Procès Ngenzi/Barahira. Jeudi 2 juin 2016. J 17.

Audition de Radjabu SIBOMANA, policier communal en 1994.

La matinée débute avec l’audition de Radjabu SIBOMANA, un ancien Interahamwe [1] incarcéré. Il est auditionné par visioconférence.  Il raconte le massacre de l’église de manière très confuse,  donne des éléments dont personne n’a parlé jusqu’ici, ses propos sont relativement  flous. Mais il est persuadé de l’implication d’Octavien NGENZI dans la survenance de cette attaque. Selon lui, Octavien NGENZI a organisé des réunions les jours précédant l’attaque, expliquant qu’il ne fallait pas s’entre-tuer mais au contraire aider les réfugiés de l’église. Mais selon le témoin,  c’était une façade et en réalité l’attaque du 13 était déjà planifiée.

Il est ensuite interrogé sur le massacre de l’IGA. Il explique qu’Octavien NGENZI est venu le chercher pour une réunion à l’IGA. Comme il ne veut pas s’y rendre, le bourgmestre le menace à l’aide d’une arme qu’il aurait reçu du colonel RWAGAFILITA [2]. Il expose qu’arrivé à l’IGA, il y avait beaucoup d’autres personnes, ainsi que CYASA, un grand Interahamwe. Octavien NGENZI aurait alors effectué un tri parmi la population présente et désigné les Tutsi présents. A la suite de ce tri CYASA aurait tiré sur ces personnes. Après cette réunion, le témoin dit que Octavien NGENZI a demandé à la population d’aller fouiller les maisons à la recherche des Tutsi, de qu’il a fait.

L’Avocat Général revient sur ce que le témoin sait du colonel RWAGAFILITA. Il rappelle alors que c’était quelqu’un d’important et il affirme qu’il a distribué des armes sur la commune, notamment à Octavien NGENZI.

Le témoin étant plutôt confus sur le début de sa déposition, en ce qui concerne les faits du 13 avril à l’église, la défense insiste sur ce point. Maître MATHE est donc assez incisive, insiste sur des détails afin de mettre le témoin devant ses contradictions. Elle veut montrer que ce témoin n’est pas crédible, qu’il ment. En effet, les propos de ce dernier sont assez mélangés pour la journée du 13. Cependant, contrairement à ce que la défense a voulu faire croire, le témoin ne change pas de version et est assez clair sur la réunion à l’IGA. Maître MATHE finira par dire, quelque peu énervée: «  C’est un témoin qui, depuis ce matin, nous balade! Comme disait ma grand-mère, quand on ment il faut avoir une bonne mémoire. »

Audition de Jean-Baptiste GATABAZI, policier communal, aujourd’hui agriculteur.

La matinée se poursuit par la déclaration spontanée d’un policier communal en poste en avril 1994, les questions seront posées dans l’après midi au vu de l’heure avancée.

Le policier Jean-Baptiste GATABAZI explique alors quelle était l’organisation de la commune, combien de policiers étaient en poste, combien d’armes possédait la commune. Il explique qu’avant le génocide Octavien NGENZI était en bons termes avec les policiers communaux et la population. Il expose la procédure applicable en cas d’infraction ; les policiers pouvaient arrêter les personnes et les remettre au bourgmestre qui les remettait aux autorités.

Il évoque ensuite la période du génocide, et il affirme que des barrières ont été mises en place un peu partout afin « d’empêcher les ennemis de passer », sous- entendu « arrêter les Tutsi« . Il explique qu’il y avait bien des Interahamwe sur la commune de Kabarondo, ainsi qu’un groupe dangereux d’anciens militaires, le Simba Bataliani.

