Procès Ngenzi/Barahira. Matinée du 23 mai 2016. J9

Pauline NYIRAMASHASHI, lecture de son audition (décédée).

Madame NYIRAMASHASHI était une agricultrice tutsi, veuve en 1994: elle a perdu 5 enfants pendant le génocide. Elle signale que dès l’annonce de l’attentat contre le président HABYARIMANA les Simba Bataliani [1] ont attaqué. NGENZI est venu alors chercher des Tutsi « pour les mettre à l’abri » (en réalité les rassembler « pour les tuer« ) en demandant aux autres de rejoindre Kabarondo. Quand les tueurs faisaient leur « travail » elle dit que NGENZI était là. Les Tutsi « ont accepté de quitter la brousse » où ils se cachaient. Elle a rejoint elle-même l’église de Kabarondo de nuit et a retrouvé deux de ses enfants en arrivant à l’église le matin, église qu’elle a quittée pour se rendre au Centre de Santé pour faire soigner un de ses enfants. NGENZI a refusé que l’on ravitaille les réfugiés de l’église: « Je suppose qu’il savait qu’on allait mourir ». Au Centre de Santé, le témoin signale la venue d’Octavien NGENZI. Ce dernier aurait dit: « Je vais nettoyer la saleté, c’est-à-dire tuer les blessés« , arguant de la présence proche des Inkotanyi[2]. Le témoin a fui le Centre et a rencontré les soldats du FPR qui l’ont sauvée.

Audition de Jean de Dieu MUNYANGABE en visio-conférence reportée, le témoin est malade.

Lecture de nombreux documents, dont beaucoup versés par la défense.

Le reste de la matinée va être consacré à la lecture assez fastidieuse de documents versés au dossier.

1) Rapport de M. Waly Bacre NDIAYE, rapporteur spécial, sur la mission qu’il a effectuée au Rwanda du 8 au 17 avril 1993. Ce rapport est présenté le 11 août 1993. Mention est faite de la Commission internationale des Droits de l’Homme de la FIDH, commission dénoncée par les autorités rwandaises qui en dénoncent la partialité. Il reconnaît que des armes circulent à profusion, armes distribuées aux civils par les autorités. Signale aussi « des violations du droit à la vie », 300 Tutsi ayant été tués dans le Nord du pays. Il dénonce le rôle des Forces Armées Rwandaises (FAR), faisant référence aux massacres du camp de Bigogwe. signale le fait qu’on a fait croire à une attaque du FPR pour justifier les massacres, dénonce les méfaits des milices, surtout celles du MRND et de la CDR, « méfaits commis en toute impunité« . Le rapporteur évoque aussi « l’attitude criminelle de certains bourgmestres » sans oublier de dénoncer aussi les exécutions dont s’est rendu coupable l’APR (Armée Patriotique Rwandaise). Sont également dénoncées les « défaillances du système judiciaire qui ont favorisé l’impunité« , l’absence de véritable police dans les zones rurales. Rôle néfaste de Radio Rwanda qui ne tient pas le même discours selon qu’il s’agit de nouvelles en Kinyarwanda ou en Français (NDR: moyen de tromper la communauté internationale). Maître LAVAL, avocat du CPCR, demande à la présidente de lire le passage qui rappelle ce qu’est un génocide ainsi que le fait que les Tutsi sont désignés comme cible.

2) Lecture d’extraits du Rapport de la Mission d’enquête de la Fédération internationale des Droits de l’homme. Le Rwanda est signataire, depuis le 15 avril 1975, de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide. La mission signale que de « nombreux Tutsi ont été tués ou privés de leurs biens ». Selon le clergé, une centaine de civils ont été tués par le FPR, qui déclare que ce clergé est « de connivence avec le gouvernement ». Le FPR reproche d’ailleurs aux FAR de s’installer au milieu de la population qui sera victimes des combats. Les membres de la Commission ne passeront que peu de temps en zone FPR, le 17 janvier 1993, mais ils dénonceront des violations des droits de l’homme dans cette zone.

3) Lecture de sept décisions de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) à la demande de maître MATHE qui veut sans doute montrer que ces demandeurs d’asile sont les victimes du régime rwandais.

