Procès Ngenzi/Barahira. Jeudi 26 mai 2016. J12.

Audition d’Octavien NGENZI sur la période du 6 au 12 avril 1994.

Monsieur NGENZI déclare qu’il apprend l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA le 7 avril au matin par la radio nationale. Apeuré,  il tente de réunir le Comité de sécurité de la commune, mais plusieurs des membres sont absents. Il réunit alors (avec les trois membres présents?) les représentants des partis politiques. Seul manque celui du MRND! Décision est prise de se rendre dans un des quartiers de Kabarondo (Akajagari) pour demander aux gens de respecter le communiqué national émis par le ministère de la Défense: chacun doit rester chez soi. Toutefois rien de bien spécial ce jour-là.

Le 8 avril, son ami et voisin Oscar KAJANAGE lui apprend que sa famille vient d’être décimée. Le témoin se rend chez Oscar mais se rend compte qu’une maison voisine, celle d’Antoine BAKAME, est encerclée par un groupe qui souhaite en faire sortir Gervais RUKINGA, un Tutsi.  Ces attaquants veulent venger la mort de leur président. On fait alors remarquer à NGENZI que, sa mère étant Tutsi, ce n’est pas à lui de faire la leçon. Et de rappeler qu’en 1973, on l’a chassé de l’école car on le prenait pour un Tutsi. Après avoir parlementé et réussi à récupérer RUKINGA, il doit transporter un blessé grave dans sa camionnette. Il emmène RUKINGA à l’église, s’étant rendu compte que les membres de la famille de son ami ont déjà été enterrés. Vers 16 heures, il se rendra à Kibungo (13 km) chez le préfet, pour lui faire un rapport.

Le 9, appelé à se rendre où s’affrontent des gens, il parlemente de nouveau avec les assaillants qui veulent « tuer les Tutsi« . A cet endroit, il rencontre Pauline NYIRAMASHASHI (NDR: son témoignage a été déjà lu en partie) avec deux de ses petits-enfants. Il les déposera à l’église. Il transporte ensuite un autre blessé à l’hôpital de Kibungo.

Le 10, il est de nouveau appelé pour faire le médiateur entre des gens qui réclamaient le corps de l’un des membres de leur groupe, Patrice HABYARIMANA, tué dans la bagarre. NGENZI s’interpose à nouveau, son objectif étant de séparer les gens. Il emmène le corps du défunt, ainsi que le neveu de ce dernier, gravement blessé.

Le 11 avril, pas de demande d’intervention. Il a l’idée de convoquer les représentants des différentes religions, le curé de la paroisse et le pasteur protestant. Cette rencontre ne donnera rien. NGENZI apportera du bois de chauffage aux gens qui sont réfugiés à l’église, beaucoup d’entre eux venant de Byumba, plus au Nord, fuyant l’arrivée du FPR et se dirigeant vers la Tanzanie.

Le 12 enfin, l’abbé INCIMATATA, curé de la paroisse, lui demande de le conduire auprès des siens au bureau communal de Kigarama: « C’est le moins que je pouvais faire pour quelqu’un en détresse », ajoutera NGENZI. L’après-midi, le curé de la paroisse vient lui demander de trouver un terrain pour inhumer un défunt. NGENZI se dit désemparé car il n’a pas le certificat médical exigé pour enterrer quelqu’un! Il propose au prêtre de l’enterrer sur le terrain de la paroisse. Finalement l’enterrement aura lieu à Rwabatwa.

NGENZI termine son exposé en évoquant les épisodes des « vaches et des chèvres »[1]. Ce sont des inventions, « ce genre d’histoire venant des années 60″, à l’époque où on s’emparait du bétail des Tutsi.  » Il ne faut pas noyer le sang humain aux viandes des cabris« , terminera-t-il.

