliser le discours mais je n’étais pas dans sa tête pour savoir ce qu’il voulait dire. C’est juste qu’il n’était pas clair”.

A la question de savoir pour quelle raison il a voulu témoigner à visage masqué, le témoin répond: “En ce qui concerne le génocide des Tutsi au Rwanda, c’est une question qui peut porter des conséquences. Et on ne sait pas quelles implications cela peut avoir”. Le témoin explique ensuite que c’est la première fois qu’il est entendu, et qu’aucun enquêteur ne l’a jamais entendu auparavant.

Sur questions de l’avocat général, le témoin explique avoir gardé une copie de ce qu’il avait écrit à African Rights. Il explique l’avoir gardé parce qu’il ne voulait pas que ses propos publics soient mal interprétés. Il explique qu’il a rédigé ce document de sa propre initiative. L’avocat général lui fait remarquer que le courrier ressemble davantage à une attestation et lui demande si monsieur MUNYEMANA lui a demandé d’en établir une. Il répond par la négative.

S’agissant du bureau de secteur et des gens qui y étaient enfermés, le témoin explique qu’effectivement, les gens ont dû se dire qu’avec des tueurs tout autour du bureau du secteur, il fallait partir de ce lieu.  A la question de savoir s’il ne valait pas mieux ouvrir pour que les Tutsi puissent fuir, le témoin répond que les gens sont venus tout seuls parce qu’ils cherchaient la sécurité. Il ajoute qu’il ne pense pas que ce soit Sosthène MUNYEMANA qui les ait enfermés dans le bureau de secteur, et qu’il ne fallait pas le lui reprocher. Il explique que personne n’a pris cette responsabilité de les mettre dedans. Sur insistance de l’avocat général, le témoin finit par déclarer: “Je dis juste que Sosthène MUNYEMANA a pris l’initiative d’aller chercher la clef”. A la question de savoir comment dans ce cas, l’accusé a pu échapper aux menaces de mort contre lui, le témoin botte en touche.

L’audience est suspendue à 13h13 sur la demande de Sosthène MUNYEMANA. Elle reprend à 13h16.

La parole est aux avocats de la défense.

Sur le bureau de secteur, le témoin explique que les réfugiés s’y sont rendus de façon spontanée et que personne ne les y a emmenés. Il explique ne pas avoir vu la vingtaine de personnes à l’extérieur et qu’il les a vues à l’intérieur. Le témoin répète que le bureau de secteur était considéré comme un lieu de sécurité. Il explique “ C’est un fait : c’était un refuge. La preuve, personne n’y est mort”.

Il est mis fin à l’interrogatoire à 13h28.

L’audience est suspendue à 13h30. Elle reprendra à 14h30


Audition de madame Elévanie MUKANDAMAGE, employée de maison de Sosthène MUNYEMANA de février à fin juin 1994.

Elévanie MUKANDAMAGE est appelée à la barre pour témoigner. Il lui est demandé de décliner son identité, son âge (née en 1966), sa profession (agricultrice) et son domicile (NYAGATARE – Rwanda). Elle est accompagnée d’un interprète.

Elle est entendue dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du président.

Le témoin déclare spontanément : “Moi je vivais chez MUNYEMANA, j’étais domestique chez eux. Ce que je sais sur lui, c’est que j’ai vécu avec lui en ces temps où on tuait les gens. Ce qu’il a fait pour moi, c’est me cacher contre des gens qui voulaient me faire du tord. En sortant dans la région du sud, ils commençaient à tuer et à ce moment un homme et une femme sont venus en se réfugiant et ils disaient qu’ils fuyaient parce que les Inyenzi commençaient à tuer les gens. Ils sont restés là quelques jours, et après ils sont retournés chez eux. Après il y a un homme qui est venu, qui était à l’ISAR, il est venu lui aussi en tant que réfugié et disait que les Inkotanyi étaient arrivés là-bas, il était avec son épouse et leurs trois enfants. Il a passé une nuit là-bas et le lendemain le monsieur est retourné en arrière pour voir les affaires qu’il avait laissées à l’ISAR. Et au retour, au niveau de la forêt, on a appelé Sosthène en lui disant que s’il tardait à venir, ils retrouveraient l’homme qui était chez lui, mort. Donc il devait venir avant qu’il soit tué. Il est allé, et quand il est arrivé, l’homme avait déjà été tué. Sosthène est parti avec l’épouse de l’homme qui venait d’être tué et sont allés ramener le corps chez ce monsieur et le ramener à la maison. Il a passé une nuit et le lendemain il a été enterré.

