- Audition de Jean-Damascène MUNYANEZA, détenu.
- Audition de Jean de Dieu BIRIGANDE, partie civile.
- Audition de Jean-Paul RWIBASIRA, partie civile.
- Audition de Régine WAINTRATER, psychologue clinicienne.
Audition de monsieur Jean-Damascène MUNYANEZA, détenu à la prison de Karubanda, HUYE. En visioconférence.
L’audience débute à 9h00. Il va être procédé à l’interrogatoire de Jean-Damascène MUNYANEZA en visioconférence, accompagné d’un interprète. L’intéressé a été condamné par les juridictions Gacaca[1] de MUKURA et TUMBA à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, pour avoir perpétré des massacres dans le cadre du génocide. Il est actuellement emprisonné à la prison de HUYE à BUTARE.
Interrogatoire de Jean-Damascène MUNYANEZA
Sur question du président, le témoin indique ne pas avoir de lien de parenté avec Sosthène MUNYEMANA et précise spontanément qu’ils ont “commis des crimes ensemble”.
Le président demande à Jean-Damascène MUNYANEZA de réaliser des déclarations spontanées sur les faits reprochés à l’accusé, et d’indiquer à la cour ce qu’il sait.
J.-D. MUNYANEZA déclare “Sosthène MUNYEMANA a organisé des réunions avec ses collègues, des réunions qui ont conduit à la commission du génocide. Sosthène MUNYEMANA a participé à plusieurs attaques différentes. Il a participé à des attaques différentes dans la ville de Butare. Il a incité les interahamwe à tuer les Tutsis. C’est tout ce que je sais de lui”.
Question du président : En 1994, étiez- vous Hutu ou Tutsi ?
Réponse : Je suis Hutu.
Question du président : Avez vous, vous-même, été jugé ou condamné pour des faits en lien avec le génocide des Tutsi ? Et si oui, pouvez-vous nous dire ce qui vous a été reproché et ce pourquoi vous avez été déclaré coupable ainsi que la peine qui vous a été infligée.
Réponse : Oui je suis condamné pour le crime de génocide. J’ai été accusé d’avoir participé à différentes attaques, d’avoir tué les Tutsi et de viols. J’ai été condamné à perpétuité.
Question du président : Dans les faits qui vous sont reprochés, vous avez évoqué dans votre audition du 16 mars 2010 avoir livré des membres de votre propre famille du côté de votre mère – et à l‘exception de celle-ci afin qu’ils soient tués. Le confirmez-vous ?
Réponse : Non, je n’ai jamais livré les membres de ma famille pour être tué. Je suis Hutu, à l’époque ceux qui étaient tués étaient des Tutsi, donc je ne pouvais pas livrer les Hutu. Par contre, j’ai livré les membres de la famille de ma mère. Car moi je suis Hutu par le lignage patrilinéaire, donc je suis Hutu.
Question du président : Vous avez indiqué faire partie des Interahamwe[2], le confirmez-vous ?
Réponse : Je le confirme.
Question du président : Pouvez-vous expliquer ce qu’est un Interahamwe, comment on intègre cette milice, et qui en faisait partie ?
Réponse : Un interahamwe était quelqu’un qui a été incité à la haine contre les Tutsi. Les Hutu formaient et incitaient à la haine contre les Tutsi. Je précise que les Hutu ont été intégrés aux Interahamwe pendant la période du multipartisme. Ça s’est fait de la même façon que pour les gens qui se faisaient intégrer au FPR[3].
Question du président : Est-ce que les interahamwe étaient liés, dans un premier temps, uniquement au MRND[4] ou bien était-ce à plusieurs bords politiques ?
Réponse : Je vous précise que la jeunesse provenait de différents partis politiques, ça pouvait être du MDR[5], de la CDR[6] et du PSD[7].
Question du président : Est-ce qu’il y en avait sur tout le territoire rwandais, et notamment à BUTARE dès le début des années 90 ?
Réponse : Au début de l’attaque du FPR contre le Rwanda, les chefs comme Sosthène MUNYEMANA et ses collègues ont commencé à recruter les Interahamwe pour lutter contre les envahisseurs.
Question du président : C’est la première fois que monsieur MUNYANEZA fait part de ce recrutement d’Interahamwe. Vous ne l’avez pas indiqué dans vos précédentes déclarations en mars 2010 et en mars 2011. Etes vous sûr de cela ?
Réponse : Je suis sûr de ça. Et j’ajoute que je réponds strictement aux questions qui me sont posées.
Question du président : À quel parti politique avez-vous adhéré en 1993, et particulièrement entre avril et juillet 1994 ?
Réponse : J’étais du MRND.
Question du président : Avez-vous déjà basculé sur le MDR[8] ?
Réponse : Non.
Question du président : Vous aviez fait mention de ce passage du MRND au MDR dans votre audition. Confirmez-vous que vous avez été, comme toutes les autres personnes, recruté chez les Interahamwe, formé au maniement des armes à feu – et notamment la Kalachnikov – par les militaires de l’armée rwandaise ?
Réponse : Oui.
Question du président : On sait que vous exerciez la profession de menuisier quand vous étiez à BUTARE. Etiez-vous présent à NGOMA durant la période du génocide et où habitiez vous ?
Réponse : Je suis natif de la commune de NGOMA. Et pendant toute la période du génocide, j’étais là.
Question du président : À quelle occasion avez-vous rencontré pour la première fois l’accusé ?
Réponse : J’ai rencontré Sosthène MUNYEMANA la première fois chez lui, dans sa maison. J’étais allé lui préparer un placard, c’était pendant le meeting politique.
Question du président : Pouvez-vous dater la réalisation de ce placard ?
Réponse : Je ne peux pas me souvenir de la date parce que ça fait déjà plusieurs années qui se sont écoulées. Mais c’était pendant la guerre, avant le début du génocide.
Le président indique à la cour que selon l’audition du témoin, c’était dans les années 1991.
Réponse : C’est fort possible, ça fait longtemps.
Question du président : Vous avez évoqué votre rencontre à des fins professionnelles, mais aussi politiques. À quelle occasion, dans le cadre politique ? À quel parti adhère Sosthène MUNYEMANA ?
Réponse : Je pense qu’il était du parti MDR.
Question du président : Dans votre souvenir était-il actif, avait-il un rôle important ou était-ce un simple adhérent ?
Réponse : Il avait un rôle à jouer dans ce parti MDR. Chez lui, il faisait la distribution des chapeaux et des cartes du MDR. Et j’ajoute quelque chose : pendant le génocide, il a participé à une réunion qui préparait le génocide. Elle s’est tenue chez le président SINDIKUBWABO[9], à côté de mon atelier. Autre chose : il a participé à une réunion avec GAKWAYA Venant qui s’est tenue à l’endroit nommé SANTE RANGO, et durant laquelle ils ont demandé aux Hutu de se séparer des Tutsi.
Question du président : Sosthène MUNYEMANA était-il un modéré ou un power[10] ?
Réponse : Sosthène MUNYEMANA était un power.
Question du président : Est-ce que vous vous souvenez de la première réunion et de la date ?
Réponse : Je ne peux pas me souvenir de la date de cette première réunion parce que ça fait longtemps. Mais elle s’est tenue autour du secteur de TUMBA, durant laquelle les dirigeants incitaient la jeunesse à adhérer aux Interahamwe, en vue de lutter contre l’ennemi, qui était à ce moment-là les Tutsi.
Question du président : Vous souvenez-vous d’une réunion avec le président SINDIKUBWABO à laquelle Sosthène MUNYEMANA aurait participé ?
Réponse : Oui je m’en souviens, c’était le 19, un mardi.
Question du président : Confirmez-vous que Sosthène MUNYEMANA était présent et savez-vous ce qu’il a dit ou fait durant cette réunion ?
