Procès Claude MUHAYIMANA: lundi 13 décembre 2021. J16


Audition de monsieur Vénuste MISAGO, en visioconférence du Malawi. Témoin cité par la défense.

Le témoin est un ami d’enfance de Claude MUHAYIMANA. Au moment de l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA, il travaillait à l’Arboretum de Butare qu’il va quitter le 26 avril. Après avoir passé une nuit à Birambo, il arrive le 27 à Kibuye., dans la soirée.

Deux ou trois jours après, il rend visite à Claude MUHAYIMANA: il a besoin de parler avec lui. Il le trouve couché dans son salon. L’accusé lui révèle qu’il a la malaria depuis son retour de Ruhengeri où il a transporté le corps du gendarme MWAFRIKA tué sur les collines de Karongi.

C’est sur réquisition des gendarmes qu’il s’était rendu là, avec la voiture de BONGO BONGO[1].  Comme son ami était malade, il lui a rendu régulièrement visite. Un jour, il s’est trouvé là lorsque des gens venaient attaquer la maison de Claude: ils cherchaient les personnes qui se cachaient dans la maison. La plupart des tueurs venaient de Gasura, sous la conduite de Cyriaque, un vétérinaire. Après avoir parlementé avec les attaquants, il les a persuadés de repartir moyennant une somme d’argent. D’autres attaques se renouvelleront par la suite. L’une d’elle était dirigée par une femme venue de Kayenzi et qui avait travaillé chez l’accusé. Elle en voulait à la femme de Claude dont d’anciens maçons ont pris la défense.

Le témoin habitait tout près de la station Petro Rwanda. de sa terrasse il pouvait voir les véhicules partie le matin et revenir le soir, environ trois fois par semaine.  Le véhicule de BONGO BONGO était conduit par Bosco MAYATI, un jeune de sa génération. Le témoin va alors citer une liste de véhicules conduits par des chauffeurs dont il donne le nom: jamais celui de Claude MUHAYIMANA.

Chez Claude, il retrouvait d’autres personnes qu’il connaissait pour la plupart. Souvent, l’abbé François KAYIRANGA[2] venait aussi rendre visite à la famille de l’accusé.

Quand les soldats français de l’Opération Turquoise sont arrivés à Kibuye, fin juin, le calme est revenu. Il n’a plus vu les véhicules se rendre à Bisesero. Il a alors espacé ses visites chez Claude: il reprenait des forces.

Un jour, les soldats français sont venus chez l’accusé avec François KAYIRANGA: ils l’ont embauché pour les guider dans le secteur de Kibuye. C’est à la mi-juillet qu’il a vu Claude MUHAYIMANA pour la première fois.

Les médias auraient accusé Claude d’avoir conduit les Interahamwe[3] à Bisesero? Il n’a rien vu de cela. Et d’ajouter: « Claude ne pouvait pas s’impliquer dans les tueries. Il est victime d’une injustice. Je demande de le rétablir dans ses droits. »

Lors de la série de questions auxquelles le témoin sera soumis, tant par le président que par les parties ou le ministère public, ce dernier confirmera que Claude MUHAYIMANA a été malade depuis son retour de Ruhengeri jusqu’à l’arrivée des Français. Il avait vraiment la fièvre quand il lui rendait visite:  » Il tremblotait, avait des migraines, était très affaibli. Il avait du mal à se tenir debout. » Malheureusement, il est le seul à le dire.

A la question de savoir pourquoi il n’était pas rentré au Rwanda après sa fuite, il déclare que les droits de l’Homme ne sont pas respectés au Rwanda. Quand il était en exil, il a travaillé comme enquêteur au TPIR au service de la défense dans le dossier du Gouvernement II, de 2001 à 2011. Il travaillait sur les archives, ce qui l’a dispensé devenir au Rwanda.

Et de redire qu’il souhaite que justice soit rendue à Claude MUHAYIMANA, que les faits qui lui sont reprochés sont « mensongers« .

Sur question de maître Alexandre KIABSKI, avocat du CPCR, il déclare avoir été élevé par son beau-frère KAYIHURA, alias GASAMBO, et avoir fui avec lui à Bukavu.