Après l’avoir enterré, Sosthène a été menacé et poursuivi, soi- disant qu’il gardait chez lui des complices des Inyenzi. A ce moment, les Interahamwe l’ont menacé et ont cherché à le tuer donc il a fui. Ce qu’il a fait de bien pour moi, c’est qu’il ne m’a pas laissé seule, il m’a trouvé un endroit où rester, et où je ne pouvais pas être inquiétée. Là où il est parti en exil, quelques temps après, son épouse m’a fait savoir qu’il allait la rejoindre en France. A son départ il m’a fait partir de TUMBA, il m’a emmenée à KABUTARE chez un papa qui a pris soin de moi. La guerre a continué dans le pays et au niveau de BUTARE, les Inkotanyi sont arrivés et les gens chez qui il m’avait laissée ne m’ont pas abandonnée. Ils m’ont mis avec eux et ils sont partis en exil jusqu’au Congo”.

Sur questions du président, le témoin répond être Tutsi. Elle explique être arrivée à TUMBA aux environs de février 1994, et avoir travaillé au service de MUNYEMANA mais ne sait plus quand elle a commencé à travailler pour lui. Elle explique également avoir été la seule employée de maison de l’accusé, le second étant un gardien de nuit. Elle explique qu’elle devait s’occuper de la cuisine, prendre soin des enfants et s’occuper du travail domestique à la maison. Elle explique qu’elle vivait dans la maison de l’accusé et qu’elle avait une chambre. Elle précise que l’épouse de Sosthène MUNYEMANA est partie le jour où elle a été embauchée.

Les photographies du domicile de l’accusé sont montrées au témoin, qui indique spontanément reconnaître la maison. Elle explique ne pas avoir vu de visiteurs, à part les réfugiés au début du génocide (un couple dont on n’obtiendra aucune précision). S’agissant de Jean KAMBANDA, le témoin explique que s’il est venu, elle ne le sait pas. Il en va de même avec François BWANAKEYE, STRATON, MAMBO, REMERA et RUGANZU. Elle précisera même qu’elle ne les connaît pas et n’en avoir jamais entendu parler. Il en va de même pour les armes, pour la statue de la Vierge, les sorties nocturnes de l’accusé, expliquant qu’étant “près de la porte d’entrée, je l’aurais forcément entendu sortir, surtout qu’à cette période je n’avais pas le coeur à dormir”.

Le président lui fait remarquer que l’accusé ne nie pas être sorti la nuit, ce à quoi elle répond: ” Je ne l’ai jamais vu ni entendu sortir, sauf le jour où il a pris la fuite”.

A plusieurs reprises, lorsque le président lui pose une question, le témoin regarde longuement l’accusé avant de se tourner vers la cour et répondre aux questions qui lui sont posées. (NDR : l’interprète, avec qui le témoin est censé parler, est situé sur sa droite, et l’accusé est situé sur sa gauche).

Nous assistons à un interrogatoire ubuesque, où elle indique par exemple à la question de savoir s’il y avait une télévision chez l’accusé que “si on ne l’allume pas, on ne peut pas savoir s’il y en a une. Donc je ne peux pas vous dire s’il y en avait”, ou encore s’agissant de RUGANZU, elle répondra en indiquant qu’il s’agit d’un roi dont on lui a enseigné l’histoire “et avoir fait une sortie où on lui a montré l’ancien trône qui a encore la marque de ses fesses”. In fine, le témoin indiquera n’avoir jamais rien su des barrières, des rondes, des réunions, des feuilles de bananiers ou des cartes du MDR, ni des participants au génocide car elle ne sortait jamais du domicile. S’agissant de SINDIKUBWABO, elle dira “qu’il était nommé le président des sauveurs”, mais elle dira également qu’elle n’est pas sûre de savoir de qui il s’agit. Paradoxalement, à la question de savoir si elle avait confiance aux responsables locaux (administratifs ou politiques), elle répond qu’elle “avait peur d’eux car ils ont fait du mal”. Elle explique également n’avoir jamais vu de militaires ou d’Interahamwe visiter le domicile de l’accusé. Elle précisera que la seule personne qu’elle a vue est un prénommé François, et que celui-ci s’est fait tuer.

