Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 12 novembre 2024. J6


Audition du général Jean-Philippe REILAND, commandant de l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine), cité à la demande de l’accusation.

Le général Jean-Philippe REILAND est venu présenter les fonctions et la mission de l’Office Central de police judiciaire qu’il dirige: enquêter, appuyer le travail des juges d’instruction, constituer un centre d’expertise, coopération judiciaire avec d’autres états.

Il évoque le Traité de Rome et la création de la CPI (Cour Pénale Internationale), tout en rappelant ce qu’est la compétence universelle[1]. Pour reconnaître la compétence de la CPI (124 pays signataires), il a fallu modifier la constitution, ce qui, chose rare, a été adopté à l’unanimité du Parlement. Il fallait doter ces organes de moyens concrets: création du Pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris en janvier 2012, création de l’Office central de police judiciaire l’année suivante.

Si cette mission a été confiée à la gendarmerie, c’est parce qu’elle avait déjà travaillé dans les affaires PAPON, TOUVIER ou BARBIE. Seuls les gendarmes sont habilités à conduire des missions à l’étranger.

En 2013, il y avait une seule division d’investigation au sein de l’OCLCH. Aujourd’hui, ce sont trois divisions qui travaillent, soit une quarantaine de gendarmes, formés au recueil des témoignages, aux écoutes téléphoniques… Pour pouvoir organiser des commissions rogatoires à des états souverains, il faut d’abord faire des demandes d’entraide judiciaires (Art.18, alinéa 4).

Concernant les enquêtes sur le territoire rwandais, le témoin souligne que les gendarmes bénéficient d’une grande liberté d’action: seul un interprète est présent lors des auditions. Aucun membre du parquet du Rwanda, aucun OPJ rwandais n’assiste aux rencontres, même lorsque ces auditions se déroulent dans les prisons. Ce qui n’existe nulle part ailleurs (NDR. C’est quand même original pour la dictature que nous décrit la défense!) Ce sont les autorités locales qui localisent les témoins que les enquêteurs souhaitent rencontrer.

Sur question de monsieur le président, le témoin confirme que les enquêteurs s’assurent que les personnes entendues ne subissent pas de pressions. « On croise nos informations, ce qui nous amène à écarter certains témoignages. On se méfie des témoignages soit trop discordants, soient trop concordants. » Toutes les informations judiciaires n’ont pas abouti à des procès: plusieurs non-lieux ont été prononcés. Si ce procès présente une particularité, c’est parce qu’on juge un gendarme, les enquêteurs étant eux-mêmes des gendarmes.

Sur questions de maître LOTH, pour la défense, le général REILAND répète que les gendarmes sont initiés à la culture rwandaise, au contexte dans lequel les crimes ont été commis. Et de revenir bien sûr sur « les crimes du FPR » au Congo. Le témoin reconnaît n’avoir jamais abordé cette question. Pas plus que de pressions sur les témoins. Il confirme, mais il l’avait dit clairement, que les auditions au Rwanda se déroulent en l’absence de tout représentant de l’autorité judiciaire locale. Si des témoins sont amenés à confondre les lieux, rien de plus normal. Les auditions sont organisées longtemps après les faits et beaucoup de témoins ont subi des traumatismes importants.

On pourra également se reporter à l’audition du général Jean-Philippe REILAND lors du procès en première instance, le 15 mai 2023.

 

Audition de madame Émilie CAPIELLE, directrice d’enquête en charge des premières investigations  menées par l’OCLCH. Cité à la demande de l’accusation

La témoin décline son identité et prête serment. En septembre 2015, la témoin était gendarme à l’OCLCH dans une enquête concernant monsieur MANIER dans laquelle elle a été désignée directrice d’enquête. Cette enquête a été ouverte sur une plainte du CPCR. Pour les besoins de l’enquête, la témoin a procédé à l’audition d’une centaine de personnes au Rwanda.

Dans un premier temps, monsieur MANIER a rapidement été localisé en France. Le parcours de l’accusé est retracé par l’Office notamment son nom d’emprunt pour l’arrivée sur le territoire français HAKIZIMANA.

