Procès Ngenzi/Barahira. Mercredi 18 mai 2016. J6.

Audition de monsieur Jean-François DUPAQUIER, journaliste.

En 1972, monsieur DUPAQUIER est au Burundi où se déroule le génocide des Hutu. Il était impossible de dire du mal du président MICOMBERO et à dire vrai, cela n’intéressait personne. Quand il a appris que le FPR était entré au Rwanda par la force le 1 octobre 1990, il a eu très peur et  il dit avoir annoncé que le régime du président HABYARIMANA allait exterminer les Tutsi.

A cette époque-là, monsieur DUPAQUIER est très surpris de lire dans le magazine Kangura « Les 10 commandements des Bahutu« :

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Il connaissait les dégâts que pouvait faire une telle publication. Le président HABYARIMANA  est reçu à l’Elysée  le 3 avril 1991. Lors de la conférence de presse,  monsieur DUPAQUIER évoque la publication de ce document et lui fait remarquer que ce ne serait pas possible en France: » Monsieur, au Rwanda, cela s’appelle la liberté d’expression« .

La France au chevet d'un fascisme africainPlus tard, en 1992, de fausses informations diffusées sur les antennes publiques de Radio Rwanda provoquèrent des massacres massifs de Tutsi. En tant que rédacteur en chef de L’événement du Jeudi, monsieur DUPAQUIER essaie d’informer en publiant un article intitulé « La France au chevet d’un fascisme africain. » Monsieur DUPAQUIER assimile les miliciens Interahamwe aux SS, encadreurs de la jeunesse. Il se rend au Rwanda à plusieurs reprises au Rwanda après le génocide, à cause de l’assassinat de nombreux journalistes, essentiellement tutsi et publie « Les Médias du génocide » avec Jean-Pierre CHRETIEN et Marcel KABANDA. Contrairement à ce qui pouvait être dit, « ce génocide n’était pas un accès de sauvagerie populaire« . Les penseurs sont des intellectuels de haut niveau qui vont vite céder à la propagande dans une campagne de haine.

Questionné par madame la présidente, le journaliste rappelle que sans le président KAGAME personne n’aurait pu empêcher un contre-génocide. Au cours de ses enquêtes, il a pu entrer dans les prisons du Rwanda, il a pu aussi consulter les archives qui étaient toutes en Français. Au début, les rescapés parlaient volontiers mais ils ont fini par se lasser devant les lenteurs de la justice. Quant aux témoins, il a toujours eu le sentiment qu’ils disaient la vérité.

« Si on compare le génocide à un arbre, on peut dire que ses racines sont profondes et remontent jusqu’en 1959« . Après la prise de pouvoir par le président KAYIBANDA, les Tutsi de l’intérieur seront régulièrement victimes de pogroms, chaque fois que des réfugiés tutsi tentaient de revenir par la force. KAYIBANDA avait d’ailleurs menacé de les exterminer tous. Le Tutsi est devenu ‘ »l’ennemi intérieur ». Le massacre des Bagogwe, pasteurs tutsi du Nord, en janvier 1991, est une sorte de galop d’essai, tout comme le seront les massacres du Bugesera en mars 1992. Sur pression de la communauté internationale, Ferdinand NAHIMANA, directeur général de l’Office rwandais d’information (ORINFOR) perd son poste. Il contribuera à créer la RTLM (Radio Télévision Libre des Mille collines) qui, pendant le génocide, était écoutée un peu partout dans le Rwanda, sauf dans certaines zones inaccessibles. Cette radio va pratiquement supplanter tous les médias: « Elle a hypnotisé le Rwanda ». Commerciale au début, il suffisait de verser 5 000 francs rwandais pour en devenir actionnaire. Félicien KABUGA (recherché par le TPIR et toujours en fuite) en sera l’actionnaire principal. Une radio dirigée par le FPR, radio Muhabura, était selon André SIBOMANA, directeur d’une revue catholique, « une radio de propagande ennuyeuse« .

Journal extrémiste Kangura n°6 (décembre 90)
Journal extrémiste Kangura n°6
(décembre 90)

Quant au journal extrémiste Kangura, si ses 15 500 exemplaires (pour le Numéro 6 en tout cas) sont surtout lus à Kigali, « sa diffusion dans le pays est colossale« . Un exemplaire pouvait être lu par 50 personnes et il était même photocopié.

A partir de 1992, se créent des réseaux parallèles dont le plus célèbre est le Réseau Zéro, zéro Tutsi. Lors d’une réunion du 21 novembre 1991 à Buturori, on demande que l’on extermine les Tutsi avant qu’ils n’exterminent les Hutu. 75% des Tutsi présents au Rwanda en 1994 seront tués; ils représentaient environ 13% de la population. C’est d’ailleurs le lendemain de cette réunion que Léon MUGESERA, un idéologue du génocide, prononcera son fameux discours de Kabaya au cours duquel il appelait à renvoyer les Tutsi vers l’Ethiopie en les jetant dans la rivière Nyabarongo. (MUGESERA vient d’être condamné à la prison à perpétuité après avoir été extradé du Canada vers le Rwanda).

La politique des quotas mise en place depuis de nombreuses années limite les ambitions des Tutsi. Sous HABYARIMANA, sur 142 bourgmestres, il y avait 2 Tutsi! Parmi les 1000 personnes les plus importantes au Rwanda, il fallait compter les bourgmestres qui avaient une grande autorité sur la population.