Réponse : Je le confirme. Lors de cette réunion, il s’agissait de la formation du comité de crise où ils ont dit qu’il fallait mettre ensemble les Tutsi, et comment les remplacer par les Hutu. Sosthène MUNYEMANA, à ce moment-là, a parlé de l’emplacement des Tutsi qui ont été tués.
Le président donne lecture d’une partie de l’audition du témoin du 16 mars 2010.
Question du président : Connaissez-vous le rôle de Sosthène MUNYEMANA dans les comités de crise, les comités de pacification et les comités de sécurité ?
Réponse : En sortant de la réunion qui s’était tenue chez SINDIKUBWABO, Sosthène MUNYEMANA a mené la réunion au centre de santé de RANGO. Il a établi une liste de gens à éliminer.
Question du président : Est-ce que Sosthène MUNYEMANA, à votre connaissance, a participé à d’autres réunions et d’autres comités tout au long du génocide ?
Réponse : Le comité de crise a été organisé à partir de la réunion chez SINDIKUBWABO. Il a peut-être participé à d’autres réunions quand on était occupé par d’autres faits.
Question du président : Avez-vous vu Sosthène MUNYEMANA avec le gouvernement intérimaire ?
Réponse : Je l’ai vu de mes propres yeux, avec le cousin de mon père Édouard KAREMERA, qui était le président du PSD dans la ville de BUTARE. Je l’ai vu une fois avec le président du parti CDR nommé Siméon REMERA. Je l’ai vu aussi avec l’agronome RUGANZU, avec qui il dirigeait au sein du parti MDR. Je l’ai vu avec des burundais du parti FRODEBU, avec qui il a participé aux réunions de préparation du génocide avec SINDIKUBWABO. Je l’ai vu avec des officiers militaires dont le major RUTIGANDE. Je l’ai vu aussi avec le représentant des commerçants GAKWAYA Venant (alias Sukunde/sekunde), qui était chargé d’élaborer des listes des Tutsi commerçants à tuer. Je l’ai vu avec d’autres représentants de partis politiques, notamment Béatrice MUNYENYEZI avec sa belle-mère[11].
Question du président : Avez-vous vu Sosthène MUNYEMANA avec des ministres du gouvernement intérimaire ?
Réponse : Oui, je l’ai vu le ministre STRATON.
Question du président : Quel rôle selon vous, avait Sosthène MUNYEMANA lors des comités de sécurité, de crise et de ronde ? Pouvez-vous l’expliquer ?
Réponse : Sosthène MUNYEMANA faisait partie de ceux qui rédigeaient les règles et régissaient ces comités.
Question du président : À quoi servaient ces comités ?
Réponse : Je vais vous expliquer ce qu’est le comité de crise. Le comité de crise était chargé de l’identification des dirigeants Tutsi à tuer, pour pouvoir les remplacer par les Hutu. Ce comité de crise renfermait d’autres options d’administration. C’est comme ça que s’était bâti.
Question du président : Et les comités de rondes ?
Réponse : Le comité de ronde était chargé de nommer les chefs qui devaient contrôler le fonctionnement des barrières dans la ville de BUTARE.
Question du président : Sosthène MUNYEMANA et vous-même avez-vous fait partie du comité de ronde ?
Réponse : Moi je faisais partie de ceux qui gardaient les barrières et faisaient les patrouilles nocturnes. Et Sosthène MUNYEMANA faisait partie des chefs qui s’occupaient de la supervision.
Question du président : Que pensez-vous des déclarations qui disent que les barrières ont été mises en place au début dans un objectif de sécurité, et que c’est par la suite qu’elles ont été détournées de leur but ?
Réponse : Je ne suis pas d’accord avec vous, les barrières ont été dressées pour barrer la route aux Tutsi qui voulaient se réfugier vers le Burundi. Et si l’objectif des barrières n’était pas de tuer les Tutsi, pourquoi avons-nous commencé par brûler leurs maisons ? À la barrière, il fallait demander les cartes d’identité des Tutsi, et nous les regroupions à côté de la barrière. Et une fois nombreux, on allait les tuer. Les fosses communes où nous les jetions sont bien connues.
Question du président : Avez-vous, vous-même, tué des Tutsi à ces barrières et jeté leurs corps dans les fosses ?
Réponse : Oui, j’en ai tué.
Question du président : Sosthène MUNYEMANA était-il présent durant les rondes, aux barrières et l’avez vous vu jouer un rôle dans le meutrte de Tutsi ?
Réponse : Je l’ai vu moi-même, et il a joué un rôle dans la mise à mort des Tutsi.
Question du président : Pouvez-vous donner des précisions, et nous dire ce que vous avez vu de vos propres yeux ?
Réponse : D’abord, je précise que Sosthène MUNYEMANA participait aux réunions qui préparaient le génocide à BUTARE. Ce que j’ai vu de mes propres yeux, c’est d’abord pendant la réunion tenue à SANTE RANGO, où il était avec ses collègues. Il a incité les Hutu à se séparer des Tutsi, ennemis du pays. Personnellement, je l’ai vu tuer des domestiques et le chien de monsieur DEO. Il les a tués au moyen de son pistolet.
Question du président : Vous avez été entendu sur ce point. D’autres témoignages, comme celui de Thomas BAVAKURE, donnent des versions différentes. Des versions selon lesquelles Sosthène MUNYEMANA n’était pas là, et que ce sont les militaires qui les ont tués. Qu’en pensez-vous ?
Réponse : Sosthène MUNYEMANA faisait partie de cette attaque-là et il a commis le génocide avec nous. On était ensemble avec Sosthène MUNYEMANA. Lors de ce témoignage, il ne dit pas tout compte tenu des relations avec les membres de la famille de Sosthène MUNYEMANA. Je précise que très récemment il y a eu un cousin de Sosthène MUNYEMANA qui est venu rendre visite à Thomas BAVAKURE dans la prison, et je précise que son cousin a acheté une moto taxi au fils de BAVAKURE Thomas.
Question du président : Comment s’appelle ce cousin ?
Réponse : Je ne connais pas son nom de famille, je ne connais que son surnom BINTU.
Question du président : Avez-vous plus de précision sur ce BINTU ?
Réponse : À l’époque des faits, BINTU habitait à TUMBA. Et comme je suis en prison, je ne peux pas savoir où il se localise pour le moment. Je précise qu’après le génocide, les membres de la famille de Sosthène MUNYEMANA ont évité TUMBA pour éviter d’être poursuivis.
Question du président : S’agissant de ce que vous avez constaté, avez-vous vu physiquement Sosthène MUNYEMANA présent, soit dans des barrières soit faire des rondes ?
Réponse : Oui, je l’ai vu.
Question du président : Êtes-vous au courant de l’existence du bureau de secteur de TUMBA ? Si oui, pendant la période du génocide, qui avait la clef du bureau de secteur ?
Réponse : Je sais bien où se trouvait le bureau de secteur de TUMBA, et Sosthène MUNYEMANA faisait partie de ceux qui gardaient les clefs du bureau de secteur de TUMBA. J’ajoute que cela est dû au fait que le conseiller François BWANAKEYE a quitté ses fonctions.
Question du président : Que se passait-il dans le bureau de secteur ? Certaines personnes y ont été enfermées par Sosthène MUNYEMANA, étiez-vous au courant ? Était-ce pour les protéger ou à d’autres fins ?
Réponse : Je sais qu’il y avait des gens enfermés dedans, et je connais quelques noms. Ils ont été enfermés pour faciliter la tâche aux tueurs, pour les tuer sans qu’ils puissent s’échapper. Et c’est pour cette raison que François BWANAKEYE a été limogé et qu’il a remis ses clés.
Question du président : Les Interahamwe savaient-il que les gens étaient enfermés dans le bureau du secteur ?
Réponse : Oui.
