- Audition de Liliane KAMALISA, fille de l’accusé.
- Audition de Gustave NGABO, fils de l’accusé.
- Audition de Fabrice ISHIMWE.
- Parole à l’accusé.
Avant l’audition des témoins qui seront entendus dans la matinée, les enfants de monsieur Sosthène MUNYEMANA, maître Simon FOREMAN, avocat du CPCR, présente et commente les pièces qu’il souhaite verser au débat. Il s’agit de deux appels à poursuivre en justice Dafroza GAUTHIER et son mari. Un des documents est le lancement d’une cagnotte pour aider son initiateur à financer le procès qu’il souhaite intenter au président du CPCR et à son épouse: « Aidez-moi à poursuivre Dafroza GAUTHIER en justice. » Les termes utilisés sont nauséabonds, injurieux.
Réaction de la défense par maître BIJU-DUVAL: « Les extrémismes se déchaînent d’un côté et de l’autre. » (NDR. NON, maître. La haine se déchaîne d’un côté mais pas de l’autre. « Des salauds contre des salauds » avait dit Natacha POLONY[1]).
Audition de madame Liliane KAMALISA, fille de monsieur MUNYEMANA, entendue sur pouvoir discrétionnaire du président.
« Je suis très émue car on parle d’un événement historique et dramatique pour le Rwanda » commence la témoin. Je veux raconter la petite histoire dans la grande. Je suis d’origine rwandaise, mon socle. Le Rwanda est important pour moi. »
Madame KAMALISA va alors raconter les quatre ans et demi qu’elle va passer au Rwanda à partir de 1989, date de leur retour au pays. Et d’ajouter aussitôt qu’ils ont dû fuir le Rwanda le 14 juin 1994 car ils se sentaient en danger. Puis c’est leur séjour dépaysant à KINSHASA où ils sont arrivés à partir de GOMA au Zaïre, séjour dont elle ne garde pas que de bons souvenirs vu les conditions de vie dans lesquelles ils étaient. C’est en septembre qu’ils arriveront en France, dans le bonheur de retrouver leur maman.
Très vite, leur vie va être bouleversée par la plainte déposée contre son père: « On a voulu mettre sur son dos des choses qu’il n’avait pas faites. » C’est à cette époque que paraît le document « Le boucher de Tumba » d’African Rights[2]. La témoin dit avoir été « choquée ». Comment son père avait-il pu commettre ce genre de choses?
Madame KAMALISA parle alors « d’un père bienveillant qui ne ferait pas de mal à une mouche. Tous ceux qui le connaissent reconnaissent sa sagesse. Quelqu’un de bien, parfois un peu naïf, qui pense que tout le monde fait le bien, comme lui. » Non pratiquant, il dira à sa fille qui le questionne, qu’il n’a pas besoin d’aller à l’église: « Ma prière, je la fais dans mes actions. » Et d’interroger la cour: « Pourquoi mon père se transformerait en monstre sur une période aussi courte. C’est IMPOSSIBLE! Mon père est juste innocent. »
Monsieur le président pose alors des questions sur la vie de la jeune adolescente (NDR. Elle avait 13 ans à l’époque) sur sa vie avant, pendant et après le génocide. Et d’affirmer qu’on leur a toujours transmis des valeurs d’amour du prochain.
Puis madame KAMALISA est invitée à parler de Elvanie, la nounou arrivée au départ de sa mère en février 1994, une jeune femme qui doit se cacher parce que Tutsi[3]. Vers la fin mai, début juin, leur père les envoie à KIGEMBE, à la frontière du Burundi, chez le parrain de son frère. Occasion d’aller saluer leur grand-mère maternelle.
Si la plainte déposée a beaucoup accaparé son père, elle n’a pas souffert de la situation, son papa étant toujours présent. Comme beaucoup d’enfants à l’époque, c’est à l’école qu’elle apprendra qu’elle est Hutu: ce que ses parents lui ont confirmé.
Lors du génocide, elle se souvient que plusieurs personnes se sont réfugiées quelques jours chez eux: elle lisait la terreur dans leur regard. Par contre, il n’y a pas eu de fouille à la maison, aucune intrusion. À l’une ou l’autre occasion, elle s’est sentie en danger. Son père viendra la sortir des griffes d’assaillants qui l’avaient fait mettre à genoux dans la cour.
