Affaire Nsengiyumva (suite)

Compte-rendu d’audience du mercredi 4 juillet 2102.

Étrange ambiance ce mercredi 4 juillet au TGI de Paris. Une nouvelle fois monsieur Nsengiyumva Rafiki est convoqué par la justice française dans le cadre de la demande d’extradition dont il fait l’objet de la part de la justice rwandaise. Une décision doit être enfin rendue. Arrive-t-on à la fin d’une saga qui n’a pas manqué de rebondissements depuis plusieurs mois, avec en particulier la « perte » du dossier ? Le couloir qui mène à la salle d’audience est étroitement surveillé par des gendarmes plus nombreux qu’à l’ordinaire. Alors que j’arrive avec une journaliste de France 2 et son cameraman, on se voit gentiment « refoulés » : un gradé nous explique qu’aucune caméra ne peut s’approcher de la salle. Je tente naïvement de demander si c’est nouveau : on nous rétorque qu’il y a longtemps que c’est ainsi. Après avoir donné une courte interview à la journaliste, je me rends dans la salle d’audience. Nouvel étonnement : alors que d’habitude la porte est fermée et que personne ne peut entrer s’il n’y a pas de place assise, les battants sont restés grandement ouverts et beaucoup de gens sont debout. J’arrive à m’introduire et doit tendre l’oreille pour entendre les propos de Madame Boizette, la présidente. La séance est en effet déjà ouverte et monsieur Nsengiyumva est debout devant les magistrats. J’apprends alors qu’un nouveau complément d’information est demandé et que la prochaine séance ne se tiendra pas avant trois mois. On nous avait annoncé une « décision » pour aujourd’hui !!!

Plusieurs demandes sont faites, et tout d’abord à la justice rwandaise :

  • Le Rwanda doit fournir une nouvelle demande d’extradition en bonne et due forme distincte de l’acte d’accusation. Il lui est demandé de donner également copie d’un certain nombre de textes de lois ainsi que la copie des actes motivant la prescription des faits (il faut dire que la voix de Madame Boizette est à peine audible et qu’il est assez difficile de comprendre exactement de quoi il s’agit : d’où l’imprécision qui peut se dégager des propos que je rapporte).
  • La présidente veut également savoir si l’affaire qu’elle traite relèverait de la Haute Cour de Justice au Rwanda, quelle peine monsieur Nsengiyumva pourrait encourir s’il était extradé, s’il est vrai qu’une peine de 20 ans d’isolement sans amnistie possible existe bien et quelles sont les modalités de contrôle (international, je pense), si une condamnation était prononcée au Rwanda.

Les autres demandes sont adressées à la justice française :

  • De la part du Ministère de la Justice, madame la présidente veut savoir quel est l’état de ratification de plusieurs conventions internationales au 1 janvier 1994, ainsi que la liste des pays qui les auraient ratifiées au sein des Nations Unies.
  • Demande devrait être faite à l’OFPRA pour savoir si monsieur Nsengiyumva aurait déposé une demande de statut de réfugié auprès de cette instance.
  • Enfin, madame Boizette voudrait également savoir si monsieur Nsengiyumva est sous le coup d’une poursuite judiciaire en France… Étonnant tout de même : comment peut- elle ignorer que le CPCR a déposé le 6 janvier dernier une plainte avec constitution de partie civile contre monsieur Nsengiyumva auprès du « pôle d’enquêteurs spécialisés pour crimes contre l’humanité », pôle qui est entré en fonction le 15 décembre 2011 ?

Madame Boizette annonce alors que la prochaine audience dans cette affaire est fixée au 24 octobre 2012.

Je quitte la salle pour rejoindre les deux journalistes de France 2 et attendre la sortie de monsieur Nsengiyumva qui, nous précise-t-on, ne peut que sortir par l’endroit où nous nous trouvons. Un des gendarmes veut savoir qui je suis et je réponds avec courtoisie à ses questions. Monsieur Nsengiyumva tarde à sortir mais on nous fait savoir qu’il est retenu par des journalistes de la presse écrite (je n’avais pas l’impression qu’il y en ait beaucoup !). Au bout d’un temps assez long, on voit un certain nombre de gendarmes quitter les lieux, dont le « gradé » qui nous avait accueillis. Apparemment tout est terminé, monsieur Nsengiyumva ne devrait pas tarder. Mais monsieur Nsengiyumva n’arrivera jamais : il est sorti par une porte dérobée.

Faut-il pleurer ? Faut-il en rire ? Toujours est-il que trop c’est trop. Nous avons eu le sentiment de nous faire mener en bateau par les gendarmes présents au TGI de Paris. D’autre part, le nouveau complément d’information demandé par madame Boizette était-il vraiment indispensable ? Les magistrats français n’avaient-ils pas suffisamment d’éléments pour prendre aujourd’hui une décision ? Il s’agit bien là d’une nouvelle manifestation des lenteurs d’une justice dans laquelle nous avons du mal à nous reconnaître, une justice qui devrait être au service des victimes et qui, trop souvent, dans le cadre du génocide des Tutsi, semble se placer du côté des bourreaux.
Combien de temps allons-nous pouvoir supporter cette situation ? 

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