S’agissant de Sosthène MUNYEMANA, elle dit ne plus se souvenir si pendant la période du génocide, il avait pris des congés (NDR : alors qu’il ne travaillait pas du mois d’avril au mois de mai et que selon ses propres déclarations elle n’a jamais quitté le domicile de l’accusé).

Elle explique ensuite avoir eu des informations sur le génocide uniquement au moyen de la radio MUHABURA “qui disait que des gens à KIGALI étaient tués” ou de radio Rwanda. Elle affirme que personne n’a jamais écouté la radio RTLM. Elle indique qu’elle n’entrait jamais dans la chambre parentale, et que c’est dans cette chambre que se trouvait la radio. Paradoxalement, elle explique qu’elle avait accès à la radio librement, et qu’elle pouvait à loisir écouter la station MUHABURA. Puis réaffirme qu’elle n’avait pas le droit d’entrer dans ladite chambre.

A la question de savoir ce que devenaient les enfants lorsqu’elle se cachait dans les annexes, le témoin répond qu’ils allaient à l’école (NDR : alors qu’il n’y avait plus d’école à ce moment-là). Puis finalement sur question, elle explique qu’elle ne laissait jamais les enfants seuls.

A la question de savoir quel genre de père pouvait être l’accusé, elle explique qu’il “s’occupait de ses enfants. Quand ils étaient blessés il les soignait”. Puis précise : “Il lavait les blessures avec de l’eau et des compresses”. Elle précisera ensuite ne pas savoir s’il avait du matériel médical à son domicile et n’en avoir jamais entendu parler. A la question de savoir quel âge avaient les enfants de l’accusé quand elle les gardait, elle répond qu’elle ne sait pas.

S’agissant du bureau de secteur, elle explique savoir qu’il y en avait un à TUMBA, mais qu’elle ignore si des personnes étaient enfermées à l’intérieur. Le témoin précise n’avoir jamais vu qui que ce soit “avec la clef ou venir chercher la clef du bureau ou quelqu’un en parler”.

S’agissant de sa vie après le génocide, et à la question de savoir pour quelle raison elle a fui à l’arrivée du FPR sachant qu’elle est Tutsi, elle explique avoir eu peur que les Interahamwe reviennent pour la tuer et être parti en exil au Congo. Elle précise avoir épousé un Hutu au milieu des années 1995. Elle explique ne plus être en lien avec la famille de l’accusé depuis leurs fuites réciproque. Elle conclut en expliquant avoir perdu des membres de sa famille durant le génocide (deux oncles paternels, un frère, ses petites soeurs et deux cousins).

En raison de l’émotion du témoin, l’audience est suspendue à 17h13. Elle reprend à 17h30.

Sur questions de la cour, elle explique qu’elle ne sait pas si d’autres personnes ont été sauvées par Sosthène MUNYEMANA. Elle explique qu’elle ne se souvient que “de celui qui a essayé de se suicider” et raconte que “la première fois, il a ingéré un produit de piles et la seconde fois il s’est pendu et a été descendu”. A la question de savoir comment s’est déroulé cet évènement, elle explique que “Sosthène MUNYEMANA a repoussé l’attaque qui le poursuivait”, puis ajoute que c’est l’épouse de l’accusé qui lui a raconté le reste de cette histoire.

Elle explique ensuite qu’au début du génocide “tout le monde s’entretuait”, et à la question de savoir si Sosthène MUNYEMANA a hébergé d’autres Tutsi durant le génocide, elle dira qu’elle ne sait pas.

