Procès Ngenzi/Barahira. Matinée du lundi 30 mai 2016. J14.

Audition de monsieur Augustin NSABIMANA, maçon, frère d’Eliezer NGENDAHIMANA.

Le témoin annonce que son audition ne portera que sur monsieur BARAHIRA. Le 13 avril au matin, le témoin reçoit la visite de Samuel NSENGIYUMVA qui l’invite à se rendre à une réunion sur le terrain de foot de Cyinzovu. Accompagnés de responsables de la cellule, ils se rendent sur le terrain : BARAHIRA  arrive peu après. « Savez-vous pourquoi vous êtes là ? », a commencé l’ancien bourgmestre. Il s’agissait de chasser les Tutsi où qu’ils se trouvent. Consigne est donnée de ne pas tuer les femmes tutsi mariées à des Hutu: « Ces femmes sont pour nous! » BARAHIRA leur aurait alors demandé d’aller tuer un vieux Tutsi du voisinage mais il n’était pas chez lui.

Questionné par la présidente, le témoin répond qu’il était armé d’un bout de bois qu’il avait coupé après la réunion. Ceux qui étaient armés, c’est qu’ils avaient été avertis avant. Sur le terrain de foot, la foule est bruyante et seul BARAHIRA se serait adressé à la population. Peut-être toutefois des responsables des comités de cellules! Le témoin confirme les propos que l’ancien bourgmestre aurait tenus concernant « l’ennemi tutsi« . Il décrit alors le massacre des trois Tutsi dans « le bois du projet » [1]. D’autres tueurs sont partis vers l’église pour participer au massacre. S’il a obéi à BARAHIRA, c’est parce qu’il avait été une autorité. Par contre il n’a pas vu NGENZI dans la mesure où il n’habite pas près de la route.

Les parties civiles ayant renoncé à interroger le témoin, c’est au tour de l’avocat général de poser des questions. « Les gens étaient armés de lances, de machettes. BARAHIRA a évoqué la mort du président HABYARIMANA et dans la mesure où il était décédé, l’ennemi, c’était les Tutsi responsables de l’attentat. »

« Tuer même les femmes et les enfants? insiste monsieur COURROYE. « Oui, il avait dit que tous ceux qui sont Tutsi sont des ennemis. Cela ne m’a pas posé de problème dans la mesure où c’était une obligation faite par BARAHIRA, nous devions lui obéir, c’est lui qui avait organisé la réunion. Quand on nous a demandé de le faire, nous nous sommes exécutés. »

Maître MEILHAC va soumettre le témoin à une série de questions: les gacaca [2], le nombre de participants à la réunion dans la mesure où le témoin a souvent varié (NDR: difficile pour quelqu’un d’évaluer une foule. « 100 000 selon les syndicats et 10 000 selon la police »!), la date et la durée de la réunion… Tout cela pour le mettre en contradiction avec les témoins précédents. Le témoin a effectué 10 ans de prison et 10 ans de TIG.

Audition de monsieur Christophe HATEGEKIMANA, témoin présenté par la défense, entendu en visioconférence.

« Je dirai ce que je sais et je ne dirai pas ce que je ne sais pas » commence le témoin. En 1994, au début des massacres, il a vu monter des gens vers le terrain de football pour assister à une réunion. Mais lui n’a pas suivi. On lui a dit qu’ils avaient été convoqués par BARAHIRA. Comme il n’avait pas participé à cette rencontre, on lui a fait comprendre qu’il avait pris des risques. Il a vu les participants redescendre de la colline en criant et  en courant. Il a vu aussi les trois victimes de la « forêt projet »[1] se faire massacrer. Le témoin, étonnamment, s’exprime le plus souvent en disant « nous » et non « je »!

Concernant la mort des trois Tutsi, il avoue: » Oui, on peut dire que j’ai participé à l’attaque puisque j’étais présent. ». Il se défend d’avoir participé à la réunion, contrairement à ce que disent trois autres témoins. « Assurer la sécurité » voulait bien dire tuer les Tutsi, mais on ne pouvait pas le dire ouvertement. « A cette époque, je voyais qu’on pourchassait les Tutsi, que le génocide avait déjà commencé »!

