Procès Ngenzi/Barahira. Matinée du lundi 6 juin 2016. J 19.

Audition de Berthilde MUTEGWAMASO, agricultrice.

Le témoin déclare se constituer partie civile. Elle ne prêtera donc pas serment devant la Cour.

BARAHIRA, qui « faisait partie des Interahamwe » [1] aux dires de son mari, instituteur à Cyinzovu, est venu à l’église de Kabarondo, où beaucoup de personnes avaient trouvé refuge, pour massacrer les gens. Vers 9 heures du matin, l’abbé INCIMATATA avait demandé aux femmes et aux enfants d’entrer dans l’église, et aux jeunes gens, filles et garçons, de prendre des pierres et des bâtons pour se défendre. Les hommes qui étaient partis à une réunion sur la place du marché sont revenus: ils avaient été attaqués par des Interahamwe et les survivants s’étaient repliés sur l’église. Vers 16 heures, on a fait sortir les gens valides du lieu saint et on a commencé à les massacrer. « BARAHIRA portait un fusil et NGENZI un bâton » dira le témoin. NGENZI aurait conduit des blessés à Kibungo, dont une nièce du témoin, et on ne les a plus revus jusqu’à ce jour. « Je voudrais qu’ils nous disent où sont les corps des nôtres« . C’est par ses mots qu’elle termine sa déposition spontanée.

En réponse aux questions de la Présidente, le témoin évoque la mort des siens, celle de ses enfants et de son mari tutsi, les visites « quotidiennes » de NGENZI, et la présence de BARAHIRA lors des massacres. Elle signale aussi la présence de Blancs, « des Français » précisera-t-elle en réponse à une question de Maître MEILHAC.  Le bourgmestre aurait dit aux réfugiés: « Rentrez, rentrez chez vous, le calme est revenu. » Certains sont rentrés et sont morts. On a demandé aux réfugiés qui étaient restés dans l’église de sortir les bras en l’air et on les a fait asseoir par terre. On exigeait qu’ils présentent leur carte d’identité: BARAHIRA aurait participé au tri des réfugiés. C’est là qu’ils ont été à leur tour tailladés: coups de machettes, de gourdins, balles… et ce jusqu’à ce que la nuit tombe. « Nous avons dormi parmi les cadavres. A l’aube nous avons repris nos idées et nous nous sommes cachés dans la brousse. »

Questionnée sur le type d’arme utilisée, le témoin avoue n’avoir aucune connaissance en ce domaine, jusqu’à « ne pas connaître la différence entre un fusil et un pistolet« , précisera-t-elle un peu plus tard. D’énumérer ensuite, toujours à la demande de madame MATHIEU, la présidente, les morts de sa famille, puis d’évoquer ses blessures au pouce et à l’épaule alors qu’un de ses enfants se raccrochait à elle.

Maître GOLDMAN, avocate des parties civiles, demande au témoin si BARAHIRA était le chef des attaquants, s’il donnait des ordres. Elle répond par l’affirmative. A son tour, Maître PARUELLE  lui rappelle ses paroles:  » J’ai été sauvée grâce à Dieu! » « N’est-ce pas plutôt parce que vous étiez Hutu? » précise l’avocat. Le témoin réfute cet argument.

Monsieur COURROYE, l’avocat général, cherche à savoir si NGENZI avait ravitaillé les réfugiés. « Non, c’est seulement KAJANAGE, un commerçant, qui a apporté de la nourriture« .

Ce sera au tour de la défense, par l’intermédiaire de maître MEILHAC, de poser des questions: armes portées par les deux accusés car le témoin a varié dans ses propos, rôle de BARAHIRA dans l’église, nombre d’auditions par différents enquêteurs… A-t-elle parlé avec des associations de rescapés? Le témoin de nommer AVEGA, association des veuves du génocide, et IBUKA, « Souviens-toi », association qui s’occupe de la mémoire et de la justice. C’est dans ces associations que se retrouvent les rescapés. Quant aux indemnisations, il existe bien au Rwanda un Fonds d’Aide aux Rescapés du Génocide (FARG), mais les décisions prises  par les Gacaca en ce qui concerne les réparations, elles n’ont jamais été suivies d’effet.Le témoin évoque la vente aux enchères des biens des accusés mais rien n’est encore fait.

Audition de Benoîte MUKAHIGIRO, agricultrice.

Comme le témoin précédent, elle déclare se constituer partie civile.

Le témoin s’excuse pour sa voix enrouée, mais c’est suite au génocide qu’elle parle ainsi. Elle souhaite témoigner assise car elle souffre de la colonne vertébrale, toujours depuis le génocide.

Son audition commence par l’évocation du vol des chèvres par « des gens habillés d’herbes » [2]. Le conseiller de la commune serait aller chercher NGENZI qui aurait réglé le problème en rendant la viande à son propriétaire, mais qui aurait aussi prononcé les paroles déjà entendues à plusieurs reprises: « Vous mangez la viande du propriétaire alors que ce dernier est toujours en vie?« . Après le départ du bourgmestre, les massacres ont commencé et beaucoup de gens ont décidé de quitter leur domicile pour se rendre qui à l’église, qui à Rundu où les massacres n’avaient pas encore commencé. C’est là que se rend d’abord le témoin, puis rejoindra l’église quand l’insécurité arrivera dans le secteur. Évoquant les visites de NGENZI, elle rapporte quelques-uns de ses propos: « Tous ceux qui sont là sont des chiens. Vous vous êtes réfugiés à l’église, vous croyez que c’est l’église qui va les sauver? » Elle parle à son tour de la réunion à laquelle les homme ont été invités le 13 avril au matin. Elle évoque les mêmes scènes que d’autres témoins puis évoque l’arrivée d’un bus rempli de militaires: « On a cru qu’ils venaient nous sauver! » Suivront les massacres des réfugiés qu’on a fait sortir de l’église en levant les bras: « Le premier qui est sorti a été tué » précise le témoin, si bien que les autres n’osent plus quitter l’église. Obligés de le faire, les plus chanceux se disperseront dans la brousse.