Des réunions à la maison? Aucune. Elle ne connaît aucun des tueurs dont le président lui donne le nom. Pas même Jean KAMBANDA[4]. STRATON, bien sûr puisqu’ils ont fui avec lui[5].
Un souvenir traumatisant lors de leur fuite vers le Zaïre: « Toi tu es trop belle, tu sors » lui dira un milicien. On finira par les laisser passer. Elle reviendra plus tard sur une question qu’elle n’avait jamais posée à son père: « Papa, pourquoi n’es-tu pas sorti de la voiture? » Il avait eu très peur, reconnaîtra-t-il, plusieurs années plus tard.
Les rondes? Les barrières? La témoin n’a pas grand chose à en dire si ce n’est qu’elle apprendra plus tard que son père a bien participé à quelques rondes. Jamais en compagnie de son frère Gustave. Quant à la statue de la Vierge située près de leur maison, elle s’en souvient vaguement.
Le bureau de secteur? Les réunions ? Son père n’en a jamais parlé. Le téléphone fonctionnait au début du génocide. La radio rythmait la vie des gens. La RTLM[6]? » C’est quoi, ça » lancera-t-elle. La télévision? Ils ne la regardaient jamais. Elle était dans la chambre des parents.
« Votre père était-il engagé dans un parti politique » demande le président? » Il était simple adhérent du MDR[7]. Il n’a parlé de politique qu’après le multipartisme et n’a jamais proféré de critique contre les Tutsi ni envers qui que ce soit. Après la condamnation de son père en première instance, ce fut l’incompréhension. « Pourquoi? Pourquoi? » répète-t-elle. Ce n’est pas possible, on a pris mon père. » Si elle n’est jamais retournée au Rwanda, c’est parce qu’elle a peur. Elle sait que des gens ont basculé (dans le camp des tueurs) mais ce n’est pas le cas de son père qui « a l’intelligence du cœur. »
Son papa sortait la nuit? Elle n’a jamais cherché à savoir ce qu’il faisait.
Sur question de maître QUINQUIS, elle dit avoir assisté à quelques audiences du procès en première instance. Maître EPOMA s’étonne qu’ils ne soient partis qu’en juin. La témoin n’a pas d’explication. Sur question de maître TAPI, madame KAMALISA décrit ses parents comme « des intellectuels très modestes. On ne vivait pas dans l’opulence, pas dans le m’as-tu vu. »
Sur questions de l’avocat général, la témoin dit que le chauffeur de la voiture qui les a conduits au Zaïre était un militaire rwandais. Contrairement à ce qu’a dit Elvanie, ils n’allaient pas à l’école pendant le génocide. Quant à la « Motion des intellectuels du MDR de BUTARE » dont son père était signataire, elle affirme que ce document s’adressait à l’ONU.
Maître LURQUIN, pour la défense: « Monsieur le président, j’avais préparé cinquante questions, vous en avez posé quarante-six! » Il en posera deux: une concernant le désir de ses parents de voir leurs enfants vivre en immersion, d’où le choix d’une école rwandaise où ils se rendaient à pieds. Puis de lire un extrait de la lettre que son père a adressée à son épouse le 4 juin 1994, sorte de testament. Et la témoin d’affirmer une nouvelle fois: « Papa nous a toujours protégés. Il nous a épargné le pire. »
Audition de monsieur Gustave NGABO, fils de monsieur MUNYEMANA, entendu sur pouvoir discrétionnaire du président.
Monsieur NGABO remercie la cour. Il vient témoigner pour parler de son père et de son innocence. Il commence par évoquer ses premières années en France et le retour de la famille au Rwanda en 1985. Après quelques mois passés à KIGALI, c’est l’installation à BUTARE: apprentissage du Kinyarwanda, conflit armé en octobre 1990. En tant qu’enfant de 12 ans, il ne se posait pas tellement de questions.