Sur questions des avocats des parties civiles, après projection de photographies, le témoin explique reconnaître le portail du domicile de l’accusé ainsi que la route qui mène au bureau du secteur, mais pas la statue de la Vierge. Sur ses horaires de travail, le témoin reste flou et indique cependant ne pas avoir eu de jour de congé.

L’avocat général livre son opinion selon laquelle le discours du témoin semble avoir été soufflé. A la question de savoir si elle a été contactée en vue de ce procès, le témoin répond par la négative. Il est demandé au témoin pour quelle raison elle parle des Tutsi en employant le mot “Inyenzi”. Elle explique que pour elle cela voulait dire Tutsi. Il est donc demandé à l’interprète de traduire ce mot, et l’interprète indique que cela signifie “cancrelat – cafard”.

Le témoin explique que c’est de cette façon dont on parlait des Tutsi à l’époque et que pour elle, cela désigne donc les Tutsi. L’avocat général fait remarquer au témoin que c’était une façon péjorative de parler des Tutsi durant la période du génocide.

La parole est aux avocats de la défense. Ils tentent de revenir sur la définition du mot « Inyenzi », en le sortant de son contexte.


Audition de madame Bojana GLIGORIC COULIBALY.

La témoin est née en ex Yougoslavie, elle est serbe de Bosnie. En juin 1999, elle se trouvait à proximité de SARAJEVO. Elle a alors connu l’exil vers la Serbie où elle a vécu dans un camp de réfugiés pendant deux ans, puis a immigré vers la France. Elle affirme avoir grandi dans une atmosphère d’unité qui n’existe plus. C’est pour cela qu’elle s’intéresse à la région des Grands Lacs.
Elle a étudié en France. Elle a fait un master en études postcoloniales, puis un doctorat dans les universités  d’Orléans et de Tours,  dans le département d’anglais en spécialisation d’études africaines.
Elle a entamé une recherche relative aux questions de l’analyse du discours. Elle travaille aujourd’hui sur l’analyse critique du discours (discours et idéologie), ce qui englobe de la linguistique, de l’histoire, de la sociologie et des sciences politiques.
La témoin a commencé à s’intéresser à la manière dont le discours peut impacter la réalité sur le terrain, et particulièrement à la région des Grands Lacs et du discours de génocide. Depuis trois ans, elle fait de la recherche et écrit un livre sur l’idéologie du génocide à l’est du Congo. Elle s’intéresse à la manière dont le discours va amener à la situation de 1994 mais à la situation préalable, dans les années 60-70.
La témoin apporte un éclaircissement historique. L’idéologie du génocide se développe sur le long terme avec différents moyens réutilisés constamment notamment par les médias, la religion, l’éducation et les domaines publics. L’histoire de la colonisation est longue mais une des premières théories est la théorie hamitique qui va influencer toute l’idéologie du génocide.
Les frontières coloniales n’existaient pas avant la Conférence de Berlin. En 1885, Léopold II va hériter du Congo belge. L’Allemagne va être le colonisateur du Rwanda et du Burundi mais à la fin de la première guerre mondiale, la Belgique va obtenir la tutelle sur le Rwanda et le Burundi.
La Belgique va voir ses trois  territoires comme une seule administration, comme des sujets administrés de la même manière.
La témoin indique que l’idéologie du génocide existe aussi au Congo.
En 1960 tous les sujets du territoire congolais vont devenir Congolais puis Zaïrois. En 1981, des sujets congolais vont perdre  leur nationalité congolaise, en l’occurrence les Tutsi congolais. Cela va ensuite avoir un impact sur ce qu’il s’est passé en 1994.
La rébellion du FPR va être constituée par les Tutsi congolais, ceux qui ont été intégrés dans le découpage. Il y a aussi une vague de transplantés qui va arriver entre 1925 et 1955. Puis les réfugiés de 1959. C’est de ces groupes que va émerger le FPR.
Toute une région va commencer à développer une idéologie d’exclusion. L’idéologie hamitique affirme qu’il y a des ethnies et des tribus : Hutu et Tutsi. Le mythe hamitique va continuer à avoir un impact sur l’idéologie dans la région.
Jusqu’à aujourd’hui, au Burundi et dans l’Est de la République Démocratique du Congo,  il y a ce même discours, l’idée d’une colonisation par un empire hamitique, raison pour laquelle on s’en prend aux Tutsi, l’empire Hima-Tutsi.  On parle d’un plan coordonné du Rwanda et du Burundi contre le Congo.
