Procès Ngenzi/Barahira : 10 mai 2016. J1

Ouverture du procès le 10 mai 2016
Les médias à l’ouverture du procès…
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Un procès qui a du mal à commencer, la responsabilité en incombe à la défense. La journée commence par la constitution du jury, 6 jurés et 5 jurés suppléants sont tirés au sort et prêtent serment.
Madame la Présidente rappelle qu’étant « dans le cadre d’un procès  historique, les débats seront télévisés ».

Maitre Mathe, avocate de NGENZI, soulève alors des exceptions liminaires et adresse tardivement aux parties ses conclusions sur ces exceptions. Elle souhaite que ce procès soit exemplaire et se lance dans une longue diatribe en commençant par dire que : « depuis l’origine (de la procédure) la défense n’y trouve pas son compte ». Evoquant les nombreux témoignages qui seront entendus, elle souligne que les témoins « se trompent, mentent… », en prétendant qu’un certain nombre de témoignages sont « contestables », d’autant que « le Rwanda est une dictature sanglante ». Ce sera son leitmotiv.
Elle regrette que la défense n’ait pas été associée aux enquêtes, que le dossier ne contienne pas de cartes suffisamment claires… et demande un « transport sur les lieux » ainsi qu’un accès à la base de données qui a servi dans l’affaire, et notamment les « éléments supprimés sans son avis ».
Pour justifier sa demande d’un transport sur les lieux, elle assène à nouveau le fait que « les témoins viendront raconter ce qu’ils veulent, ce qu’on leur a dit de dire… ».
Elle souhaite donc l’interruption des débats, l’ajournement du procès et par conséquent la remise en liberté des détenus. Maitre Mathe ne manque pas de rappeler qu’elle a « beaucoup d’adversaires dans ce procès » ; « j’ai des accusateurs privés, le CPCR » qui « rentrent même dans les prisons rwandaises ». Elle continue en disant que, parmi les nombreux témoins cités « on a écarté ceux qui ne vont pas dans le sens de l’accusation ». Elle ajoute, après avoir redit qu’elle avait beaucoup d’adversaires,  « nous, nous sommes seuls ». Et s’indigne une nouvelle fois contre le CPCR qui ose « lever des fonds, même au Rwanda ».
Conclusion, une puissance étrangère finance le procès, puissance étrangère qui vit « dans un climat de terreur » : les témoins vivent « sous contrôle, sous la terreur du gouvernement rwandais ».

Maitre Meilhac, avocat de BARAHIRA, renchérit et appuie à son tour la demande de sa collègue de la défense, une défense qui se sent démunie. « Dans la patrie des droits de l’Homme, un procès doit être exemplaire » conclut-il.

La parole est donnée aux parties civiles. Maitre Laval se présente comme l’avocat du CPCR et, s’adressant aux jurés, « le CPCR qu’on vous a présenté comme un représentant d’une effroyable dictature… et qui dispose de moyens financiers considérables ». Il évoque les nombreuses victimes de la famille de Dafroza GAUTHIER, membre fondateur du CPCR, décimée pendant le génocide des Tutsi.
« Ce qui hante cette salle », poursuit-il, « c’est plus d’un million de personnes. Les associations sont là pour faire entendre les voix des victimes ». Et il ajoute que « la défense veut discréditer ce procès ». Maitre Laval rend hommage aux magistrats instructeurs « au dessus de tout soupçons ».
Il termine son intervention par ces mots: « La défense veut faire suspendre le procès et demande la remise en liberté des accusés! Elle veut inoculer en vous (les jurés) le poison du doute ».

Les autres avocats des parties civiles s’opposent à leur tour au report du procès et demandent à la Cour de rejeter la demande de la défense.
L’Avocat Général Mr Philippe Courroye ira dans le même sens en démontant systématiquement les arguments de la défense :

  • Le transport sur les lieux est une question qui a déjà été tranchée, ce transport n’est pas possible pour une Cour d’Assise.
  • L’égalité des armes est assurée : « Les avocats de la défense assurent la défense depuis le début du dossier, et je m’en réjouis personnellement parce que je souhaite avoir en face de moi une défense forte qui puisse assurer les droits des accusés ».
  • Mise en commun des moyens : « Il faut arrêter de fantasmer », dit l’Avocat Général, « le Ministère Public n’est pas l’adversaire de la défense. C’est l’avocat de la loi. il défend l’intérêt général ».
  • Les témoins : « On ferait pression sur eux ? C’est un présupposé ». « Si les témoins sont pris en charge c’est pour assurer l’indépendance de leur témoignage ».

L’Avocat Général termine en demandant à la Cour de rejeter les arguments de la défense, « les victimes ont droit à la tenue de ce procès ».
Après la suspension des débats, pour permettre à la Cour de délibérer, la Présidente annonce que le procès se poursuivra, rejetant ainsi les demandes de la défense.

Maitre Mathe évoque ensuite un nouvel incident, présentant encore une fois ses conclusions tardivement aux parties. Elle invoque alors le problème des deux témoins anonymes cités à comparaitre lors du procès.
Les parties civiles contestent les positions de la défense et après une nouvelle suspension pour délibérer, la Cour rejette les conclusions de la défense.

Suit une lecture indigeste de tous les témoins cités, certains ne s’étant pas manifestés à la suite de leur notification de comparution. Un temps assez long est consacré à la renonciation de Monsieur GUICHAOUA à venir témoigner, ne l’’ayant pas été par le Ministère Public. Ce que toutes les parties regrettent.

La journée se termine par la lecture (résumée) de l’acte d’accusation par la Présidente de la Cour d’Assise :

  • Rappel de la procédure
  • Rappel historique
  • Informations sur l’organisation administrative du Rwanda en 1994
  • Rappel des faits reprochés
  • Lecture des éléments à charge et à décharge
  • Qualifications retenues pour les faits

A la suite de cette lecture, la Présidente s’adresse aux accusés afin de leur demander qu’elle est leur position par rapport aux faits qui leurs sont reprochés. A cela BARAHIRA répond qu’il n’a rien fait, qu’il plaide non coupable, que les témoignages sont des inventions et qu’il avait bien fourni au juge d’instruction tous les éléments montrant qu’il était « victime de calomnie ». NGENZI répond qu’il plaide également non coupable, qu’il « n’a jamais vraiment été incriminé » et qu’il n’est pas « ici pour défendre les génocidaires », que « a pris [au Rwanda] une population innocente » et qu’en tant que bourgmestre il a « tout fait pour l’éviter » mais qu’il a été « incapable de gérer les événements ».
Cette journée s’achève donc sur la dénégation des accusés.

Nous espérons que malgré le retard accumulé durant cette journée, les débats pourront débuter très vite.

Alain Gauthier et Laura Guilabert

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