Procès RWAMUCYO, mardi 1 octobre 2024. J1



C’est à 10h10 que s’ouvre le procès du docteur RWAMUCYO devant la cour d’assises de Paris. Monsieur le président LAVERGNE commence par annoncer que le procès sera intégralement enregistré. Il demande ensuite à l’accusé de venir à la barre pour se présenter. C’est ensuite au tour des trois interprètes de prêter serment.

Il est procédé ensuite à l’appel des jurés avant de passer au tirage au sort. Six jurés titulaires (4 femmes et deux hommes) et six jurés remplaçants (1 femme et 5 hommes). Ces derniers sont invités à leur tour à prêter serment..

Chaque avocat aura ensuite à confirmer la constitution de leurs parties civiles (près de 800 personnes physiques, dont 530 présentées par maître LAVAL, avocat du CPCR.) Va suivre un échange quelque peu tendu entre la défense et l’accusation concernant le versement tardif de pièces que les avocats généraux n’ont toujours pas reçues à l’ouverture du procès. Occasion donnée à maître MATHE, avocate de l’accusé, de déclarer que ce procès ne se déroulera pas sereinement, que les derniers documents versés par l’accusation (2000 pages) ont été versés trop tardivement… Elle demande alors le report du procès pour entendre de nouveaux témoins, ainsi que l’irrecevabilté des parties civiles personnes physiques. Maitre MATHE finit par se plaindre des faibles moyens financiers dont son collègue, maître MEILHAC et elle-même, peuvent disposer. Et d’ajouter que ces moyens n’ont rien à voir avec ceux des parties civiles.

Ce sera au tour de maître MEILHAC de prendre la parole pour se plaindre que les associations parties civiles au début de l’affaire n’ont jamais déposé des demandes de complément d’information. En quoi cela peut-il le déranger, en quoi cela pourrait nuire à son client, ce qu’il ne manque pas de prétendre. C’est pour lui « une situation inacceptable » : d’où sa demande de reporter le procès! Le CPCR est bien sûr déjà quelque peu égratigné.

La parole est donnée aux parties civiles et maître LAVAL commence par dire que « ce procès n’aurait jamais eu lieu si le CPCR n’avait pas déposé plainte contre Eugène RWAMUCYO en 2007″. El l’avocat de s’adresser aux jurés: « Nous allons parler d’un crime de masse qui a fait entre 800 000 et un million de morts en trois mois. Et vous verrez comment ces gens sont morts, découpés, jetés dans des fosses communes et dont on ne retrouvera, lors de l’ouverture de ces fosses plusieurs années plus tard, que des lambeaux de chair et des bouts de vêtements. » Et cela s’est passé tout spécialement à BUTARE où se trouvait RWAMUCYO. Et de poursuivre: « Vous allez devoir vous prononcer sur la responsabilité d’Eugène RWAMUCYO. Qu’est-ce que cela change qu’on ait déclaré tardivement des personnes physiques comme parties civiles? Nous avons établi deux choses: le lien qui existe entre les parties civiles et les victimes et nous avons situé géographiquement l’endroit où les victimes ont été assassinées. De quoi avons-nous besoin de plus? Un tampon sur un document administratif, un tibia? Comment exiger des preuves quand les victimes ont été ensevelies pendant des années? Les personnes physiques ont perdu les leurs. Qu’on ne vienne pas nous demander des arguments scientifiques. » S’adressant à la cour: « Il est inconcevable de déclarer les parties civiles irrecevables. Vous ne le ferez pas! »

Et haussant le ton: « Je me fiche des propos malveillants, tordus sur le CPCR. Il faudrait décréter un complément d’information? C’est le CPCR qui a subi un retard de 17 ans. Mais n’en tenons par rigueur à la justice qui s’est donné beaucoup de mal. Nous nous sommes battus sans relâche pour que ce procès ait lieu. Quelle audace de dire que c’est un procès bâclé! Ce procès a été diligenté dans les normes. »