Question du président : Les Interahamwe avaient-ils évoqué ou savaient-ils qu’ils étaient enfermés pour être protégés et pas tués ?
Réponse : Non ce n’était pas pour leur sécurité, c’était pour pouvoir les tuer facilement.
Question du président : Imaginons que les Interahamwe, dont vous faisiez partie, aient été informés que les Tutsi étaient enfermés dans le bureau de secteur pour être protégés. Quelle que soit la personne qui aurait fait ça, quelle aurait été la réaction des Interahamwe ? La porte du bureau fermée était-elle suffisante pour les empêcher d’entrer s’ils l’avaient voulu ?
Réponse : Pour répondre au premier volet de la question, c’est que cette imagination dont vous parlez ne peut pas être fondée, car c’est nous-mêmes qui les mettions dans le bureau de secteur.
Question du président : Donc pour vous, il est inimaginable que des personnes les aient mises là pour les protéger ?
Réponse : Non c’est inimaginable : ils étaient destinés à être tués.
Question du président : Imaginons que Sosthène MUNYEMANA décide, comme il l’a dit, de protéger des personnes pour qu’elles ne soient pas tuées. Et que vous, Interahamwe, vous l’appreniez et sachiez que ces personnes n’avaient pas vocation à être tuées mais protégées. Avec le fait que ce soit Sosthène MUNYEMANA qui ait pris cette décision, auriez-vous pu aller à l’encontre de cette décision ?
Réponse : Cette supposition ne peut pas non plus avoir lieu, parce que lors de la formation du comité de crise, l’objectif principal était d’abord de piller les biens des Tutsi. Traquer les Tutsi, détruire complètement leurs liens, puis les rassembler quelque part pour les tuer. Donc cela ne peut pas avoir lieu.
Question du président : Sur les armes, avez-vous déjà vu Sosthène MUNYEMANA avec une ou plusieurs armes ?
Réponse : Je ne sais pas ce que vous voulez dire par arme. Parce qu’en général, un homme chez lui ne peut pas vivre sans arme. Il peut avoir une grenade, une machette et une hache. C’était des armes qu’on pouvait avoir chez soi à la maison. Moi je l’ai vu avec un pistolet, mais je sais pas de quel type d’arme on parle.
Question du président : Dans votre audition, vous avez évoqué ce pistolet. Cela vous dit-il quelque chose ?
Réponse : Il avait un pistolet, c’est vrai. Et je précise que pendant le multipartisme, il ne pouvait pas ne pas posséder d’armes, vu l’échelon national dans lequel il se trouvait.
Question du président : Est-ce qu’on vous a ouvert la porte du bureau du secteur ?
Réponse : D’abord, nous avons attaqué le village de Tutsi à RANGO et nous avons attaqué les Tutsi. Nous les avons conduit au bureau du secteur pour les enfermer dedans.
Question du président : Était-ce ceux passés par la « maison 60 » de TUMBA ?

Réponse : Non. Ce dont je parle, sont ceux que nous avons attrapés dans leurs maisons respectives. Et une fois arrivés au bureau de secteur, c’est Sosthène MUNYEMANA qui nous a ouvert les portes du bureau de secteur pour les faire entrer.
Question du président : Est-ce que c’était pour les protéger ou à d’autres fins ?
Réponse : Ce n’était pas pour les protéger, c’était en vue de les tuer ensemble sans difficultés. La preuve, c’est qu’aujourd’hui ils ne sont plus en vie.
La parole est à la cour.
La cour demande au témoin de confirmer sa condamnation, ce qu’il fait. À la question de savoir s’il existait des conflits antérieurement au génocide, entre le témoin et Sosthène MUNYEMANA, celui-ci répond par la négative. Sur question de la cour, Jean-Damascène MUNYANEZA explique avoir été présent lors de la réunion du secteur de TUMBA, laquelle était organisée autour d’un pique-nique. Il précise avoir rencontré Sosthène MUNYEMANA plus d’une dizaine de fois. Il explique qu’il y a eu plusieurs réunions qui se tenaient occasionnellement, et qui visaient la réunification des jeunes du MRD, du MDR et du PSD.
Sur question de la cour, Jean-Damascène MUNYANEZA confirme que “Sosthène MUNYEMANA supervisait et donnait des instructions pour éviter que les Hutu ne se tuent entre eux à la suite des pillages”. Il explique que “les instructions données sur cette problématique proviennent du fait qu’inciter un Hutu au pillage implique d’abord le massacre des Tutsi, qui étaient ensuite pillés après avoir été tués”.
(NDR : Il arrivait que les Hutu s’entretuent pour partager les biens provenant de ces pillages).
Le témoin confirme ensuite à la cour, d’une part que Sosthène MUNYEMANA a donné à l’assistant du bourgmestre, un dénommé COBRA, une liste de Tutsi à éliminer. D’autre part, que Sosthène MUNYEMANA était présent lors d’une tuerie intervenue le 22 avril 1994, mais qu’il ne sait pas s’il y a participé activement.
À la question de savoir combien il y avait de personnes, le témoin répond qu’il y avait “plusieurs attaquants, je ne sais plus le nombre”. Il précise spontanément que “Sosthène MUNYEMANA était le chef de cette attaque”.
À la question de savoir pour quelle(s) raison(s) ils (les tueurs) n’ont pas tout de suite tué les Tutsi qui transitaient par le bureau du secteur, le témoin explique qu’il “y avait une fosse où nous devions les jeter”. Et précise que “c’était une instruction qui avait été donnée, qu’il fallait un temps précis pour les tuer puis les jeter au même moment dans la fosse. Sosthène MUNYEMANA nous avait dit de dire à qui que ce soit qui nous poserait la question de savoir où sont les Tutsi, de dire qu’on les avait envoyé à KINIHIRA”.
(La signification du mot “KINIHIRA” sera donnée par la suite par le témoin, sur question des avocats de la partie civile).
L’audience est suspendue à 10h40 et reprend à 10h55.
À la question de savoir quelles sont les victimes du bureau du secteur que le témoin connaît, celui-ci cite notamment : James BIGIRA, GASIRABO, Faustin KANYABUGOYI, Ernest GASARABWE fils de James ITIRA et Théodore NKESHIMANA. Il précise qu’il estime entre 120 et 200 le nombre de personnes ayant transité par le bureau de secteur et ayant été tuées.
Jean-Damascène MUNYANEZA explique ensuite que le mot “KINIHIRA” a été choisi à l’époque parce que c’était “le lieu de provenance des Inkotanyi[12]”. Il précise que cette expression était “à la mode” car à l’origine c’était le lieu où se trouvait le FPR. Il conclut en expliquant que “KINIHIRA, c’était une expression ironique” et que “c’était une façon de tromper la vigilance”.
Le témoin ajoute que d’autres parlaient de “ABYSSINIE” dans le même objectif que KINIHIRA. Il précise que ce terme “ABYSSINIE”, renvoie à l’Éthiopie, endroit duquel, d’après les théories de l’époque, proviendraient les Tutsi.
À la question de savoir si le témoin avait déjà entendu le mot “pacification”, celui-ci explique que “la période de pacification était une sorte d’accalmie, pour que les Tutsi cachés puissent sortir de leur cachette, et que nous puissions les tuer et tous les exterminer.”
Sur question des avocats des parties civiles, Jean-Damascène MUNYANEZA précise à la cour qu’il n’a pas eu de récompenses quelconque, et ne s’attend à aucun avantage ou quelque forme de récompense pour son témoignage. Il précise qu’en tant que tueur, il a “été incité par certains pour être trempé dans le génocide”.
À la question de savoir pour quelle(s) raison(s) les gens obéissaient à l’accusé alors que celui-ci n’avait aucune fonction politique ou administrative officielle, le témoin explique “qu’à la période des faits, les autorités administratives comme Joseph KANYABASHI, le bourgmestre, et le conseiller François BWANAKEYE n’avaient plus de pouvoir sur nous. Le pouvoir a été donné par les gens du parti par les Hutu, jusqu’au point où MUNYEMANA Sosthène se moquait de Joseph KANYABASHI et l’appelait “KANYABATUTSI”.
