Procès en appel de Sosthène MUNYEMANA: mercredi 15 octobre 2025. J 21


L’audience s’ouvre sur l’annonce, par Me MARTIN, du décès de madame Marie GAFARAZI, partie civile entendue en première instance, des suites d’une longue maladie.

Interrogatoire de l’accusé (suite)

  • Bureau de secteur de TUMBA
Ancien bureau du secteur de TUMBA. Photo Alain GAUTHIER;

Le président invite l’accusé à expliquer dans quelles circonstances il s’est retrouvé en possession de la clé du bureau : l’accusé relate que, le 21 avril, un groupe de réfugiés s’est rassemblé devant le bâtiment. Joseph HITIMANA, alias RUGANZU, lui a raconté ce qu’ils avaient subi avant d’arriver, notamment des cas de femmes violées. Décidé à agir, l’accusé contacte le chef de secteur François BWANAKEYE, pensant que celui-ci, vivant à environ deux kilomètres du bureau, ignorait la situation.

Lors de cet appel, BWANAKEYE a expliqué qu’il ne pouvait se déplacer, des miliciens se trouvant devant son domicile, et qu’il craignait pour la sécurité de son épouse. Il a alors proposé d’envoyer la clé du bureau à l’accusé, à condition qu’il trouve une personne de confiance pour la lui remettre. Le soir même, aucune clé ne lui est parvenue. Il l’a finalement reçue le lendemain, transmise par un jeune homme envoyé par BWANAKEYE.

L’accusé se rend alors au bureau de secteur : « Le groupe comptait toujours entre vingt et trente réfugiés, entourés de miliciens qui n’étaient pas encore agressifs. J’ai dit à haute voix que j’étais envoyé par BWANAKEYE et qu’il viendrait plus tard. Dès que j’ai ouvert la porte, les réfugiés sont entrés rapidement, sans réaction des miliciens. J’ai ensuite fermé la porte à clé pour qu’ils soient en sécurité. » L’accusé précise avoir constaté l’absence de point d’eau dans le bâtiment : « Je suis allé au kiosque voisin pour demander à la dame de leur apporter de l’eau et un peu de nourriture, mais cela ne suffisait pas. »

De retour chez lui, il a à nouveau contacté BWANAKEYE, qui s’est rendu sur place le lendemain, 24 avril, et a organisé une réunion avec les chefs de cellule. Son intention, selon l’accusé, était de renvoyer les réfugiés dans leurs cellules respectives, mais ceux-ci ont refusé, en raison des tueries. BWANAKEYE a alors téléphoné au bourgmestre de NGOMA, Joseph KANYABASHI, lequel a proposé d’envoyer une camionnette pour les emmener au bureau communal.

Le président demande : « Enfermer les réfugiés dans le bureau, n’était-ce pas, comme certains témoins le pensent, un lieu de transit avant leur extermination, les fosses communes étant déjà pleines? » « Je n’ai jamais entendu parler de cela » répond l’accusé.

Le président lui demande combien de jeux de clés existaient. L’accusé dit l’ignorer. S’interrogeant sur la logique administrative, le président souligne : « Comment un chef de secteur, responsable élu, peut-il se délester de sa clé et la donner à vous, sans fonction administrative? » L’accusé répond : « Je l’ai alerté en tant que citoyen. Il avait confiance en moi. »

Le président remarque que Gérard MAMBO, chef de cellule habitant plus près du bureau, aurait pu être un intermédiaire plus naturel. L’accusé indique ne pas savoir pourquoi BWANAKEYE a choisi de lui confier la clé, ni si ce choix traduisait une méfiance envers MAMBO, connu pour son extrémisme.

Sur la base de plusieurs témoignages, le président suggère que la remise de la clé pourrait traduire une forme d’autorité reconnue à l’accusé. Celui-ci conteste : « Aller au bureau de secteur représentait un risque. Mais je ne pouvais pas refuser de prendre cette clé. »

Il affirme avoir conservé la clé du 23 avril au 15 mai, avant de la rendre à BWANAKEYE. Le président l’interroge alors sur la manière dont il conciliait son activité professionnelle et ses passages au bureau de secteur, puisqu’il rentrait de congés le 9 mai. L’accusé répond : « À un moment, il n’y avait plus d’arrivées de réfugiés à mettre à l’abri. »

Il dit ne plus se souvenir précisément de l’endroit où il gardait la clé, sinon qu’elle était conservée à son domicile.

Le président évoque les témoignages de monsieur Évariste NTIRENGANYA[1] et madame Gloriose NYIRANGIRUWONSANGA [2], selon lesquels des individus, parmi eux des miliciens, se seraient rendus chez l’accusé pour récupérer la clé et enfermer des Tutsi arrêtés. L’accusé conteste ces déclarations : « Des jeunes, mais pas des miliciens, sont venus chez moi, au moins à deux reprises, pour me signaler la présence de réfugiés au bureau. J’y suis alors allé pour leur ouvrir. » Il précise qu’il pouvait apercevoir partiellement le bureau depuis sa maison, située à environ 275 mètres, et qu’il percevait parfois du bruit ou de l’agitation inhabituelle. Il ajoute qu’à proximité du bureau se trouvaient des miliciens.