Colline de Nyabubare ©AG.

Les conclusions de l’enquête sont les suivantes: Israël DUSINGIZIMANA, le conseiller de secteur s’était déplacé à MUSHIRARUNGU pour prévenir que sur la colline de NYABUBARE s’étaient réfugiés 300 Tutsi protégés par un ancien militaire armé nommé Pierre. Israël monte dans un véhicule (Toyota blanche)? constate la présence de monsieur MANIER, du bourgmestre NYAGASAZA et de 5 Tutsi civils et de gendarmes.

Mortier de 60 mm – DR

L’accusé s’est saisi d’un mortier 60 qu’il a chargé dans le véhicule. Sur l’ordre du gendarme, les 5 Tutsi sont exécutés sur le bord de la route. Au second arrêt, l’accusé fait descendre le bourgmestre du véhicule et l’exécute également « Voilà ce qui il faut faire des Tutsi ».

Le véhicule part maintenant en direction de la colline de NYABUBARE sur laquelle 300 Tutsi sont réfugiés. La colline va être encerclée par la population et pilonnée par les gendarmes, sous la direction de monsieur MANIER. Les Tutsi qui tentent de s’enfuir sont massacrés par armes traditionnelles par des populations civiles réparties autour de la colline.

Sur ordre d’Israel DUSINGIZIMANA, la population va procéder à l’enterrement des corps sur place, quelques jours plus tard. C’est à partir de ce moment-là que les tueries et les actes de génocide ont commencé à NYANZA. Monsieur le président demande si ce récit résulte d’une accumulation de témoignages. La témoin répond qu’il s’agit effectivement d’un regroupement et recoupement des témoignages. S’agissant des témoins, Israël DUSINGIZIMANA a assisté à tout, tandis que les témoignages des survivants et des civils ayant participé aux massacres sont plus partiels. La témoin précise que les témoignages sont généralement concordants. Les victimes de la colline ont su que les gendarmes menaient l’attaque car ils ont vu les uniformes et reconnu Israël DUSINGIZIMANA.

Cependant, il y a une disparité entre les personnes qui l’identifient et ceux qui ne l’identifient pas. Mathieu NDAHIMANA à NYANZA a vu monsieur MANIER avec le bourgmestre dans le véhicule. Les autorités sur place et les témoins ont comptabilisé 10 000 victimes sur cette dernière attaque.

Plusieurs petites attaques ont lieu le 24 avril et une plus grosse attaque le 28 avril. Valens BAYINGANA, un survivant de NYAMURE, l’identifie aussi comme chef. Dans ces dernières attaques, les gendarmes n’étaient pas encore impliqués. Monsieur le président demande s’il y avait une résistance organisée sur cette colline, ce à quoi la témoin répond qu’elle ne sait pas vraiment. La témoin n’a pas mené d’enquête particulière au sujet des barrières.

La famille MANIER est placée sous surveillance téléphonique après la plainte déposée par le CPCR. Monsieur MANIER n’a pas de ligne attribuée et pas de contact avec sa femme. Lors de la conversation d’un des fils de l’accusé  avec sa copine, il raconte que sa famille a fui le Rwanda par la RDC sous un faux nom. Jacqueline, l’épouse, fait par la suite un virement de 5000€ fin 2017 à leur fille Anita qui se trouve au Cameroun. Monsieur MANIER prend un vol aller-retour pour DOUALA sur la compagnie Brussels Airlines mais il « oublie » de revenir. Un mandat d’arrêt international est lancé. Lorsque madame MANIER se rendra à son tour au Cameroun, son mari qui est venu l’accueillir se fera arrêter par la police camerounaise.

Concernant la situation à NYANZA, madame MANIER dit que son mari a fui le 18 avril et qu’elle est partie après le génocide mais qu’elle n’a rien vu. Monsieur le président questionne la témoin sur les conditions d’interrogation des témoins. Ces derniers étaient convoqués dans un tribunal dans lequel ils étaient auditionnés en présence seulement d’un interprète. Si les témoignages collectés ne semblaient pas véridiques, ils n’étaient pas versés au dossier. Il s’agissait de cas isolés et le plupart étaient cohérents. Aucun fait ne laisse paraître que quelconque pression puisse être exercée sur les témoins.