Il est demandé aux interprètes de traduire le terme “BATUTSI”, signifiant “pro-Tutsi” (NDR. plus exactement, c’est le pluriel de « Tutsi » en kinyarwanda, « KANYABATUTSI » étant une façon ironique de dire que Joseph KANYABASHI était « pro-Tutsi »).
À la question de savoir quel était le point commun entre les personnes que fréquentait l’accusé, à savoir REMERA, RUGANZU et STRATON, le témoin déclare: » Les points communs, c’est qu’ils étaient représentants de partis politiques et avaient tous le même objectif : préparer le génocide”. Sur question des avocats des parties civiles, le témoin précise que ces personnes étaient amies.
Il est ensuite demandé au témoin, ayant déclaré avoir été autorisé à piller, si, pendant ses journées sur la barrière, celui-ci était nourri, avait à boire et s’il avait accès aux femmes Tutsi. Le témoin répond: “ Il y avait un refrain d’une chanson qui nous a été enseigné par ces représentants de partis politiques. Nous chantions “tout ce qui est dans ce monde appartient aux Hutu ». Donc oui, nous pouvions avoir accès à tout”. S’agissant des femmes, le témoin précise que “toutes les personnes qui voulaient violer une femme tutsi y était autorisée. Nous prenions les femmes Tutsi.”
À la question de savoir si certains d’entre eux prenaient des femmes tutsi avec eux sur les barrières pour qu’on ne les tue pas ou pour qu’elles évitent de s’échapper, le témoin répond: “ Ceux que je connais sont ceux qui prenaient les femmes Tutsi chez eux, pour jouer avec elles et pour jouir avec elles”.
Sur question des avocats des parties civiles, le témoin explique ensuite que le rôle de Sosthène MUNYEMANA sur les barrières était notamment de “redonner le moral aux personnes qui tenaient les barrières”.
Il est indiqué au témoin qu’aujourd’hui à BUTARE et NGOMA, on découvre encore 30 ans après des fosses communes remplies de corps[13].

À la question de savoir comment le témoin perçoit le fait que les tueurs aient mis autant de temps à montrer les endroits où ces corps sont enfouis, le témoin répond que “la fosse à côté du bureau du secteur est nommée “la fosse de KARANGANWA. Et parmi les génocidaires, il y a aussi des négationnistes du génocide. Nous avons témoigné de ces fosses, mais nos informations ne sont pas parvenues à temps”.
Le témoin précisera plus tard sur question de l’avocat général, la raison pour laquelle il indique que ces témoignages ont été retardés.
À la question de savoir comment un Interahamwe aurait réagi s’il avait su qu’un Hutu protégeait ou cachait un Tutsi, le témoin répond qu’il aurait été “considéré comme complice de l’ennemi”. Il ajoute: “ Je me souviens de l’époque pendant la période des faits, quand la radio RTLM nous a visités. À ce moment-là, Sosthène MUNYEMANA lui même et Béatrice MUNYENEZI[14] nous ont tenus les propos suivants : “Quand on balaie la cour, il ne faut pas faire entrer la saloperie à l’intérieur de la maison. On la jette dans une fosse”. C’était pour dire qu’il fallait se débarrasser des Tutsi considérés comme une saleté et les jeter dans les fosses. Donc toute personne qui cachait un Tutsi était considéré comme un ennemi et devait être éliminé”.
À la question de savoir si un notable ou militaire pouvait être éliminé après avoir protégé un Tutsi, le témoin expose une anecdote à propos de KANYABASHI. Il explique que ce dernier avait deux femmes, et que la plus jeune d’entre elles cachait des Tutsi chez elle. Les Interahamwe “se sont permis d’entrer pour faire sortir les Tutsi”. En revanche, il indique à la cour qu’il n’a jamais été évoqué le fait de s’en prendre au bourgmestre KANYABASHI ou à sa compagne.
Sur question de l’avocat général, le témoin confirme d’abord avoir témoigné contre Sosthène MUNYEMANA lors des gacaca. Il ajoute ensuite que “ses amis et complices ont caché (son) témoignage”, précisant spontanément que “lors des juridictions gacaca, on répondait exactement aux questions posées”.
Sur la disparition des témoignages, le témoin explique que c’était lors de la gacaca de TUMBA, et que leurs témoignages “n’étaient pas considérés à cause des négationnistes du génocide qui étaient dans ce secteur”. Il précise qu’il a “témoigné devant les gacaca et le parquet. Un dénommé Charles GASHIRABAKE, qui était chargé de la collecte d’informations pour la gacaca, s’est finalement enfui avec toutes les informations collectées”. Sur question de l’avocat général, il ajoute que ce dernier “faisait partie des négationnistes qui ont reçu de l’argent, et qui à leur tour distribuaient de l’argent aux témoins en vue de détourner les témoignages”.
Sur question de l’avocat général, Jean-Damascène MUNYANEZA confirme avoir été jugé en 2008 en gacaca, et avoir reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Il explique ne pas savoir combien de personnes exactement il a tué car “il y en avait beaucoup, certains ont été fusillés, pour d’autres c’était des grenades, ils étaient très nombreux”.
À la question de savoir contre qui, exception faite de Sosthène MUNYEMANA, le témoin a déposé, celui-ci cite notamment “Béatrice MUNYENYEZI, Siméon REMERA, Jean-Paul MICOMWEZA, Venant GAKWAYA, RUGANZU, Benoit KABAYIZA, KANYABASHI, Pauline NYIRAMASUHUKO et son fils Arsène Shalom NTAHOBALI”. Pour les deux derniers, le témoin explique avoir témoigné contre eux “surtout sur le fait de leur participation aux réunions qui préparaient le génocide”.
L’avocat général demande ensuite à Jean-Damascène MUNYANEZA comment il a su que la réunion du 19 avril 1994 qui a eu lieu chez le président SINDIKUBWABO, était réalisée en vue de préparer le génocide. Le témoin explique que son “atelier de menuiserie se trouvait juste à côté de la résidence du président. Et Edouard KAREMERA, le cousin de mon père, participait à ces réunions. À l’issue, j’allais dans sa voiture et il me racontait tout ce qui s’était dit, les objectifs. Et à la sortie de chaque réunion, ils allaient sensibiliser la jeunesse des différents partis politiques”.
À la question de savoir ce qu’il advenait d’un Hutu qui ne voulait pas y participer en 1994, le témoin répond qu’ils étaient tués. Ceux qui parvenaient tout de même à ne pas être tués, “n’étaient que 1 sur 100”. Il conclut en expliquant qu’il s’est déjà rendu à cette époque-là chez Sosthène MUNYEMANA, et qu’il y avait “à la télévision en noir et blanc, un joueur qui s’appelait MAKANAKI”.
La parole est à la défense.
Elle indique au témoin une contradiction tenant aux dates qu’il évoque, expliquant qu’en 1988 (date à laquelle le témoin dit que Sosthène MUNYEMANA était au Rwanda), l’accusé se trouvait en réalité à BORDEAUX.
À la question de savoir pourquoi le témoin a déclaré que le placard a été réalisé chez Sosthène MUNYEMANA en 1988, le témoin répond “il y a des fois où vous attaquez quelqu’un sur un élément sans fondement. Si j’ai parlé du placard, je n’ai pas dit que c’était en 88, parce que le placard c’était pendant la guerre. Et en 88, il n’y avait pas de guerre”.
À la question de savoir si en 1990, la maison de Sosthène MUNYEMANA se trouvait à TUMBA, le témoin répond par l’affirmative. Les avocats de la défense font remarquer au témoin qu’à cette époque, la famille de Sosthène MUNYEMANA habitait à CYARWA.
