Procès en appel de SIMBIKANGWA. Vendredi 28 octobre 2016. J4

Seule la matinée devait être consacrée à l’audition de monsieur André GUICHAOUA, mais l’accusé ayant fait appel à un médecin juste avant le début de l’audience, celle-ci a commencé avec beaucoup de retard. Monsieur le Président lui demande, à l’avenir, de ne pas attendre le dernier moment pour faire sa demande. On ne peut se permettre de commencer régulièrement en retard. L’audition de monsieur GUICHAOUA durera finalement toute la journée.

Audition de monsieur André GUICHAOUA, témoin de contexte.

Dans un long développement, le témoin va présenter le contexte géographique et historique du pays dans lequel s’est déroulé le génocide des Tutsi. Il commence par souligner que le Rwanda, et le Burundi avec lequel il fera de nombreux parallèles, sont des exceptions dans cette région des Grands Lacs : petits pays très peuplés entourés de géants sous-peuplés, dont le Zaïre et la Tanzanie, l’Ouganda à de moindres proportions.

Il poursuivra en parlant de la colonisation et du peuplement du pays, évoquant la composition de la population avec l’arrivée, à des dates indéterminées, des Twa, des Hutu (les Bantu) et des Tutsi, «nilotiques qui seraient venus d’Israël ou du Moyen Orient », sans qu’aucune preuve ne puisse être apportée.

Tout s’est joué au Rwanda, dans le processus de la décolonisation. Après avoir soutenu et formé l’élite tutsi, le colon belge, à la fin des années 50, va devoir faire face à la demande de décolonisation de cette élite. La Belgique va alors s’appuyer sur l’Eglise pour « mobiliser la majorité hutu« . Sera alors publié le « Manifeste des Bahutu » en opposition à l’élite tutsi. Des premiers massacres de Tutsi ont lieu en 1959 puis va se mettre en place la République de Gitarama, proche de l’archevêché de Kabgayi et de son responsable, monseigneur PERRAUDIN, de nationalité suisse. On va alors parler, de « la démocratie du peuple majoritaire« , les Hutu de Centre/Sud prenant le pouvoir à la faveur des élections ethnicisées. Ce changement politique provoque l’exil de nombreux Tutsi vers les pays voisins: Burundi, Ouganda, Congo, Tanzanie. L’incursion répétée de certains de ces exilés provoque systématiquement des représailles sur la population tutsi restée au pays. Et ce jusqu’en 1967. Pour le témoin, le génocide ne commence pas à cette époque, mais il reste chez les gens « une mémoire vive des massacres ».

Après avoir fait une brève analyse de la situation au Burundi à la même époque, monsieur GUICHAOUA en arrive à l’année 1973 et au coup d’Etat du président HABYARIMANA, époque marquée par la mise en place de quotas dans la fonction publique, les écoles, l’armée… quotas qui visent d’abord la composante Hutu/Tutsi, puis très vite celle Hutu du Nord/Hutu du Sud. Politiquement, on insiste sur le développement. Le Parmehutu cède la place au MRND.

Pour le témoin, il existe une caractéristique propre au Rwanda. Contrairement aux pays africains côtiers, les élites restent proches de leur commune d’origine, proches de la paysannerie dont ils ont besoin pur subsister. Ce qui fait que ces élites, grâce à cette proximité, garderont une influence importante sur les masses populaires qui, si elles ne s’en laissent pas toujours compter, leur restent soumises. Toutefois, cette élite n’hésite pas à montrer ostensiblement sa richesse et s’installe une grande corruption. On distribuera des pâturages à ces nouveaux riches: SIMBIKANGWA fera partie des bénéficiaires de cette largesse.

A partir de 1985 va se poser le problème des réfugiés qui souhaitent revenir dans leur pays. Le témoin oublie de dire que le président HABYARIMANA a toujours refusé ce retour car le pays est trop petit et il ne peut accueillir tout le monde. Toutefois, en 1990, 90 000 réfugiés d’Ouganda reviendront au Rwanda. La famine de 1989 obligera plus de 20 000 Rwandais à se réfugier en Tanzanie

En Ouganda, une partie des réfugiés tutsi bénéficient d’une structure militaire si bien que le 1 octobre 1990, l’attaque du FPR en provenance de ce pays, « va déclencher un séisme intérieur« ,  » l’armée rwandaise mal entraînée étant incapable de combattre. L’armée zaïroise appelée en renfort va se contenter de piller et de fuir« . Le témoin prétend que le FPR craint de ne pouvoir atteindre le pouvoir si des élections sont organisées, l’attaque du FPR ayant pour but de « contrecarrer la démocratisation« .