Monsieur le président présente des pièces collectées par l’office notamment des vidéos des lieux réalisées par l’office en 2017. La première vidéo montre la gendarmerie, tandis qu’une deuxième retrace le parcours en voiture réalisé par l’accusé et Israël DUSINGIZIMANA. Maître PHILIPPART observe la proximité de la laiterie avec la gendarmerie. L’enregistrement suivant présente le lieu où auraient été fusillés les cinq Tutsi, en contrebas d’une piste. Le troisième fichier retranscrit le trajet entre l’assassinat des cinq Tutsi et l’assassinat du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA. Monsieur le président note qu’il n’y a pas beaucoup de voitures sur les pistes et demande si les habitants regardaient la voiture passer: ce que la témoin confirme. Ensuite, une vidéo avec une localisation des différentes personnes présentes au moment de l’exécution du bourgmestre est diffusée. La route est en contrebas.

Madame la juge assesseur notifie qu’il y a une maison à proximité. Puis le trajet de l’endroit de l’assassinat du bourgmestre jusqu’à la colline est diffusé. Monsieur Le président demande comment la population civile suit le véhicule et si elle a une idée du nombre de personnes. La témoin répond qu’ils suivaient à pied mais qu’elle ne saurait pas dire le nombre. Sur les videos, on aperçoit Israel DUSINGIZIMANA, Emmanuel UWITIJE (accompagnateur), et BAYAVUGE Obed (accompagnateur). Monsieur le président note que le détenu Israël se promène libre et la témoin précise même que les habitants venaient lui serrer la main à leur passage malgré sa participation au génocide. Sur la vidéo suivante, on voit les 3 personnes se diriger à pied vers la colline. Israël se sépare des deux accompagnateurs  qui vont faire le tour de la colline pour achever les Tutsi à l’arme traditionnelle. La dernière vidéo  retrace le trajet effectué par Israël DUSINGIZIMANA et MANIER pour atteindre le sommet de la colline. Des photos de la colline de NYAMURE sont ensuite présentées.

Colline de Nyamure qui domine la vallée ©AG.

 

Le président précise que le massacre de NYAMURE se serait produit le 27 avril. Présentation de la colline de NYAMURE: 1150 mètres de hauteur, route qui conduit au sommet, fosse commune en contrebas, pas de construction. Un membre du jury demande si on pourrait imaginer que Israël ait fait ce témoignage afin de réduire sa propre peine.  Madame CAPELLE répond que non.

Sur questions des avocats des parties civiles, la témoin répond qu’elle est allée au Rwanda une dizaine de fois. Demande lui est faite si elle a eu l’impression que le peuple rwandais était particulièrement menteur. Elle répond que non, que ses auditions avec des témoins rwandais ne différaient pas de celles menées en France et qu’il est facile de savoir si des faits sont inventés ou exagérés. Au sujet de potentielles tortures dans les prisons, la témoin affirme qu’elle n’a pas ressenti cela et qu’elle a été surprise par la liberté des détenus. Elle a ressenti que le peuple était libre et qu’un fort intérêt était porté sur l’éducation.

C’est au tour de l’avocate générale de prendre la parole. Elle demande si l’office avait retrouvé un faux CV dans la saisie de documents de monsieur MANIER qui ne mentionne pas la commune de NYANZA. La témoin confirme. Sans écoutes téléphoniques, il est fort probable que l’accusé aurait « disparu des radars« .

M. le président revient sur des pièces versées par la défense en première instance. L’avocat commente: ce sont tous des rapports des Nations-Unies, de Médecins sans frontières ou de la FIDH qui dénoncent les exactions du FPR[2], le régime « autoritaire » de Kigali, la peur et l’autocensure, la torture, l’intimidation des témoins, les aveux obtenus sous la torture, l’omnipotence du FPR, le contrôle de la sphère politique par le FPR. Sans oublier le cas RUSESABAGINA que la défense continue de vouloir présenter comme un héros! La réalité est toute autre. Tout cela, on l’a bien compris: il s’agit de faire diversion et nous éloigner le plus possible de l’affaire qui nous occupe.

