Plaidoirie de Maître Reingewirtz pour la LICRA.

Plaidoirie de Maître Reingewirtz, pour la LICRA.

Maître Reingewirtz commence par rappeler que la LICRA était présente au procès de Nuremberg en la personne de Joseph Kessel. Les dignitaires nazis passaient pour « de bons pères, de bons maris, ils niaient tout en bloc, n’avaient jamais un regard pour les victimes… » Etranges ressemblances avec les présumés génocidaires rwandais ! Il s’agissait de juger les organisateurs. C’est alors qu’a été reconnue la notion de « crime imprescriptible » comme garde-fou : plus jamais ça !

En rappelant la fameuse expression de Staline, un connaisseur en crimes de masse : « La mort d’un homme est une tragédie, la mort d’un million est une statistique », l’avocat de la LICRA va affirmer qu’il existe des points communs à tous les génocides. Et de rappeler que « ce n’est pas le nombre de victimes qui fait un génocide, mais la façon dont elles sont mortes »

Plus, il existe la « solitude du rescapé, sa culpabilité d’en être revenu », solitude qui peut conduire au suicide (Primo Levi, ndlr). Dans un génocide, on assiste à une « inversion des valeurs : « Le Tu ne tueras point devient Vous devez tuer. » Pour faire le Bien, « il faut se débarrasser des Tutsi. » Le fait qu’il n’existe chez le bourreau aucune empathie, cela favorise le crime de masse.

Maître Reingewirtz va alors se lancer dans une implacable démonstration en soulignant l’existence de cinq principes récurrents dans un génocide :

–          Le Tutsi est tué parce qu’il est né Tutsi, après qu’on l’eut animalisé, déshumanisé. Simbikangwa fait partie des encadreurs, des professionnels. Il a de l’autorité à l’intérieur et à l’extérieur du système. Aigri par son accident et ses conséquences, Simbikangwa n’est pas là pour arrêter le génocide. Déçu par sa femme tutsi partie avec le chauffeur, déçu par le multipartisme qui oblige à partager le pouvoir, il ne lui reste plus qu’à servir : « La fierté de souffrir pour mieux servir » comme il le rappellera dans son livre L’Homme et sa croix. Le moment venu, Simbikangwa reprendra ce qu’il sait faire : commander, encadrer.

–          « Aucun témoin ne doit survivre », il ne faut pas laisser de traces, enlever les corps pour que les étrangers ne les voient pas : « On ne saura plus à quoi ressemblait un Tutsi. » D’où la difficulté de trouver des témoins. Simbikangwa a utilisé son autorité et après vingt ans de cavale, il connaît la stratégie : tout nier, son nom, ce qu’il a fait, ce que les autres ont fait… pas de cadavre, pas de génocide. Simbikangwa a construit son identité sur un déni et comme tout manipulateur, il est incapable de dire oui ou non. Les images de cadavres ? «  C’est la propagande américaine, ce sont les cadavres du FPR ! » Et Simbikangwa va multiplier les contradictions et les incohérences : cabale montée contre lui au Rwanda, avalanche de mensonges… Simbikangwa est un génocidaire et un menteur.

–          Inversion des valeurs et victimisation des génocidaires. La seule victime, c’est lui. Il éprouve une haine viscérale pour les femmes, les femmes tutsi. Ce qu’il déteste chez les Gauthier, c’est

la femme tutsi, conformément aux Dix commandements des Bahutu :

  • Commandement 1 : « Tout Hutu doit savoir qu’une femme tutsi, où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi… »
  • Commandement 8 : « Les Bahutu doivent cesser d’avoir pitié des Batutsi. »

Tout est de la faute d’Ibuka. D’où le discours victimaire de Simbikangwa. Et l’avocat de citer PASCAL, le penseur français : « Jamais on ne fait le mal si pleinement que quand on le fait en conscience. » Le sauvetage du jeune Gahamanyi, ce n’est pas un acte d’héroïsme ; Simbikangwa ne prend aucun risque, il n’est ni un juste, ni un sauveur. C’est simplement pour pouvoir se justifier après le génocide. Avoir un Tutsi avec lui pendant tout le génocide, c’est une sorte de sauf-conduit pour le cas où le FPR le croiserait sur sa route.

–          L’oubli ou la justice. Pour Maître Reingewirtz, « l’antonyme de l’oubli, ce n’est pas la mémoire, c’est la justice. » Et de citer la phrase d’Hitler en 1939 : « Qui se souvient du génocide des Arméniens ? »

Pour conclure, l’avocat de la LICRA va déclarer qu’il « espère que ces victimes ne sont pas mortes pour rien. » Et s’adressant aux jurés : « Votre jugement aura une portée historique. » On aurait attendu un regard, un geste de Simbikangwa. On attend toujours et on risque d’attendre longtemps. Et de citer Primo LEVI : « Même si quelques-uns en réchappent, le monde ne les croira pas ! »

Commentaire du rédacteur de cette synthèse :

C’est bien là tout l’enjeu et les limites du témoignage. Si l’on veut pourtant que justice soit rendue, il faut que les témoins courent le risque de ne pas être crus. La justice a besoin des témoins.

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