À partir des années 1959 cette idéologie se met en place à travers un certain nombre de documents. Un exemple d’élément de langage utilisé pour parler du Tutsi : “Les Tutsi sont des menteurs et des manipulateurs”. En 1959, il y a les Dix commandements de GITERA : « Ne crois ni n’aie plus confiance dans le nom Tutsi », « ne mens jamais comme le Tutsi »
Concernant l’empire Hima-Tutsi et le plan de conquête qu’on attribue à la communauté tutsi, ce discours va dominer au Rwanda, notamment avec la radio RTLM. Ces éléments se retrouvent dans les années 90 et 94 mais aussi aujourd’hui.
Le terme « génocide » va être utilisé dès 1991 : l’idée est de pouvoir mettre en place ce programme génocidaire, dans une accusation en miroir: on accuse l’autre de vouloir vous éliminer alors que c’est vous qui en avez le projet.
Les différentes théories mises en place pour pouvoir déshumaniser les Tutsi et organiser ce programme d’extermination, c’est de la théorie dominante. Ces théories ne peuvent pas être confirmées ou infirmées puisqu’on ne peut expliquer ces faits.
Depuis les années 1960, ce discours est entendu dans toute la région.
Dans les années 1990, l’existence de cette idéologie est très importante. Ce discours de haine est généralisé. Derrière le projet génocidaire, il y a cette idéologie qui a existé pendant des décennies et qui continue d’exister. Surtout parce que Mobutu va accueillir les génocidaires avec armes et bagages: ce discours va devenir une dominante.
Selon tous les rapports de l’ONU et d’autres rapports, les anciens génocidaires qui ont créé les FDLR ont été réintégrés dans l’armée congolaise. Les FDLR ont été créés par Laurent-Désiré Kabila pour exterminer les Tutsi au Congo et d’autres au Burundi.
La témoin cite ensuite quelques exemples de discours de haine qu’on retrouve encore aujourd’hui.
Justin BITAKWIRA, député et ancien ministre congolais affirme en juillet 2023: « Quand tu vois un Tutsi, tu vois un criminel”  “. Je me pose toujours la question de savoir si leur créateur ce n’est pas celui qui a créé le diable. Je n’ai jamais vu une race aussi méchante».
Ces discours ressemblent aux discours qu’on retrouvait antérieurement.
Sur les questions posées par la cour :
 La témoin explique ne pas avoir travaillé sur le discours du président intérimaire SINDIKUBWABO du 19 avril 1994.
Elle explique que ces discours sont aussi des programmes qu’on ne déclare pas ainsi. Le problème est de comprendre les subtilités de ce discours. C’est pour cela qu’il faut comprendre l’histoire. Le discours s’intéresse à la répétition en tant que figure de style. Il y aura dans le subconscient de l’auditeur un renvoi à quelque chose. C’est aussi le cas en fonction du spectateur. Dans le subconscient il y a cette préparation psychologique.
La témoin est interrogé sur l’utilisation du mot “Inyenzi” pouvant être traduit par “cafards”. Elle souligne que dans l’analyse du discours, le plus important est la connotation d’un mot. Ce mot va devenir une connotation particulièrement négative pour justement déshumaniser tout le groupe tutsi. On va accuser tout Tutsi d’être un Inyenzi. Au début on les considère comme des rebelles, des réfugiés qui cherchent à rentrer chez eux, mais la connotation va changer à partir de 1990. Dans le cadre du génocide, ce mot a une connotation particulièrement négative et renvoie à l’idée que les Tutsi sont des diables. Le mot doit être mis dans son contexte.
La témoin est interrogé sur la fin des ressentiments entre les Hutu et les Tutsi quand les génocidaires seront décédés. Elle explique que les génocidaires ont biberonné les futures générations à l’idéologie du génocide. Il y a un million de Tutsi congolais réfugiés dans la région des Grands Lacs. Il y a une communauté qui n’est plus à risque au Rwanda car l’Etat a mis en place un système de conciliation mais quand on traverse la frontière à l’Est du Congo, on se rend compte à quel point l’idéologie est présente. Jusqu’à récemment, on lynchait des gens dont on mangeait la chair. Ce n’est pas seulement éliminer un ennemi politique mais même déshumaniser un corps qui n’est plus en vie. Cette idéologie continue, ce discours est même très présent sur les réseaux sociaux.
Sur les questions posées par les avocats des parties civiles :