(NDR : la colline de CYARWA est à proximité de TUMBA, à gauche de la route quand on monte vers RANGO).
Le témoin conclut en déclarant: “ ça, vraiment, c’est une défense sans fondement. Je me souviens bien du groupe qui était avec nous quand nous célébrions la mort du chef des Inyenzi”. (NDR : Inyenzi signifie “cafard” et désignait les Tutsi).
Après question des avocats de la défense, le témoin confirme avoir été au MRND au moment du multipartisme et ne jamais l’avoir quitté. Les avocats de la défense lui font remarquer qu’il aurait déclaré aux enquêteurs être passé un temps au MDR. Ce à quoi le témoin répond: “Je n’ai jamais quitté le MRND, mais le MRND et le MDR avaient le même objectif politique”. Suite à la question de la défense, le témoin précise s’être rendu dans certains meetings du MDR avec Sosthène MUNYEMANA en 1992 et 1993, parce que ce parti politique était ami avec le MRND.
À la question de savoir si le témoin confirme ses précédentes déclarations, ce dernier confirme bien avoir livré la famille de sa mère pour être tués car ils étaient Tutsi, et avoir épargné sa mère “car elle est importante parce que c’est ma mère”.
À la question de savoir qui a tué les membres de la famille de sa mère, Jean-Damascène MUNYANEZA répond “Je vous précise que mon cousin germain a été tué parce qu’il pillait et celui qui l’a tué viendra ici demain pour témoigner, vous l’aurez avec vous ici demain. Et pour les 5 hommes et 22 filles membres de la famille de ma mère que j’ai livrés, ils ont été tués par des Interahamwe. Ils étaient mes co-participants et j’étais le premier à tirer avec une arme sur eux”.
Les avocats de la défense indiquent ensuite au témoin “qu’un PV a été réalisé par un enquêteur, GEROLD, où il est dit que sous l’impulsion des conseillers de secteurs, bourgmestres et responsables de cellulse, les Hutu étaient invités à rejoindre les forces civiles pour mener des rondes ou tenir des barrières. Et que l’idée première était de sécuriser chaque cellule pour sécuriser l’intérieur. Le but des rondes au début de celles-ci, quand on les a mises sur pied le 17 avril 1994, d’après les OPJ[15] français, étaient de protéger et non de tuer”.
Le témoin répond “Je crois que cet enquêteur français ne s’est entretenu qu’avec quelques individus, pas tout le monde. S’il s’était entretenu avec moi, je lui aurais donné un autre avis que ce qu’il a dit. Parce qu’on incendiait les maisons des Tutsi, on pillait leur bien, donc il n’y avait pas de but de protection”. Il précise que “les rondes étaient pour contrecarrer l’infiltration des ennemis”. (NDR. Effectivement, monsieur GEROLD a donné un témoignage quelque peu « douteux ». Il a critiqué le fonctionnement de l’OCLCH, organisme au sein duquel il était enquêteur, et celui des juges. Il aurait été utile de connaître les conditions dans lesquelles il a quitté cette organisation.)
À la question de savoir qui était STRATON, le témoin répond que STRATON a été nommé ministre au début du génocide, mais indique ne pas être en mesure de fournir une date précise.
Il est ensuite demandé au témoin s’il confirme ses déclarations selon lesquelles il dit avoir vu Sosthène MUNYEMANA et des hommes contourner la maison de DEO ; qu’un ouvrier a cessé de travailler et serait sorti ; que Sosthène MUNYEMANA lui aurait demandé de présenter ses papiers ; que les hommes qui accompagnaient Sosthène MUNYEMANA auraient vu que l’ouvrier était Tutsi ; et que Sosthène MUNYEMANA aurait sorti un pistolet et tiré à une reprise sur l‘ouvrier qui est mort sur le coup. Le témoin confirme.
Les avocats de la défense expliquent au témoin avoir entendu Patrick GEROLD hier durant l’audience, et que celui-ci a déclaré avoir entendu près de 200 témoins. Les avocats de la défense indiquent que cet enquêteur a soulevé les difficultés pour recouper les informations, dont l’épisode que nous venons d’évoquer fait partie.
Lecture d’un passage du procès-verbal rédigé par Patrick GEROLD est porté à la connaissance du témoin par les avocats de la défense :
“À la lecture des témoignages recueillis, il apparaît une confusion récurrente dans les accusations en raison de la multiplicité des faits dénoncés mais surtout d’un manque de recoupement entre eux. En effet, il est très souvent remarqué qu’un fait impliquant Sosthène MUNYEMANA, n‘est que trop rarement étayé par d’autres versions semblables. La description donnée à un événement est variable d’un témoin à l’autre, quand elle ne change pas plusieurs fois pour un même témoin. De plus, des contradictions importantes sont observées, avec l’exemple du meurtre de DEO et d’ouvriers dans la matinée du 21 avril. Selon MUNYANEZA alias SADAM, Sosthène MUNYEMANA aurait abattu un ouvrier à l’aide d’une arme de poing. (inaudible) prétend avoir vu les meurtriers, cachés dans un champ. Or BAVAKURE Thomas, qui a reconnu avoir été présent sur place le matin, assure que ce sont les seuls militaires qui ont tué les deux ouvriers en l’absence du docteur MUNYEMANA”.
À la question de savoir quelle est la réaction du témoin à ce passage, celui-ci répond être d’accord avec cette lecture et poursuit en ces termes “c’est une contradiction totale, mais Thomas BAVAKURE, il est malin. Il ne donne pas un témoignage cohérent. C’est pour cela qu’il a même été rayé de la liste des témoins. Donc il n’est pas convoqué pour donner son témoignage car il n’est pas clair. Je vous ai dit que le cousin de Sosthène MUNYEMANA est venu lui rendre visite en prison, et il a acheté un taxi moto au fils de BAVAKURE Thomas”.
À la question de savoir comment le témoin est au courant pour le taxi moto, il répond que les membres de sa famille lui rendent visite et le tiennent informé, d’autant qu’il a lui-même rencontré le cousin de Sosthène MUNYEMANA.
Sur question des avocats de la défense, le témoin explique que le 22 avril 1994, ils étaient nombreux à se rendre à KABAKOBWA, où une multitude de Tutsi ont été tués. Il déclare que Sosthène MUNYEMANA était bien présent et “que c’est lui qui donnait des ordres”.
La défense fait lecture d’un passage de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris, selon lequel les déclarations du témoin ne sont corroborées par aucun autre élément. Le témoin répond à propos de son témoignage “Je crois qu’il faut donner crédit à mon témoignage car je témoigne en tant que participant. Je ne me cachais pas et je participais à toutes ces attaques. Et je confirme que Sosthène MUNYEMANA était présent”.
Après avoir énuméré la liste des dossiers dans lesquels le témoin a déposé (au nombre de 20 selon les avocats de la défense), il lui est demandé comment et pourquoi celui-ci a autant été désigné pour être entendu dans ces différents dossiers. Jean-Damascène MUNYANEZA indiquera à la défense qu’il n’est pas demandeur, mais que c’est bien les enquêteurs, en charge de leur propre enquête, qui prendront l’initiative de venir le voir pour prendre son témoignage. Il explique par ailleurs répondre uniquement et strictement aux questions qui lui sont posées. Raison pour laquelle, à la question de savoir pour quelle(s) raison(s) il n’a jamais évoqué le fait que des miliciens enfermaient des Tutsi au sein du bureau du secteur, ni avoir particulièrement parlé de ce lieu, le témoin répond qu’aucune question à ce sujet précisément ne lui avait été posée.