C’est précisément comme enfant qu’il donne sa vision du génocide: sentiment permanent d’insécurité, bruits, comportement dangereux de certaines personnes au dehors, cris…
Ils sont restés enfermés chez eux, sans télévision. Les rondes, c’était pour la protection du quartier. Les enfants dormaient alors dans la chambre parentale. Leur départ à KIGEMBE chez le parrain de son frère, il l’a vécu comme « une bulle d’oxygène ».
Quant aux barrières, sur la route, il y avait des gens menaçants, incontrôlables. Puis ce sera le départ pour GOMA et KINSHASA.
Évoquant son père, le témoin a du mal à contenir ses larmes. Le fait d’être devenu père à son tour change sa vision des choses. Il évoque un père toujours présent, exemplaire. Les valeurs sur lesquelles sa vie est fondée aujourd’hui, il les doit à son père.
Sur question du président, le témoin parle de Elvanie, la nounou[3]: « On a compris qu’elle était en danger. Elle ne pouvait pas sortir, c’est nous qui allions puiser. »
Monsieur le président: « Vous n’étiez pas en danger? »
Le témoin: « Nous étions des enfants ». Ce à quoi le président fait remarquer que beaucoup d’enfants ont été tués pendant le génocide.
Il y a bien eu des personnes qui sont venues quelques jours, des réfugiés à qui ils ont cédé leur chambre. Mais il n’y a jamais eu de fouille.
Les barrières? Il n’y en avait pas pas près de la maison. Il ne se souvient pas de la statue de la Vierge à quelques mètres du domicile. Il n’a jamais vu des gens se réunir chez eux, ne connaît aucune des personnes dont le président cite les noms.
Concernant la procédure judiciaire, ils (les enfants) ont été avertis par leurs parents. Le témoin a vu des photos dans les journaux. « On a vécu la période avec lui. Mes parents ont géré cela entre eux. Mon père a gagné des procès Je ne suis jamais retourné au Rwanda pour des raisons de sécurité. Je ne suis pas sûr d’y être bien accueilli. Je n’ai pas le sentiment d’appartenir à une ethnie » dira-t-il en substance.
Monsieur l’avocat général demande au témoin pourquoi ils ne sont pas partis plus tôt. Le témoin répond qu’ils étaient chez eux, à TUMBA, qu’ils n’habitaient pas en France. La seule question qu’il se posait concernait l’absence de leur mère Et d’ajouter que le génocide des Tutsi est la pire chose qui se soit passée au Rwanda. Ils ne sont pas partis par le BURUNDI qui était à moins de trente kilomètres de BUTARE? Tout simplement parce que leur mère avait acheté des billets d’avion pour partir de KINSHASA.
Sur question de maître LURQUIN, monsieur NGABO redit son intime conviction: « Mon père n’a jamais pu faire ce qu’on lui reproche: impossible, impossible, impossible. Mes parents étaient respectés. Ils n’ont jamais cherché à être au-dessus des autres. Je n’ai jamais vu mon père comme un adhérent d’un parti politique. Je n’aurais pas pu avancer, créer une famille, sans les valeurs que j’ai reçues. Ce n’est pas mon père qui a fait ça. »
La médiatisation de la procédure? « Elle a eu des répercussions sur notre vie de famille, ça continue à affecter ma famille, mes parents, ma femme. Le nom de mon père reste associé au « Boucher de Tumba ». Je suis convaincu de l’innocence de mon père. Je remercie la Cour, j’ai la certitude que mon père sera toujours un homme intègre. Le génocide des Tutsi, c’est la pire des choses qui soit arrivée au Rwanda. »
On pourra également se reporter à l’audition de monsieur Gustave NGABO lors du procès en première instance, le 30 novembre 2023.
Audition de monsieur Fabrice ISHIMWE, témoin cité par la défense, neveu de madame Francine MUKARUTESI(Voir l’audition de madame Francine MUKARUTESI, 8 octobre 2025.)).
« Tel est pris qui croyait prendre » ou « l’arroseur arrosé. »
Très hésitant, le témoin finit par dire que ce qu’il a appris du génocide, il l’a appris à l’école. Il ne connaît pas beaucoup de choses sur Sosthène MUNYEMANA, sauf ce que ses parents lui en ont dit.
Sur question de monsieur le président qui, averti par l’association d’accueil des témoins que monsieur ISHIMWE était inquiet, ce dernier se lance.