Le président interroge l’accusé sur sa connaissance des massacres perpétrés, à la même période, dans des églises, hôpitaux ou bâtiments administratifs : « Je ne connaissais pas leur ampleur », répond l’accusé. Le président poursuit : « Les miliciens présents à proximité du bureau de secteur s’abstenaient-ils d’intervenir par respect pour vous ? » « S’il y en avait, ils ne me l’ont pas dit. Certains savaient que j’étais ami avec Jean KAMBANDA[3]). Est-ce que cela a pu jouer ? C’est fort possible, mais je ne sais pas. »

Le président aborde ensuite les conditions de salubrité du bureau : « Lorsqu’un groupe de réfugiés reste enfermé deux nuits, ils ont des besoins vitaux, vous le savez, vous êtes médecin. Comment étaient-ils satisfaits ? » L’accusé répond : « Un petit bureau attenant à la grande salle servait de lieu d’aisance, directement sur le sol. Les conditions étaient très difficiles. On ne pouvait pas faire autrement : ouvrir la porte à plusieurs reprises aurait exposé les réfugiés à un risque. » Il ajoute qu’entre deux groupes, le nettoyage était effectué par des femmes. Concernant le témoignage de Madame Providence MUKANDOLI[4], qui évoque des réfugiés blessés, l’accusé conteste : « Je n’ai rien vu de tel. Je doute même qu’elle ait été au bureau de secteur. » Il précise que les seules blessures qu’il a observées concernaient le premier groupe, le 23 avril, et se limitaient à des « estafilades » ou « lésions superficielles » : « Je n’avais pas de matériel médical ; tout se trouvait à l’hôpital », ajoute-t-il.

Le président revient sur le rôle du chef de secteur : « Pourquoi BWANAKEYE ne prévient-il pas KANYABASHI avant de se rendre sur place ? La veille, il ne sait donc pas ce qu’il compte faire ? » « Non », répond l’accusé.

À propos du discours prononcé par KANYABASHI le 19 avril, le président demande : « Entre le 19 et le 24 avril, avez-vous eu des échos de cette allocution ? » « Je n’en connaissais pas le contenu, et BWANAKEYE ne m’en a pas parlé », répond l’accusé.

Le président s’intéresse aux conditions dans lesquelles les réfugiés arrivaient au bureau : « Certains venaient d’eux-mêmes, d’autres étaient amenés par des miliciens. Lorsque vous voyez ces derniers, ne pensez-vous pas que les Tutsi risquent d’être tués ? » « Je ne les ai pas vus arriver. Ce qui se passait avant, je ne le savais pas. Pour moi, les enfermer leur offrait un sursis. »

Le président l’interroge à nouveau sur le sort du groupe de RANGO : « Vous êtes-vous renseigné sur ce qu’ils sont devenus ? » « Non, je n’ai pas pu », répond l’accusé. Même question pour les femmes : « Je ne les connaissais pas », dit-il, et précise : « Il faut distinguer le refuge de l’abri : l’abri est temporaire, pas le refuge. Le bureau de secteur était un abri. »

Un juré demande : « Si vous aviez peur, pourquoi ne pas avoir remis la clé à quelqu’un d’autre ? » « Je l’aurais rendue à BWANAKEYE, mais je n’aurais désigné personne à sa place », répond-il.

Un assesseur reprend : « Si les miliciens n’ont pas agi, est-ce parce qu’ils savaient que les Tutsi seraient de toute façon tués plus tard ? » « Je ne l’ai pas vu comme ça. Je ne sais pas ce qu’ils avaient en tête », répond l’accusé.

Sur le ménage du bureau, l’accusé précise que BWANAKEYE venait lui-même chercher la clé chez lui, se rendait sur place, restait le temps du nettoyage, puis rapportait la clé à son domicile.

L’assesseur l’interroge : « Pourquoi ne pas avoir confié la clé à l’un des réfugiés, puisque la porte pouvait se verrouiller de l’intérieur ? » « Je n’ai pas voulu me séparer de la clé » répond l’accusé, sinon « autant les laisser se balader à l’extérieur. (…) Si les ouvertures avaient été répétées, le groupe aurait été exposé à tout le monde », ajoutant que les réfugiés étaient « stressés, angoissés, désespérés ». Concernant la présence des miliciens, il précise : « Quatre ou cinq d’entre eux, armés de bâtons ou de massues, tournaient autour du bureau. Certains habitaient la région, d’autres logeaient juste en face. »

Enfin, l’assesseur lui demande s’il a alerté BWANAKEYE du risque que les miliciens enfoncent la porte pour tuer les réfugiés : « Non », répond-il.

Interrogatoire de l’accusé – Dessin @art.guillaume

 

  • Départs

Le président poursuit ses questions sur la fuite de l’accusé et de sa famille hors du Rwanda : « N’y avait-il pas urgence à partir? Quitter le Rwanda? » Quelques jours après l’agression de sa fille Liliane, l’accusé choisit de mettre ses enfants chez leur parrain « une région plus calme ». 

Après l’assasinat de KAVAMAHANGA deux ou trois jours plus tard et « des menaces sur moi », l’accusé part à KIGEMBE dans sa belle famille avant de revenir à récupérer les billets d’avion et une invitation de l’université de Bordeaux « où j’avais étudié » envoyés par sa femme « vers le 6-7 » juin pour préparer son départ définitif.

Le voyage avait été organisé par Straton dans deux véhicules via CYANGUGU et GISENYI pour rejoindre le Zaïre à GOMA où « j’espérais avoir un visa mais ce n’était possible qu’à KINSHASA. Ma femme avait acheté un billet KINSHASA – BORDEAUX. J’ai dû acheter un billet supplémentaire GOMA – KINSHASA ».