Pour conclure, la défense demande à Jean-Damascène MUNYANEZA ce qu’il a à dire sur le passage de son audition, où à la question “Avez-vous tué des personnes tutsi sur le secteur de Tumba?”, le témoin a répondu (en résumé) qu’entre le 19 et 21 avril 1997, Jean Damascène MUNYANEZA arrêtait les Tutsi pour les remettre à d’autres Interahamwe qui allaient ensuite les tuer dans la forêt. Les avocats de la défense souhaitent comprendre pourquoi, à cette question, le témoin parle des Tutsi arrêtés à la barrière de MUKONI, avec un véhicule qui venait les prendre pour les tuer, sans parler du bureau du secteur. Le témoin répond: “Je précise que la barrière de MUKONI était près de la forêt de KABUTARE. On allait directement de la barrière à la forêt. Pour ceux enfermés dans le bureau du secteur, c’était beaucoup plus loin, pas du tout à côté de la barrière de MUKONI. J’ajoute que ces Tutsi, enfermés dans le bureau de secteur de TUMBA étaient ceux qu’on attrapait dans leurs maisons respectives. Alors que ceux dont vous parlez sont ceux qui étaient arrêtés à leur passage pour se réfugier au Burundi”. (NDR. La barrière de MUKONI se trouvait au bas de CYARWA, au pied de la route qui monte à l’université, à l’intersection des e routes, dont celle qui allait en direction du BURUNDI)
L’interrogatoire de Jean-Damascène MUNYANEZA se termine à 13h00. L’audience est suspendue.
On pourra également se reporter à l’audition de monsieur Jean-Damascène MUNYANEZA lors du procès en première instance, le 23 novembre 2023.
Audition de monsieur Jean de Dieu BIRIGANDE, partie civile.
» Je voudrais dire ce que j’ai vu sur la préparation du génocide et le rôle de Sosthène MUNYEMANA. Je connaissais monsieur MUNYEMANA. Je suis originaire de TUM BA. La plupart des gens qui venaient vivre là étaient surtout des enseignants, des médecins. RUGANZU, Joseph HITIMANA, est venu lui aussi s’installer à TUMBA. Il avait un bar où j’ai connu MUNYEMANA. Nous venions jouer au foot près du patron du bar. Nous connaissions RUGANZU, un homme bien. Nous allions regarder la télévision chez lui. Quand il a installé la télévision dans son bar, nous regardions les informations, assis dans un coin qu’on nous réservait. Devenus plus grands, on nous demandait de consommer. Nous regardions surtout le foot. Sosthène MUNYEMANA venait régulièrement dans ce bar. Nous voyions en lui un modèle. RUGANZU a adhéré au MDR. Son bar est devenu le lieu où se réunissaient les membres du MDR
La CDR était dirigée par Siméon REMERA qui ne fréquentait pas le bar, au début A cette époque nous vivions bien ensemble. Pour nous REMERA était un aventurier, à moitié fou. A Butare, il y avait peu de membres du MRND. Depuis le multipartisme, on trouvait surtout des membres du MRND, du PSD et du PL. Quand le mouvement POWER est arrivé, il y a eu des scissions dans les partis. Siméon a commencé à être sur la même ligne que MUNYEMANA.
J’ai appris la mort du président le 7 avril au matin, par la radio. Il y avait de la musique classique sur Radio Rwanda. Etudiant, je vivais chez ma sœur à Kigali où je devais aller ce jour-là. Je suis resté à la maison.
J’ai appris, dans les deux jours suivants que ma sœur, son mari et ses enfants avaient été tués. Nos avons eu peur mais nous pensions que les événements n’arriveraient pas jusqu’à Butare. Mais on voyait des incendies sur les collines. Nous avons décidé, Hutu et Tutsi de partir pour s’opposer aux tueurs.
Le 16, un véhicule est arrivé avec des bidons d’essence. Les gens nous ont encouragés à bien « travailler ». Ils pensaient que nous étions des leurs. Mais Ils ont reconnu un Tutsi parmi nous, James. Reconnaissant des gens qui n’étaient pas de leur camp, ils ont voulu nous tuer et nous avons fui. A partir de ce jour, nous n’avons plus travaillé ensemble, Hutu et Tutsi.
Le 17, s’est tenue une réunion au bureau de secteur. Les choses ont changé. Des gens se sont rendus chez
REMERA: MAMBO, le responsable de cellule, était toujours là, avec Venant, MANYENERI et d’autres. J’ai vu MUNYEMANA. J’habitais à côté de chez REMERA et nous voyions ce qui s’y passait. Siméon REMERA avait deux fils. L’un d’eux venait chez moi (un métis dont la mère était Russe) et me racontait ce qui se décidait chez eux : on était sur la liste des gens à tuer. Nous ne vivions plus à la maison mais nous surveillions nos biens. Ils ont vu qu’on ne dormait plus à la maison. MAMBO s’est même fâché parce qu’un ne dormait plus chez nous.
Les « jours suivants, se tenaient toujours des réunions pour préparer le génocide. Nous ne pensions pas que nos voisins pouvaient nous tuer. Sosthène MUNYEMANA venait chez REMERA. Le 20, ils devaient prendre livraison
d’ armes mais cela ne s’est pas fait. Le génocide n’a commencé le 21.
Ce jour-là, ils sont venus nous attaquer à bord d’un véhicule. Nos étions cachés dans le champ de sorgho. Le
fils de REMERA a poussé un cri pour nous prévenir. Nous avons eu peur et nous sommes partis pour nous cacher
dans le forêt. Le soir, nous sommes revenus à la maison où j’ai pu retrouver retrouvé les membres de ma famille. On a appris le mort de KARANGANWA. Nous avons pris la décision de partir au BURUNDI. Nous sommes d’abord
allés vers le Bureau de secteur. MUNYEMANA était dans le bar de RUGANZU. Tout le monde faisait la fête, se réjouissait; ils tiraient des coups de feu en l’air. Nos vaches étaient là aussi. Nous avons mis deux semaines pour arriver au BURUNDI. Sans Siméon, Sosthène MUNYEMANA et autres responsables, il n’y aurait pas eu de génocide à TUMBA. »
Monsieur le président interroge alors le témoin. Il avait 17 ans en 1994, était né au BURUNDI où sa mère avait accouché alors qu’elle était allée rendre visite à sa famille. Est-il Hutu? Tutsi? » Maintenant nous sommes tous Rwandais » répond le témoin. Il a bien vu MUNYEMANA de ses propres yeux chez REMERA: de chez
lui on voyait l’intérieur de la maison de REMERA. Il n’a pas entendu les propos du docteur mais tout ce qu’il sait, il l’a appris par le jeune métis russe qui vivait chez REMERA, surnommé BITEGU. Il savait que l’accusé était devenu Pawa (Power). C’est par la radio qu’il était au courant de ce qui se passait dans le pays, Radio Rwanda et la RTLM. A cette époque-là, presque tout le monde avait une radio.
Toujours sur questions du président, il redit avoir quitté TUMBA la nuit du 21 au 22 avril. Concernant les rondes, les barrières et la clé du secteur, il n’était pas là pour en témoigner. Il confirme que la réunion du 17 avril avait bien comme objectif de tuer les Tutsi: on leur a dit alors de fuir.
Le témoin poursuit: » Mon grand- frère était à la réunion. Il est rentré décomposé. A TUMBA, tous les membres de ma famille ont été tués : maman, grand-mère, deux petites sœurs, un oncle paternel et quatre de ses enfants. Je ne suis pas si certains ont été enfermés au Bureau de secteur. On n’a retrouvé aucun corps. Mon oncle Gaspard avait fait une tentative de suicide. »
Sur question de maître SIMON, avocat des parties civiles, monsieur BIRIGANDE précise qu’entre le 7 et le 21 avril il y avait des barrières à TUMBA, une à MUKONI et une autre près de l’université. l’avocat voudrait montrer où se trouvait la maison du témoin et celle de REMERA mais ce dernier a du mal à se repérer sur une photo aérienne. A la question de savoir ce que le témoin attend de ce procès, monsieur BIRIGANDE se contente de dire: » Vous n’arrivez pas à attraper les gens qui ont trempé dans le génocide. Comme j’ai vu comment a été préparé le génocide, j’aivoulu témoigner. »
Monsieur l’avaocat général demande au témoin depuis quand date son intérêt pour la politique. » Au début, je ne m’intéressais pas à la politique. J’allais voir la télévision pour m’amuser. Peu à peu, je me suis intéressé à la vie politique avec la naissance de la CDR dont il essaie de fixer la date.