« C’est la première fois que je me trouve devant un tribunal. Je n’avais jamais eu à me présenter devant un tribunal ni devant la police. Au Rwanda, j’avais entendu des choses sur le procès. Madame Agnès, du parquet, m’a appelé et je me suis rendu à sa convocation. Elle m’a montré des papiers à signer. J’étais d’accord pour venir mais je préférais intervenir en visioconférence. (NDR. C’est la défense qui a tout fait pour que le témoin soit entendu en présentiel, probablement sur les conseils avisés de madame Francine MUKARUTESI.) Après les appels de ma tante, je me suis senti plus confortable. »
« Plus confortable après l’appel de votre tante » demande monsieur le président?
Le témoin ne sait quoi répondre: « Moi, je ne sais rien de cette affaire. Je ne sais rien du génocide. Je l’ai appris à l’école. Je ne me sens pas bien, je veux juste sortir d’ici. La manière dont je connais Sosthène? La maison de mes parents était très proche de celle de MUNYEMANA. On a même été son locataire. Je veux seulement repartir au Rwanda. »
Monsieur le président: « Que lui a dit sa tante pour le convaincre et quand? »
Monsieur ISHIMWE: « Ma tante, nous nous parlons souvent. Je lui avais fait part de mon désir de venir en France. Elle m’a dit que c’était l’occasion. Son dernier appel date du 19 septembre. » Il ajoute n’avoir subi ni pressions ni intimidations. C’est en famille qu’ils ont parlé de Sosthène MUNYEMANA: « Mon père qui le connaît bien a dit que Sosthène MUNYEMANA a fait le génocide. » (NDR. Son père, Viateur NEMEYE, est aussi partie civile, comme sa grand-mère Marie NYIRAROMBA. Leur avocat est bien maître Simon FOREMAN).
Monsieur le président voudrait bien avoir plus de précisions, il n’obtient pas de réponse satisfaisante. Il n’a jamais parlé du génocide avec sa grand-mère. Et d’ajouter: « On en parle comme on parle d’autres gens. Le génocide a eu des conséquences sur ma famille. Ma grand-mère parle comme d’autres gens. On parle des gens en lien avec le génocide. J’ai davantage parlé avec mon père qui dit que Sosthène MUNYEMANA était un homme influent et qu’il a eu un rôle dans le génocide. »
Monsieur le président: « Que pense votre grand-mère de Sosthène MUNYEMANA? »
Monsieur ISHIMWE: « Je ne sais pas ce qu’elle pense. Elle est vieille. » Il n’est pas au courant que sa grand-mère est partie civile. Son père non plus. Quant à lui, il ne sait rien sur MUNYEMANA. Il dispose d’informations générales. Il ne sait que ce qu’en disent ses parents, les journaux ou la télévision. Les notions de Hutu et de Tutsi importent peu à la jeunesse. Il dit une nouvelle fois qu’il n’a pas subi de pression ni peur de témoigner en disant des choses contre l’accusé.
« Ma grand-mère est très vieille, insiste-t-il. Elle est maladive. Elle a du mal à se déplacer. Elle reste toujours dans la maison. » (NDR. Des indications qui ne doivent pas satisfaire la défense qui voulait la faire venir à Paris! Elle n’aurait même pas pu faire le déplacement à Kigali.) De poursuivre: « Il n’est pas nécessaire que mon parle de lui. Nous étions voisins. Mon père le connaissait. Tout le monde parlait de lui. S’il est parti en France, c’est qu’il était génocidaire. Mon père m’a parlé de lui le mois dernier ou un peu avant, quand j’ai commencé des démarches pour venir. »
Maître Simon FOREMAN remercie le témoin. Il se présente comme l’avocat de sa grand-mère et de son père. Ses parents avaient peur qu’il ne revienne pas de France? Sa tante lui avait promis du travail en France? Monsieur ISHIMWE n’a pas besoin de confirmer. Les faits sont connus.
Sur questions de monsieur l’avocat général, le témoin confirme les propos de son père contre l’accusé. C’est ce qu’on raconte aussi dans le village. Par contre, il ne connaît aucun des noms qu’énumère monsieur BERNARDO.