Le président revient sur le sort de François KAVAMAHANGA : « Vous avez été menacé pour lui mais pas pour les autres? ». L’accusé évoque l’irruption d’un militaire ivre à son domicile, il le soupçonnait d’avoir caché un Tutsi. Pensant qu’il s’agissait de lui, KAMANZI sort de sa cachette mais, toujours selon l’accusé, le militaire déclare: « Ah non, le vieux, tout le monde sait qu’il est ici », il en cherchait un autre.

Le président indique que selon le passeport de l’accusé, son départ du Rwanda est daté du 27 juin alors qu’il avait évoqué le 22. Il rejoindra ensuite la France à Bordeaux le 6 septembre 1994.

Le président revient sur le départ de TUMBA. L’accusé précise qu’il y avait « deux véhicules conduits par des militaires, avec Straton dans la voiture devant » et lui dans le second véhicule.

Le président s’étonne qu’ils n’aient pas choisi la route du Burundi pourtant tout proche. « Ma femme s’inquiétait aussi des troubles au Burundi » répond l’accusé, c’est pourquoi elle avait pris les billets au départ de KINSHASA.

Le président s’interroge sur la capacité de Straton à mobiliser des militaires et deux véhicules sans qu’il n’ait eu à en référer au premier ministre Jean KAMBANDA. L’accusé répond simplement : « Il n’en a pas été fait état avec Straton« .

 

  • Autres procédures.

La suite de l’interrogatoire porte ensuite sur diverses procédures dont une plainte pour atteinte à la présomption d’innocence et « une plainte pour dénonciation calomnieuse » ajoute l’accusé ainsi que sa condamnation en Gacaca[5]. 

À propos du mandat d’arrêt international contre lui, « le tribunal de Bordeaux a indiqué qu’il n’y avait pas matière  à m’extrader au Rwanda » selon l’interprétation de l’accusé.

Le statut de réfugié lui sera refusé par la CNDA[6]. En 1996, Sosthène MUNYAMANA sera entendu à sa demande par l’OFPRA[7] qui décidera « d’attendre le jugement pour prendre une décision. »

Quant à sa condamnation à l’issue du procès en première instance, « Je l’ai vécue comme une injustice ». Il note « une différence d’approche entre les deux cours d’assises. J’ai l’impression que la parole est plus écoutée ici ». En première instance, selon lui, il y avait « même les professionnels du mensonge qui étaient ramenés en avant. J’ai été surpris par cette condamnation-là. »

Un assesseur s’interroge sur les circonstances de son départ du Rwanda: alors qu’il avait aidé des Tutsi, il était protégé par des membres du gouvernement génocidaire? « Il n’a jamais été question que tous les membres du gouvernement étaient génocidaire » conclut l’accusé.

L’audience est suspendue à 13h49 puis reprend à 14h30.

 

Questions des parties civiles.

Avant les questions des avocats des parties civiles, le président propose un point conclusif à l’accusé qui déclare :  « Je pense avoir dit tout ce que j’avais fait pendant la période du génocide. J’attends les questions ».

Maître PARUELLE interroge l’accusé – Dessin @art.guillaume

Maître PARUELLE, premier à prendre la parole, rappelle que Sosthène MUNYEMANA avait pris des congés du 21 mars au 9 mai, donc avant le début du génocide, puis dix jours supplémentaires à partir du 1er juin. Il souligne que les massacres ont commencé autour du 21-22 avril.

Il interroge alors : « Les massacres commencent le 21, au moment où vous êtes médecin. Pourquoi, en tant que médecin, n’êtes-vous pas intervenu ? »

Sosthène MUNYEMANA répond que les médecins en congé n’avaient pas été appelés à l’hôpital : « Pour intervenir, il fallait être à l’hôpital, il n’y avait pas de « kit privé », il n’y avait pas la possibilité de la faire « hors cadre ». De plus, la plupart des lésions observées étaient traumatologiques et non gynécologiques.

L’avocat insiste: « Même des gestes simples? »

L’accusé: « Je n’ai pas pris contact avec l’hôpital parce que l’organisation venait de l’intérieur. Les chirurgiens qu’il y avait étaient suffisants en complément de MSF[8]. » Il précise que l’hôpital n’avait pas restructuré son fonctionnement et que, pour intervenir, il fallait être sur place. Il explique qu’il aurait voulu agir comme le SAMU, mais qu’un tel service n’existait pas au Rwanda. Selon lui, il n’était pas possible de tout réinventer dans un contexte comme celui du génocide.

Le second intervenant, Maître KARONGOZI pose des questions à l’accusé concernant sa formation. Il rappelle que Sosthène MUNYEMANA a fait ses études universitaires au Rwanda avant de se spécialiser en France.

Il l’interroge sur plusieurs points : les services de renseignement lui ont-ils fourni des documents ? Le fait d’être originaire du Sud a-t-il posé problème ? Y avait-il des discriminations entre Hutu et Tutsi ? Autrement dit, aurait-il été plus simple de partir en France en tant que Tutsi?

Sosthène MUNYEMANA répond que cela dépendait des situations: « j’ai dû batailler pour avoir le passeport, les services de renseingnement bloquait pour me faire renoncer » et privilégier quelqu’un du Nord à sa place. Les Hutu étaient ségrégés au Nord comme au Sud, notamment au niveau des écoles. Entre Hutu et Tutsi du Sud, il y avait des initiatives comme la création d’écoles privées à BUTARE et GITARAMA, témoignant d’une certaine solidarité régionale.