Un autre avocat des parties civiles évoque à son tour les trois pièces qu’il a versées au dossier dont une décision de la CEDH[3] concernant une extradition prononcée par la justice suédoise et le rapport GARSONI qui évoquait les exactions commises par le FPR en 1994, rapport jamais validé.

On pourra également se reporter à l’audition de madame Émilie CAPEILLE lors du procès en première instance, le 15 mai 2023.

 

Audition de monsieur Christophe GONCELIN, enquêteur à l’OCLCH, cité à la demande de l’accusation.

Le témoin décline son identité et prête serment. M. le président demande ce qu’est une barrière. Le témoin explique que ce sont des points de contrôle installés du 22 au 28-29 avril par la population civile encadrée par les gendarmes. Cela se matérialisait par des troncs d’arbres, morceaux de bois etc… Les témoins ont conduit le témoin sur les barrières en désignant les positions exactes de celles-ci. Une première photo montre la barrière localisée vers l’hôpital. D’autres photos témoignent d’une autre barrière installée vers en face du magasin TRAFIPRO.

Ancien bâtiment Trafipro ©AG.

 

D’autres photos montrent une barrière vers MUGONZI puis KAVUMU, le stade et autres lieux aux environs de NYANZA

Maître DUQUE s’adresse au témoin en lui demandant s’il confirmait la présence de monsieur MANIER sur les barrières. Le témoin répond qu’il ne l’a pas vu de ses propres yeux mais que ce sont les dires de témoins sur place. L’avocate lui demande de ne pas utiliser le présent pour décrire ce type de situation car il n’y a pas de certitude. Des photos de la reconstitution de l’arrestation du bourgmestre sont affichées. 9 témoins participent à une remise en situation de l’acheminement du mortier de 60 vers la colline de NYABUBARE.

François HABIMANA, rescapé de Nyabubare ©AG.

Un de ces témoins est Francois HABIMANA, un rescapé. Le témoin explique que dans le véhicule se trouvaient le chauffeur, le bourgmestre, BIGUMA et MUSONERA. Ainsi, des témoins auraient assisté à l’assassinat du bourgmestre, puis au massacre de la colline de NYAMURE. Monsieur le président relève que deux témoins font état de deux véhicules différents arrivés sur la même route. Une photo désigne l’endroit où BIGUMA est descendu de la voiture, dans une clairière. Une photo du sommet de la colline est affichée, recouverte de pierres. Monsieur le président demande un souvenir marquant du colonel. Le témoin raconte qu’un témoin (François HABIMANA) fait une crise de nerf de 10 min en reconstituant une scène au bas de NYABUBARE. Des armes sont présentées: le mortier, gourdins, massues, houes, machettes… Un membre du jury demande s’il y a eu d’autres gendarmes impliqués. Le témoin ne saurait pas répondre. Le témoin Mathieu et Valens concernent les massacres du 27-28 avril. L’avocat général demande si l’affaire MANIER présente une particularité au regard des autres dossiers. Le témoin répond que oui car c’est un des seuls à comparaître détenu. Il précise aussi qu’une remise en situation a été réalisée avec la participation d’Israel DUSINGIZIMANA. Ce dernier était connu par les populations civiles car les figures d’autorité étaient souvent reconnues dans un village.

Maître DUQUE prend la parole pour le contre-interrogatoire. Elle demande si l’on pouvait entendre les personnes parler d’une colline à l’autre. C’était tout à fait possible. Puis, à la question « Avez-vous une idée de la taille du Rwanda? » elle répond que oui et que le pays fait une taille comparable à la Bretagne. La défense demande au témoin s’il y a pu avoir une contamination des témoignages, ce à quoi il répond que ce n’est pas possible: les planches d’identification ont été présentées de telle sorte que les témoins n’auraient pas pu tricher sur l’identification de M. MANIER. Enfin, l’avocate de la défense interroge le témoin sur son impartialité: elle l’a vu s’entretenir avec monsieur GAUTHIER avant son audition. « Nous nous connaissons depuis longtemps, on s’est rencontrés plusieurs fois au Rwanda. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’on ce soit salués. »

 

Interrogatoire de l’accusé.