4) Lecture du document de Human Rights Watch « Lois et réalités ». HRW parle de la réorganisation de la justice au Rwanda sur la période 2005-2008: difficultés de fonctionnement de la justice, échelle des crimes en rapport avec le génocide, catégorisation des crimes (4 catégories), réduction de peines pour ceux qui dénoncent leurs complices, et rappel des 22 exécutions, avant que la peine de mort ne soit supprimée en 2007. HRW fait l’historique des Gacaca, doute de procès équitables et évoque des cas de torture.

5) Journal KANGURA n°6. La lecture a déjà été faite voici quelques jours.

6) « Rwanda dans le plus grand secret ». Rapport d’Amnesty International d’octobre 2012. Dénonciation de nombreux cas de détention illégale, de deux disparations, actes de torture, procès des co-accusés de la dissidente Victoire INGABIRE, anciens membres du FPR qui quittent le Rwanda pour devenir « opposants », aveux obtenus sous la contrainte, politique du Rwanda en RDC, procès de Victoire INGABIRE

7) « Justice compromise » de Human Rights Watch sur le dysfonctionnement des Gacaca, la corruption, les pressions faites sur les témoins pour accuser faussement, pressions du gouvernement, intimidations … Evocation de l’affaire Guy THEUNIS, prêtre belge autrefois incarcéré au Rwanda.

8) Lecture des nombreux cas de refus d’extrader vers le Rwanda (à la demande de maître MEILHAC). L’avocat de Tito BARAHIRA oublie de signaler les deux ou trois cas où des Chambres d’appel ont émis des décisions positives, annulées par la Cour de Cassation. (NDR: intéressant de lire, sur le site du CPCR,  l’article de Damien ROETS, professeur de droit international à l’Université de Limoges, qui réfute la décision de la Cour de cassation.)

9) Lecture d’extraits du Discours de Léon MUGESERA à Kabaya, nord du Rwanda (NDR: discours auquel assistent de nombreux responsables rwandais de l’époque).

10) Rapport du Conseil Économique et Social du 18 juin 1994 par René Degni-Ségui,  rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations-Unies. Il signale la présence, dans le camp de Benako en Tanzanie, la présence de nombreuses personnes qui ont participé au génocide et qui ont retrouvé leur autorité auprès des populations. 14 personnes ont été convoquées par les autorités tanzaniennes et sommées de ne pas retourner dans le camp: interdiction à laquelle elles ont passé outre. Le camp de Benako est désigné comme un « repli stratégique des miliciens pour servir de base arrière afin d’attaquer le Rwanda.

11) Lecture de l’audition de monsieur Jean-Pierre CHRETIEN les 25 et 26 mars 2014 par les juges d’instruction. Plusieurs thèmes sont évoqués: notion de peuple majoritaire, le Tutsi considéré comme ennemi, l’AKAZU[3]. Avec le multipartisme, le MRND devient le porte-parole des extrémistes hutu, relayé par la CDR. La RTLM, opérationnelle en octobre 1993, combat les accords d’Arusha, tient des propos racistes et appelle à la haine. Elle est écoutée sur tout le territoire. Les massacres (Bagogwe, Bugesera) obéissent tous à la même logique et se déroulent à des moments clés: pour le Bugesera, juste avant la constitution du gouvernement intérimaire, massacres considérés comme « le massacre des innocents » par le MDR et auxquels participent les Interahamwe au côté des militaires. Dans les communes, les milices sont armées, les Tutsi devenant les « ennemis de l’intérieur ». Le « programme de défense civile? Voir l’agenda du Colonel BAGOSORA. En octobre 1993, avec l’assassinat du président burundais NDADAYE active la naissance du Hutu Power.

La matinée se termine par la demande de la présidente qui souhaite passer outre à l’audition de monsieur Filip REYTJENS, indisponible. Lecture sera faite de certains de ses écrits.

La matinée de demain, mardi 24 mai, devrait être consacrée à l’interrogatoire d’Octavien NGENZI.

  1. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, déjà cité par plusieurs témoins pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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  2. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf.  « Glossaire« . [Retour au texte]
  3. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État.
    Cf.  « Glossaire« . Voir aussi « Les réseaux d’influences« .  [Retour au texte]

Alain GAUTHIER

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