Maître KARONGOZI poursuit : « Quand Juvénal HABYARIMANA a pris le pouvoir en 1973, plusieurs membres du gouvernement de KAYIBANDA[9], originaires du Sud, votre région d’origine, sont-ils morts ? »

L’accusé répond : « Oui. »

L’avocat reprend : « Quand adhérez-vous au MDR[10]? Est-ce un choix en connaissance de cause? »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il commence à participer aux congrès du parti en 1991. Il admirait l’engagement du MDR pour la démocratisation et sa volonté de supprimer la mention de l’ethnie sur la carte d’identité.

L’avocat demande : « Le manifeste des Bahutu, publié le 24 mars 1957, ce texte de base a-t-il été modifié et quand le MDR a-t-il été rénové ? »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il s’agissait d’« un renouvellement sans notion d’ethnie ». Il rappelle que le mot « race » remonte à 1920, avec la mention des Tutsi, mais précise que ce point est hors du cadre de ce procès.

L’avocat demande : « Ne voyez-vous pas de différence entre ce texte et les idéologies promues par le vice-président du Hutu Power ? »

Sosthène MUNYEMANA  répond qu’il ne faut pas rattacher ces éléments au passé, « car vous brûlez les étapes ». Il rappelle que l’expression « Hutu Power » a motivé les assassinats et le génocide de 1994, et que, dès 1990, les « Dix commandements des Bahutus » avaient été publiés dans le journal Kangura[11]. Il ajoute que le rédacteur en chef de ce journal a été arrêté par Dismas.

Ensuite, l’avocat demande : « Dans le gouvernement de transition, le président vient du Sud, le Premier ministre aussi, était-ce pour éviter un coup d’État de BAGOSORA[12]? »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il préférait un gouvernement civil plutôt qu’un coup d’État militaire.

L’avocat demande enfin : « Le fait de nommer des personnes du Sud n’a-t-il pas envenimé les choses ? »

Sosthène MUNYEMANA explique que cela a « commencé par fragiliser les partis de la résistance face aux coups du Sud, une stratégie dans la polarisation Nord-Sud, et vient compléter ce qui s’était passé auparavant avec les idéologies des partis qui voulaient résister aux extrémistes. »

Arrive le troisième intervenant, maître EPOMA.

Il demande à l’accusé : « Quels sont les éléments qui font de vous un notable ? »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il possède de l’expérience.

L’avocat poursuit : « Le notable est-il influent ? » 

Sosthène MUNYEMANA : « Oui, en bien ou en mal. »

Il questionne ensuite : « Étiez-vous notable parce que vous étiez entouré de miliciens et que vous connaissiez des ministres ? »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il ne fréquentait pas ce monde. Il connaissait quelques personnes, mais il s’agissait de simples connaissances. Cependant, certains miliciens le connaissaient, ce qui lui permettait de passer plus facilement les barrières ; il reconnaissait ces barrières.

L’avocat demande : « Quels étaient vos rapports avec Dismas ? » L’accusé répond qu’ils étaient bons. Dismas, plus âgé que lui, est devenu très proche après leur rencontre. L’accusé précise qu’il est resté dans la mouvance, et même après son départ, Dismas est resté un homme de bons conseils.

L’avocat demande : « Dismas a-t-il changé ? » L’accusé répond : « Non. »

Il est enfin évoqué qu’une photo de Dismas a été retrouvée, avec la description « extrémiste ».

Le président intervient pour rappeler que les éléments fournis ne sont pas suffisants et qu’il faut produire les pièces correspondantes afin de permettre une réponse éclairée.

Maître EPOMA reprend en demandant : « Pouvez-vous dire que vous êtes un notable ? »

Sosthène MUNYEMANA répond : « Oui, à TUMBA. »

Quatrième intervenant, maître BERNARDINI, évoque le documentaire « Rwanda, vers l’apocalypse »[13], montrant deux massacres de Tutsi antérieurs au génocide – massacres des Bagogwe et du Bugesera -, qualifiés de « galop d’essai du génocide ». Il demande à Sosthène MUNYEMANA : « Qu’en pensez-vous ? Vous connaissez ces événements ? »

L’accusé répond que son parti les a condamnés à l’époque. Selon lui, ces massacres ont été perpétrés par des extrémistes et étaient combattus par le MDR. Il précise que le MDR a toujours condamné ces attaques, qui constituaient des massacres atroces de Tutsi sans lien avec la guerre.

L’avocat demande : « Y avait-il systématiquement des massacres après des incursions du FPR ? »

Sosthène MUNYEMANA répond : « Oui. Les massacres étaient dirigés par des extrémistes du MRND. »

Il demande ensuite : « Est-ce que c’était organisé par l’État? »

Sosthène MUNYEMANA répond : « Non. C’était une branche d’un mouvement. Le même État s’opposait à ces massacres. Le gouvernement n’a pas ordonné de les tuer, mais les a défendus verbalement. »

L’avocat poursuit : « Est-ce que le génocide a été préparé dans un plan ? »

Sosthène MUNYEMANA  répond : « Ça a peut-être existé, mais je n’en sais rien. »

Maître BERNARDINI cite un extrait de la feuille de motivation du jugement en première instance:

« Sosthène MUNYEMANA n’a pas contesté l’existence de ce génocide tant au niveau du pays que localement. II a cependant contesté le caractère planifié du génocide avant l’attentat présidentiel en expliquant que le génocide a été improvisé après le 6 avril, sans planification tout en admettant qu’un groupe d’extrémistes a pu fomenter le génocide « dans son coin ».