D’évoquer ensuite l’enterrement des cadavres: NGENZI, dans sa précipitation, aurait fait enterrer des gens vivants. Il a aussi transporté des gens à Kibungo « pour les sauver« : en fait, ils seront tués. Parmi les victimes, la femme de KAJANAGE. Elle parle des crimes que le bourgmestre aurait commis au camp de Benako, en Tanzanie, selon les dires de certains témoins. Et de terminer sa déposition spontanée par ces mots: « NGENZI a fait beaucoup de mauvaises choses, il a fait du mal aux voisins, à son pays qui l’a vu naître. » Elle a toutefois oublié de parler de BARAHIRA: «  Je l’ai vu bousculer une vieille femme, Joséphine, qui est tombée par terre. » Cette personne sera tuée peu après.

Les questions de la présidente vont donner l’occasion au témoin de préciser certains de ses propos. RWAGAFILITA [3], elle le connaissait. Le colonel de gendarmerie venait souvent festoyer dans son secteur d’origine. Anaclet RUHUMULIZA, un membre de sa famille toujours en prison au Rwanda, était chargé de la sensibilisation des habitants de la commune. Le femme de ce dernier aurait souhaité obtenir la place de bourgmestre, ce qui aurait créé de petites dissensions entre l’homme fort de la région et NGENZI qui, de toutes façons, partageait ses idées. La mort de Joséphine, dont on lui a parlé, s’est produite après un contrôle de la carte d’identité. Elle en avait deux. Elle a montré sa carte sur laquelle était précisée la mention « Hutu », mais BARAHIRA savait qu’elle était Tutsi! Le témoin a bien participé aux Gacaca en tant que présidente, mais pas dans celles qui ont jugé nos deux accusés.

Toujours interrogée par la présidente qui cherche à en savoir toujours plus, madame MUKAHIGIRO fera la liste des morts de sa famille: 6 enfants de son frère, âgés de de 20 à 10 ans, sa belle-soeur, son mari, ses beaux-frères et belles-soeurs. Quant à ses blessures, elles ont été occasionnées par un coup de fusil tiré dans le dos. Alors qu’un Interahamwe venait de couper la tête d’une personne qui était à côté d’elle, elle a fui en courant et en faisant cette prière: » Seigneur, donne-moi la force de courir pour qu’on me tire dessus et que je ne meure pas d’un coup de machette! » Elle a couru, a glissé deux fois sur du sang puis a chuté en tapant de la tête la citerne de la paroisse. Alors qu’elle se vidait de son sang, une femme lui a donné à boire et lui a dit: » Partout où tu iras, on te tuera. Trouve une cachette et marche la nuit. » Elle refuse de la cacher. Le témoin trouve alors refuge dans un champ de caféiers où elle entendra des Interahamwe dire qu’ils reviendront tuer le lendemain. Elle finit par atteindre le Centre commercial où elle entend le commerçant RUHUMULIZA déclarer qu’il fallait arrêter de tuer les femmes et les filles tutsi. Il donnera ensuite l’ordre d’exterminer tout le monde. L’avocat général lui demandera un peu plus tard ce que le commerçant voulait dire lorsqu’il déclarait qu’il fallait épargner les femmes tutsi: » Pour les épouser? » Silence du témoin.  « En disposer? »  Elle n’en dira pas plus! Mais il faut espérer que tout le monde a compris! (NDR: « épouser les femmes tutsi »? Cette expression correspond à une réalité du génocide. Beaucoup de femmes tutsi ont été utilisées comme esclaves sexuelles, violées pendant toute la durée du génocide, parfois exécutées ensuite. De nombreuses rescapées contracteront le virus du SIDA et mettront au monde des enfants issus du viol).

Maître MEILHAC  va demander au témoin de décrire physiquement BARAHIRA en 1994. «  Un homme moyen, pas vieux, avec beaucoup de cheveux! » dira le témoin. « Il était maigre? Il a grossi? » insiste l’avocat. Sourire sur le banc des jurés et dans la salle. La question était-elle vraiment pertinente? On peut en douter.

Maître MATHE interroge le témoin à son tour. Les informations que madame MUKAHIGIRO donne sur le rôle de NGENZI au camp de Benako, elle les tient d’une certaine Thérèse NTAKAZI qui avait fui avec ses enfants [4]. Son interrogatoire serré a probablement pour but de faire comprendre aux jurés que le témoin rapporte ce qu’elle a entendu dire, plus que ce qu’elle a vu de ses yeux.

L’audience se termine vers 13h15.

Alain GAUTHIER

  1. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« . [Retour au texte]
  2. Des voleurs s’étaient emparés des vaches et des chèvres d’un certain TITIRI. Selon plusieurs témoins, NGENZI aurait dit « Vous mangez les chèvres alors que leur propriétaire est encore en vie?”, incitant ainsi les massacres qui ont suivi. NGENZI assure que « ce sont des inventions », cependant les témoignages rapportant ces propos se multiplient au fil des audiences.
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  3. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  4. Interrogée à ce sujet lors de son audition, Thérèse NTAKAZI déclarera que c’est un mensonge, ce à quoi l’avocate répondra : “Je vous crois“.

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