Monsieur BERNARDINI, avocat général: » En octobre 1993, le discours de Frodouald KARAMIRA, vous en avez entendu parler? »
Monsieur BIRIGANDE: « J’étais en classe avec son fils qui répandait les idées de son père. C’est la re RTLM qui appelait aux meurtres des Tutsi. J’ai appris la mort de ma sœur et de sa famille en allant chez MUREKEZI Vincent qui avait le téléphone. J’ai su que ma sœur avait reçu des coups de machette et qu’elle se trouvait chez un médecin. J’ai compris très tôt que la situation était grave. J’avais vécu à Kigali. Quant à François BWANAKEYE, je le connaissais très bien, mais pas son épouse tutsi. »
Maître LEVY pour la défense, fait remarquer que le témoin n’a jamais été entendu. Il voudrait savoir comment ce dernier a eu connaissance de l’enquête qui visait monsieur MUNYEMANA. Le témoin avait bien eu connaissance de la brochure « Le boucher de Tumba » mais il ne savait pas qu’il était poursuivi. N’étant jamais retourné à TUMBA, il n’ pas su ce qui s’était passé après le génocide. L’avocat regrette que ce que vient de dire le témoin n’a pas pu être vérifié par un enquêteur. Monsieur BIRIGANDE savait que le préfet de BUTARE était Tutsi mais il n’était pas au courant qu’il avait demandé d’ériger des barrières et de faire des rondes. Maître LEVY a du mal à croire que de chez le témoin on puisse voir dans la maison de REMERA. Le témoin ne peut que répéter ce qu’il a déjà dit.
Maître BIJU-DUVAL veut savoir qui a informé le témoin du report d’une journée de la livraison d’armes. C’est le jeune métis de chez REMERA. L’avocat s’étonne que monsieur BIRIGANDE soit repassé devant le bar de RUGANZU avant de fuir. L’avocat ne veut toujours pas croire le témoin et va jusqu’à prétendre qu’il ment. Et de s’étonner que le témoin ce soit manifesté si tard. Monsieur BIRIGANDE finit pas dire que ce sont des avocats qui l’ont contacté. Maître BERNARDINI finit pas fournir les explications.
Audition de monsieur Jean-Paul RWIGASIRA, partie civile.
16h30; C’est au tour de monsieur Jean-Paul RWIGASIRA d’être entendu. C’est le frère de Jean de Dieu BIRIGANDE
» J’avais 24 ans en 1994. J’ai vu ce qui s’est passé à TUMBA. Après l’attentat, j’ai appris la nouvelle de la mort du président HABYARIMANA le 7 avril au matin. La radio nous a demandé de rester à la maison. A TUMBA, tout le monde vivait bien ensemble avant le génocide. Hutu et Tutsi se mariaient ensemble. Après la mort d’HABYARIMANA, les gens venus d’ailleurs ont apporté la division. J’ai connu MUNYEMANA quand il est venu à Tumba. Nous étions heureux de voir arriver un médecin gynécologue. Mais les évènements ne se sont pas passés comme nous le souhaitions. Nous considérions Sosthène MUNYEMANA comme un sauveur, il a trahi’ son serment, a divisé le population de TUMBA. Il a travaillé avec REMERA, de la CDR., et RUGANZU. La population de TUMBA est restée unie, on a essayé de s’opposer aux tueurs qui venaient de GISHAMVU. HUTU et TUTSI étaient unis contre les Interahamwe de la commune voisine.
» A notre retour, une camionnette est passée et les occupants nous ont pris pour des tueurs, comme faisant partie des leurs (NDR. Voir le témoignage précédent). Nous sommes rentrés chez nous : les choses avaient changé.
Une réunion s’est tenue le 17 avril, réunion à laquelle j’ai participé : il y avait Sosthène, REMERA, RUGANZU. On nous a dit de ne pas avoir peur mais c’était une ruse. MUNYEMANA a pris la parole : » Les choses
sont graves. Les Tutsi sont en train tuer les HUTU. »
» Ce sont des gens venus de la famille de sa femme (NDR. Près de la frontière du BURUNDI) qui l’avaient averti. Ils se sont réunis chez Siméon et nous avons suivi de près ce qui se passait.
C’est le jeune métis de chez REMERA qui nous renseignait (NDR. Voir témoignage précédent), un neveu de la femme de REMERA. (NDR. La femme de Remera, Gemma, était la fille de Xavier
NAYIGIZIKI, un Hutu « royaliste « que j’avais connu comme professeur au petit séminaire de SAVE en 1970. Il doit se retourner dans sa tombe). BITEGU nous a fourni la liste des personnes qui devaient mourir. Sosthène MUNYEMANA aurait demandé de ne pas tuer de Tutsi chez lui ou sur la route mais qu’il fallait les rassembler au bureau de secteur pour pouvoir, une fois tués, les jeter dans une fosse creusée tout prêt. On pourrait ainsi savoir qui était mort. »
Le 21 au matin, un véhicule est arrivé. BITEGU nous a avertis et nous avons fui dans la forêt voisine. Nous sommes rentrés la nuit venue et j’ai retrouvé les gens qui nous ont dit de fuir. Nos vaches ayant été volées, on est passé vers le bureau de secteur pour les récupérer. C’est là qu’on a entendu tous ces gens en train de festoyer. Nous avons fui vers le BURUNDI d’où nous sommes revenus après le génocide. C’est notre oncle Gaspard qui nous a expliqué ce qui s’était passé. Il avait une femme hutu. Il nous a révélé qu’il avait tenté de se suicider.
Sur question de monsieur le président, le témoin confirme qu’il est le frère aîné de BIRIGANDE. Le président revient sur les propos du témoin qui ressemblent à ceux de son frère. Monsieur RWIGASIRA confirme que c’est le « fils » de REMERA qui les renseigne. De chez lui, on voyait bien chez Remera.
Le 17 avril, MUNYEMANA n’a pas appelé à tuer les Tutsi. Il a dit que les Tutsi tuaient les Hutu. Des Tutsi réfugiés chez l’accusé? Un deses voisins, un pauvre Tutsi, Evariste SENKWARE, dont MUNYEMANA voulait s’accaparer le champ, a bien été aidé par Sosthène. Mais les enfants de SENKWARE ont été tués.
BWANAKEYE avait remplacé KUBWIMANA comme conseiller de secteur. Il avait une femme Tutsi. Dans cette réunion, les plus actifs étaient MUNYEMANA et REMERA. On a parlé des rondes qui avaient pour but d’arrêter les Tutsi. Si on disait que les rondes avaient comme objectif d’assurer la sécurité, c’était une ruse. Les Tutsi ont cru que c’était pour les protéger.
A son retour du Burundi, le témoin confirme le récit de son oncle Gaspard qui avait refusé d’allerau bureau de secteur pour éviter une mort atroce : c’est pour cela qu’il avait voulu se suicider. Tout ce que le témoin sait du bureau de secteur il le sait pas Gaspard qui avait une femme hutu et qui lui racontait ce qui se passait. C’est elle qui a dit à son mari que ses frères avaient été conduits au bureau pour être tués. Le témoin précise que leur père était mort avant le génocide. Leur demi-sœur habite toujours à TUMBA.