L’accusé réagit : « Je n’en ai pas contesté l’existence si j’ai dit que je ne le connais pas. »

Il précise que si un plan a existé, il n’en a pas été informé.

Maître AUBLE interroge l’accusé – Dessin @art.guillaume

Cinquième avocat des parties civiles, maître AUBLE  demande : « Êtes-vous sorti de chez vous pour aller à l’hôpital ? »

L’accusé répond qu’il s’était inscrit à une formation en informatique, mais qu’après l’attentat du 6 avril, il n’a plus pu la suivre. Il écrivait également un livre de gynécologie et, pendant ses congés, s’occupait de l’écriture et de ses enfants. Il précise qu’il allait parfois à l’hôpital pour s’occuper de patientes.

Il ajoute qu’il s’y est rendu à trois reprises pour l’accouchement de Beata UWAMARIYA , dont deux fois entre le 21 avril et la césarienne qui a eu lieu le 28 avril. Mais l’avocate relève que devant la CNDA il avait indiqué y être allé plus souvent, « tous les deux jours ». L’accusé reste imperturbable : « J’ai dû faire une réponse automatique de ce que je dois faire dans ces cas-là. ». L’avocate rétorque que ce n’est plus une réponse spontanée puisqu’il avait déjà été reçu à l’OFPRA avant sa demande à la CNDA.

Elle lui pose ensuite une question sur sa perception de TUMBA à partir du 21 avril, notamment les bruits et les odeurs depuis l’intérieur de sa concession.

Sosthène MUNYEMANA répond que selon lui la période était silencieuse, mais qu’il y avait des phases de bruits, similaires à ceux dont les témoins ont parlé. Concernant les odeurs, il précise « Je n’ai pas de bon odorat »;

L’avocate rappelle que l’accusé avait dit n’avoir vu que deux cadavres et demande :
« Qu’avez-vous vu concrètement ? »

Sosthène MUNYEMANA répond que le premier cadavre se trouvait à côté de son bureau de secteur et a été enlevé, sans qu’il sache par qui. Le deuxième était celui de son ami, qui a été amené à sa maison puis enterré.

Sixième intervenant, maître FOREMAN, demande :
« Quand avez-vous fini de rembourser votre prêt pour la maison ? Quand votre maison a été vendue en 2009, il n’y a pas de mention de l’emprunt ? »

Le débat porte sur sa richesse : l’emprunt a été remboursé rapidement. « Il restait une petite dette remboursée en 2009 », précise l’accusé.

Maître FOREMAN le questionne ensuite sur ses allers-retours à l’hôpital pendant ses congés et la minimisation de sa présence. Sosthène MUNYEMANA répond qu’il a peut-être parlé un peu trop vite à l’OFPRA. Il affirme à deux reprises avoir assigné trois gardes pour protéger sa patiente tutsi, reconnassant à nouveau avoir parlé trop vite. Il ajoute avoir oublié de mentionner qu’il a également fait accoucher la femme de l’ambassadeur du Burundi.

L’avocat demande pourquoi, à la fin de ses congé le 9 mai, l’accusé n’est pas resté auprès de ses enfants au lieu de reprendre son activité: « Vous n’avez pas eu peur de les laisser seuls, sachant qu’il y avait des massacres et que des miliciens rôdaient dans sa zone? »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il devait aller travailler et qu’il voyait ses enfants le soir. Dans sa concession, il y avait beaucoup de monde et ses enfants n’étaient pas isolés.  L’avocat insiste : « Vous retournez travailler là-bas comme si de rien n’était? » Réponse de l’accusé : « Beaucoup de choses de cette période paraissent irrationnelles », d’ailleurs sa fille a été agressée alors qu’il était présent.

L’avocat rappelle que l’accusé avait dit ne jamais avoir connu de médecin ayant participé au génocide, alors qu’un médecin, membre du Cercle des intellectuels du MDR, ainsi que d’autres, ont tenu des propos génocidaires. Selon Sosthène MUNYEMANA, certains ont été accusés mais il n’a pas vu de médecin y participer. Maître FOREMAN lui rétorque que plusieurs médecins, dont Sosthène MUNYEMANA, ont été cités comme ayant « collaboré avec les interahamwe[14] et les soldats (FAR[15]) » dans un entretien avec Claude-Emile RWAGACONDO (médecin-chef de l’hôpital universitaire de BUTARE) publié dans le belge « De Morgen »[16] :

« C’est terrible de constater comment d’anciens collègues ont participé activement au massacre de citoyens innocents. Beaucoup de médecins ont rayé, sciemment, des patients de l’hôpital, en sachant pertinemment qu’ils seraient tués dès qu’ils quitteraient l’hôpital. Les interahamwe les attendaient à la sortie. »

Sosthène MUNYEMANA répond qu’il a déposé plainte contre cet article[17].

KAREMERA, au nom du Cercle des intellectuels du MDR de BUTARE, dont Sosthène MUNYEMANA est vice-président, prend la parole devant le Premier ministre pour déclarer qu’il faut « tuer plus de cafards ».