Suivront de nombreuses questions de la part de la présidente, madame MATHIEU: à la réunion des partis, absence du responsable du MRND, étonnant? Qui sont les Interahamwe? De nouveau l’épisode des chèvres! RWAGAFILITA [2], toujours! NGENZI se justifie sur tous les points et dit qu’il n’avait pas assez de forces armées avec lui pour résister aux assaillants. A maître LAVAL qui l’interroge, il répond : » Je ne suis pas là pour mentir. Je suis un témoin, un accusé. J’utilise les moyens que j’ai pour me défendre ». Il conteste les propos de Pauline (citée plus haut) et ajoute qu’il n’a pas vu de cadavres ces jours-là et qu’il n’a pas ramené des gens à l’église en vue de les tuer. Il n’a vu que deux tombes et pas de cadavres. Se produit un échange verbal assez animé entre les avocats, maître MATHE, étant venu voler au secours de son client. Il dit qu’il s’entendait bien alors avec le curé INCIMATATA, jusqu’au 7 avril. Il conteste enfin sa participation à une réunion animée par RWAGAFILITA, un accusé du TPIR ayant déclaré que « tous les bourgmestres étaient présents« . A maître Sophie DECHAUMET qui lui fait remarquer qu’il a circulé en toute liberté, qu’il a surtout joué un rôle d’ambulancier:  » Pourquoi je n’ai pas été tué? Parce qu’à Kabarondo personne ne savait qu’en 1973 on m’avait pris pour un Tutsi. D’ailleurs dans ma fuite, on m’a pris comme un complice des Tutsi« , d’où la blessure qui lui sera infligée lors de sa fuite. « Les rondes? » lui demande maître PARUELLE. « Je ne voulais pas que la population s’occupe de la sécurité. Il y avait des risques de débordement ».

L’avocat général le soumettra à son tour à une série de questions. Les témoins qui parlent des chèvres sont des menteurs, s’il a gardé une certaine autorité sur les Interahamwe [3] c’est parce qu’il est né dans ce quartier. S’il n’y a pas de représentant du MRND à la réunion des partis politiques, c’est parce que la personne désignée n’avait pas encore pris ses fonctions. Maître MATHE pose  à son tour une série de questions afin que son client puisse à nouveau se justifier sur sa conduite pendant les jours qui ont précédé les massacres de l’église.

Lecture de l’audition de Célestin HAVUGIMANA, qui serait décédé.

Condamné à 25 ans de prison car on n’avait pas accepté son plaidoyer de culpabilité. Il conteste les propos que lui prête l’OPJ, Méthode RUBAGUMYA, qui sera entendu en fin de journée.

Audition de Samson MUSONI, cousin germain de BARAHIRA, en visioconférence.

Le témoin reconnaît qu’il a cheminé avec BARAHIRA mais qu’ils se sont vite séparés. Ce dernier aurait demandé aux gens d’être vigilants car il y avait beaucoup de voleurs potentiels dans le secteur de Cyinzovu. La barrière dont on parle n’en était pas une, en réalité: simplement un rassemblement de gens pour surveiller le secteur. Le témoin n’a revu BARAHIRA qu’au camp de Benako en Tanzanie. Questionné, le témoin a dit qu’il avait rendu compte au bourgmestre NGENZi de ce qu’il avait vu et que ce dernier n’avait pas réagi. BARAHIRA était présidant du MRND communal, mais il n’avait pas encore organisé de réunion. En fait, pendant cette période, il n’y avait plus d’autorité. Le problème, concernant ce témoin, c’est qu’il a fait trois déclarations différentes sur sa rencontre avec BARAHIRA. Il a du mal à dire quelle est la bonne version. Il finira par dire qu’il n’y a eu qu’une attaque ce jour-là et que BARAHIRA n’était pas avec lui quand des Tutsi ont été tués. Le grand responsable, c’est MUKASI. Il n’a pas assisté à la réunion sur le terrain de foot de Cyinzovu. Ce qu’il en sait, c’est ce qu’on lui en a dit. Les Interahamwe? Il ne sait pas trop qui ils sont! BARAHIRA avait bien une machette, mais c’était pour travailler dans sa bananeraie. Durant les gacaca [4], le témoin rapporte qu’on a voulu lui faire dire que BARAHIRA était à l’église alors que lui-même n’y était pas. On lui demande pourquoi son témoignage varie avec le procès verbal de l’OPJ mais ne s’explique pas pourquoi. Il dit ne pas avoir subi de pression lors de ses auditions. Condamné à 18 ans de prison en appel, il en a effectué 20 : mystère!

Audition de Méthode RUBAGUMYA, OPJ du GFTU, section du parquet qui gère les dossiers des gens qui ont fui le pays.