La témoin est interrogé sur l’interprétation d’une motion signée par le Cercle des intellectuels du MDR de Butare en soutien au Premier Ministre Jean KAMBANDA, motion signée entre autres par l’accusé. Elle répond qu’aujourd’hui nous savons qu’à partir du 7 avril 1994, un million de personnes ont été tuées en 100 jours. Il y a une volonté de parler de paix d’autant plus lorsqu’il y a des actions qui sont mises en place. Le discours ne reflète pas ce qui se passe sur le terrain. Elle constate une sorte de tentative de blanchiment des actions que ce soit dans l’assassinat lui-même mais aussi dans le suite.
Dans ce contexte, il y a une volonté de se dédouaner ou de blanchir des actions qui vont avoir lieu par la suite ou l’assassinat du président lui-même.
Concernant les propos de Monsieur SWINNEN ambassadeur de Belgique au Rwanda en 1994, la témoin affirme que le principe du négationnisme est de mettre en place un certain nombre de questionnements. Cette pratique est très commune notamment chez Charles ONANA. Il y a une volonté de créer un doute. C’est l’idée de la théorie du double génocide qui établit une fausse symétrie entre un génocide secret orchestré par le FPR dominé par les Tutsi et un vrai génocide tutsi. Le but est qu’on ne condamne pas le génocide.
Concernant le mythe du Tutsi menteur, certains témoins sont venus dire qu’il faut se méfier des témoignages venus du Rwanda et que ce genre de mise en garde a quelque chose à voir avec le mythe. A cela, la témoin répond par l’affirmative en indiquant que c’est l’idée vraiment de créer le doute. C’est de dire que le Tutsi a cette génétique de pouvoir mentir. Raison pour laquelle on remet en doute les discours de tous les rescapés. C’est un stéréotype qui revient.
Aujourd’hui, au Congo, dire que quelqu’un est Rwandais est une insulte.
Dans ce mythe, est-ce que cela serait caricatural de rapprocher du protocole des Sages de Sion ? (NDR Le Protocole des Sages de Sion est un texte inventé de toutes pièces, peut-être par la police secrète du Tsar, et publié pour la première fois en Russie en 1903. Ce faux se présente comme un plan de conquête du monde établi par les juifs et les francs-maçons) À cela, la témoin indique que ces théories peuvent tomber dans la conspiration. Il y a cette idée de faire des alliances.
La témoin est interrogée sur l’existence d’indices pouvant démontrer que ce génocide a été préparé. À cela, elle affirme n’avoir  aucun doute en tant qu’analyste de discours. Depuis les années fin 60, il y a eu 35 ans de préparation psychologique à la haine idéologique anti-Tutsi. Certains ont parlé de l’assassinat mais il y a eu des pogroms qui ont toujours été les mêmes. On ne peut pas expliquer une spontanéité quand on assassine des familles entières dont des enfants de 0 à 14 ans qui représentent un tiers des victimes.
Concernant la propagande en miroir elle affirme que l’idéologie du génocide ne se construit pas en une journée mais fait partie d’un contexte, on peut projeter sur l’autre ce qu’on est nous-même mais cela ne serait pas factuel.
Sur les questions posées par la défense
La témoin est questionnée sur sa capacité à comprendre rapidement un texte. Elle affirme que concernant les analyses du discours, elle est dotée d’une capacité de lire très rapidement et de comprendre rapidement les connotations des mots, le ton, car chaque mot peut déboucher sur une analyse. Elle explique connaître suffisamment le contexte pour comprendre. La première lecture sera assez superficielle mais il peut y avoir plusieurs niveaux.
Maître BIJU-DUVAL se dit « admiratif » devant de tels propos (NDR. Ton ironique de l’avocat)
À la question de savoir s’il faut restituer un texte dans un contexte mais aussi dans le contexte des autres discours, la témoin réplique que le discours a été placé dans son contexte, puisqu’elle le connaît, cela a été contextualisé à partir du moment où elle trouve certains marqueurs.
Elle affirme ensuite qu’il n’est pas nécessairement important de connaître les auteurs, à partir du moment où on lit un texte on peut déterminer le point de vue. Mais un certain nombre d’éléments ont été insérés dans ce texte qui permettent de comprendre qui est l’auteur dans son ensemble.
Elle explique ensuite avoir fait des publications concernant le Rwanda mais aucune publication scientifique sur le sujet.
Compte-rendu réalisé par Pauline ANCKAERT, bénévole.