L’accusé: « Je ne l’avais pas entendu. »

L’avocat:  « Vous avez échangé avec KAREMERA et vous n’êtes pas au courant? »

L’accusé: « Je n’ai pas en memoire le discours de KAREMERA ».

Il admet que ces propos sont choquants mais « pas un mot de condamnation du reste » conclura maître FOREMAN.

L’avocat en vient ensuite à la motion du 16 avril diffusée quelques jours plus tard à la radio: « Un courrier selon vous, mais rédigé à la troisième personne. Il n’était pas destiné à être publié? ». L’accusé n’en démord pas: il n’était pas destiné à être envoyé à l’ONU ni aux ambassadeurs occidentaux. Selon lui, s’il avait été destiné à ces interlocuteurs, il aurait été rédigé en français, mais il a été écrit en kinyarwanda. Et si le document passe sous silence le fait que c’était les Tutsi qu’on massacrait, « les citer ça aurait été les désigner. »

Maître FOREMAN lit un passage du livre d’Alison DES FORGES[18] à propos du préfet de BUTARE qui, dès le 11 avril, refusa de participer à une réunion appelant aux massacres : « Le 12 avril, Jean-Baptiste HABYARIMANA[19] refuse d’obéir aux ordres, mais vous le 16, vous ignoriez qu’elle était la solution et 4 jours plus tard vous exprimez encore votre soutien au gouvernement! ».

Sosthène MUNYEMANA répond : « Il y a un communiqué des FAR qui va dans le sens opposé (…), d’où notre lettre réagissant au départ de la MINUAR », mais cette dernière n’est mentionnée qu’à la fin de la lettre dont ce n’était certainement pas l’objectif essentiel selon maître FOREMAN. Ce à quoi l’accusé répond que le Cercle des intellectuels y indiquait ses objectifs ainsi que des conseils au gouvernement.

L’avocate de la défense s’interpose pour rappeller que l’accusé a bénéficié d’un non-lieu pour tout ce qui s’est passé à l’hôpital, il n’y avait à l’entendre pas de subversion dans cet établissement.

L’avocat souligne que le 12 avril, le préfet de BUTARE, disposant des mêmes moyens de communication que Sosthène MUNYEMANA , savait déjà ce qui se passait mais il n’a réagi que le 19 avril. Il évoque également le soutien au GIR et aux FAR, et le fait que le gouvernement avait bien reçu le message, notamment lors du discours du 14 mai à BUTARE.

Sosthène MUNYEMANA répond en évoquant le retrait de la mission MINUAR[20], précisant que ce retrait a commencé le 14 avril, ce qui, selon lui, explique dans ce contexte la motion de soutien au gouvernement. Il ajoute que le Cercle des intellectuels y indiquait ses objectifs ainsi que des conseils au gouvernement.

Maître FOREMAN s’interroge encore sur l’emploi de certaines expressions comme « les Tutsi pervers » alors que l’on est supposé s’adresser à l’ONU.

Maître BOURG réagit à nouveau pour rappeler le non-lieu concernant l’hôpital.

Maître GISAGARA demande à l’accusé s’il considère le terme « inyenzi[21] » comme dégradant. Il répond : « Historiquement, ce sont les assaillants de l’époque  qui se le serait donné » mais en 1994, « ça les désignait comme cible, ça c’est sûr. »

Le MDR était aussi le parti de son père. Sa maison avait été incendiée (il avait 5 ans à l’époque). Ce n’était pas parce que son père était militant du MDR, c’était par des milices congolaises de passage qui incendiaient des maisons sur leur route.

Maître MARTIN interroge l’accusé sur le fait qu’il n’a pas fui avec ses enfants dès le début de l’escalade de la violence, par le Burundi pourtant si proche qu’il aurait pu y aller simplement à pied. Comme il venait d’accoucher la femme de l’ambassadeur du Burundi, elle aurait pu l’aider. Mais Sosthène MUNYEMANA s’inquiétait des capacités d’accueil du Burundi. Une fois sur place, il aurait fallu y vivre et c’était juste le début du génocide, avec beaucoup plus de problèmes que simplement fuir. Une autre avocate souligne que pourtan l’escalade était évidente, avec de nombreux signes et des moyens pour partir, et demande pourquoi il a attendu autant. Ce à quoi il répond: « Nous étions dans l’optique de résister, noous aurions réussi s’il n’y avait pas eu les militaires à TUMBA ». L’avocate n’est pas convaincue et demande s’il y avait d’autres antennes du Cercle des intellectuels dans d’autres préfectures ou d’autres cercles. L’accusé n’en avait pas connaissance.

Maître PARUELLE revient sur la motion du MDR pour savoir si si celle-ci n’a pas contribué à engager le génocide. L’accusé répond qu’il n’y avait selon lui rien d’incitatif dans le texte, bien au contraire.