La défense va intervenir à quatre voix pour essayer de tirer quelque avantage de la situation. C’est maître BIJU-DUVAL qui commence.
Maître BIJU-DUVAL: « Vous avez des problèmes de santé? » (NDR. Le témoin avant demandé à s’assoir)
Le témoin: « J’ai peur devant un public de cette nature. » (NDR. Pas de chance, le tir manque sa cible. Ce n’était pas la réponse attendue. Sa tante avait évoqué un accident de moto, imaginaire, pour justifier l’envoi d’argent qu’elle lui avait fait! Ainsi qu’un cambriolage dont il ne fait pas mention.)
Maître BIJU-DUVAL: « Vous n’avez pas échangé avec votre grand-mère sur les gens qui venaient la voir au sujet de son témoignage? »
Le témoin: « Non! »
Maître BIJU-DUVAL insiste: « Vous n’avez jamais discuté du passage de gens, des Blancs qui sont passés voir les vôtres? »
Le témoin: « Non. Je n’ai pas eu d’échanges avec mes parents que j’ai quittés à 19 ans pour aller faire ma vie à Kigali. »
Et l’avocat de la défense de resservir le couvert: « Vous êtes certains que vous n’avez pas questionné les vôtres sur le passage des gens venus les interroger? »
Monsieur ISHIMWE: « Non, je vous l’ai déjà dit. »
Maître BIJU-DUVAL: « Vous n’avez pas procédé à des enregistrements de conversations? » (NDR. Qui peut bien comprendre cette allusion?) Le témoin répond par la négative.
Maître BIJU-DUVAL abat sa dernière carte. « Ce témoin questionne la défense. Il met en cause sa tante. Serait-il possible de réentendre madame MUKARUTESI? (NDR. Monsieur ISHIMWE n’a-t-il pas été cité par les avocats de la défense? C’est maintenant qu’ils s’inquiètent?)
Monsieur le président trouve que cette demande est d’un « intérêt minime« . Mais il veut bien consulter les parties.
Un avocat des parties civiles fait remarquer que le témoin est déjà perturbé. Il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Maître Simon FOREMAN dit ne pas être opposé dans l’absolu. Mais in enchaîne aussitôt: « Aujourd’hui, il y a une tentative de subornation de témoin. On pourrait poursuivre madame MUKARUTESI! Monsieur l’avocat général émet un avis semblable: « Il y a inégalité entre quelqu’un qui a prêté serment et l’autre non. »
Maître BIJU-DUVAL n’en démord pas. Il n’hésite pas à aller encore plus loin: « L’un ou l’autre ment! » (NDR. Tiens donc. Tout le monde sait bien qui ment lorsqu’on a suivi l’audition de la tante du témoin. Voir le compte-rendu de l’audition de madame MUKARUTESI.)
Après avoir consulté la cour, monsieur le président donne un avis défavorable à la demande de la défense.
Maître LURQUIN aurait peut-être mieux fait de ne pas intervenir car à force d’insister, il obtient une réponse qui ne l’arrange probablement pas: « J’ai parlé avec ma tante. Elle savait que j’avais le désir devenir en France. Ma tante m’avait dit que c’était facile de venir, que je pouvais venir m’installer en France: « Cela prendra trente minutes et tu obtiendras rapidement ta naturalisation. » J’aimerais en finir avec ça. » (NDR. Voilà, tout est dit sur le rôle et les manigances de la tante. D’où la réaction de maître FOREMAN.
Cela ne décourage pas la défense. C’est au tour de maître BOURG d’intervenir. « Au début de votre audition, vous avez dit que vous vouliez juste partir d’ici et de revenir à Kigali. Vous ne vouliez pas venir en France? »
Le témoin: « Venir en France? C’était avant. »
Maître BOURG voudrait savoir qui est ce « On » qui lui a dit qu’il devait venir témoigner à décharge en faveur de quelqu’un qui a commis le génocide. L’avocate n’en saura pas plus. Le témoin répète ce qu’il a déjà dit.