NDR. Un témoin bien formaté dont les mensonges n’échapperont à personne.

 

Interrogatoire de monsieur Claude MUHAYIMANA.

Le reste de la journée sera consacrée à l’interrogatoire de Claude MUHAYIMANA. L’accusé va confirmer qu’il a bien transporté le corps du gendarme MWAFRIKA, que ce voyage a duré environ une dizaine de jours; en atteste le bon de transport qu’il a fourni à la Cour, un faux manifestement. A son retour, il est resté cloîtré chez lui pendant les deux mois qu’a duré le génocide.

S’il est poursuivi en justice, c’est à cause de son engagement au sein du RNC[4], aux côtés d’anciens membres du FPR[5], à Rouen.

En conclusion monsieur le Président résume les faits: « Vous contestez toutes les accusations. Vous avez eu beaucoup de compassion à l’égard des Tutsi de chez vous. Vous êtes un JUSTE! On cherche à vous faire payer votre opposition au régime de KAGAME. Votre épouse vous a toutefois qualifié de « manipulateur » et « menteur ».

L’interrogatoire reprendra après l’audition de monsieur PHESANS, expert psychiatre.

Mais l’accusé restera sur ses positions, des positions que ses conseils tenteront de défendre.

Sur questions du Ministère public, on finira par apprendre que MUHAYIMANA a bien été condamné par une Gacaca[6] en 2009 (donc rien à voir avec son engagement politique à Rouen qui est plus tardif). Lors de sa demande d’asile à l’OFPRA[7], il avait dû faire rédiger sa demande par un compatriote car il ne maîtrisait pas suffisamment la langue française. Tout le contraire de ce qu’avait dit le colonel SARTRE[8]: l’accusé avait été recruté sur ses connaissances en Français. Il redira ce qu’il a toujours affirmé: il n’a pas pu aller à Bisesero, il était malade.

 

Audition de monsieur PHESANS, expert psychiatre.

L’expert reconnaît que Claude MUHAYIMANA n’a révélé aucune pathologie mentale, qu’il n’y a chez lui « aucune névrose constituée« .

Deux éléments à souligner: son histoire familiale et sa prise en main par une religieuse belge qui aurait voulu en faire un moine, religieuse qui était « une sorte de substitut maternel« . L’absence aux obsèques de sa mère l’aurait beaucoup affecté. Un enregistrement vidéo lui avait été envoyé.

D’autre part, sa scolarité est plus complexe qu’il ne le dit. Il a arrêté ses études après deux années de Tronc commun. Il ne révèle pas à l’expert les véritables raisons de son exclusion de l’école, une nuit passée avec sa copine.

En conclusion, il a une personnalité normale avec une bonne capacité d’insertion sociale. A propos de sa rupture avec son épouse, il en éprouve une réelle frustration mais pas de névrose.

Lors de l’entretien, il ne reconnaît rien de ce qui lui est reproché. Il a œuvré pour sauver des Tutsi. Il ne comprend donc pas sa situation actuelle. Si on le poursuit, c’est parce qu’il a refusé d’accuser des soldats de l’Opération Turquoise[9].

En fait, « il n’est pas mythomane, mais simplement menteur. »

 

  1. voir l’audition de  Jean Bosco NKUNDUNKUNDIYE, alias Bongo Bongo[]
  2. voir l’audition de l’abbé François KAYIRANGA[]
  3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  4. RNC : Rwanda National Congress, groupe d’opposition au gouvernement de Paul KAGAME.[]
  5. FPR : Front patriotique Rwandais[]
  6. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.[]
  7. OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides[]
  8. voir l’audition du général Patrice SARTRE, colonel de l’Opération Turquoise en 1994[]
  9. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994. Lire également le témoignage de Patrick de SAINT-EXUPÉRY[]

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Projection-débat du documentaire "Rwanda 94, année zéro" en avant-première le 21 mars à Limoges et le 27 mars à Reims. Diffusion sur France 3 le 11 avril pour la 30ème commémoration du génocide des Tutsi.