L’audience est supendue de 16h52 à 17h15

Les avocats poursuivent leurs questions sur l’activité politique de l’accusé et son adhésion au MDR. Selon lui « tout membre d’un parti politique n’est pas un homme politique. » Un texte rédigé au nom du parti peut-il n’être rédigé que par un simple militant? Soucieux de minimiser son rôle, Sosthène MUNYEMANA se voit comme un « simple militant agissant » au sein d’un « cercle informel du parti. » Il dit n’avoir jamais tenu un discours au sein du MDR. Lors des meetings, c’était un participant : il écoute et regarde. Il dit n’être jamais intervenu. Il dit que pour être un homme politique il faut faire partie d’un organe. « Ce n’était pas notre cas, nous étions des militants. »

Maître PARUELLE reprend en demandant si l’accusé avait été confronté à  Jean-Marie Vianney GASHUGI,  rappelant qu’il avait dit que c’était faux et qu’il existait des « menteurs professionnels ». Sosthène MUNYEMANA  répond qu’il a mentionné MY LOVE et deux autres comme menteurs, mais pas Jean-Marie Vianney GASHUGI[22].

À la question de savoir s’il a participé à un meeting du MDR en janvier 1993, Sosthène MUNYEMANA  répond : « Je ne sais pas. Je n’ai jamais tenu aucun discours dans aucun meeting ». Quant aux fractures du parti : « Je ne peux pas répondre, je n’ai aprticipé à aucun meeting depuis août 1993 ».

Maître LINDON demande ce qu’il s’est dit avec Jean KAMBANDA, le 19 juin. L’accusé répond : « Il nous disait ça va bien. La guerre, on va la gagner bientôt ». Maître AUBLE précise qu’en 2006 devant l’OFPRA, Sosthène MUNYEMANA  avait déclaré à propos de cette visite : « Je l’ai reçu comme un ami. Nous avons invité plein de gens et bu de la bière. On n’a pas parlé du génocide mais de la guerre. Il a dit qu’on gagnerait la guerre. » mais il conteste aujourd’hui avoir parlé de la bière.

L’avocate : « Vous aviez besoin de boire pour paraître fréquentable alors que vous les connaissiez ? Les personnes que vous retrouvez sont fréquentables hors MAMBO et RUGANZU. Alors pourquoi devant eux vous devez paraître fréquentable ? »

L’accusé: « Je voulais paraître pour l’ensemble des personnes présentes dans le bar. »

L’avocate lui demande de réagir sur sa déclaration comme quoi il aurait pu confier ses enfants à Jean KAMBANDA, génocidaire:

« Même si je connais Jean KAMBANDA en tant que génocidaire, malgré son statut j’ai pensé à lui pour amener mes enfants auprès de leur mère, répond l’accusé. Je lui avais donné le numéro de ma femme. Il avait peur pour ses enfants et justifie ainsi son action.

– Mais alors il y avait la belle famille. Que voulez-vous dire par « il était en activité » ?

– Il était Premier ministre. 

– Pourquoi ne pas avoir confié vos enfants à la belle famille ?

– C’était une famille paysanne. »

Sosthène MUNYEMANA revient sur sa raison de boire de la bière : « Vous dites que j’aurais bu jusqu’à être ivre. Je veille à ce que mon verre reste rempli pour ne pas trop boire. »

L’avocate reprend plus tard:

« Vous êtes un homme de conviction ou vous vous adaptez ?

– Quand je suis convaincu de quelque chose je suis têtu. Mais je peux me remettre en question.

– Straton est allé en mission en Europe. Il a rencontré votre femme et lui a remis une lettre de vous. Elle lui a donné des billets d’avion qu’il vous a remis à son retour. 

– Il me les a donnés à un enterrement. 

– Jean KAMBANDA, vous l’avez appelez pour le féliciter quand il est devenu premier ministre ? 

– Je l’ai appris à la radio, je ne l’ai pas appelé.

– Lorsqu’il se passe quelque chose d’important pour KAMBANDA, on a l’impression que vous êtes là.

En juillet 93, il vient se cacher chez vous car il se sent menacé? Il devenait extrémiste?

– Non, justement il était pourchassé par le MRND qui le jugeait trop modéré. Il est devenu extrémiste seulement en novembre 93 (après des) accords secrets avec le président HABYARIMANA. 

– Vous dites que Jean KAMBANDA tient un discours génocidaire. Mais vous l’appelez quelques temps après. Pourquoi ?

Sosthène MUNYEMANA dit que dans un contexte tendu, il a fait appel à qui il pouvait, même auteur d’atrocités : « je ne pensais pas qu’il les commettrais envers mes enfants, ça ne m’empêche pas de considérer sa responsabilité criminelle. »

Maître GISAGARA:

« Lors de la réunion du 17 avril, des gens chez vous ont fui ? Toutes les personnes sont Hutu ?

Sosthène MUNYEMANA dit ne pas se souvenir de l’ethnie de chacun. Il pensait que certains étaient Tutsi. Il ne fait pas de différence entre les deux ethnies. 

– Votre employée de maison dit que les gens que vous accueillez sont des gens qui ont fui des Inyenzi? 

– À cette période, dans la région, il y avait des attaques du FPR depuis le Burundi. 

– Les barrières étaient là pour bloquer les Inyenzi. Trop de coïncidences… Quand les gens sont arrivés chez vous. Vous leur avez demandé qu’est-ce qu’il fuyait ?

– Oui, ils me l’ont dit dès qu’ils sont arrivés ». Certains étaient Tutsi et ils ont été tués.

Maître BERNARDINI revient sur le contexte: « Est-ce que la question de patrouilles d’extrémistes Hutu sur la frontière burundaise a été évoquée le soir ? Vous en aviez connaissance ?

– Non, on en n’a pas parlé.

– Vous faites les rondes alors que vous savez que les Tutsi sont persecutés par les Hutu.

– La majorité des miliciens étaient Hutus. On se défendait notre quartier contre eux. 