Audition de madame Laetitia HUSSON.

Vu l’heure tardive de l’audition de madame HUSSON, nous ne publierons pas de compte-rendu. En accord avec elle, nous renvoyons à ses précédentes interventions dans plusieurs procès devant la Cour d’assises de Paris, notamment lors du procès en première instance, le 5 décembre 2023.

Seules quelques réactions aux questions de la défense seront rapportées.

C’est à maître BIJU-DUVAL que reviennent les questions de la défense. Monsieur le président, inquiet de l’horaire, lui demande combien de questions il pense poser:  « Beaucoup » répond-il.  Et il va tenir parole en sortant une batterie de questions qu’il semblait avoir bien préparée à l’avance. Madame HUSSON, en véritable spécialiste du TPIR, va toutefois lui tenir tête.

La BIBLE de l’avocat de la défense? André GUICHAOUA, Filip REINTJENS et, dans une moindre mesure, Alison DES FORGES. Et encore et toujours, André GUICHAOUA. Maître BIJU-DUVAL évoque l’affaire BICAMUMPAKA et le cas d’un témoin à charge qui se rétracte et reconnaît avoir menti. A son retour au Rwanda, le témoin en question aurait été menacé d’arrestation. Maître BIJU-DUVAL se lance dans la lecture d’un long document. Monsieur le président lui demande gentiment de synthétiser, vu l’heure tardive (il est effectivement 21h30). L’avocat de l’accusé, en s’appuyant sur un seul exemple, veut ainsi discréditer tous les témoins détenus qui viennent du Rwanda.

Avec calme, madame HUSSON, par ses explications et ses connaissances du fonctionnement du TPIR, relativise ou désavoue les affirmations de l’avocat à qui elle donne rarement raison. Il faudra attendre 21h45 pour que monsieur le président déclare que l’audience est suspendue. Rendez-vous est donné à lundi matin, 9 heures.

Monsieur MUNYEMANA aurait dû être invité à réagir, comme chaque vendredi soir? mais il était 20h45. Son intervention se fera lundi soir.

Jade KOTTO EKAMBI, bénévole que je remercie très chaleureusement pour avoir tenu à assurer la prise de notes même les après-midi. Un grand merci aussi à Pauline ANCKAERT qui a rédigé le compte-rendu de l’audition de madame Bojana GLIKORIC COULIBALY

Alain GAUTHIER, président du CPCR pour les relectures

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

  1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA, désignation souvent étendue aux milices d’autres partis. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  2. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]

Lire aussi

Procès en appel de Sosthène MUNYEMANA: jeudi 2 octobre 2025. J 13

Auditions de Josépha MUJAWAYEZU (amie de la famille de l’accusé), Bosco HABINEZA, Gloriose NYIRANGIRUWONSANGA (partie civile) et Venant GASHONGORE.