 

Audition de Maître Eric GILLET, avocat.

« Le génocide est le résultat de problèmes irrésolus depuis longtemps« . Ainsi commence l’intervention de Maître GILLET. Trois facteurs importants pour comprendre:

– La révolution sociale de 1959 va produire de nombreux réfugiés Tutsi qui vont migrer vers l’Europe, mais aussi vers les pays voisins dont l’Ouganda. En octobre 1990, ceux d’Ouganda, rassemblés au sein du FPR,  voudront revenir au pays par la force, toutes les tentatives de revenir pacifiquement ayant échoué. Les Tutsi de l’intérieur seront considérés comme des « complices » du FPR, arrêtés en masse et enfermés dans le stade de Nyamirambo, un quartier populaire de Kigali.

– Au Rwanda, il existe une situation de ségrégation permanente. Le Tutsi est marginalisé.

– Avec l’arrivée au pouvoir de Juvénal HABYARIMANA, va s’ajouter une opposition Hutu du Nord contre Hutu du Sud, ce qui va complexifier la donne. La mise en place du multipartisme vers 1992 va voir l’émergence de partis opposés au MRND, mais tous ces partis sont essentiellement hutu.

C’est avec l’arrestation des Tutsi fin 1990 que Maître GILLET sera contacté par un « Comité de défense des droits de l’homme » et il lui sera demandé, en 1991, de défendre des journalistes. En janvier 1993, il est mandaté par la FIDH pour co-présider avec madame Alison Desforges (Human Rights Watch) une Commission d’enquête qui se rendra dans le Nord du pays et à Butare, essentiellement. Cette enquête sera diffusée en mars 1993 et mettra en valeur la chaîne des responsabilités  dans des massacres qui préfigureront le génocide de 1994.

A cette époque, le contrôle sur la population est très serré. Tout Rwandais est membre du MRND dès sa naissance. Les massacres du Bugesera en mars 1992 feront intervenir les miliciens transportés par des bus officiels; l’armée, la police, la gendarmerie ne seront pas en reste. Les miliciens du MRND, les Interahamwe, sont les plus actifs mais chaque parti politique possédera sa milice. Dans ces massacres, Maître GILLET souligne le rôle privilégié des bourgmestres. A Butare, il a retrouvé une abondante documentation écrite composée de sources communales: « La commune est au coeur du dispositif« . Ce qui veut dire que les témoignages ne sont pas les seules sources d’investigation, témoignages qui ont fait l’objet d’une « campagne importante de dénigrement au premier procès de Bruxelles » au printemps 2001. Le témoin ne connaît que peu de choses sur la préfecture de Kibungo, mais on peut supposer que « cela s’est passé d’une façon similaire« , même si le génocide s’est déroulé très tôt dans cette région. et qu’il a d’abord commencé à Kigali où l’on a pris soin d’éliminer les opposants hutu. Et Maître GILLET d’ajouter: » Le génocide s’étend au gré du comportement de la communauté internationale. Comme elle ne réagit pas, le génocide s’étend. » A Kibungo, l’homme fort c’est RWAGAFILITA, « une personne extrêmement influente qui avait repris du service » alors qu’il était à la retraite.

En éliminant les Tutsi, HABYARIMANA veut réunir autour de lui les Hutu divisés par le multipartisme. On multiplie les caches d’armes: le génocide sera mûrement préparé par un groupe de l’entourage d’HABYARIMANA, dont Théoneste BAGOSORA qui, après la signature des accords d’Arusha le 4 août 1993, s’exclamera: » Je vais préparer l’apocalypse« . Cette phrase sera contestée par maître MATHE, avocate de NGENZI : le TPIR ne l’a pas retenue dans la condamnation du « cerveau du génocide ». Maître GILLET lui répond que cela ne veut pas dire pour autant que cette phrase n’a pas été prononcée.

Ce dernier souligne que le génocide devant être déclenché plus tôt, en janvier. Mais  l’armée belge qui avait été prévenue a alors tout fait pour ne pas céder aux provocations.

Maître MATHE, pressée par le temps (monsieur BARAHIRA doit partir pour sa dialyse) se dit « embarrassée ». Elle demande au témoin si la préfecture de Kibungo ne faisait pas partie des préfectures quelque peu délaissées.  Maître GILLET ne le conteste pas. Lui n’a pas enquêté à Kibungo, mais Alison DESFORGES l’a fait. Il rappelle une fois encore le rôle majeur du bourgmestre dans le génocide, lui qui a la confiance absolue du président, même si, « avec l’instauration de l’auto-défense civile en 1994, le bourgmestre sera un peu plus laissé à lui-même« .

Une dernière question de la défense concernant Joseph MATATA qui a témoigné vendredi. « Monsieur MATATA était très pro-FPR à l’époque. Mais on a dû l’écarter comme traducteur lors de nos enquêtes car il ne traduisait pas ce que disaient les témoins » déclare Eric GILLET.

Maître GILLET termine son intervention en reconnaissant qu’il existe actuellement au Rwanda une politique de contrôle des organisations des droits de l’homme. Ce qui ne peut pas déplaire à l’avocate de monsieur NGENZI.

Alain GAUTHIER

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Auditions de Laetitia HUSSON (juriste au TPIR), Ignace MUNYEMANZI, le général Jean VARRET, Michaela WRONG et Erasme NTAZINDA (maire du district de NYANZA). Lecture de l'audition de Jacques SEMELIN.