Les avocats des associations SURVIE et CAURI vont enfoncer le clou. Dire que ce procès serait un poids trop lourd pour l’État français, c’est irrecevable. Les personnes physiques ont le droit de se constituer partie civile jusqu’à la fin du procès. Pourqoi demander un supplément d’information?  « C’est votre cour qui va la faire. D’où l’importance de la preuve testimoniale dans un tel procès. »

Monsieur l’avocat général, Nicolas PERON, revient sur le dépôt tardif des documents versés par la défense et, qu’à cette heure, il n’a toujours pas reçus. Et de demander de rejeter les moyens soulevés par la défense concernant le renvoi du procès: il y a eu de nombreuses commissions rogatoires, l’instruction a été menée de façon tout à fait contradictoire. « L’accusation est le gardien de l’équilibre entre les parties. Il y aurait trop de parties civiles? Seulement 12 ont demandé à être entendues et que les parties civiles ont eu la courtoisie de nous communiquer. Ce qui n’est pas le cas de la défense qui en fait citer 17! Et si nous avons déposé des pièces tardives, elles n’accusent pas monsieur RWAMUCYO. Ces pièces ont vocation à éclairer la cour. » Et d’ajouter, en direction de la défense: « Nous sommes face à une stratégie d’obstruction. Il est temps, après quinze ans d’informations judiciaires, que Eugène RWAMUCYO rende compte de ses actes devant la justice. » Et s’adressant à la cour concernant l’irrecevabilité des parties civiles: « Vous déclarerez irrecevable cette demande de la défense. »

Maître MEILHAC tentera de se justifier quant au fait que l’accusation n’a pas reçu les pièces déposées ce jour. Il en rendrait presque le président responsable dans la mesure où il a utilisé les adresses mail contenues dans les courriels adressés par lui-même aux parties. Monsieur LAVERGNE rétorque à l’avocat que c’était à lui de vérifier les destinataires de ses envois.

Maître MATHE revient à la charge: « Je pars du principe que nous sommes tous de bonne foi. Vous me dites qu’on fait citer des témoins qui n’ont pas été entendus? Je n’ai pas le droit de leur demander ce qu’ils vont dire. On n’a pas le droit de leur parler. Ce reproche est une plaisanterie! »

Il est 13h15. Monsieur le président suspend l’audience qui reprendra à 14h30.

À la reprise, monsieur le président LAVERGNE, dans un exposé clair et parfaitement argumenté, rejette toutes les demandes de la défense et rappelle les motifs des non-lieux partiels ainsi que les faits pour lesquels il est poursuivi: génocide, complicité de génocide, crimes contre l’humanité et complicité de crimes contre l’humanité.

On procède alors à l’appel des témoins. Plusieurs d’entre eux ne seront finalement pas entendus pour différentes raisons. Certains se sont désistés sans qu’on sache vraiment pourquoi, d’autres n’ont pu être joints. Ces désistements vont provoquer un aménagement du planning. Quant à l’épouse de monsieur RWAMUCYO, madame Mamérique MUKAMANANA, elle est priée de quitter la salle: elle ne peut assister aux audiences tant qu’elle n’aura pas été entendue. Maître MATHE aura beau plaider un peu d’humanité de la part du président, ce dernier reste inflexible: « Madame, je vous demande de quitter la salle. » Monsieur LAVERGNE fera toutefois droit à la demande de la défense: Elle sera entendue dès le lendemain à 17 heures.

Monsieur LAVERGNE se lance alors dans la lecture du rapport qui concerne les faits reprochés à l’accusé. Il commence par évoquer la plainte du CPCR en 2007 et procède à un long historique allant de la colonisation à la fin du génocide. Il insiste sur les massacres commis dans la préfecture de BUTARE, la plus impactéée par le génocide (un quart des victimes vivaient dans cette préfecture). Il poursuit en parlant du CV de l’accusé et donne lecture des faits retenus pour poursuivre Eugène RWAMUCYO. L’accusé est poursuivi pour l’enfouissement des corps, leur dissimulation pour permettre la poursuite du génocide, la participation à un groupement formé en vue de commettre et poursuivre le génocide. C’est aussi en tant qu’idéologue que monsieur RWAMUCYO est poursuivi: référence à son discours, le 14 mai 1994, lors de la visite du premier ministre Jean KAMBANDA venu demander aux intellectuels de se mobiliser. L’accusé demande à son tour à ses collègues de soutenir les efforts du gouvernement intérimaire génocidaire.