Les Interahamwe [3]? « Ils passaient souvent à bord du véhicule d’un certain MUKIBI. A l’aide d’un porte-voix, ils demandaient aux gens de participer aux attaques. C’était des gens du MRND qui sensibilisaient les gens. » Quant aux gens qu’il a rencontrés, ils étaient armés de lances, de machette et de gourdins. Il n’a jamais vu monsieur NGENZI. Et s’il n’a pas participé à la réunion, c’est parce qu’il ne voulait pas être actif. « D’autres avaient du zèle. Je constatais qu’il y avait des massacres, je ne voulais pas aller voir ça. »

Maître MEILHAC tente bien de le questionner, mais il renoncera vite, le témoin continuant de dire qu’il n’était ni au terrain de foot, ni à l’église.

Audition de Tito BARAHIRA sur la période du 7 au 12 avril 1994.

Dès l’annonce de la mort du président HABYARIMANA, le 7 avril, c’est la période réservée au deuil. La population était instamment priée de rester à la maison. « C’était une période de tristesse« . Dans la matinée, il s’est rendu à Kabarondo pour demander aux ouvriers qui travaillaient pour lui de rentrer chez eux pour respecter les instructions. Il souhaitait aussi récupérer les loyers de ses maisons. N’ayant pu rencontrer qu’un seul de ses locataires, il a fait savoir aux autres qu’il reviendrait le lendemain. De retour chez lui, il s’est consacré « aux tâches ménagères »!

Le 8 avril, il est resté chez lui, toujours occupé aux « tâches ménagères ».

Le 9, il est retourné à Kabarondo à la recherche de ses locataires. Après avoir récupéré ses loyers et acheté ce qui manquait à la maison, il est retourné chez lui. Il est reparti à Kabarondo le 13 avril quand il a su que l’église avait été attaquée. Lui, il habitait une maison isolée derrière un bois d’eucalyptus, à 4 km de Kabarondo. Ce qu’il a fait pendant ces jours? Il a aidé sa femme et ses enfants « à faire le ménage« . Il devait tailler sa clôture de cyprès, s’occuper des vaches dans l’étable,aller couper des régimes de bananes dans sa bananeraie, chercher du fourrage pour ses veaux ainsi que couper du bois de chauffage. Ses maisons de Kabarondo n’étaient pas totalement terminées. Dans l’une d’elle, il avait ouvert une pharmacie. Il lui restait à construire des latrines.

La présidente lui demande alors de parler de la réunion sur le terrain de foot.

« Je ne connais pas cette réunion, je n’y ai pas participé, je ne l’ai pas dirigée. » Selon l’accusé, cette histoire de réunion, c’est une invention. C’est de Rugazi 1 et 2 qu’est venue cette rumeur. Tous ceux qui en parlent sont passés aux aveux lors des gacaca. Il s’agit « d’un complot tramé en lien avec leur arrestation car ils ont intérêt à inventer cette réunion et à m’en incomber la responsabilité. Ils m’ont mis en cause pour obtenir une réduction de peine ». Et de marteler que cette réunion n’a pas eu lieu et d’expliquer comment, pour organiser une réunion, il faut d’abord obtenir une autorisation… « Je n’ai pas prononcé les paroles qu’on m’attribue. Les Tutsi, j’ai vécu avec eux, j’avais des amis tutsi et hutu. Je n’ai jamais eu de haine, même quand j’étais leur responsable. Cette réunion n’a jamais existé, l’autorité communale n’en a jamais été informée, ni la population… ». Sa déposition spontanée s’arrête ainsi.

L’audience est suspendue à 12h30 (pour cause de dialyse de l’accusé), sans que personne n’ait eu le temps de questionner l’accusé. Dommage. Vu les déclarations du prévenu, il aurait été préférable de battre le fer pendant qu’il est chaud. Il faudra reprendre cela plus tard. Quand?

Alain GAUTHIER

  1. Non donné à ce lieu par les habitants de Kabarondo, déjà cité par d’autres témoins vendredi dernier.
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  2. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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