S’agissant précisément de la journée du 13 avril, le témoin déclare avoir vu le colonel RWAGAFILITA passer devant le bureau communal, tourner en direction de chez Octavien NGENZI. Il déclare également ne pas avoir été convié à une réunion de sécurité par le conseiller Jean-Pierre RWASAMIRERA. Il dit qu’il a entendu une grenade exploser, grenade qui aurait été lancée par Toto, un grand Interahamwe [3]. C’est alors qu’il se rend sur la place du marché pour repousser les Interahamwe qui attaquaient les réfugiés de l’église. Mais étant trop peu nombreux pour résister, les policiers communaux retournent à la commune. Il dit que par la suite les militaires sont arrivés et qu’il voit Octavien NGENZI avec eux: il incite la population à aider les attaquants pour tuer les réfugiés de l’église. Le témoin déclare que les militaires ont installé un mortier au niveau du tribunal et que d’autres tiraient avec des fusils sur l’église depuis la route asphaltée.

Le témoin déclare que le lendemain des militaires sont revenus et ont trouvé des personnes cachées à l’IGA. Ils auraient demandé d’appeler le bourgmestre NGENZI pour savoir si c’est lui qui avait caché ces personnes. Lorsque le bourgmestre arrive, le témoin déclare qu’Octavien NGENZI aurait dit: « Si vous voulez les tuer, tuez-les ». C’est à ce moment que les militaires ont fusillé les Tutsi cachés à l’IGA. Selon le témoin, ils attendaient une sorte d’approbation ou d’autorisation de la part du bourgmestre.

Enfin le témoin parle des perquisitions et des Tutsi embarqués par les militaires à cette occasion. Il déclare avoir vu Octavien NGENZI en présence des militaires venir au bureau communal pour y récupérer les Tutsi qui s’y étaient cachés. Octavien NGENZI aurait négocié avec les militaires pour que le comptable de la commune ne soit pas embarqué, ce dernier a donc pu rester à Kabarondo. Le reste des Tutsi trouvés là ont été embarqués dans différents véhicules, dont un était conduit pas Octavien NGENZI, et transportés au bureau communal de Birenga. Là ils auraient laissé les Tutsi aux militaires. Ils seraient rentrés avec le véhicule conduit pas Octavien NGENZI qui n’a rien dit sur le trajet du retour, n’a montré aucun sentiment par rapport à ce qui venait de se passer ces derniers jours.

Sur question de l’Avocat Général, le témoin précise bien que, lors de l’attaque de l’église, Octavien NGENZI avait une position de dirigeant, de superviseur.

Les questions de la défense sont elles essentiellement centrées sur la chronologie des événements, sur la chronologie des détails, le but étant bien sûr de décrédibiliser le témoin puisqu’il n’est évidemment pas possible de demander aux témoins le souvenir précis qu’ils ont des heures et des dates.

Maître MATHE demande alors au témoin s’il n’a pas perdu de la famille pendant le génocide. Et monsieur GATABAZI d’énumérer ses morts, tous tués, voire brûlés, par des militaires qui se vengeaient.

Audition de Samuel NDOBA, policier communal en 1994.

Le témoin commence par dire que très tôt après l’attentat, on est venu le chercher pour faire cesser une bagarre qui avait éclaté dans un secteur d’où NGENZI est originaire. Il s’agissait en fait d’un affrontement entre le secteur de Rubira et celui de Rundu: les Hutu voulaient tuer les Tutsi. Le témoin finira pas séparer les combattants tout en leur disant de ne pas continuer à s’entre-tuer. NGENZI l’accompagnait.

Il s’est ensuite rendu dans son secteur d’origine pour une intervention semblable. puis il est allé régler un dernier différend: des voleurs s’étaient emparés des vaches et des chèvres d’un certain TITIRI. Et de rappeler la phrase déjà entendue à plusieurs reprises: » Vous mangez les vaches alors que le propriétaire est encore en vie! » Le témoin est parti ensuite assurer la sécurité chez lui.