– Comment vous vous défendiez ?

– Mieux vaut être attaquer ensemble que chez soi. 

– Les rondes étaient mixtes jusqu’en juin?

– Ce n’était pas la même mixité qu’avant. Fin mai, , c’était une façon de les garder (les Tutsi)  à proximité de nous, de les protéger

– Le 21 avril, lorsqu’on tuait, ça ne faisait aucun bruit?

– Le seul coup de feu qu’on a entendu, c’étai dans la nuit du 24 avril. Toutes les autres tueries, c’était aux armes traditionnelles.

– Comment BWANAKEYE venait à chaque fois que vous l’appeliez alors qu’il craignait pour sa famille et ses enfants?

– À partir du 24, il a pu se libérer, il y avait peut-être quelqu’un chez lui.

L’audience est suspendue à 19h pour 10′.

Retour aux questions sur le bureau de secteur. Sosthène MUNYEMANA reconnaît qu’il n’avait « pas le même niveau de sécurité que chez moi, ça c’est sûr. »

Maître SIMON demande, si le bureau de secteur était censé être un « lieu provisoire », pourquoi ne pas avoir remis les clés aux réfugiés? Quelqu’un aurait pu y mettre le feu?

« Je ne pouvais pas l’imaginer. Quand on est à l’intérieur, on est plus en sécurité qu’à l’extérieur. » Cette réponse ne convainc pas l’avocat qui y voit plutôt une occasion de les regrouper aux yeux de tous et les condamner à mort.

Maître FOREMAN revient également sur les circonstances de la mort de François KAVAMAHANGA, assassiné devant l’hôtel Faucon alors qu’il devait se réfugier chez Sosthène MUNYEMANA. Selon l’accusé, c’est à une barrière que sa carte d’identité avait été contrôlée. L’arrière de sa  photo comportait une seconde signature supposée prouver qu’il s’agissait d’un inkotanyi qui voulait cacher sa véritable identité. Maître FOREMAN répond, goguenard: « Ainsi les inkotanyi[23] prenait soin de s’identifier »… pour mieux être démasqués? Invraisemblable! Il penche plutôt pour une toute autre raison: François KAVAMAHANGA portait sur lui 70 000 FRW et 5000 $, peut-être pour fuir… alors il s’agit probalement plutôt d’un crime crapuleux pour le voler. Et l’argument selon lequel Sosthène MUNYEMANA aurait été menacé quelques jours plus tard parce qu’il aurait tenté de le protéger ne tient plus.

Diverses questions seront encore posées sur des thèmes déjà évoqués mais l’accusé campe sur ses positions, on n’en saura pas plus.

 

Mathieu PEREZ, bénévole.

Lorenz UBERTI et Illaria, bénévoles

Jacques BIGOT, compléments, notes et mise en page.

Dafroza et Alain GAUTHIER, président du CPCR, pour les relectures et les NDR.

 

  1. Voir l’audition de monsieur Évariste NTIRENGANYA, 29 septembre 2025.[]
  2. Voir l’audition de madame Gloriose NYIRANGIRUWONSANGA, 2 octobre 2025.[]
  3. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide. Ses agendas et carnet de notes sont archivés dans les annexes en ligne de Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994, André Guichaoua – La Découverte (Paris):
    Agendas (document pdf, 28 Mo)
    Notes et déposition au TPIR  (document pdf, 35 Mo[]
  4. Voir l’audition de madame Providence MUKANDOLI, 1er octobre 2025.[]
  5. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]
  6. CNDA : Cour Nationale du Droit d’Asile[]
  7. OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides[]
  8. MSF : Médecins sans frontières[]
  9. Grégoire KAYIBANDA : premier président du Rwanda indépendant, le 1er juillet 1962. En 1957, il avait déjà publié le « Manifeste des Bahutu » qui désigne le Tutsi comme étant d’une race étrangère avant de créer en 1959 le parti Parmehutu qui proclame que la masse Hutu est constituée des seuls «vrais Rwandais». voir Repères – les origines coloniales du génocide.[]
  10. MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. []
  11. « Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6 de Kangura, publié en décembre 1990.[]
  12. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
    Voir le glossaire pour plus de détails.[]
  13. Voir Rwanda, vers l’apocalypse, de Maria MALAGARDIS et Michaël SZATANKE, diffusé sur France TV.[]
  14. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA, désignation souvent étendue aux milices d’autres partis. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  15. FAR : Forces Armées Rwandaises[]
  16. Voir « Le docteur coupable et courageux de Butare«  [Traduction du néerlandais], publié le 8 août 1994 dans le quotidien belge De Morgen (document pdf archivé sur le site francegenocidetutsi.org ).[]
  17. Voir la lettre de Sosthène MUNYEMANA à Claude-Emile RWAGACONDO envoyée en copie au quotidien belge De Morgen (document pdf archivé sur le site francegenocidetutsi.org ).[]
  18. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[]
  19. Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA, à ne pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné, selon  Butare, la préfecture rebelle, rapport d’expertise d’André GUICHAOUA, la date exacte étant sujette à caution.[]
  20. MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité pour aider à l’application des Accords d’Arusha. Voir Focus : le contexte immédiat du génocide – les accords d’Arusha.[]
  21. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]
  22. Voir l’Audition de monsieur Jean-Marie Vianney GASHUGI,  le 26 septembre 2025.[]
  23. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[]

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