Audition de monsieur François DELBAR, auteur d’un rapport sur la personnalité de l’accusé.

Le témoin, dans un long exposé, va évoquer la personnalité de monsieur RWAMUCYO: sa jeunesse et son milieu familial, son parcours scolaire (en 1973, l’accusé a été renvoyé de l’établissement scolaire qu’il fréquente « pour avoir fomenté des troubles entre Hutu et Tutsi. »), son éducation religieuse (il entrera au grand séminaire de NYAKIBANDA mais le quittera rapidement), ses études en Russie où il rencontrera celle qui deviendra son épouse, son retour au Rwanda en 1992 et sa fuite au Zaïre en 1994 où il deviendra coordinateur des soins pour plusieurs ONG, et ce, de août à novembre. Se disant menacé, il va rejoindre la Côte d’Ivoire jusqu’en 1999. Arrivé en France, il sera accueilli par la Communauté du Chemin Neuf. Pour se rapprocher de sa famille qui vit en Belgique, près de MONS, il va travailler plusieurs années au Centre anti-poison de Lille (NDR. C’est là que le CPCR le retrouvera au début des années 2000). Il travaillera ensuite à l’hôpital de Maubeuge d’où il sera licencié après avoir fait des remarques désobligeantes à une infirmière. Tous ceux qui ont été entendus par monsieur DELBAR évoquent un homme « efficace, dévoué, très intelligent, toujours prêt à assurer le remplacement de ses collègues, très bon médecin, apprécié de tous (en particulier dans la communauté du Chemin Neuf), ouvert, calme, sociable, travailleur…. Son frère affirme qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, sa fille reconnaîtra toutefois qu’il est têtu et qu’il ne prend pas des gants pour dire les choses. » Son ami Jacques DUQUESNE ira jusqu’à dire que « RWAMUCYO avait une mentalité de Hutu, servile, prêt à faire tout ce qu’on lui demande! » (NDR. Remarques racistes peu élogieuses qui rappellent la définition donnée par les colonisateurs. Étonnant tout de même de la part d’un médecin. »)

Monsieur le président va ensuite questionner longuement le témoin avant de passer la parole aux parties civiles. C’est encore maître LAVAL qui intervient pous s’étonner que monsieur RWAMUCYO qui séjournait à BUTARE pendant le génocide, ville jonchée de cadavres, n’ait jamais exprimé le moindre sentiment devant un tel spectacle. « Il est au cœur d’un enfer et ne l’évoque pas? »

L’avocate générale, madame Julie PÉTRÉ, interroge le témoin sur sa méthodologie lors de l’entretien qu’il a eu avec l’accusé. Cette rencontre a duré de deux à trois heures. Il a aussi entendu, par téléphone, les personnes que monsieur RWAMUCYO lui désignait. Lui-même avait connaissance de quelques faits contenus dans le dossier.

Monsieur Nicolas PERON voudrait avoir des éclaircissements sur la déclaration de l’épouse de l’accusé qui avait déclaré qu’elle n’avait pas d’ethnie. Le témoin n’a pas d’explication, si ce n’est de faire comprendre que son mari était Hutu?

La parole est ensuite donnée à la défense. Maître MEILHAC souhaite rappeler les propos de monsieur MENNECIER, le directeur de l’hôpital de Maubeuge concernant le licenciement de l’accusé: « J’ai du prendre des décisions contraires à mon éthique… on a bafoué le droit… il y a eu présomption de culpabilité. » Son client « avait horreur de l’injustice et il vit sa situation comme une injustice. »

A 19h17, monsieur le président suspend l’audience sans avoir eu le temps d’interroger l’accusé concernant le rapport du témoin.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT pour la mise en page et les notes.

 

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Fin de l'audition de Mamérique MUKAMUNANA, épouse de l'accusé. Auditions d'Alain VERHAAGEN et Hélène DUMAS.