Le 13 avril, le policier communal est retourné à la commune pour demander des renforts qu’on ne lui a pas accordés. Puis il s’est rendu au Centre de Santé pour chercher des médicaments destinés à être distribués aux gens qu’il héberge chez lui.. C’est là qu’il entend alors une explosion: une grenade venait d’être lancée… Sifflement des balles… Les militaires ont continué à tirer sur les réfugiés, en présence de NGENZI qu’il a laissé là pour rentrer chez. A partir de ce jour, il ne l’a plus revu. Les Inkotanyi, militaires du FPR, sont arrivés quelques jours après.

Le témoins sera ensuite interrogé sur le nombre d’armes détenues à la commune, le nombre de policiers, la présence de barrières et de rondes pour protéger les réfugiés de l’église. Il évoque deux situations qui l’ont opposé à NGENZI au cours de ses 5 années passées au bureau communal. Le bourgmestre avait voulu en effet le remplacer à deux reprises, mais les conseillers s’y étaient opposés. La seconde fois, le bourgmestre voulait mettre à sa place Manassé MUZATSINDA, un neveu de RWAGAFILITA. « NGENZI aimait les vaches, il voulait toujours la corruption » dira le témoin. Ce dernier ne cédera pas.

Le policier sera amené à parler des véhicules utilisés dans la commune, de l’engagement de NGENZI au MRND, de la présence des Interahamwe à Kabarondo, du Simba Batalioni, des Abarinda, tout cela en réponse aux questions de madame la présidente. Avant le génocide, il n’a jamais vu NGENZI brutaliser un Tutsi. Mais depuis 1990, il travaillait avec les agents de renseignement, période à partir de laquelle a commencé une « chasse aux Tutsi » et le bourgmestre était chargé de dénoncer les espions dont il détenait les noms sur une liste. On reparle de l’histoire des chèvres volées, d’une bagarre dans le bar « La bonne nouvelle« . Il évoque aussi la visite matinale de RWAGAFILITA chez NGENZI, le 13 avril. Le début des massacres suivra cette visite. Gendarmes et militaires viendront faire le « travail« . NGENZI serait allé les chercher. NGENZI côtoyait les militaires sans état d’âme particulier. Quant aux réfugiés du bureau communal, le témoin a l’impression que le bourgmestre les a livrés. Un avocat des parties civiles revient sur l’épisode des chèvres. Les propos tenus par NGENZI revenaient bien à envoyer un message clair: tuez les Tutsi. Tout comme le fait d’avoir remis les voleurs en liberté. De plus, si NGENZI leur avait dit de ne pas tuer, ils ne l’auraient pas fait.

Comme à son habitude, l’avocat général posera au détenu des questions claires et rapides qui amèneront des réponses tout aussi claires: NGENZI a fait arrêter des Tutsi au début de la guerre, les Tutsi étant considérés comme des « espions, des complices« , il a adhéré aux idées génocidaires, la présence de RWAGAFILITA encourageait les tueurs.

Maître MATHE va demander des précisions sur l’organisation du travail au sein des policiers, organisation des tours de garde… Ayant du mal à faire parler le témoin avec précision sur son emploi du temps, elle dira, dans un soupir: « On fera avec! »

Mais elle ne lâche pas pour autant le témoin. Sa dernière salve sera pour révéler au témoin, brandissant une liste: « En décembre 1999, même en 1996, vous étiez sur la liste du Parquet concernant les tueurs de première catégorie, sous le numéro 1029 puis 1250! », ce qui provoque la réaction de ses confrères des parties civiles. Le témoin finira par dire: « Je suis passé devant les gacaca et personne n’a témoigné contre moi. » Réponse de l’avocate: « Vous êtes sur la liste des tueurs de première catégorie et vous êtes libre! »

Fin de l’audience vers 20h15.

Alain GAUTHIER et Laura.

  1. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  2. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Lors de son audition, Jean-Baptiste KARUYONGA confirme que TOTO lance une grenade qui provoque la mort de 6 personnes.
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