Monsieur le président demande à l’accusé s’il a des commentaires à faire suite aux témoignages que l’on vient d’entendre. Réponse laconique de monsieur MANIER: « Je n’étais pas là, tout simplement. »

Pour la dernière fois, le président SOMMERER va interroger l’accusé sur la période qui va de son départ du Rwanda en juillet 1994, jusqu’à son arrivée en France. De GIKONGORO où il rejoint sa famille, l’accusé s’est dirigé vers CYANGUGU, la ville d’origine de son épouse. Après quelques jours passés dans une maison de location, il va traverser la frontière. A son passage, les militaires congolais lui confisquent sa voiture (NDR. Les premiers jours du procès, l’accusé avait donné une autre version. S’étant absenté quelques instants pour aller faire des courses, sa voiture avait disparu à son retour!)

Monsieur MANIER va ensuite parler de la vie difficile qu’il mène avec les siens dans le camp de KASHUSHA. Toutefois, il se lance dans le commerce de la viande qui va lui procurer des revenus non négligeables. C’est alors que des membres de sa famille le rejoignent: un oncle et ses enfants, sa mère, une demi-sœur et un demi-frère, sa sœur et ses trois enfants. Une partie d’entre eux va périr lors de l’attaque du FPR en 1996.

C’est à cette période qu’il va changer de nom, se disant menacé par des agents secrets du FPR qui se seraient infiltrés dans le camp: explication à peine crédible. Toujours est-il qu’il s’appelle désormais HAKIZIMANA, nom qu’il va garder à son arrivée en France. C’est le secrétaire de sa commune qui lui remet une nouvelle carte d’identité. C’est sous ce nom-là que son épouse est elle-même entrée sur le territoire français. Dans l’avion où elle avait réussi à monter avec les services d’un passeur, elle va déchirer ses papiers pour pouvoir demander l’asile.

Après l’attaque de l’armée rwandaise en novembre 1996, il va s’enfoncer dans les forêts du Zaïre pour atteindre KISANGANI et le Congo Brazzaville. C’est là qu’il trouvera de l’aide auprès d’une congrégation religieuse. Il effectue des petits boulots, jardinage, taxi, jusqu’à leur départ pour le Cameroun. Nouvel accueil dans des congrégations religieuses, les Frères de Saint Jean puis les Sœurs de Saint Joseph. Ces dernières permettront à son épouse et à leur plus jeune enfant de se procurer un billet d’avion pour rejoindre la France. Six mois plus tard, c’est au tour de leurs deux autres enfants de partir. Lui-même rejoindra sa famille en février 1999.

Monsieur le président aborde ensuite les démarches que l’accusé a faites auprès de l’OFPRA[4]. Ce qu’on retiendra, c’est qu’il va aligner mensonges sur mensonges pour pouvoir obtenir l’asile. Il ne pouvait pas déclarer qu’il était militaire. Sa femme le déclare comme professeur de sports. Il déclare qu’en 1994 il est resté terré dans sa maison de NYANZA: c’est FAUX! Il aurait quitté KIGALI le 10 mai 1994? C’est encore FAUX! Il se sentait menacé de mort aux barrages? Encore FAUX! Il a quitté le camp de KIBEHO en août 1994? Toujours FAUX! Il a dit qu’il avait perdu femme et enfants pendant deux ans? Encore FAUX! Même s’il ne reconnaît pas l’avoir écrit de sa main lors de sa demande auprès de l’OFPRA.

Tout ce discours, repris par son épouse, monsieur MANIER ne va cesser de répéter que c’était « improvisé« . Or, il est clair qu’il avait mis au point un discours et une stratégie bien élaborée pour obtenir l’asile. En tout cas, s’il a menti, ce n’était pas pour cacher son passé.

