Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 28 mai 2018. J 13

Madame la présidente donne lecture du courriel que maître BOURGEOT a adressé à monsieur Méthode RUBAGUMYA, OPJ du GFTU [1] lors des enquêtes,  qui ne s’est pas présenté alors qu’il était cité par la défense.

Maître BOURGEOT remet un document de sa fabrication concernant les subdivisions administratives de la commune de KABARONDO. Monsieur BERNARDO fait remarquer que le document contient des erreurs et qu’on ne peut le valider sans examen plus approfondi.

Maître ARZALIER fait part à la Cour qu’il entend citer des parties civiles. Madame la Présidente lui fait judicieusement remarquer qu’on ne peut citer de nouvelles parties civiles en appel.

 

Audition de monsieur Patrice NGIRUMPATSE, cultivateur.

Le témoin déclare qu’il a participé à la réunion sur le terrain de foot de Cyinzovu, réunion dont il avait appris la tenue par Manassé MUTABAZI. Quand il est arrivé sur place, beaucoup de participants en armes (gourdins, bâtons, lances…) se trouvaient là. Il faut dire que les absents étaient menacés de sanctions sévères. La rencontre était animée par MUMVANO mais BARAHIRA se tenait bien à ses côtés.

« A partir d’aujourd’hui, vous allez commencer à tuer les Tutsi » aurait dit MUMVANO. A quoi BARAHIRA aurait ajouté : « Vous, gens de Rugazi, entrez assurer la sécurité chez vous ! » Après avoir quitté le terrain, le témoin et son groupe sont passés par la Forêt du Projet où ils ont tué trois Tutsi. Il nomme les tueurs en minimisant son propre rôle : il était présent, c’est tout. (NDR. On connaît bien ce système de défense : toujours le même !)

Madame la présidente ne manquera pas de mettre le témoin en face de ses contradictions. MUTABAZI, son grand frère, ne lui avait pas annoncé l’objet de la réunion : on ne questionne pas une autorité !

« Pourquoi tuer les Tutsi ? » interroge la présidente. C’est suite à la chute de l’avion ! Et le témoin d’évoquer la visite du ministre de la justice qui est venu leur demander d’avouer les faits devant les Gacaca [2]. Sur question de madame la Présidente, le témoin affirme qu’il aurait quand même avoué sans la demande du ministre : « C’était lourd ! » Pour lui, « assurer la sécurité », c’était rester chez soi ! Et pourtant, avant de rentrer, ils ont tué trois Tutsi ! C’était dans le plan de tuer les Tutsi : il connaissait les personnes assassinées, mais, étonnamment, il ne savait pas qu’elles étaient Tutsi ! Comprenne qui pourra. Après le meurtre, il est rentré chez lui et est resté trois jours sans manger tellement il était « tourmenté ». Des massacres de l’église, le 13 avril, il ne sait rien. D’ailleurs, il n’a même pas entendu le bruit des armes !

Pourquoi avoir obéi aux ordres, alors ? « On ne peut pas désobéir à un ancien bourgmestre. » « BARAHIRA était aimé et respecté car il avait été un bon bourgmestre pendant longtemps. Nous l’aimions beaucoup et ce qu’il disait, nous devions le respecter » avait-il déjà déclaré dans une précédente audition.

Les avocats des parties civiles font préciser au témoin deux ou trois points restés dans l’ombre.

Monsieur Frédéric BERNARDO, l’avocat général, souhaite savoir combien de temps a duré la réunion. « Environ 1 heure » précise le témoin. A l’avocat général qui veut savoir si la foule est silencieuse : « Comment voulez-vous parler quand une autorité parle ? »

Au tour de maître BOURGEOT, l’avocate de BARAHIRA, de questionner le témoin. Ce dernier a bien participé à une session Ingando [3], pendant un mois, mais il n’a pas appris grand-chose. Beaucoup ont avoué leurs crimes lors des Gacaca [2], pour sortir de prison, mais pas les innocents. L’avocate cherche à lui faire dire que tous ceux qui ne disent pas comme lui sont des menteurs, façon de discréditer les témoignages. « Comment voulez-vous que je sache qui ment ou ne ment pas » reconnaît le témoin.

Le dernier mot revient à maître CHOUAI, avocat de NGENZI. Il pose une question assez incongrue, sûr de l’effet qu’il va produire ! Ayant remarqué, comme tout le monde, que les témoins avaient été habillés avant leur venue, il ose la question : « Elles viennent d’où vos chaussures ? » Le témoin reconnaît que le Parquet de Kigali leur a fourni de nouveaux habits. « Vous ne pouvez pas partir sale et monter dans un avion. On doit se présenter propre devant le tribunal » répond tout simplement monsieur NGIRUMPATSE.

 

Audition de Félicien KAMANA, cultivateur.

Ce nouveau témoin ne dit rien de bien nouveau. A quelques différences près, il reprend les propos de celui qui l’a précédé. Il a appris l’attentat contre HABYARIMANA par la radio, le 7 avril. Il s’est rendu à la réunion sur le terrain de football avec NGIRUMPATSE. En chemin, il a coupé une branche en guise d’arme. MUTABAZI leur aurait dit alors qu’il s’agissait de tuer les Tutsi. Quant aux pillages, il n’y a pas participé, seuls « ceux qui avaient envie l’ont fait ! ».

Toujours le même discours concernant l’obéissance aux autorités. BARAHIRA n’était plus bourgmestre mais on ne pouvait pas ne pas lui obéir, même s’il n’était plus qu’un fonctionnaire d’Electrogaz. (NDR. Ne pas négliger le rôle que les grandes sociétés nationales ont pu jouer pendant le génocide, et tout particulièrement la société Electrogaz qu’on retrouve dans d’autres affaires.)

Par contre, lui, il a bien entendu les bruits de tirs, les explosions en provenance de l’église.

Vont suivre quelques questions dont une de maître BOURGEOT qui veut absolument faire dire au témoin qu’on leur a demandé de dire que BARAHIRA était présent alors que c’est MUMVANO qui dirigeait la réunion. Le témoin répond par la négative. A l’avocate qui se demande comment savoir la vérité, madame la présidente signale que « c’est le travail de la Cour ! » Le témoin a-t-il perdu des membres de sa famille ? « Oui, ils étaient malades et ils sont morts ». Probablement pas la réponse que maître BOURGEOT attendait.

 

Lecture du PV d’audition de madame Pauline NYIRAMASHASHI, décédée.

Voir le compte-rendu qui avait été fait de cette même lecture dans le procès en première instance à la date du 23 mai 2016.  Préciser peut-être que le témoin accuse NGENZI d’être passé au Centre de Santé et d’avoir demandé qu’on achève les blessés et qu’on jette leur corps dans la fosse. Sans oublier de se battre contre le FPR.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

 

  1. GFTU : « Genocide Fugitive Tracking Unit », section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
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  2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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  3. Ingando : camps de réinsertion pour ceux qui rentrent du Zaïre après le génocide.
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