Maître BOURG: « Votre père vous a dissuadé de venir témoigner? »
Le témoin: « J’ai entendu parler de Sosthène MUNYEMANA. J’ai échangé avec mon père pour savoir ce que je venais faire en France. »
Enfin, maître LEVY: « Votre père vous a dit que Sosthène MUNYEMANA avait fait le génocide. Il ha bitait où en 1994? »
Le témoin, en bon basketteur, « botte en touche »: « Je suis né après1994. Le génocide est de notoriété publique. »
Maître LEVY: « Je vous remercie d’être venu. Je comprends votre situation ».
Maître GISAGARA souhaite réagir. Il veut déposer des conclusions en vue d’un donner acte. Monsieur le président veut d’abord que monsieur MUNYEMANA exprime ce qu’il ressent après ces quatre semaines de procès.
Invité à intervenir comme chaque vendredi soir, monsieur MUNYEMANA va dire en substance:
« Monsieur le président, merci de m’accorder ce temps. Ce fut une semaine riche en témoignages. Je me concentrerai sur le témoignage de mes enfants qui étaient les êtres les plus chers. J’ai essayé de ne pas leur communiquer ma peur pour leur équilibre. Ils ont parlé de ce qu’on endure depuis les accusations.
Pour répondre à la question de monsieur l’avocat général concernant un projet de retour éventuel au Rwanda après le génocide. Je n’avais pas de projet politique, seulement un projet professionnel. Je préparais l’agrégation dans ma spécialité. Je voulais me concentrer à l’enseignement universitaire.
En France, j’ai animé une cellule de réflexion sur le SIDA au Rwanda. J’avais rassemblé des experts internationaux et les autorités rwandaises étaient au courant. Tout cela a été interrompu par les accusations portées contre moi. J’ai commencé à essayer de me défendre pour montrer que je ne suis pour rien dans le génocide qui a bien eu lieu. Avant 1996, j’avais le projet de rentrer, projet interrompu par la plainte. Le statut de réfugié ne m’a pas été accordé. »
Monsieur le président annonce que mardi matin, l’accusé pourra réagir aux dépositions des trois experts psychiatre ou psychologues qui auront été entendus la veille.
La journée se termine par la présentation de « conclusions » (en vue d’une demande de donner acte) pour que soit fait mention au procès verbal les déclarations du témoin, monsieur ISHIMWE: « Ma tante connaissait mon souhait. Cela ne prendrait que 30 minutes et ce serait facile pour moi d’obtenir ma naturalisation. » C’est maître GISAGARA qui s’exprime au nom des parties civiles.
Maître BERNARDINI dit, en substance, avoir du mal à supporter les efforts de la défense pour déconsidérer les témoins des parties civiles.
Maître Simon FOREMAN revient sur sa demande: il y a bien eu une tentative de subornation de témoin de la part de la tante du témoin. (demande subsidiaire)
Maître KARONGOZI fait remarquer que c’est la défense qui a fait citer le témoin.
Monsieur l’avocat général dit s’associer à la demande subsidiaire.
Maître BIJU-DUVAL de rétorquer: « Si nous avions suivi la logique des parties civiles, nous aurions fait des demandes de donner acte concernant de faux témoignages. Monsieur ISHIMWE est venu et a dit ce qu’il a voulu dire. Nous redemandons une confrontation du témoin avec sa tante ». Maître BOURG lit l’article 379 du code pénal. Elle dénonce une ambiance délétère, des intimidations contre les témoins de la défense.
La cour rendra sa décision lundi matin.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les relectures, les notes et la mise en page
- Voir notre article du 19 mars 2018 : Le génocide contre les Tutsi: « Des salauds face à d’autres salauds »? et le Le duel Natacha Polony, Raphaël Glucksmann diffusé la veille sur France Inter. En voici un extrait :
[↑]
- « Sosthène Munyemana – Le boucher de Tumba : en liberté en France », African Rights, avril 1996 – document archivé sur « francegenocidetutsi.org« [↑]
- Voir l’audition de madame Elvanie MUKANDAMAGE, employée de maison de Sosthène MUNYEMANA de février à fin juin 1994, 3 octobre 2025.[↑][↑]
- Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
- Straton NSABUMUKUNZI: ministre de l’Élevage, l’Agriculture et des Forêts au sein du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Il a aidé son ami Sosthène MUNYEMANA a fuir au Zaïre le 22 juin 1994.[↑]
- RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. [↑]