La nouvelle constitution de 1991 met en place le multipartisme et de nombreux partis d’opposition au MRND se créent, mais chacun joue sa propre carte. Les partis d’opposition, le MDR, le PL, le PSD… s’allient, pour une part, au FPR qui possède son armée. Le 16 avril 1992 voit la mise en place d’un gouvernement pluripartite. Malgré la signature des accords d’Arusha le 4 août 1993, les choses ne s’arrangent pas, le pouvoir ne voulant pas vraiment les appliquer car une part trop belle est faite au FPR auquel se sont ralliés les partis d’opposition. Cette période va voir aussi ces nouveaux partis se scinder en deux: une tendance Power, intransigeante et extrémiste, et une tendance que nous dirons modérée. L’année 1993, avec la mort du président burundais Melchior NDADAYE en octobre, est » l’année de tous les dangers« . L’ethnisme revient au cœur de la politique, essentiellement chez les élites, mais pas encore dans la population paysanne.

La série des questions va donner l’occasion d’aborder des sujets quelque peu passés sous silence: les cartes d’identité avec mention ethnique et leur rôle, retour sur l’année 1973 et les caractéristiques du régime HABYARIMANA (restructuration de l’armée, de la police, des renseignements, beaucoup de pouvoirs aux mains du président, mise en place à des postes clés de membres familiaux, surtout des proches de l’épouse du président (Elie SAGATWA, Protais ZIGIRANYIRAZO: l’Akazu.) « Un système mafieux prend le contrôle de la fore économique« , surtout entre 1988 et 1992, et toujours au profit des proches du président ou de son épouse. C’est alors que SIMBIKANGWA entre dans le jeu. « Homme de l’ombre, des basses œuvres, il fait ce que RWAGAFILITA (chef d’état major de la gendarmerie) et SERUBUGA (chef d’état major adjoint de l’armée) ne peuvent ou ne veulent pas faire. Toutefois, toutes les exactions commises à l’époque ne sont pas toutes à mettre au compte du pouvoir. »

Avec le multipartisme apparaissent de nouveaux médias: on ne craint plus les transgressions (voir la RTLM [1]). C’est aussi l’occasion pour les partis politiques de créer leur propres mouvements de jeunes qui deviendront les bras armés du génocide.

A une question de Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, monsieur GUICHAOUA est amené à préciser que SIMBIKANGWA fait bien partie de l’Akazu, même s’il n’est pas au cœur du dispositif. Même s’il avait quitté l’armée, il avait gardé une grande influence. « Il avait gardé une autorité car il était responsable des basses œuvres. »

Monsieur l’avocat général voudrait avoir une définition claire de l’Akazu. Ce qui donne l’occasion au témoin de préciser:  » L‘Akazu est régi par des liens familiaux. On parle aussi des OTP, Originaires du Territoire Présidentiel. Tous en effet sont de Karago, et Giciye; ils bénéficient de rentes. Il s’agit d’un clientélisme familial et politique. Quant au Réseau Zéro, les Amasasu et autres Escadrons de la mort, ils s’occupent plutôt de terrorisme. »

Malicieusement, la défense en faisant allusion à des propos du témoin, cherche à lui faire dire que les renseignements de Kagame sont beaucoup plus efficaces que ceux d’Habyarimana. Monsieur GUICHAOUA voit le piège et lui demande de « ne pas faire d’anachronisme« , le contexte et les moyens techniques n’étant pas les mêmes.

Monsieur GUICHAOUA, toujours interrogé par la défense, admet que le TPIR n’a pas prouvé qu’il y avait eu « entente à commettre le génocide« : ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de tueries avant le 6 avril 1994. Se reporter au massacre des Bagogwe, de Kibilira ou encore du Bugesera. Ce sont bien « des pratiques génocidaires« . La défense voudrait bien mettre ces massacres au compte du FPR: ils seraient la conséquence des tentatives de déstabilisation du FPR. Le témoin ne suit pas la défense. Pour lui, le génocide, comme politique assumée, commence le 12 avril 1994 lorsque le gouvernement créé le 9 met en place la politique génocidaire. Contestable, bien sûr.

Maître BOURGEOT, pour la défense, revient sur l’éternelle question des témoins de la défense qui viennent du Rwanda et qui seraient menacés! Évoque les faux témoins au TPIR, revient sur le rôle de l’association de rescapés IBUKA qui manipulerait les témoins. Monsieur GUICHAOUA, qui n’est pas un ami du FPR, dit toutefois qu’il  » n’y a pas au Rwanda d’institution pour inventer de faux témoins ». Et maître FOREMAN de préciser qu’il n’y a pas que le régime de KAGAME qui fasse peur aux témoins.