Lorsque les avocats des parties commencent à le questionner, l’accusé refuse soudain de répondre. À chaque question, il répond: « Silence ». Il ne consent à répondre à l’avocate générale que lorsque cette dernière rapporte les propos de son fils: « Vous buviez« ? Cette question lui délie la langue. Après avoir répondu par la négative, il retrouve la parole. Selon l’avocate générale, ce serait sa femme qui aurait pris la décision de partir. Son côté macho ressort: « Est-ce qu’une femme peut prendre la décision de partir? Quitter son mari? »

Concernant les déclarations divergentes contenues dans l’enquête de personnalité, l’accusé refuse de nouveau de parler. Et de redire, comme si on n’avait pas compris, que tout était « improvisé ».

Maître DUKE ne peut s’empêcher de revenir sur les massacres de femmes et d’enfants lors du bombardement des camps au Zaïre. Elle veut savoir si monsieur MANIER a gardé des contacts avec sa maîtresse et l’enfant qu’il a eu avec elle. L’accusé répond par l’affirmative. Tout cela probablement pour montrer que son client est un homme au grand cœur. il s’est d’ailleurs occupé aussi de ses neveux et nièces en finançant leurs études.

Deux collègues qui l’ont connu à Rennes décrivent l’accusé comme quelqu’un de « calme, capable d’empathie, pacifique, très croyant, obsédé par la notion du pardon« . L’une d’elle croit qu’elle est « un repenti« . On lui reproche quand même ses « blagues grivoises« !

L’association AMIZERO existe toujours. Apolitique, elle serait plutôt en sommeil. Au Rwanda, il n’a jamais adhéré à un parti politique. Son avocate lui fera dire qu’un gendarme ne pouvait adhérer à un parti. Proche des idées du PSD[5], il n’a jamais été encarté.

En France, il n’a jamais eu d’engagement politique. Il a une fois ou l’autre manifesté contre KAGAME « à cause de ce qui se passe dans mon pays« , dira-t-il. Tout opposant est éliminé, au Rwanda, c’est connu. »

Son procès est un « procès politique« . Les accords d’ARUSHA[6] ont été sabotés par le FPR.

Il sera fait remarquer à l’accusé qu’il a rarement parlé de son passé! (NDR. Ce n’est pas propre à monsieur MANIER. Toute personne soupçonnée d’avoir participé au génocide a intérêt à rester discret sur son passé et à se présenter sous son meilleur jour: meilleur voisin, meilleur médecin dévoué, meilleur parent, voire meilleur chrétien! ») Si on parle de lui comme d’un « repenti« , c’est parce qu’il « prêchait tout le temps le pardon« , lui fait-on remarquer!

On apprend, juste avant la suspension de l’audience, qu’un témoin que l’accusé aurait sauvé et qui était cité par la défense, ne veut plus témoigner: il s’agit de Fidèle MVUYIKURE. Il devait être entendu jeudi après-midi par visioconférence du Rwanda.

Coline BERTRAND, stagiaire

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

 

  1. Compétence universelle: voir notre article « Pourquoi juger en France ? » dans la rubrique « Repères ».[]
  2. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  3. CEDH : cour européenne des droits de l’homme[]
  4. OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides[]
  5. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[]
  6. Accords de paix, signés en août 1993, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda et le FPR (Front patriotique Rwandais). Ils prévoient notamment la diminution des pouvoirs du Président HABYARIMANA au profit d’un gouvernement « à base élargie » (cinq portefeuilles sont attribués au FPR), l’intégration des militaires du FPR dans la nouvelle armée gouvernementale, la nomination de Faustin TWAGIRAMUNGU  au poste de Premier ministre et l’envoi d’un contingent de 2 500 hommes de l’ONU, la MINUAR, pour faciliter la mise en place des nouvelles institutions. Le président HABYARIMANA fit tout pour différer la mise en place de ces accords. L’attentat contre lui survint le soir du jour où il s’y résigna.[]

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