Maître BERNARDINI revient sur Gaspard et révèle que c’est ANACLET qui a « dépendu » l’oncle du témoin. L’avocat général continue à interroger le témoin sur l’organisation des réunions. Le témoin ne sait pas comment BWANAKEYE a été limogé. Il était parti au BURUNDI. Comme intellectuel, MUNYEMANA s’est imposé comme un responsable. A la réunion, MUNYEMANA faisait des propositions. » J’ai simplement retenu les propos de MUNYEMANA concernent les réfugiés chez lui., reprend le témoin. Mais l’information qu’il donnait selon laquelle les Tutsi tuaient les Hutu étaient fausses. Je ne peux pas savoir combien de gens sont morts au bureau de secteur. Les membres de ma famille sont morts là et leurs corps jetés dans la fosse.
A ce stade de l’audition, monsieur le président précise que BWANAKEYE n’a pas été limogé au sens propre du terme. Il a perdu de son influence naturellement.
Sur question de maître LEVY, le témoin est obligé de revenir sur le fait que tout ce qu’il sait sur TUMBA, il l’a appris de son oncle Gaspard. qui l’a appris de sa femme Jacqueline UWIMANA qui est présente dans la première plainte. Elle atteste que MUNYEMANA a sauvé des gens. Le témoin de répondre: » Je ne suis pas au courant de ce qu’a dit Jacqueline. »
Maître LURQUIN revient sur la solidarité des Hutu et des Tutsi au début du génocide. (NDR. Question inutile puisque le témoin donne la même explication qu’il a donnée. Occasion donnée au témoin de dire qu’il n’a pas eu connaissance du discours de SINDIKUBWABO.
Audition de madame Régine WAINTRATER, psychologue clinicienne.
Madame WAINTRATER a été entendue à plusieurs occasions devant la cour d’assises de Paris, en particulier au procès en première instance de Sosthène MUNYEMANA. Nous indiquons le lien qui vous renvoie à son audition du vendredi 8 décembre 2023. Toutefois, le rédacteur de ces lignes reprendra quelques phrases prises au vol lors de l’audition d’aujourd’hui.
» Pour un rescapé, son témoignage devant la cour est attendu et redouté. »
« Le procès réintègre le rescapé dans l’humanité. »
« Le témoignage du rescapé est un chaos. Il n’est plus dans le temps calendaire. Il n’avait qu’un souci : vivre une minute de plus. »
« Les souvenirs d’un rescapé sont fragmentaires, lacunaires, mais parfois parfois très précis. »
« Le rescapé doit mettre de l’ordre dans la mémoire traumatique. »
« Dans une famille, on ne se souvient pas des mêmes choses, même si on a vécu les mêmes événements. »
» Il existe deux niveaux de mémoire dont une profondément étanche qui renferme les souvenirs traumatiques. »
» Parole de rescapé: « Je témoigne pour ceux qui ne peuvent plus témoigner. » Le témoin se sent mandaté par les siens qui ne sont plus. »
» Le témoin a toujours peur de ne pas être a cru : cf. les soldats rentrés de la guerre. Idem pour les rescapés
de la Shoah. »
» Le témoin va être soumis à des questions. Et il s’enmêle dans ses réponses. Et il va être épinglé sur chaque
détail qu’il va donner. Exemple du rescapé de la Shoah qui dit avoir vu trois cheminées alors qu’il n’y en
avait qu’une. »
» Sans la justice, le rescapé ne peut pas guérir. »
« Exemple des descendants des Arméniens qui veulent que la Turquie reconnaisse le génocide. Il n’y a pas de guérison sans justice. »
« Si le rescapé est vivant, c’est le HASARD, la CHANCE.
» On ne sort pas indemne de la confrontation avec sa propre mort
» Ceux qui recueillent les témoignages sont victimes d’un traumatisme par procuration. C’est normal d’être affecté par les témoignages qu’on entend : c’est de l’empathie. »
» Pour le rescapé, il y a nécessité de participer à un groupe de parole. »
« Nécessité de participer à un groupe de parole pour ne pas se sentir seul. »
Le fait de faire appel à un interprète, ça pose bien sûr question. Traduction, trahison.
» Il existe la crainte du témoin de se voir trahi par la traduction. »
» Il est difficile pour un juré de distinguer le vrai du faux. En kinyarwanda, on ne répond que rarement par oui ou
par non. Ce n’est pas poli, ce n’est pas dans la culture. D’où l’emploi de circonvolutions. On utilise des chemins de traverse. C’esr une culture très pudique. »
C’est clair dans la culture
« Il arrive qu’un témoin raconte des choses horribles avec le sourire. »
Au Rwanda, les corps ont été jetés dans le fleuve ou dans les latrines. Et le rescapé veut savoir où on a jeté les corps. » Madame WAINTRATER d’évoquer le rituel du nettoyage des ossements lorsqu’on a déterré des corps qu’on va enterrer ensuite en dignité.
« Rescapée victime des violences sexuelles. La femme violée ne peut pas en parler: problèmes avec son mari, avec la société qui peut la soupçonner de ne pas avoir résisté. Le mari ne supporte pas l’idée de n’avoir pas pu protéger sa femme. » D’où des violences conjugales, l’alcoolisme..
La façon de questionner une victime? » Il faut rester courtois, empathique, s’excuser de poser des questions gênantes. Il faut rester humain, respectueux. »
Maître BIJU-DUVAL tient à dire que la question de la reconnaissance du génocide (des Tutsi) ne se pose pas.
« La question qui nous occupe, c’est la responsabilité individuelle de l’accusé. Or, lors de son audition, monsieur GEROLD a dit que des témoignages pouvaient être faux. Comment expliquer cela ? »
Régine WAINTRATER. « Le témoin s’accroche à un détail et généralise. Les témoins ont eu le temps de communiquer en 30 ans. Il peut y avoir un mécanisme de contamination. La personne n’est pas forcément
consciente qu’elle ment. »
Maître LURQUIN prend la parole en dernier. » Parfois, on n’ose pas poser de questions. Et on a un client
défendre. Si on insiste auprès d’un témoin, on croit qu’on nie le génocide. »
Régine WAINTRATER. » Je vous fais confiance. Vous irez là où vous voulez poser des questions. Le témoin sait qu’il sera questionné. Quant à votre dernière remarque, dans mes recherches, je vais inclure le cas des avocats de la défense. Il y a des avocats tordus! Vous devez poser même des questions qui embarrassent.
L’audition est suspendue à 19h45.
Jade KOTTO EKAMBI, bénévole
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en pages
–
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑] - Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
- MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
- PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. [↑]
- Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
- Béatrice MUNYENYEZI : belle-fille de Pauline NYIRAMASUHUKO, ministre de la Famille dans le gouvernement génocidaire. Condamnée à la perpétuité pour son rôle pendant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, elle s’était enfui aux États-Unis avant d’être déchue de sa citoyenneté américaine et condamnée à dix ans de prison pour avoir menti sur son implication dans le génocide au cours de la procédure de demande d’asile (source : Wikipedia et Libération : Rwanda : «Pendant le génocide, Pauline et Béatrice étaient des reines», 19/3/2024[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
- Voir notre article du 19 avril 2025 : 31ème commémoration: ouverture d’une nouvelle fosse commune à NGOMA[↑]
- Béatrice MUNYENYEZI : belle-fille de Pauline NYIRAMASUHUKO, ministre de la Famille dans le gouvernement génocidaire. Condamnée à la perpétuité pour son rôle pendant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, elle s’était enfuit aux États-Unis avant d’être déchue de sa citoyenneté américaine et condamnée à dix ans de prison pour avoir menti sur son implication dans le génocide au cours de la procédure de demande d’asile (source : Wikipedia et Libération : Rwanda : «Pendant le génocide, Pauline et Béatrice étaient des reines», 19/3/2024[↑]
- OPJ : officier de police judiciaire.[↑]