GUICHAOUA est à Kigali du 6 au 11 avril: son expérience personnelle.

La journée va se terminer par ce que le témoin a retenu de son séjour à Kigali dans les premiers jours du génocide.. Il était réfugié à l’Hôtel des Mille Collines où il fallait racheter la vie de rescapés qui étaient venus se réfugier dans ce lieu.

Dès la chute de l’avion, les massacres ont commencé dans Kigali. Les Gardes présidentiels (GP) font leur triste besogne dans plusieurs quartiers. (NDR: Le témoin n’évoque pas ce qui s’est passé autour de l’aéroport, autour de la résidence d’HABYARIMANA. Dans les heures qui suivent l’attentat, les GP vont exterminer toute la population civile. Très peu de témoins sont là pour le rapporter). Le 7, la première ministre Agathe UWILINGIYIMANA est assassinée ainsi que nombre d’opposants hutu. La mort des dix Casques Bleus belges entraîne le retrait des soldats belges. Peu à peu toutes les préfectures s’embraseront, mais sur l’incitation des responsables politiques. La communauté internationale brillera par son inefficacité.

Question est posée pour savoir si, quand on était à Kiyovu, on pouvait n’avoir rien vu, rien entendu! Réponse du témoin: « C’est invraisemblable« . Or, SIMBIKANGWA se trouvait à 200 mètres en- dessous de l’Hôtel des Mille Collines. (NDR: Il a déjà prétendu, en première instance, qu’il n’avait vraiment compris qu’il y avait eu un génocide au Rwanda qu’après la lecture du livre d’Abdul RUZIBIZA, préfacé par GUICHAOUA, livre qui semble être devenu sa nouvelle bible. L’accusé était alors à Mayotte.) « Avec les personnalités qui sont là, impossible qu’il n’y ait pas eu de connexions ».

Génocide: conséquence d’une colère populaire de la population dont on a tué le président? Non, ce ne fut pas le cas.  » Il a fallu inciter la population à tuer« .

Maître PHILIPPART revient sur un extrait du livre du témoin « De la Guerre au génocide » [2]. pages 470/471, l’auteur évoque le nombre de 34 159 victimes à Gisenyi. Or, SIMBIKANGWA a récemment déclaré que dans sa commune, il y avait eu seulement 3 morts sur 40 000 habitants! Pas très crédible!

L’avocat général HERVELLIN-SERRE interroge le témoin sur la présence des barrières à Kiyovu. Le témoin confirme, « Kiyovu étant un des quartiers les plus redoutables« . « Outre les barrages, les GP circulaient et tuaient dans les maisons. Les cadavres ont été assez rapidement ramassés et jetés dans des bennes des Travaux publics, Kigali étant devenu un cimetière à ciel ouvert« .

Si le témoin n’a pas vu ni entendu parler de SIMBIKANGWA dans ces quelques jours du début du génocide, il le connaissait bien. Dans les années 92/93 existait une « réelle peur du personnage. On ne pouvait pas ne pas le connaître. Ainsi que sa réputation! »

Maître BOURGEOT, pour la défense, revient pour énoncer, comme elle sait bien le faire, ce que j’ai appelé de fausses questions: la réponse est induite dans la question. « Pour le FPR, la priorité n’était pas de sauver les Tutsi? Mais bien de prendre le pouvoir? La Parquet veut vous faire dire qu’il y a eu un plan concerté mais le TPIR ne l’a jamais prouvé? »

Idem pour maître EPSTEIN qui vient de temps en temps au secours de son confrère quand il estime qu’elle ne pose pas la question de la bonne façon. « L’accès à la vérité est donc très compliqué au Rwanda? Il existe des séances collectives de concertation des témoins avant leur départ du Rwanda? » Monsieur GUICHAOUA a pris le parti de donner des réponses très évasives pour ne pas se laisser piéger par la défense.

La parole est donnée à monsieur SIMBIKANGWA à qui on demande de faire court, ce qui est souvent difficile pour lui, son avocat étant obligé de lui faire signe de se taire: il est globalement satisfait des propos de monsieur GUICHAOUA.

L’audience est suspendue à 19h 35 et ne reprendra que le mercredi 2 novembre.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

  1. Pascal SIMBIKANGWA fut l’un des 50 premiers actionnaires de la tristement célèbre Radio des Mille Collines (RTLM).
    Voir également :  « les médias de la haine« .
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  2. « Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994 »La Découverte (Paris), ouvrage complété par un site en ligne regroupant une abondante documentation.
    Pour plus de références, voir notre page « Bibliographie« .
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