Monsieur RUBAGUMYA, dit ce qu’il sait sur chacun des accusés quant à leur rôle actif pendant le génocide. Il répondra ensuite avec calme et précision aux questions qui lui seront posées sur ses méthodes d’investigation, sur les Interahamwe. Il évoque le nombre de 3000 morts à l’église et précise que monsieur NGENZI possède encore des biens à Kabarondo: DSC03848

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Commerce de Ngenzi à Kabarondo.

une maison individuelle qu’il loue, deux commerces au bord de la route asphaltée avec une maison à l’arrière. Ces biens sont gérés par des membres de sa famille.

Concernant le témoignage de MUSONI qui dit ne pas avoir été présent à l’église, l’OPJ donne une précision importante: si quelqu’un reconnaît qu’il était présent sur un lieu de massacres, l’église par exemple, il peut avoir peur qu’on le soupçonne à son tour (NDR: on a déjà senti ce phénomène dans d’autres témoignages depuis le début du procès). MUSONI conteste le rapport de l’OPJ?  » Je ne sais pas pourquoi il a changé sa version ». Vu le nombre de dossiers que Méthode RUBAGUMYA a traités pendant les 8 ans de sa présence au GFTU, il est bien normal qu’il ne puisse se souvenir de tous les témoins qu’il a rencontrés, déclare maître GISAGARA, volant quelque peu à son secours. Les parties civiles ne lui poseront pas d’autres questions, le témoin ayant été cité par la défense.

Aux questions de l’avocat général, l’OPJ déclare qu’il y a toujours eu une bonne coopération avec les enquêteurs français venus au Rwanda en commission rogatoire. Il explique la façon dont se déroulent ces enquêtes. Plusieurs OPJ sont intervenus dans ces dossiers, avec des pratiques différentes d’interrogatoire: soit le question/réponse, soit la rédaction plus globale de l’audition. Les deux façons de faire sont utilisées au Rwanda. Quant au tutoiement, ce n’est pas un manque de respect. On peut tutoyer ou vouvoyer. Est abordée aussi la question de la présence d’un interprète qui peut déformer les propos du témoin, certains même le faisant sciemment après avoir été corrompus. Quant à lui, il n’a aucun intérêt à déformer les propos des témoins qui, de leur côté, sont libres de parler et de dire ce qu’ils veulent: pas de pression ni de violences ou de menaces.

Ce sont bien sûr les avocats de la défense qui vont le plus « malmener » le témoin. Maître MEILHAC va avoir la délicatesse de rapporter les propos de l’enquêteur GRIFFOUL, présentant monsieur RUBAGUMYA comme quelqu’un de « borné au début, très à l’écoute des consignes du gouvernement »! L’avocat s’étonne que sur la mandat d’arrêt international concernant son client on ait pu faire erreur et sur sa date et sur son lieu de naissance. L’OPJ répond que ce n’est pas lui qui a rédigé ce document et que, de toute façon, « on ne s’est pas trompé sur la personne« .

Comme on pouvait s’y attendre, maître MATHE, interroge le témoin sur les PV d’audition quant à leur confidentialité jusqu’au procès. Le témoin confirme et l’avocate interroge alors: « Comment se fait-il que des personnes privées aient eu accès au dossier », visant en cela les documents fournis par le CPCR dans son dépôt de plainte. S’il y a eu fuite, ce n’est pas de son fait.

Une dernière question, attendue elle aussi:  » Au Rwanda, comment fait-on pour entrer en prison? » « On demande des autorisations au Procureur général et au directeur de la prison » dira le témoin. C’est une nouvelle fois le CPCR qui est visé dans sa pratique de recueil de témoignages auprès des prisonniers. Maître MATHE rappelle qu’elle n’a jamais obtenu de liste nominative des victimes de Kabarondo et s’en étonne.

L’audience est suspendue à 21h40!

Alain GAUTHIER

  1. Des voleurs s’étaient emparés des vaches et des chèvres d’un certain TITIRI. Selon plusieurs témoins, NGENZI aurait dit « Vous mangez les chèvres alors que leur propriétaire est encore en vie?”, incitant ainsi les massacres qui ont suivi. NGENZI assure que « ce sont des inventions », cependant les témoignages rapportant ces propos se multiplient au fil des audiences.
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  2. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« . [Retour au texte]
  4. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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